Quatorze Juillet

Chapitre 2 : - Partie I ~ Chrysanthème - - Chapitre II -

2959 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 01:01

- Chapitre II -

Raphaël et Marie avaient passé le reste de la journée ensemble. Ils s’étaient promenés aux jardins des Tuileries, avaient visité le musée de l’Orangerie, s’étaient ébahis devant les Nymphéas de Monet, avaient ri en voyant des groupes d’enfants de classes aérées poser sans cesse des questions aux moniteurs fatigués d’y répondre.

Le rouquin avait raccompagné Marie chez elle, au manoir, en fin d’après-midi. Il lui promit de revenir la voir dans les jours à venir ; elle acquiesça.

La porte se referma derrière lui, elle le suivit du regard depuis l’œillet, jusqu’à ce qu’elle ne le vît plus. Elle resta un instant de plus postée contre la porte, perdue dans ses pensées. Elle entendit sa mère l’appeler ; elle quitta son poste à contrecœur.

Les foules regorgeaient dans les rues. Au fil des heures, elles se dissipaient, et seuls quelques touristes restaient ici et là pour profiter du paysage nocturne de la capitale. C’est dans ce climat que Raphaël sortit discrètement de son appartement, Fondue à ses côtés. Sauf qu’il ne portait plus l’identité de Raphaël, le jeune rouquin sans histoire travaillant à temps partiel dans une boutique du coin, à la vie tranquille et banale. Il revêtait à présent l’identité de Fantôme R, un voleur d’art sévissant dans les musées de Paris –son identité secrète.

Cela faisait longtemps que la police n’avait pas eu de nouvelles de lui. L’inspecteur Paul Vergier, qui s’occupait de cette affaire durant les années d’activité du criminel, fut étonné de voir en fin de journée une lettre de Fantôme R sur son bureau. Ses agents lui avaient dit n’avoir vu personne passer. Intrigué, il ouvrit l’enveloppe, et lut le contenu. Fantôme R lui avait donné rendez-vous au musée du Louvre ; il visait un tableau miniature, une petite toile jusque-là inconnue des officiers de police.

Il avait mobilisé une brigade, qu’il avait fait poster tout autour du musée. L’heure du rendez-vous approchait, ils se tenaient prêts.

Ils virent une silhouette s’approcher. Vergier la reconnut comme étant celle du voleur, et précipita les projecteurs dans sa direction, devant la pyramide.

Dans l’obscurité de la nuit, ils virent soudainement le criminel, illuminé de toutes parts. Costard bleu foncé, cravate rouge, chapeau aux mêmes teintes ; pas de doute. Mais malgré sa situation, il ne s’arrêta pas. Il marchait dans leur direction, cherchant quelqu’un dans la foule. Il vit l’inspecteur, sourit, et prit sa direction.

La consternation gagna les agents de police. Vergier serra les dents.

« Qu’est-ce que tu manigances encore !? » cracha-t-il à l’attention de l’individu qui s’approchait de lui pas à pas.

Il se stoppa, et sourit à pleine dents. La tête baissée, les bras le long du corps, la partie visible de son visage restait son sourire mystérieux.

« Je voulais juste vous revoir de près, après tout ce temps. »

Il releva la tête. Ce fut la première fois que Paul Vergier vit complètement le visage de Fantôme R.

« Mais si vous ne voulez pas me voir, ce n’est pas grave. »

Il sortit quelque chose –une toile de la taille d’un livre– de la poche intérieure de sa veste, et s’agenouilla, avant de poser l’objet de son larcin au sol.

« Faites attention à l’authenticité de vos œuvres » fit-il sur un ton moqueur.

On entendit un cri de douleur venant de l’arrière des troupes mobilisées. Tous se tournèrent vers l’origine de ce hurlement, se détournant ainsi de Fantôme R, qui prit discrètement la fuite, sans demander son reste.

« Un chien m’a mordu ! » fit entendre la victime.

Mais ses collègues eurent beau chercher, ce chien sembla avoir pris la poudre d’escampette.

« Bande d’abrutis ! » vociféra leur supérieur.

Tous constatèrent que leur cible n’était plus là.

« T’as vu ça Fondue ? » s’esclaffa Raphaël, les larmes aux yeux tant il riait.

Le chien lui répondit par un jappement d’approbation.

« Les têtes qu’ils faisaient ! On les a trop bernés ! »

Il partit en fou rire.

« Ha, et leur réaction quand t’en as mordu un ! C’était presque magique ! »

Nouvel aboiement de la part de son compagnon.

Le rouquin soupira, taisant son fou rire.

« Le bazar que je vais mettre au poste, quand ils vont voir–– »

Un bruit sourd le stoppa. Il entendit les voix de deux policiers qui le cherchaient, bien qu’il fût loin du musée.

Il se cacha dans l’ombre du toit sur lequel il s’était assis, serrant Fondue dans ses bras. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas senti l’adrénaline monter dans tous ses nerfs d’une telle manière. Son esprit était en proie à un duel entre la peur et l’amusement que générait cette situation.

Il se décida finalement à partir ; il traversa longuement la ville depuis les toits des maisons et appartements, avant de redescendre chez lui, satisfait.

*

Dans son bureau, et ce depuis déjà quelques heures, l’inspecteur Paul Vergier faisait les cent pas.

Les traits de son visage étaient tirés, les cernes s’affichaient sous ses yeux, dont les iris rouges se ternissaient sous la fatigue. Il se massait continuellement les tempes, ignorant ses dreadlocks brunes qui lui cachaient la vue. Il ne comprenait plus rien quant aux actes de Fantôme R. Il avait rendu le tableau qu’il avait volé, certes –peut-être avait-il capitulé face à l’amas de troupes. Mais pourquoi s’était-il exposé, riant et se moquant d’eux, après sa disparition l’an passé... ?

Cela lui donnait la migraine.

Un officier vint frapper à la porte de son bureau. La mine déconcertée, il s'avança vers son supérieur.

« Vous n'allez pas y croire, patron... »

Vergier s'avachit dans son fauteuil, et le fit pivoter, tournant ainsi le dos à son visiteur. Il ôta ses lunettes à monture rectangulaire, et se frotta les yeux.

« Allons bon, fit-il sans grande conviction dans sa voix, qu'est-ce qu'il nous a fait cette fois ?

– Eh bah, patron, on a envoyé deux hommes reposer le tableau, la procédure normale, vous voyez... »

Il s'avança un peu, et ferma la porte derrière lui.

« Et quand ils sont arrivés devant l'emplacement, il y avait une seconde peinture, une copie. »

Vergier se leva soudainement, abasourdi.

« Ça peut paraître complètement dingue, mais–

– Il avait planifié son coup depuis des mois, et fait un double du tableau !? »

L'inspecteur n'en revenait pas. Cela faisait trois ans que Fantôme R sévissait, et c'était là la première fois qu'il agissait de cette manière.

« On a envoyé le tableau au labo, et les résultats... nous indiquent que la copie a déjà plusieurs années. »

Cela n'avait aucun sens.

L'officier recula quelque peu, gêné par la situation. Devant lui se décomposait l'inspecteur Vergier, complètement anéanti par la découverte qu'ils avaient faite. C'était comme si toutes ses enquêtes, toutes ses mobilisations, tout son travail ne l'avaient mené qu'à un leurre ; la réalité lui faisait mal.

« Et il y a encore plus barge, à propos de ce tableau » reprit l'agent, qui n'en pouvait plus de respirer l'air étouffant de la pièce close.

Vergier se remit à faire les cent pas dans le bureau, marchant sur quelques dossiers ou feuilles éparpillés sur toute la surface de son lieu de travail.

« Le tableau que Fantôme R a volé et nous a rendu quand vous l'avez interrompu, c'était la copie. »

C'en était trop pour le policier. La soirée était décidément trop longue, et s'éternisait.

Il remercia son employé d'une voix faible, et le congédia.

Il envoya un message à sa fille pour la prévenir, et passa la nuit au bureau, entre les dossiers papier et l'ordinateur portable sur lequel il tapait avec frénésie le rapport de l'arrestation échouée de la soirée. Il faisait des recherches, il prenait des notes, il associait des idées entre elles, mais rien n'y faisait, les questions s'amassaient plus qu'elles ne se résolvaient.

Quelques rayons du soleil levant lui parvinrent alors qu'il somnolait, la tête posée sur ses bras, avachi sur son bureau. Le stylo encore ouvert était posé sur son carnet, il s'était assoupi en pleine phrase.

Il regarda sa montre. Six heures moins le quart.

Un râle s'échappa du fond de sa gorge.

Il était trop tard pour rentrer à la maison.

*

La lumière du jour naissant éveilla Marie. La jeune fille ne put s'empêcher de grogner après elle-même –elle avait encore oublié de fermer les volets. Elle ne regarda pas l'heure, elle savait que cela n'allait pas la mettre de meilleure humeur. À la place, elle sortit de son lit, et se prépara pour la journée qui allait suivre.

Le manoir dormait, il n'y avait qu'elle qui déambulait dans les interminables couloirs. Pas un bruit autre que celui de ses pas sur le sol. L'allure un peu lugubre de la situation la fit frissonner.

Elle passa un certain temps à choisir ce qu'elle allait manger, et encore plus pour décider quelle tenue mettre. Elle avait prévu de se promener en ville avec Josette, qui lui avait dit par téléphone qu'elle avait "quelque chose d'hyper génial" à lui raconter, et donc qu'il fallait qu'elles planifient un rendez-vous au lendemain. Marie ne pouvait se retenir de sourire en pensant à l'enthousiasme de sa meilleure amie.

Elle avait finalement opté pour une tenue simple ; un chemisier léger et blanc, avec un short couleur lavande. En attendant l'heure du rendez-vous, elle s'installa dans son cabinet insonorisé, et joua quelques mélodies au violon.

Elle eut une pensée pour Raphaël. Elle avait un mauvais pressentiment le concernant. Elle imagina que son ami avait encore fait des siennes, et avait nargué une fois de trop la police, qui avait de ce fait enfin pu le capturer. Marie chassa cette idée. Il était bien trop agile pour se faire avoir tel un débutant. Elle en était sûre, une telle chose ne pouvait arriver.

Elle vit à sa montre qu'elle s'était arrêtée de jouer pile à temps. Elle prit son sac à main, et s'en alla, saluant au passage sa mère et leur majordome.

Lorsque Marie arriva au restaurant où elles s'étaient donné rendez-vous, elle vit que Josette était déjà installée à une table rectangulaire. Elle lui fit un signe de la main, la jeune blonde pressa le pas.

« J'en pouvais plus d'attendre ! Tu vas pas le croire ! » dit-elle avec enthousiasme tandis que Marie prenait place en face d'elle.

Un serveur vint leur apporter une carafe d'eau. L'adolescente nota le couvert préparé pour deux personnes supplémentaires.

« J'ai rencontré quelqu'un de juste génial ! fit Josette, ses yeux chocolats brillant d'excitation. Et justement... ! »

Un adolescent d'environ le même âge vint les rejoindre à leur table, en s'asseyant à droite de Josette. Ses cheveux bruns et ses yeux couleur lavande semblèrent familiers à Marie.

« Marie, je te présente Michel. Michel, voici Marie ! » annonça une Josette pleine d'entrain.

Le nouveau venu resta aussi consterné que la jeune blonde.

« On ne se serait pas déjà vus quelque part ? demanda-t-il poliment, en fronçant les sourcils.

– Si, l'an dernier » répondit une voix familière à Marie.

Elle vit Raphaël s'asseoir à son tour, à sa gauche. Il lui sourit, en expliquant qu'il avait reçu un message de Michel la veille, juste après s'être séparés. Marie lui résuma l'aventure similaire qu'elle avait vécue au téléphone avec sa meilleure amie.

L'adolescente aux cheveux châtains bouclés expliqua à Marie –ainsi qu'à Raphaël– les circonstances de sa rencontre avec Michel. Cela faisait à présent un certain temps que tous deux se fréquentaient avait-elle dit. Il avait ajouté qu'ils avaient décidé de réunir le meilleur ami de l'un et la meilleure amie de l'autre parce que c'était "un cap à passer dans leur relation".

Il n'en fallut pas beaucoup à Raphaël et Marie pour comprendre que leurs amis respectifs s'étaient stabilisés. Cela les fit rire, la situation décalée dans laquelle ils se trouvaient ressemblait à une coïncidence bien trop énorme pour en être une. Ils échangèrent un regard complice ; Raphaël tendit discrètement la main vers Marie sous la table. Elle glissa sa main dans celle du rouquin ; ils n'allaient pas annoncer à leurs amis le parallèle de leur situation. Ce serait leur petit secret.

Une serveuse vint prendre leur commande. Bien qu'aucun d’eux n'eût commandé de vin pour accompagner le repas, elle revint rapidement, bouteille et verres sur son plateau. Elle posa le tout sur la table, en accompagnant à cela un petit vase avec une fleur y trempant. Raphaël dissimula tant bien que mal sa gêne ; c'était encore une mauvaise blague. Il voulut interpeller la femme, mais elle disparut aussi rapidement qu'elle était venue.

« C'est quoi cette fleur ? demanda Josette, intriguée.

– Un chrysanthème, répondit Raphaël en s'efforçant de paraître naturel.

– C'est pas censé être une fleur qu'on met sur les tombes ? » demanda Michel innocemment.

Le rouquin déglutit ; cela ne lui inspirait vraiment aucune confiance.

« Ce doit être une erreur » souffla Marie, tout aussi gênée par la situation.

Elle prit la fleur et la dissimula dans des buissons à portée de main. Michel, afin de faire passer l'ambiance difficile, déboucha la bouteille, et servit la boisson. Au moment où ils trinquèrent, un serveur leur apporta leurs plats. Aucun d'eux ne revint sur l'incident, si l'on pût l'appeler ainsi, de la fleur. Leur déjeuner se déroula d'une manière plutôt normale, du point de vue duquel écouter Michel déblatérer sur la quête éternelle d'amour dont l'être humain fait preuve tout au long de sa vie, en jetant des regards qui en disaient long en direction de Josette, était normal. La joie avait rapidement remplacé la gêne, et les quatre adolescents passaient un agréable moment.

Lorsqu'il fallut partir, Raphaël et Marie remercièrent leurs amis, et repartirent main dans la main. Ils se rendirent dans un parc qu'ils avaient visité ensemble la veille. Ils arpentèrent les chemins de graviers en admirant les fleurs, les arbres.

Puis, sur un des nombreux sentiers qu'ils avaient empruntés, ils croisèrent une jeune fille, d'environ leur âge, assise sur le bord d'une fontaine, une guitare dans les mains. Sa casquette terre de sienne vissée sur sa tête cachait ses yeux de la vue des autres. Elle avait tout aussi bien rangé ses cheveux dans cette même casquette. Ce fut les seuls détails que Raphaël nota. Il fut bientôt pris comme Marie par la chanson que la jeune artiste de rue chantait en pinçant les cordes de sa guitare.

Don't you know that

I'll be around to guide you

Aucun d'eux deux ne connaissait cette chanson. Peut-être était-ce une composition originale, peut-être une reprise d'un artiste peu connu chez eux.

Through your weakest moments

To leave them behind you?

Il fouilla dans ses poches, et regretta de ne pas avoir la moindre pièce à donner à la musicienne.

Returning nightmares

Only shadows

Il reprit la main de Marie, qui lui sourit, et ensemble ils reprirent leur promenade, laissant la chanson continuer sans eux.

We'll cast some light and you'll be alright

« Elle joue bien, souffla Marie en se retournant pour voir une dernière fois la jeune fille.

– Mais pas aussi bien que toi avec ton violon » sourit le rouquin.

We'll cast some light and you'll be alright for now...

S'ils avaient fait attention, peut-être se seraient-ils penchés sur les paroles, ou peut-être auraient-ils vu la fleur de chrysanthème dessinée sur la guitare. Mais ce ne fut pas le cas ; ils étaient dans leur monde secret, qu'eux seuls connaissaient.

*

Elle se tenait debout, les mains posées sur la rambarde en bois du pont sur lequel elle se trouvait.

Elle inspira un grand coup.

Le vent vint caresser doucement son visage, dans quelques effluves fruités lui provenant de ce qui restait du marché d'à côté.

Elle inhala le parfum du fleuve qui passait sous elle, et tendit l'oreille aux chants des oiseaux et au bruissement du vent.

Elle soupira.

« Ça n'a pas marché. »

Elle ôta sa casquette brune, relâchant ainsi ses longs cheveux couleur feu, qui volèrent tel un ballet de fils rouges entremêlés.

À côté d'elle reposait sa guitare, posée à même le sol. Grâce à son instrument, elle n'avait récupéré que quelques dizaines de centimes, ça n'avait pas été une bonne journée.

« Ça ne va plus être possible d'acheter des fleurs, murmura-t-elle, pensive, en regardant les pauvres pièces qui se battaient dans sa paume. Tant pis. »

Elle enfouit sa main dans une poche de son jean, récupéra sa guitare et s'en alla.

Avant de rentrer chez elle, elle fit un détour vers son appartement, et déposa sur le paillasson une fleur de chrysanthème, avant de repartir, le sourire aux lèvres.


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