Quatorze Juillet

Chapitre 4 : - Partie I ~ Chrysanthème - - Chapitre IV -

2831 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 01:03

- Chapitre IV -

Décidément, cette ville renfermait bien trop de mystères.

Penché sur son bureau, l’inspecteur Paul Vergier scrutait ses documents. Des articles de journaux divers, des rapports d’officiers, les historiques des caméras de surveillance... Tout indiquait que c’était la première fois que Fantôme R s’intéressait à ce pauvre tableau. Dans ce cas, comment était-ce possible qu’il eût possédé l’original avant ce jour ? Comment avait-il su que c’était une copie ? Et le plus étrange, pourquoi avait-il récupéré un faux et rendu un original ?

Il saisit sa tasse et but une gorgée de café. Tout cela n’avait aucun sens.

« Paul ? Il faut que je te parle. »

L’inspecteur vit son subalterne entrer dans son bureau. Son expression faciale était indescriptible ; c’était un mélange entre de l’inquiétude et de la joie, autant dire un mélange assez improbable.

« Qu’est-ce qu’il y a, Loïc ? Demanda-t-il d’une voix rauque, entre deux gorgées.

– On a reçu un appel assez improbable... »

Vergier haussa un sourcil, l’air peu intrigué par la nouvelle que son ami lui apportait.

« C’est une jeune fille qui aurait –selon elle– des informations très importantes pour nous. À propos de Fantôme R. »

Vergier haussa les épaules. Il ne voyait pas en quoi cela pouvait l’intéresser.

« Elle a demandé à vous voir, et uniquement vous. Elle a dit que ses informations relèvent de la véritable identité de notre voleur. »

Il manqua de s’étouffer avec sa boisson. Avait-il bien entendu, ou était-il en train de rêver ?

« Dites-lui que je veux la voir. »

Vergier s’apprêtait à entrer dans le cabinet où la jeune fille patientait. Il réajusta sa chemise et sa cravate, et ouvrit la porte, son dictaphone à la main.

Leur informatrice attendait, assise devant une table, encadrée par deux officiers. Lorsqu’elle vit l’inspecteur entrer, elle se leva et inclina la tête, faisant onduler ses cheveux blonds.

Il congédia les deux policiers qu’il avait fait mobiliser, et s’assit en face de la jeune fille, en l’invitant à faire de même.

« S’il vous plaît ? » fit-elle d’une voix douce, tentant d’attirer l’intention de l’agent.

Vergier leva les yeux.

« Pouvez-vous couper le dictaphone ? Je ne suis pas très à l’aise quand on enregistre ma voix... »

Il maugréa, mais accepta la requête de la jeune fille.

Il sortit un bloc-notes et quelques stylos d’un tiroir, et commença à y noter quelques pistes pour son interrogatoire. Puis un détail lui sauta aux yeux.

« On ne se serait pas déjà vus quelque part ?

– À vrai dire... si. L’an dernier, pendant les... événements concernant Napoléon. J’ai moi-même été grandement impliquée dans tout ça. »

Il la dévisagea. Les cheveux blonds de l’informatrice flottaient autour d’elle lorsqu’elle hochait de la tête, et ses grands yeux bleus scrutaient la salle avec curiosité.

« Bien, je vous écoute, fit-il en se saisissant d’un stylo. Qu’avez-vous à me dire sur Fantôme R ?

– Raphaël –pardon– Fantôme R travaille dans une petite boutique près de la rue des Saints-Pères. Son patron, Simon, lui fait énormément confiance. »

Mais encore ? Songea l’inspecteur, peu convaincu, bien qu’ils aient quelques faibles informations pouvant peut-être s’avérer être utiles.

« Dans son appartement, il a une porte cachée menant à une cave secrète. Il y entrepose les œuvres d’art qu’il a volées, il y en a énormément, plus que vous ne pourriez le penser ! La Joconde, la Vénus de Milo, l’autoportrait de Van Gogh... »

Vergier ouvrit grand les yeux. D’où leur sortait-elle tout ça ?

« Ra– Fantôme m’a avoué une fois qu’il se faufilait régulièrement dans les musées en pleine nuit, pour contempler les tableaux. »

Elle se stoppa, et annonça que c’était tout ce qu’elle avait à lui dire.

Il acquiesça. Ces quelques renseignements inattendus pourraient à l’occasion leur servir.

« Je vais juste vous demander de signer un rapport, et vous pourrez partir. »

Un agent apporta une copie de la déposition de la jeune fille, qu’il avait rédigée depuis la salle voisine, les observant et écoutant de par la vitre sans tain. Elle la signa. Au moment où elle s’apprêta à quitter la pièce, Vergier lui posa une dernière question.

« Qui êtes-vous, déjà ?

– Marie. La fille de la duchesse Élisabeth. »

*

Le soleil se dissimulant au-delà des nuages n’empêchait pas pour autant l’air de peser aussi lourd. Un orage semblait se préparer au loin pour la soirée, tandis que Raphaël, accompagné de Fondue, avançait tranquillement dans les rues de la capitale. Il espérait que paraître décontracté et nullement inquiété par la menace qui planait au-dessus de sa vie allait décourager cette femme qui lui en voulait tant. Mais le doute subsistait, aussi prenait-il gare aux endroits où il se rendait.

Il avait déambulé dans des recoins fréquentés, et d’autres un peu moins. À la recherche de l’aide que pouvaient lui procurer des connaissances et des amis. En vain. C’était comme si son destin l’attendait et le narguait, en lui disant "Tu vois ? Tu ne peux pas t’échapper, tout est déjà écrit !". Il se secoua la tête ; comment pouvait-il penser de telles choses ? Le destin n’existait pas, il ne pouvait pas être possible que tout soit tracé dans une vie, depuis le moment auquel on naissait jusqu’à celui auquel on mourrait.

Mais, pensa-t-il, et si tous ces ragots étaient vrais ?

Et s’il existait réellement un destin, une force supérieure à toutes, qui pouvait régir la vie de tout être vivant. Une force telle que le sort de Raphaël eût été décidé à l’avance, depuis qu’il eût vu le jour. Dans ce cas, cela aurait été décidé depuis des années qu’il mourrait, assassiné par une étrange femme, certainement dans une période proche des instants qu’il passait.

Non, ce ne pouvait pas être possible. Une telle force relevait du mythique, elle ne pouvait pas exister.

Cette femme qui voulait sa mort devait être folle. Oui, il valait peut-être mieux prévenir la police. Sur cette pensée, il changea de direction, et prit celle du commissariat. Fondue le suivit, n’exprimant aucun désaccord quant à sa décision –peut-être parce qu’il n’avait pas encore réalisé quelle était leur destination.

Alors qu’ils se trouvaient près du quartier général de la police et attendaient que leur feu piéton passât au vert, Raphaël vit une silhouette familière sortir du bâtiment. Qu’est-ce que Marie pouvait bien faire au commissariat ? Elle regarda autour d’elle, avant d’avancer dans une rue isolée, s’enfuyant du regard de Raphaël. À cet instant, le feu piéton passa au vert, et le rouquin se précipita vers la direction que son amie avait prise. Malgré son incompréhension de la situation, Fondue suivit son maître en galopant sur les trottoirs goudronnés, slalomant entre les passants, sans comprendre pourquoi il s’était soudainement stoppé près d’une ruelle d’où émanaient de douteuses fragrances.

« Je ne rêve pas, elle était là ! »

La rue s’éternisait en une continuelle ligne droite, sombre et malodorante. Aucune porte, aucune fenêtre ne menait sur ce chemin de dalles.

« Fondue, Marie était là, je l’ai vue, elle est passée par là ! »

Le chien renifla à contrecœur les environs, mais ne décela aucunement l’odeur de leur amie violoniste. Il laissa s’échapper un couinement désolé, espérant que cela puisse réconforter l’adolescent, dont le visage se décomposait sous l’incompréhension.

Voilà que cela lui arrivait.

Il devenait fou.

D’abord des fleurs qui apparaissaient comme ça, sans raison, sans trace d’un quelconque livreur, des voix que lui seul semblait entendre, et des personnes que lui seul semblait pouvoir voir. Pourquoi cela lui arrivait-il ?

Il ferma les yeux, et serra les poings. Il lui fallait juste inspirer un grand coup, puis expirer, et recommencer. Il allait reprendre ses esprits, rentrer chez lui, et reprendre une vie normale, entre deux vols d’œuvres d’art.

« Raphaël... ? »

Une voix bien trop familière l’appela alors qu’il inspirait, le déstabilisant.

Il se retourna vers l’origine de cette voix.

« Qu’est-ce que tu fais ici ? »

Il cligna des yeux. Comment avait-elle... ?

Vite, il fallait trouver une excuse.

« Je voulais... jouer un tour à Vergier » fit-il, avant d’éclater de rire –d’un rire nerveux.

Elle hocha de la tête, mais sembla rester sceptique.

« Et toi, qu’est-ce que tu fais là, Marie ? »

Elle lui sourit, ses yeux bleus brillaient de joie.

« Je rentre au manoir. Mère m’a dit de partir devant, qu’elle devait rendre visite à quelqu'un avant d’y retourner. »

Raphaël hocha la tête. C’était normal.

Marie ne venait pas de disparaître dans une rue comme par magie, non. Il avait confondu une personne qui pouvait sembler être Marie vue de loin –sûrement parce que ses lunettes étaient sales.

« Est-ce que ça te dit qu’on fasse un bout de chemin ensemble ? proposa-t-il dans l’espoir de ne plus avoir à être seul.

– Je ne sais pas trop... si jamais Mère arrive avant moi, et qu’elle voit que je ne suis pas là, elle va s’inquiéter...

– Eh bien on n’a qu’à aller au manoir, prévenir Alfred, et passer du temps ensemble ! » s’enthousiasma Raphaël.

La jeune fille acquiesça, tout aussi enjouée qu’il l’était à être en sa compagnie. Ses cheveux blonds virevoltaient autour d’elle, elle parut être un ange protecteur aux yeux de Raphaël.

Alfred leur accorda sa bénédiction quant à laisser Marie sortir un peu plus longtemps. Celle-ci sauta au cou du majordome, heureuse de pouvoir passer plus de temps en la compagnie de son meilleur ami, qui lui aussi souriait, ravi par la décision du garde du corps.

« Bon, où veux-tu que l'on aille ? » demanda la jeune fille en replaçant une mèche derrière son oreille de la main droite.

Il parut hésiter un instant, mais se décida vite.

« Et si on restait chez moi ? Les nuages me m'annoncent rien de bon. »

Elle acquiesça ; elle partageait le même avis au vu du ciel gris et couvert. Ils décidèrent néanmoins de profiter d'être seuls en déjeunant au restaurant. Bien que Raphaël fut gêné de ne pas pouvoir se permettre de payer, Marie le rassura, et proposa de lui offrir le repas. Au loin, ils entendirent les cloches sonner midi lorsqu'ils prenaient place en terrasse. Le ciel s'était éclairci, le soleil commençait à apparaître.

« Et donc, Alfred m'a dit que toi et Élisabeth vouliez passez une journée ensemble. Pourquoi vous êtes-vous séparées si tôt ? demanda Raphaël, désireux d'en savoir plus afin de comprendre le mirage qu'il avait aperçu.

– Elle a reçu un appel important, qui a écourté notre journée, répondit Marie en piquant un morceau de viande de sa fourchette. Le commissariat, ou quelque chose comme ça. »

Il se figea un instant. Est-ce que cette convocation avait un lien avec ce qu'il avait vu ce matin ?

« Le point positif, c'est qu'on est ensemble » finit-il par dire en avalant une gorgée d'eau.

Fondue fit preuve de toute la patience qu'il pouvait mobiliser afin d'attendre son maître et son amie. Ce n'est pas qu'il désapprouvait la présence de la jeune fille, non. Au contraire, il l'appréciait, en partie parce qu'il raffolait de ses grattouilles derrière les oreilles. Mais il regrettait le temps où il n'y avait que lui et son maître, tous les deux, tous seuls. Depuis sa rencontre avec la jeune fille blonde, et surtout depuis leur retour, son meilleur ami ne lui prêtait plus autant d'attention.

Finalement, ils se levèrent, et quittèrent le restaurant. Le chien reconnut rapidement la route pour rentrer à l'appartement, il s'imaginait déjà se reposer en s'étalant de tout son long sur le lit, ce qu'il fit dès que Raphaël ouvrit la porte d'entrée.

Marie proposa de regarder un film ; après plusieurs minutes de réflexion, ils décidèrent de s'enfermer dans le salon de Raphaël, volets fermés et lumières éteintes, et de mettre un film d'horreur. Bien que ce ne fût pas leur genre préféré, l'idée de s'immerger dans la peur leur parut amusante.

Alors que l'adolescente plongeait dans l'histoire douteuse du film, Raphaël la dévorait du regard. Elle lui avait manqué, pour sûr. Et être avec elle lui faisait oublier cette histoire pour le moins étrange.

Soudain, un zombie sauta sur l'écran, faisant sursauter Marie, qui vint se coller contre Raphaël. Elle tenait fermement son bras, il sentait son cœur qui battait la chamade. Puis elle posa sa tête sur l'épaule du rouquin, et se concentra à nouveau sur le film. Il tenta de faire de même, en vain. C’était trop tard pour tenter de comprendre quoi que ce fût.

« Eh, Marie » appela-t-il.

Son regard se détacha de l'écran et se tourna vers Raphaël. Il lui sourit, et passa sa main derrière la tête de la jeune fille, en s'approchant pour l'embrasser. Elle le laissa faire, et ferma les yeux ; elle ne se préoccupait plus du film désormais. Il lui détacha sa pince à cheveux, libérant les fils d'or. Elle voulut mettre une main derrière elle afin de s'empêcher de tomber sur le canapé, mais elle glissa, et son dos buta contre le siège en faisant tomber un coussin. Elle retint un petit cri, que Raphaël fit étouffer en se penchant au-dessus d'elle, et en l'embrassant à nouveau. Il lui caressa les cheveux, passa sa main sur sa joue rosissante, effleurant sa peau douce, avant de la couvrir de baisers dans le cou, et de descendre sur sa poitrine. Il passa ses mains dans son dos, cherchant à la dévêtir, emporté par le rythme des baisers. Elle laissa s’échapper un gémissement gêné de protestation, et poussa de toutes ses forces Raphaël loin d'elle. Il la dévisagea, mais elle ne le regarda pas ; elle sentait son visage rougir sous la gêne et la honte.

« Je... désolée » articula-t-elle, avant de se lever et de prendre la fuite.

La porte claquant derrière elle fit comprendre à Raphaël qu'il était allé trop vite avec Marie. Il aurait pourtant dû le savoir, elle n'était tout simplement pas prête.

Il se leva, et ramassa le coussin qu'elle avait fait tomber. Il le lança, et il rebondit sur le canapé. Il soupira.

« Bah alors, on a pas pu conclure ? »

Raphaël se tourna vers cette voix railleuse, et découvrit une jeune fille postée devant la porte de sa chambre. Depuis combien de temps était-elle là !?

Elle avait croisé les bras sur sa poitrine et s'était adossée à la porte. Lorsqu'elle vit qu'elle avait obtenu son attention, elle se redressa, et s'approcha de lui.

Il put mieux la distinguer. Elle était grande -elle devait faire sa taille- et le dévisageait de toute sa hauteur. Ses yeux d'un bleu étincelant brillaient de malice ; on ne pouvait dire à son regard quelles idées farfelues lui traversaient l'esprit.

« T'as perdu ta langue ? » fit-elle en secouant la tête - faisant voler sa crinière rouge feu derrière elle.

Il ne sut quoi dire. Trop de pensées se bousculaient dans sa tête.

Elle soupira.

« T'es vraiment pas drôle ! Allez, bouge-toi ! »

Elle lui asséna un violent coup de poing dans la mâchoire. Il écarquilla les yeux. Qu'est-ce qui était en train de se passer !?

Un goût de sang emplit bientôt sa bouche. Il la vit se préparer ; elle comptait le frapper à nouveau. Elle se jeta sur lui, il l'esquiva. Le poing droit de l'intruse fila à sa gauche, là où se trouvait la tête du rouquin quelques secondes auparavant. Elle ne parut nullement déstabilisée, et lui sourit –un sourire cruel. Ce sourire fut la dernière chose qu'il vit avant qu'elle ne le saisisse, et frappât violemment sa tête contre le sol.


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