Quatorze Juillet

Chapitre 5 : - Partie I ~ Chrysanthème - - Chapitre V -

2579 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 01:04

- Chapitre V -

« Ah ça y est, tu te réveilles, sale vicieux ! »

Raphaël tenta d'ouvrir tant bien que mal ses yeux. Il avait mal. Très mal. Et partout.

Comme pour l'aider à se réveiller, on lui asséna une claque magistrale, là où il avait reçu un coup de poing. Il serra les poings, tentant de supporter la douleur.

« Tu me regardes quand je te parle ! » vociféra la personne devant lui.

Il retenta d'ouvrir les yeux, et discerna une silhouette qu'il connaissait. Devant lui, postée les mains sur les hanches, une adolescente à la tignasse châtain hirsute, qui lui lançait des éclairs de ses yeux noisette. Ses sourcils froncés lui donnaient un air très peu amical.

Pourquoi est-ce qu'elle est là... ?

Raphaël remarqua qu'il était assis sur son canapé, alors que son dernier souvenir lui indiquait qu'il avait été laissé au sol. Qu'est-ce qui lui était arrivé ?

« Pourquoi t'as fait ça ? » hurla-t-elle.

Il leva la tête vers Josette, les yeux difficilement ouverts.

« Mais de quoi tu parles... ? » articula-t-il d'une voix rauque et faible.

Elle lui asséna un nouveau coup.

« Joue pas à ça avec moi ! »

Il retint un râle de douleur. Il voulut se lever, mais ses forces s'évaporèrent.

« Putain Josette, déconne pas, fit-il en se retenant de cracher du sang. Ça fait mal.

– Parce que tu crois que t'as pas fait mal à Marie !? »

Ah. Tout s'explique.

Face au silence du rouquin, elle reprit ses accusations.

« Elle est arrivée en pleurant ! Elle m'a tout raconté !

– Je peux expliquer–

– Et comment tu veux t'expliquer ? reprit-elle en criant de plus belle. C'était bien explicite ! »

Il baissa la tête, et resta muet.

« J'ai dû la laisser seule pour venir te faire payer ! Tu l'as détruite ! »

J'irais pas jusqu'à dire détruite...

« Va expliquer ça à sa mère après !

– Laisse-le tranquille. »

Josette se retourna brusquement. Elle vit une fille sortir de nulle part, et la dévisager avec mépris.

« Il n'y a qu'une personne qui peut lui casser sa sale gueule, et c'est moi » annonça-t-elle avant d'asséner un volent coup dans l'estomac de l'adolescent, qui retint un cri de douleur.

La nouvelle venue se tourna vers Josette, et lui lança un regard noir. La jeune fille comprit qu'il valait mieux ne pas se la mettre à dos, et s'en alla sans demander son reste. Néanmoins, elle jura à Raphaël qu'elle allait revenir, et s'en alla en claquant la porte d'entrée derrière elle.

L'étrangère aida Raphaël à se lever, elle lui tendit ses lunettes qu'il mit sur son nez, puis offrit une poche de glace au rouquin, avant de s'allonger de tout son long sur le canapé, le visage tourné vers le plafond.

« Elle est malade cette fille, souffla-t-elle.

– Tu peux parler, grogna Raphaël, qui pressait la glace contre sa mâchoire douloureuse.

– T'inquiète, demain ça ira mieux. »

Il n'avait plus la force de répondre. Trop de choses se bousculaient dans sa tête, et la douleur l'empêchait de se concentrer.

Il se dirigea vers la cuisine ; il avait besoin de café.

« Qu'est-ce qu'elle te voulait, elle ? »

Il soupira. Pourquoi cette fille était-elle là, en premier lieu ?

« Ah oui, c'est la pote de la blonde que t'as voulu–

– Ouais, coupa-t-il. Plus protectrice qu'elle, tu meurs. »

Il avala quelques gorgées de café. Il se sentit déjà un peu mieux.

« Et donc elle a voulu t'exploser pour ça ? » demanda-t-elle en se tournant sur le côté, vers lui.

Il acquiesça. Comment allait-il se débarrasser d'elle sans prendre plus de coups ?

« N'empêche, t'es un peu con hein. »

Il la regarda, sans rien dire.

« Tu te demandes même pas qui je suis, ce que je fais, comment je suis entrée, et comment je sais tout ça sur toi.

– Parce que je ne veux pas le savoir » répondit-il avec lassitude.

Elle afficha une moue déçue. Elle le rejoignit dans la cuisine, s'assit sur la table devant lui.

« Alors s'il te plaît, sors de chez moi. J'ai eu une longue journée, et je suis fatigué.

– Et tu bois du café, qui te réveille. Donc tu ne vas pas dormir, donc t'as besoin de moi ! »

Il soupira.

« Si je te demande tout ce que t'as dit tout à l'heure, tu me laisses tranquille ?

– Nan. Mieux que ça. »

Il leva un sourcil. Elle le fixa, et lui sourit. Un sourire sournois.

« Parce que je ne vais rien te dire ! »

Elle descendit de la table, et s'en alla.

« Je me permets d'utiliser ta salle de bain ! »

Il ôta ses lunettes et se frotta les yeux.

Mais qu'est-ce qui se passait ?

Cette fille, totalement inconnue, débarquait chez lui par un moyen indéterminé, l'assommait –elle aurait pu le tuer !– et prenait sa défense face à une Josette enragée, qui voulait venger Marie.

À la pensée de son amie, Raphaël repensa à ce qui s'était passé. Il fallait qu'il l'appelât, il fallait qu'il s'excusât. Il saisit son portable, et appela au manoir. Il tomba sur Alfred. Le majordome l'écouta tranquillement, et passa le combiné lorsque l'adolescent le lui demanda.

Mais ce ne fut pas à Marie que l'appel fut transmis. Ce fut à sa mère.

« Bonjour Élisabeth, commença-t-il en tentant de paraître le plus naturellement du monde. C'est Raphaël, qui vous appelle. Est-ce que je pourrais parler à Marie, si elle est là ? »

Il entendit un soupir à l'autre bout du fil.

« Écoute, Raphaël. Elle m'a parlé, et je pense qu'au vu de son état émotionnel, elle devrait t'éviter pour un moment. C'est à elle de voir, mais je m'inquiète. »

Il hocha la tête, avant de réaliser qu'elle ne pouvait pas le voir. Il la remercia tout de même, et raccrocha.

Au même instant, la fille débarqua.

« Je t'ai piqué quelques affaires pour squatter ici ! » annonça-t-elle gaiement.

Il vit qu'elle lui avait pris un t-shirt et un jean ; il fut étonné qu'ils lui aillent aussi bien.

« Pourquoi tu viens chez moi ? Pourquoi t'es pas allée embêter quelqu'un d'autre ?

– Parce que t'es la seule personne qui vaille le coup de saouler ! »

Il soupira bruyamment, en espérant qu'elle comprît qu'il ne voulait voir personne. Apparemment, ses capacités de réflexion étaient limitées.

« Bon, Raphie, tu vas m'écouter cinq minutes.

– Ne m'appelle pas– »

L'adolescente le poussa violemment sur le canapé, et le fit taire. Elle changea radicalement d'expression. Ses sourcils se froncèrent, et ses yeux brûlèrent d'une toute autre émotion.

« Je ne suis pas venue pour rire » fit-elle en s'approchant dangereusement de lui.

Il se redressa, et se remit sur pied. Elle le força à s'asseoir à nouveau, d'un coup de pied entre les poumons.

« Parce que ton petit jeu, ça va cinq minutes. »

Elle se stoppa à faible distance de lui, et accentua ses propos de par un coup de poing, toujours au même endroit de la mâchoire du rouquin.

« T'as reçu les messages, et vu les signes ! »

Elle le frappa à nouveau.

« Maintenant tu vas payer pour ce que tu as fait ! »

Il la vit le saisir au col, et lui porter de nouveaux coups, tous plus douloureux les uns que les autres.

Il n'avait plus la force de se défendre. Il était fatigué.

« Et tu vas souffrir ! » hurla-t-elle en le lâchant subitement, le faisant s’affaisser entre deux coussins telle une marionnette à qui on aurait coupé les fils.

Elle recula. Son regard bleuté brûlait de haine. Elle dégaina d'une poche arrière du jean qu'elle portait un revolver.

Et elle tira.

Raphaël eût comme une sensation de déjà-vu. Il perçut la balle qui filait vers lui, sans pouvoir l'éviter. Et il la sentit se loger, dans son épaule droite.

Il hurla de douleur.

« Tu vois ce que ça fait, hein ! » s'époumona la jeune fille, hors d'elle.

Il regarda son bras blessé. Le remuer lui arrachait de nouveaux gémissements de douleur. Son sang rouge vif commença à couler de la plaie.

« Mets-toi à genoux devant moi ! » aboya la psychopathe, avant de lui lancer une nouvelle balle, dans la cuisse gauche.

Raphaël glissa et tomba au sol, en se tordant sous la douleur. Il ne pouvait rien faire, personne ne pouvait l'aider, personne ne semblait les entendre.

Il entendit un jappement, puis un grognement. Un coup de feu, puis un couinement.

« Fondue... ? appela-t-il, les larmes aux yeux.

– Il risque de ne plus pouvoir répondre » annonça la fille aux cheveux de feu, avant d'éclater en fou rire.

Non. C'était impossible.

Qui était cette fille ?

Que lui voulait-elle ?

« Tu en veux encore ? » lui demanda-t-elle en s'agenouillant à sa hauteur, le canon de son arme collé à la taille du rouquin.

Elle pressa encore une fois la détente.

Un flot de sang s'échappa de la bouche de Raphaël. Il ne pouvait plus supporter la douleur, ni le sang qui s'échappait de son corps.

« Si tu crois que je vais te soulager d'un coup dans la tête, commença la fille en se levant, tu te fous le doigt dans l’œil jusqu'au coude ! »

Il commençait à perdre connaissance. Elle ne sembla pas y prêter attention, et continua de parler et de rire. Il ne comprenait plus le moindre mot, sa tête était lourde. Il toussa une nouvelle fois, et vit du sang inonder le sol là où il se trouvait, avant de se laisser tomber contre ce même sol.

*

Blanc.

Rien que du blanc.

Il se sentait s'enfoncer à chaque pas ; de la neige.

Il vit une silhouette familière devant lui.

« Papa ! Attends !! » s'entendit-il crier.

Il tendit le bras devant lui, comme pour l'attraper, et s'élança à sa poursuite. Mais malgré sa course, son père lui semblait encore plus inatteignable.

Il glissa, il tomba.

Lorsqu'il se remit sur pied, son père avait disparu.

Il se retourna, et vit Marie. Marie, dont les cheveux dorés flottaient au vent. Marie, dont de ses yeux azurs coulaient des larmes.

« Comment as-tu pu... ? murmura-t-elle dans un sanglot. Je t'aimais... »

Il se précipita vers elle. Il voulut l'étreindre, mais ses bras ne saisirent que du vide.

Il tomba à genoux. La neige tombait toujours autant ; des flocons s'accrochèrent à sa tignasse rousse. Il se retint de pleurer.

Deux enfants passèrent près de lui, en courant et riant. Ils disparurent rapidement à leur tour dans le décor duveteux et immaculé qui l'entourait.

« Est-ce que tu comprends tout ça ? »

Il leva la tête. Là, à quelques mètres de lui, se tenait l'adolescente qui l'avait blessé à mort.

Son visage était grave, et son regard dur. Mais aucune nuance de haine meurtrière n'était visible dans son regard. Elle lui paraissait même plus âgée, plus mûre.

« Tous ces gens qui t'abandonnent, à cause de toi.

– Mais je n'ai rien fait pour mériter ça ! » répliqua-t-il en essuyant ses yeux.

Elle hocha de la tête. Elle le regarda d'un air doux, un sourire bienveillant aux lèvres.

« Alors contacte-les. Dis-leur. »

Elle s’effaça à son tour doucement dans le décor.

Et Raphaël ouvrit les yeux sur son plafond, gris et triste. Il lui fallut un temps avant de revenir complètement à lui. Il se frotta les yeux de sa main gauche, et contempla les environs.

Il faisait sombre dans la pièce ; c'était la nuit. Combien de temps avait-il dormi ?

Et surtout, par quel miracle avait-il survécu ?

Il se leva, et chercha à tâtons dans l'obscurité un interrupteur. La lumière l'aveugla quelques instants, mais il s'y accoutuma. Il tourna son regard vers l'horloge murale qui trônait dans sa cuisine, et constata avec étonnement qu'il était cinq heures –avait-il autant dormi ?

Il se rendit dans sa salle de bains, afin de se rafraîchir un peu. L'eau froide qu'il aspergea sur son visage lui fit énormément de bien, et il constata de même qu'il n'avait aucune trace des coups qu'il avait reçus. Il aurait dû avoir quelques ecchymoses au niveau de la mâchoire, mais il ne voyait rien. Comme si cela n'était pas assez étrange, il n'avait plus mal du tout. Il examina tout son corps –épaule, taille, jambe– mais ne vit rien. Voilà qu'il en avait la migraine.

Il retourna l'appartement afin de trouver des indices prouvant que ce qu'il avait vécu était vrai, comme des traces de sang, ou des marques du passage de la fille étrange qui l'avait tué, d'une certaine manière. Mais rien. Pas la moindre poussière. Aucune trace des événements qui s'étaient produits en l'espace de quelques heures.

Il se frotta les yeux. Il devait retourner se coucher, dormir d'une traite, et oublier tout ça. Ça n'avait été qu'un mauvais rêve, rien de plus.

Raphaël entra dans sa chambre, et fut soulage de voir Fondue y dormir, étalé de tout son long sur le lit. Son maître sourit, et alla le rejoindre, pressé de pouvoir finir sa nuit.

Afin de ne pas se sentir oppressé par le silence de l'appartement, il alluma la radio de son réveil, et la programma pour qu'elle s'éteignît au bout d'une heure.

« ... Et sans plus attendre, les nouvelles de ce mercredi dix juillet... »

Il fronça les sourcils. Quelque chose clochait. C'était hier, le dix juillet. C'était bien ce jour-là où il avait été attaqué, si l'on pût dire, et tué. Alors comment était-ce possible que ce soit aussi aujourd'hui ?

Fondue leva la tête, et le regarda, ne comprenant pas la raison d'une telle réaction. Mais au lieu de recevoir une réponse lui permettant peut-être de saisir un minimum le pourquoi du comment, il obtint de son maître qu'il lui gratte le sommet du crâne. Il se contenta de cette simple preuve d'affection, et remit sa tête entre ses pattes avant. Il bougea les oreilles lorsqu'il entendit successivement Raphaël soupirer, se redresser, s'asseoir puis se lever. Le chien fit une roulade sur le côté pour voir où son maître se rendait. Il le suivit du regard, et l'observa tandis que le rouquin s'asseyait au sol sur son tapis, s'emparait de feuilles et de stylos, et recensait les événements desquels il avait été témoin les jours précédents en griffonnant de son écriture sale sur chacune des feuilles. Il écrivit longuement quelques dizaines, vingtaines ou trentaines de pages, en ajoutant ici et là des croquis, tout en faisant appel à sa mémoire, et en priant pour que le sommeil ne le saisît.

Fondue expira bruyamment. Il n'avait donc pas le choix.

Il se leva, s'étira, et sauta du lit, rejoignit son maître de ce bond. Il évita soigneusement de marcher sur les feuilles, tout en prenant attention aux croquis –à défaut de savoir lire, il pouvait se remémorer des scènes à la vue de certains dessins. Puis il passa entre les bras du rouquin, et s'installa sur ses jambes croisées en tailleur.

Raphaël lui sourit, et lui caressa la tête.

« Merci Fondue » fit-il en continuant d'écrire ce qui ressemblait de plus en plus à un carnet de bord de la semaine qui s'écoulait.


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