Quatorze Juillet
Chapitre 6 : - Partie I ~ Chrysanthème - - Chapitre VI -
2291 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 07/06/2019 01:05
- Chapitre VI -
Alors que la journée commençait à peine, Paris était déjà en pleine activité. Tandis que l'inspecteur Vergier faisait face à son informatrice aux étranges informations, Élisabeth prenait un peu de plaisir à se promener dans un parc –Marie lui avait dit vouloir se rendre quelque part, en précisant qu'elle préférait être seule. Ce petit monde s'affairait comme s'affairaient les nombreux habitants, commerçants et touristes de l'immense ville des Lumières.
Et alors que Paris grouillait, des voitures vrombissant dans ses boulevards, des habitants bavardant sur ses terrasses, et des touristes arpentant ses monuments, un appartement, au coin d'une rue, demeurait silencieux et inactif. Raphaël avait lutté du mieux qu'il avait pu, mais le sommeil avait finalement eu raison de lui. Il s'était assoupi en relisant ses notes, tout en gardant Fondue près de lui. C'est son fidèle compagnon qui le réveilla, en lui lavant le visage à grands coups de langue.
Raphaël repoussa le chien, encore bien trop peu réveillé pour comprendre la situation. Son premier réflexe, en voyant qu'il était allongé sur le tapis, entouré de feuilles diverses et éparses, fut de toutes les ramasser et de les poser sur son bureau. Il lâcha un long bâillement, jusqu'à s'en décrocher la mâchoire ; combien de temps avait-il dormi ?
La radio crachait les informations du jour alors qu'il se douchait et écoutait d'une oreille distraite. Il se souvint difficilement de la date, ne comprenant pas comment il était possible qu'il eût des souvenirs de cette journée qui ne s'était pas écoulée.
Puis il eut un éclair de génie.
Et s'il tentait de voir s'il avait bien vécu cette journée ?
Il se souvenait de ce qui s'était passé. Il lui suffisait de voir si cette journée coïncidait avec la précédente. À commencer par aller voir Marie près du commissariat.
Mais son enthousiasme fut de courte durée.
Simplement parce qu'il ne pouvait pas faire à nouveau du mal à la jeune fille. Il l'appréciait trop pour lui briser à nouveau le cœur. Et il ne voulait pas non plus se faire frapper sans relâche par Josette.
Il se décida rapidement. Il irait se promener en ville avec elle, si elle le voulait, et ils passeraient la journée ensemble, sans revenir à son appartement. C'était un bon plan. En théorie.
« Quant à la météo, les averses de la côte ouest, provenant de la Bretagne et des Pays de la Loire, se dirigeront vers la capitale. Attendez-vous à de fortes pluies pour cet après-midi. »
Il nota cet étrange changement de détail. Il était certain qu'il n'avait pas plu la moindre goutte. Ce n'était donc pas exactement la même journée.
Il devait faire quelque chose. Il devait sortir, et tester la répétition de cette journée.
*
« J'ai rendez-vous avec un collègue. Ne m'attends pas pour déjeuner » avait dit l'inspecteur Vergier à sa fille en sortant de chez-lui.
Elle lui avait souri en retour, et l'avait laissé partir sans l'interroger sur sa destination.
Il était retourné à son appartement vers onze heures, afin de récupérer quelques dossiers concernant l'affaire R, auxquels venait de s'ajouter le témoignage de la fille de la duchesse Élisabeth.
Il retrouva Loïc, son subalterne, dans son bureau ; celui de l'inspecteur était bien trop en bazar, il leur aurait été tout bonnement impossible de s'y concentrer. Assis chacun d'un côté du bureau, ils décortiquaient les faits relatifs à Fantôme R, l'un se concentrant sur les incidents de l'an précédent, et l'autre sur le reste de la carrière du voleur d'art.
Alors qu'il épluchait page par page les rapports de police, Vergier eut un déclic.
Il avait déjà vu Fantôme R en-dehors de sa carrière de voleur, en civil.
*
L'odeur du plat qu'on lui avait apporté lui faisait monter l'eau à la bouche.
Et pourtant, elle entendait la voix de son père lui reprochant d'avoir des goûts de luxe.
« Si tu continues comme ça, tu vas me ruiner Charlotte ! » lui répétait-il gentiment, mais sévèrement.
Elle soupira. Certes, le poste d'inspecteur de son père n'était pas des mieux payés, mais ce salaire n'était pas pour autant injuste. Son père travaillait énormément, faisait plus d'heures supplémentaires que possible –il en venait à dormir au bureau, ce n'était pas de l'assiduité au travail ça !?– et pourtant il peinait certaines fois à payer les factures en fin de mois. C'était comme si un gouffre avalait les ressources qu'il gagnait.
Elle passa une main dans sa tignasse blond foncé ; ses cheveux avaient beaucoup poussé, elle allait avoir besoin de ses ciseaux assez rapidement.
Finalement, elle se saisit de ses couverts et commença à manger.
Le goût du saumon fumé lui chatouilla le palais, pour son plus grand bonheur. Espaçant chaque bouchée d'une gorgée d'eau, elle ne laissa pas la moindre miette dans son assiette. Bientôt, la serveuse arriva, prit la vaisselle sale, et lui proposa de prendre un dessert, ce que Charlotte accepta.
« Dites, vous êtes nouvelle ici ? interrogea-t-elle lorsque l'employée lui apporta sa commande.
– À vrai dire, je ne suis qu'employée à temps partiel. »
La cliente remarqua que la jeune fille qui se tenait devant elle était relativement jeune. Presque trop jeune pour travailler.
« Je ne fais qu'aider lorsque la boutique manque de personnel » ajouta-t-elle en replaçant une mèche couleur de feu derrière l'oreille.
Charlotte haussa un sourcil. Cela faisait longtemps qu’elle fréquentait ce restaurant, si bien qu’elle connaissait assez bien le personnel. Elle était certaine de ne jamais avoir vu cette fille auparavant. Pourtant, la serveuse provisoire semblait connaître parfaitement le magasin ; il était clair que ce n’était pas son premier jour ici.
La jeune fille tourna les talons, et laissa la cliente déguster sa part de tarte au chocolat. Elle se retourna, et l’observa, de loin. Elle savait quelque chose, c’était comme si elle l’avait démasquée. Elle serra le poing. Il fallait qu’elle se retînt, ce n’était pas le moment.
Elle se rendit en cuisine, là où son travail la réclamait.
Charlotte regardait les passants défiler sur le trottoir. Il n’y avait pas tant de monde que ça, c’était une journée plutôt calme.
Du coin de l’œil, elle vit une touche de couleur se démarquer de la monotonie grise des passants et touristes. Elle n’y prêta attention que lorsque cette personne vint s’approcher d’elle, et s’asseoir en face d’elle.
« Salut, Charlotte. »
Elle leva les yeux, et déglutit. Pourquoi lui ? Pourquoi là ?
« Qu’est-ce que tu veux ? » répondit-elle en fronçant les sourcils et en jetant un regard noir à son interlocuteur.
Elle n’était vraiment pas ravie de le voir. Certainement pas dans ces conditions.
« Écoute, j’ai juste besoin que tu me dises quelque chose. Rien de plus simple, je m’en irai après. »
Elle croisa les bras sur sa poitrine.
« Ça m’étonne que tu oses revenir, après tout ce que tu as fait, Fantôme R, grogna-t-elle sans le quitter des yeux. Et tu veux que je t’aide ? »
Il posa les coudes sur la table, et réajusta son chapeau bleu foncé.
« Écoute, c’est pas parce que tu es la fille de l’inspecteur que tu dois forcément être contre moi. J’ai déjà eu besoin de ton aide, et tu m’as aidé.
– Laisse mon père en-dehors de ça. »
Il soupira et se frotta les yeux. Comment pouvait-il la raisonner ?
« Je veux juste que tu répondes à une simple question. Rien de plus. »
Une serveuse lui apporta un verre et une carafe d’eau. Il ne remarqua pas qu’il avait été servi sans pour autant avoir passé une commande.
Charlotte se massa les tempes. Qu’est-ce qu’il lui voulait ? Il n’avait pas donné le moindre signe de vie depuis de nombreux mois. Il avait bien fait entendre parler de lui quelques jours auparavant, avec ce vol qui avait retourné tout le commissariat. Mais en quoi elle pouvait l’aider ?
« Vas-y, je verrai ce que je peux te dire. »
Il esquissa un sourire. Sourire qui disparu rapidement lorsqu’il balaya la terrasse du regard. Il s’avança un peu vers elle, en appuyant son coude sur la table.
« Est-ce que tu as eu des sensations de déjà-vu récemment ?
– Tu te moques de moi là ? »
Soupir de déception. Il se recula, collant son dos au dossier de son siège.
« Je me demande bien pourquoi je suis venu te voir » souffla-t-il.
Il versa de l'eau de la carafe dans le verre, et le porta à ses lèvres. Face à lui, Charlotte restait de marbre. Elle n'allait tout de même pas coopérer avec lui, elle ne savait même pas ce que sa réponse pouvait lui apporter !
« J'espérais que tu puisses m'aider, soupira-t-il.
– Comment ça, des sensations de déjà-vu ? » demanda-t-elle avec le sentiment qu'elle allait regretter de l'avoir relancé.
Il parut surpris qu'elle s'intéressât autant à lui. Agréablement surpris.
« Du style d'avoir l'impression d'avoir vécu une journée entière, avant de te réveiller et de te rendre compte que ce n’est pas vrai. »
Elle replaça une mèche rebelle à sa place, et répondit par la négative.
Il haussa les épaules.
« Tant pis » murmura-t-il.
L'adolescente observa Fantôme R se lever, et s'en aller tranquillement, comme si de rien n'était.
Elle se leva subitement, et l'appela, lui ordonnant de l'attendre.
Il se tourna vers elle, surpris.
Mais qu'est-ce que je suis en train de faire ? grommela une voix dans sa tête tandis qu'elle se rendait au comptoir afin de régler sa note, avant de retourner vers lui.
Il l'attendait à la frontière entre la pluie et l'abri de la terrasse. Elle sortit de son sac un parapluie, et lui proposa de marcher un peu. Il hocha la tête.
« Pourquoi t'es venu me voir moi ? »
Sa question sembla embrasser le voleur. Il glissa ses mains dans les poches de son pantalon, et lui répondit d'une voix grave, sans lâcher le sol du regard.
« Tu es la seule à qui je peux faire confiance face au danger. »
Elle se sentit d'une certaine manière honorée par cette marque d'affection assez inattendue.
« C'est vrai qu'on est rivaux, reprit-il, mais je sens qu'en cas d'urgence je peux venir te demander de l'aide.
– Et en quoi tu es en danger ? »
Il tapa du pied dans un caillou arrivé là par hasard.
« C'est comme si mon passé me rattrapait » souffla-t-il.
Charlotte fronça les sourcils, consternée. C'était comme s'il essayait de lui faire passer un message.
« J'ai l'impression que cette histoire de Napoléon n'est pas finie » lui confia-t-il en la regardant dans les yeux.
Elle le dévisagea, cherchant à trouver le détail le trahissant dans sa plaisanterie. Puis elle se souvint. Peu de temps après l'incident de l'an passé, elle avait enquêté. Son père lui refusant des réponses, et sa soif de connaissance la pressant de plus en plus chaque matin, elle avait décidé de tout reprendre au point de départ, sous les Invalides. Ce qu'elle y avait trouvé...
« Tu ne t'en souviens pas, pas vrai ? » lui susurra une voix moqueuse.
Charlotte se retourna. Elle ne vit personne.
Elle laissa s’échapper un rire nerveux.
« Arrête un peu de déconner, Fantôme, fit-elle en tentant de calmer son cœur affolé. L'affaire est close, un point c'est tout. Et ce n'est pas ta petite blague... »
Elle se stoppa en pleine phrase. Elle le vit s'élancer en direction du restaurant, courir le plus vite possible. Sans réfléchir, elle le poursuivit.
Il en était sûr, elle était là. Il l'avait vue, ce n'était pas une hallucination.
Cette serveuse qui lui avait apporté la carafe d'eau. Il avait eu un doute, mais quelque chose lui avait fait faire le rapprochement.
« Vous avez une employée, une serveuse, une rousse, qui travaille ici, non ? »
L'homme au bar qu'il avait interrogé l'observa avec étonnement. Devant lui se dressait un individu assez extravagant, dont les vêtements ruisselaient d'eau, et qui s'intéressait au personnel du restaurant tout en s'affichant essoufflé.
« Oui, mais c'est la fin de son service, elle est repartie... »
L'énergumène le remercia prestement et, sans en demander la permission, se précipita vers les cuisines. Il se rua vers les vestiaires des employés, espérant qu'elle y serait encore, questionnant d'autres employés quant à l'endroit où elle se trouverait.
« Eh bien, elle vient juste de passer cette porte... » souffla un agent d'entretien en désignant la porte de sortie, que Raphaël traversa l'instant d'après.
Il se retrouva en pleine ruelle, entre deux containers à poubelles. Il s'approcha de la rue principale.
Elle était vide.
Charlotte débarqua juste derrière lui, à quelques mètres, et le héla, avant d'être rattrapée par un agent de sécurité, qui l'immobilisa sur l'instant.
Elle vit, sous ses yeux ébahis, Fantôme R se tourner vers elle, sourire, lui crier à plein poumons un grand merci, avant de prendre la fuite, la laissant seule face à l'armoire à glace qui la maintenait, et s'apprêtait à l'emmener au poste.
Oh, lorsque son père allait apprendre ça, il allait la tuer.