Biohazard : Code Nivans II
J’étais heureux. Plus que je n’aurais jamais pensé l’être. Surtout après mon ‘injection surprise’, comme l’avait dit Ada. Au début, ce terme m’énervait un peu, mais le proverbe “avec le temps, tous les souvenir deviennent bons“ avait une partie vraie, dans ce cas-là.
J’avais été autorisé à sortir de l’hôpital au début du mois d’octobre, mais, pour des raisons de sécurité, les parties de mon corps mutilées – la partie droite de mon visage, mon épaule droite et mon bras droite – ont été cachées par des bandages. Sherry avait trouvé dommage que je me dissimule ainsi, car pour elle je n’avais pas changé du tout, et Jake me chambrait en me donnait des surnoms tous les plus absurdes les uns que les autres, comme Imhotep, Ryomo Shimei, Double-Face ou tout simplement Monsieur Zombie. Moi en revanche, après avoir ri aux blagues pourries de Jake, je me demandais ce que je pensais de tout ça. Quelque part, tant que les personnes que j’aimais m’acceptaient tel quel, c’était le plus important. Le plus dur, c’était sans doute m’habituer à n’avoir qu’un côté de mon champ visuel.
Chris m’avait invité à vivre chez lui de manière permanente, ce qui avait éveillé les soupçons de sa sœur, bien sûr. Il était parti pour lui expliquer, mais, comme Sherry avant elle, elle avait très bien compris ce qui se passait. Elle se ressemblaient énormément, ces deux-là. C’était logique en même temps, car Sherry était devenue ce qu’elle était en grande partie grâce à Claire. Mais je trouvais ça à la fois rassurant et flippant.
Avec mon bras et demi, j’essayais de m’en sortir comme je pouvais. Mon bras droit n’était pas complètement inutile, et j’étais gaucher, mais j’essayais de m’en servir le plus possible, histoire de ne pas perdre la main. Et au pire, Claire était là.
Sherry venait me voir souvent. Et une fois sur deux, elle venait avec Jake. Ce dernier me félicitait parfois de ma relation avec Chris, entre deux vannes tordues, comme je le félicitai de la sienne avec Sherry. Maintenant que les choses étaient claires entre nous, tout était devenu infiniment plus simple. J’aimais Chris de tout mon être, mais je gardais une petite place pour Jake dans mon cœur.
Comme promis, Sherry avait organisé une grosse fête pour fêter mon retour à la vie civilisée. Claire, Chris et Jake étaient invités d’office, bien sûr, et Sherry avait aussi invité Leon, qui était venu avec Helena. Je fus sincèrement surpris de voir Ada débarquer, et Chris encore plus. Elle passait le plus clair de son temps avec Leon, Helena ou Claire, en m’offrant des petits clins d’œil de temps en temps, mais je ressentis un grand soulagement lorsque je la vis trinquer avec Chris, qui arborait un sourire sincère. Ces deux-la réconciliés m’ôtait une belle épine du pied.
Peu après, Chris reprit le travail. Il revenait toujours tôt le matin, et se réveillait en fin de matinée pour partir en début d’après-midi. On avait même pris une petite routine d’amoureux – petit bisou furtif avant qu’il ne parte au boulot. C’était paradisiaque.
Sauf qu’un matin, Chris n’est pas revenu.
J’étais inquiet, bien sûr, mais ce n’était pas impossible qu’une de ses affectations prenne plus qu’une journée, Claire me l’a confirmé. J’avais juste eu de la chance jusqu’à maintenant, j’imagine.
Mais les journées passaient, et Chris ne revenait pas.
Au début, j’essayais de ne pas y penser, mais plus ça allait, et moins j’arrivais à dormir. Claire me retrouvait de plus en plus souvent en train de comater toute la nuit, et cela m’inquiétait quasiment autant qu’elle. Je ne sortais pas beaucoup, alors c’était à la télé, pendant les infos, que ma paranoïa était à son paroxysme. A chaque cadavre aléatoire annoncé aux infos, je craignais que ce soit Chris.
Un jour, on sonna à la porte. Je me précipitai pour répondre, plus que nécessaire, et j’ouvris la porte. C’était une belle blonde, que je reconnus tout de suite. Et ça me terrifiait.
-Capitaine Valentine ? dis-je sans dissimuler mon étonnement
D’ailleurs, elle fit de même. Elle fronça les sourcils, comme si elle essayait de m’identifier, et détendit son expression une petite minute plus tard. Mais elle aussi était étonnée, et je compris pourquoi quand elle prit la parole.
-Lieutenant Nivans ? Qu’est-ce que vous fabriquez chez Chris ?
-Eh bien…
-Jill ! Salut !
Derrière moi, Claire débarquait de la cuisine, pour foncer vers le capitaine Valentine, et lui sauta au cou. Jill fit une tête surprise, mais prit aussi Claire dans ses bras. Quelque part, j’avais une impression de déjà-vu, et ça me fit sourire.
-De quoi s’agit-il Claire ? demanda Jill en m’adressant un coup d’œil
-Tu es au courant que Chris a disparu ?
-Oui. Nous menons l’enquête en ce moment même, ne t’en fais pas. Et donc, qu’est-ce que vous faites là ? me demanda-t-elle de nouveau
-Il habite ici, dit Claire avant moi. Il a encore besoin d’attention, alors Chris a proposé de s’occuper de lui. Même si en fait, je m’occupe plus que lui que Chris, ajouta Claire d’un ton amusé
-Ah, oui. Votre accident, dit Jill en regardant mon bras momifié. J’en ai entendu parler. Sinon, pourquoi as-tu appelé ? demanda-t-elle à Claire
-Pour savoir où vous en étiez dans l’enquête, dit Claire. On a du mal à dormir depuis quelques jours, dit-elle en me donnant un petit coup de coude dans les côtes. Et puis, ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vues. Tu as le temps de rester pour manger ?
-Oui, pourquoi pas ? Et je crois qu’il faut qu’on parle, tous les deux, ajouta-t-elle en me regardant
-Oui bien sûr, bégayai-je
J’allais m’installer dans le canapé, comme à chaque fois que Claire faisait la cuisine – j’avais envie de l’aider, mais elle m’avait menacé de ravager l’autre moitié de mon visage si j’essayais quoi que ce soit. Par contre, elle n’empêcha pas Jill d’aller l’aider. Ou peut-être était-elle juste nerveuse de rester seule avec moi ? Parce que moi je l’étais. De rester avec elle, pas avec moi. Mais si j’étais à sa place, ça me rendrait nerveux de rester avec un handicapé de guerre, couvert de bandages et tout. Je ne saurais pas où placer mon regard.
Qui plus est, je ne pouvais m’empêcher d’être un peu jaloux de Jill. A cause de sa relation avec Chris. J’avais beau être persuadé de l’évolution de ma relation avec lui, ça et le fait qu’il me dit qu’il m’aime au moins une fois par jour, je me souviens bien de l’historique qu’il a avec Jill. D’ailleurs, il aurait été logique qu’ils finissent ensemble après tout ce temps, j’ai entendu pas mal de rumeurs à ce sujet à l’école, d’ailleurs. Déjà à l’époque, elles me rendaient malade, quand j’y repense. Malade de jalousie.
Je ne pensais pas être ce genre de gars, mais il fallait croire que mon amour pour Chris faisait ressortir des côtés de ma personnalité que je n’aurais jamais soupçonnés. La possessivité étant l’un d’eux. J’avais presque du mal à le partager avec Claire, ce qui les faisait rire, tous les deux, alors que moi, ça me désespérait. Mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Je me confortais, intérieurement, en me disant qu’il était à moi désormais – occultant volontairement le fait que je lui ai toujours appartenu, soit dit en passant.
-A TABLE !
Je sursautai, et Claire rit. Même Jill esquissa un sourire. Voilà que j’étais relégué au rang de comique, maintenant…
Le repas fut assez calme, au début. Les filles discutaient entre elles, mais je vis quand même les petits regards que Claire m’offrait de temps en temps. Comme si elle s’excusait de m’ignorer un peu pour retrouver sa vieille copine. Bien entendu, je n’avais rien à dire, je mangeais mon repas d’un air concentré, et lorsque nous arrivâmes au dessert, Jill se tourna vers moi, comme si elle avait intercepté le dernier regard de Claire.
-Alors Piers. Dites-moi tout. Comment ça se passe avec Chris ?
Lorsqu’elle se pencha vers moi, les coudes sur la table et la tête sur les mains, j’eus une grosse impression de déjà-vu. Comment était-ce possible qu’ils aient la même façon de parler et les mêmes mimiques ? Je souris intérieurement en pensant que, si Jill et Chris avaient échangé leurs places à Raccoon City, c’est sans doute d’elle que je serais tombé amoureux. Claire se contentait de nous regarder tour à tour, comme si elle contrôlait ou qu’elle enregistrait ce qui se disait.
-Ça se passe bien, dis-je d’un ton extrêmement étudié. Ce n’est pas toujours facile, mais je m’en sors pas mal, je pense.
-Je pense aussi. Il était encore en vie, c’est déjà une grande preuve. Et très bien portant. A vrai dire, je ne l’ai jamais vu aussi radieux. Qu’est-ce que j’ai manqué ?
Je commençai à bouillir, et heureusement que ce n’était visible que d’un côté de mon visage. Je savais pourquoi Chris était radieux, et ça me donnait envie de sourire bêtement. Mais je ne savais pas si j’étais prêt à le dire à quelqu’un d’autre.
-Je n’en sais rien, dis-je en haussant les épaules. Peut-être est-il content de retourner bosser ?
-Je ne pense pas. Y a-t-il quelque chose que je devrais savoir ?
Bien entendu, je pris quatre à cinq teintes de rouge d’un seul coup, et j’essayais de fuir le regard de Jill. Mais ça ne marcha pas terrible, je pense, car elle fit une tête encore plus sceptique. Elle tourna ensuite le regard vers Claire, qui haussa les épaules.
-Vous et Chris ? Elle est bien bonne, celle-là, dit Jill d’un ton amusé. Toutefois, cela expliquerait pas mal de choses.
-Comme quoi ? dit Claire avant moi
-Eh bien… mis à part le fait qu’il n’est jamais sorti avec une fille, pas grand-chose, en fait, dit Jill avec un petit rire. J’avais une sorte d’intuition.
-Alors Chris et toi vous n’avez jamais… commença Claire
-Non. Chris est mon ami. Mon meilleur ami. Je n’ai jamais envisagé ça une seule seconde.
Au départ, j’allais dire que c’était pareil pour moi, avec Sherry. Mais au début, au tout début de notre relation, avec le recul que j’ai maintenant, je pensais vraiment que j’avais des sentiments pour elle. Bien plus forts que de l’amitié. Finalement, elle était devenue la sœur que j’avais perdue, en quelque sorte. Je me rassurai en me disant que la relation entre Jill et Chris était similaire.
-Donc vous comprenez bien que je m’intéresse autant que vous à sa disparition ? reprit Jill
-Oui. Bien sûr, balbutiai-je. Qu’est-ce que vous suggérez ?
-Qu’on aille le chercher, bien entendu, dit Jill avec un petit sourire
-On ? répétai-je
-Claire et moi. Mais si vous vous pensez capable de venir avec nous…
-Évidemment ! dis-je d’un ton plus que convaincant. Je manipulerai mon fusil avec les dents s’il le faut !
Quelques secondes après l’avoir dite, je me rendis compte de l’absurdité et ma phrase, et rougis violemment, alors que Claire et Jill se marraient franchement.
Après ça, quelqu’un d’autre frappa à la porte.
-Eh bien, c’est la folie, aujourd’hui ! s’exclama Claire en se levant. Je reviens tout de suite !
Claire disparut de la cuisine, me laissant de nouveau seul avec Jill. La manière dont elle ressemblait à Chris était différente de celle de Claire, mais était tout aussi troublante. Ils avaient les mêmes mimiques, et les mêmes expressions faciales, tout en étant très différents physiquement. Jill était une très belle femme, très féminine et tout, mais elle avait le comportement qu’un haltérophile dont j’étais irrémédiablement amoureux. Je repartis rapidement dans la dimension parallèle où je tombais amoureux de Jill à la place de Chris, et, en parlant de mimique, j’interceptai le regard insistant de Jill. Léger froncement de sourcils, regard sérieux et moue presque boudeuse. Du coup, je compris qu’elle allait me demander quelque chose.
-Piers ?
Gagné.
-Capitaine ?
-Appelez-moi Jill, je vous en prie. Vous risquez d’être mon beau-frère, après tout, dit Jill avec un ton souriant et un sourire en coin
-D’accord, bégayai-je saisi par mon déjà-vu
-C’est sérieux entre vous et Chris, alors ?
-Je l’espère, oui. Ça ne fait qu’un mois, mais je suis au septième ciel, admis-je d’un ton de groupie
-On dirait bien, oui.
Elle allait dire autre chose, mais Claire entra dans la cuisine avec deux invités. L’une d’entre eux fondit sur moi pour me faire un câlin. Sauf que j’étais assis de travers sur ma chaise, et elle finit à moitié allongée sur moi, les deux mais dans mon dos. Je fis de même, et nous rîmes un bon coup. Ah, Sherry…
-Coucou toi ! s’écria-t-elle. Tu as l’air d’aller bien !
-Oui, ça va.
-Bonjour ! dit-elle en se relevant, et en regardant Jill
-Bonjour, répondit Jill d’un ton poli
Je me relevai, et ce fut au tour de Jake de me faire un câlin. Je fus moins surpris, cette fois, et j’en profitai à fond. Mon cœur ne sursautait plus, comme les premières fois, et je pus même me permettre de le serrer contre moi, lui aussi.
-Ça me fait du mal de l’admettre, mais tu m’as manqué aussi, Piers, ricana Jake
Ah oui. J’oubliais que nous entretenions une relation de ‘je-t’aime-moi-non-plus’ en public. Au final, je craquais aussi.
-Ouais. Je vois ce que tu veux dire, dis-je d’un ton sarcastique. Ça ne se reproduira pas, c’est ça ?
-Exact.
Nous nous lâchâmes mutuellement, en nous regardant avec un air que nous seuls comprenions, et Sherry nous regardait en riant. Claire arriva dans la cuisine, et je vis que Jill n’avait pas bougé.
-Sinon vous venez pour quoi ? On parlait de business sérieux, dit Claire l’air de rien
-Chris n’est pas là ? demanda Sherry en toute innocence, en regardant autour d’elle
-C’était justement le sujet. Asseyez-vous, je vais vous raconter.
Jake et Sherry s’assirent, et je restai debout, car il n’y avait plus de chaises disponibles. Claire raconta en gros la disparition de Chris, donc la raison de la présence de Jill, sa collègue la plus directe. Celle-ci fit un petit coucou quand Claire l’évoqua, ce qui nous fit sourire. Ensuite, Claire aborda le fait que nous étions partis pour aller sauver Chris, et…
-Je viens avec vous ! déclara Sherry d’un ton décisif
Claire et moi la regardâmes en même temps, et Jill rit. Jake, lui, n’avait pas du tout envie de rire.
-Tu délires? dit-il d’un ton sérieux. On ne sait même pas dans quelle merde cet abruti de Redfield s’est fourré, et tu veux courir à son secours ?
Oui, Jake venait de traiter Chris d’abruti devant moi. Oui je m’en foutais, quelque part. Oui, je l’aurais frappé si j’avais mes deux bras non-handicapés et si je ne le connaissais et ne l’aimais pas. A la place, je ricanai à mon tour.
-Ce que tu peux être ingrat, Jake ! dit Sherry. Aurais-tu oublié qu’il est venu nous chercher, lui aussi, alors qu’il ne savait pas dans quelle merde nous étions ?
Entendre Sherry dire un gros mot était un des grands accomplissements de ma vie. Maintenant, il fallait que je passe cinq minutes avec Jake sans qu’il ne dise un gros mot ou qu’il ne fasse une blague pourrie. Punaise, ce ne sera pas évident.
-Ouais. Tu marques un point, dit Jake d’un ton vaincu en frottant nerveusement l’arrière de sa tête avec sa main. J’en suis aussi, alors.
Claire et moi fîmes une tête surprise. Elle connaissait aussi bien que moi le caractère de merde de Jake. D’ailleurs celui-ci, très content de son effet, sortit son légendaire sourire insolent.
-Ça vous en bouche un coin, hein ? ricana-t-il. Je ne suis pas un ingrat, en fin de compte.
-Apparemment, dit Claire
Claire, Jake, Sherry et moi nous regardâmes d’un air un peu maladroit, en se souriant bêtement, et Jill toussota. Nous nous tournâmes en même temps vers elle.
-Bon eh bien… Je suis venue chercher une personne, et finalement j’en ai quatre. Ce n’est pas plus mal. Préparez-vous, nous partons demain, ajouta-t-elle en se levant
-A plus Jill, dit Claire en faisant un coucou
Je réussis à faire de même, et Sherry, elle, ne se gêna pas du tout pour faire de même. Jill fit un petit sourire, et sortit de la cuisine. Les quatre duellistes se regardèrent dans le blanc de l’œil, et finîmes par rire en chœur. De manière un peu nerveuse, il faut le dire. Finalement, mon inquiétude pour Chris revint à la charge, et je tombai sur une chaise au pif. Étonnamment, ce fut Claire qui fut la plus rapide pour essayer de me rattraper. Je sus que je commençais à divaguer quand je réussis à penser que j’aurais préféré que ce soit Jake.
-Hé Piers ! Ça ne va pas ? me demandèrent les filles quasiment en même temps
D’ailleurs, en parlant de Jake, ce dernier s’approcha, l’air de rien, pour voir la tête que je faisais. Je ne devais pas être très frais, je sentais moi-même que mon sang avait arrêté d’aller dans mon crâne, et il fit une grimace. Je réussis à lui faire un sourire insolent, qui devait être bien pâle comparé au sien, mais dont j’étais assez fier, sur le coup.
-Qui a l’air d’un con, maintenant ? dis-je d’un ton faible
-Ce n’est pas drôle, Piers, dit Sherry, qui n’a pas compris que je parlais à Jake
-Ta gueule, Piers, dit Jake pour mettre les choses au clair
Claire nous regarda tous les deux tour à tour, avant de se reconcentrer sur moi.
-Tu es sûr de vouloir venir ? demanda-t-elle. Tu n’as pas l’air très bien.
-Je ne dormirai sans doute pas tant que je ne reverrais pas Chris, dis-je. Il vaut mieux que je vienne. Maintenant, avec vous. Ça vaut mieux. Plutôt que je me secoue trop tard et que je tente de vous rejoindre en pleine nuit avec une détermination égale à celle d’un pingouin qui a raté son audition pour la marche de l’empereur.
Mes trois amis rirent aux éclats en même temps, et je me rendis compte à quel point ma phrase, sortie le plus naturellement du monde, était sans queue ni tête, tout en étant tout à fait correcte. Non, je n’allais pas bien.
-Je ne veux pas d’une loque pour une mission de sauvetage, dit Jake d’un ton plus qu’ironique
-Je t’emmerde, Jake, dis-je plus décidément plus au taquet que d’habitude
-Je veillerai sur toi, dit Claire en me prenant la main. Et vous deux, ça vous dit de dormir ici, du coup ? ajouta-t-elle en regardant les deux amoureux
-Oui ! s’écria Sherry avant même que Jake n’ouvre la bouche. Pour être parés pour l’aventure !
-J’ai mon mot à dire, non ? demanda-t-il quand même
-Non ! dit Sherry en se marrant et en l’embrassant
-Tu sais où est ma chambre, dit Claire d’un ton joueur
Sherry acquiesça, et sortit de la cuisine en courant, en prenant Jake par la main, qui ne sembla ne pas avoir le choix. Je ricanai, et Sherry revint en courant pour me faire un autre câlin.
-A demain, Piers. Ne t’en fais pas, je suis sûre que tout ira bien, me dit-elle d’un ton rassurant
-Sans doute, bégayai-je
Et elle m’ébouriffa les cheveux, et m’embrassa sur ma joue sans bandages. Elle fit quand même un câlin à Claire, qui était à côté de nous les bras croisés pendant notre éclat d’amitié fraternelle, et disparut de nouveau. Claire s’assit à côté de moi, avec une expression sceptique. Apparemment, elle était de famille.
-Dis-moi Piers, tu sembles très proche de Sherry, commença-t-elle
-Eh bien…
-C’est ce que je t’aurais dit si je ne savais pas à quel point tu aimais mon frère, rit-elle
-Je vois, dis-je d’un ton amusé.
-Bon, si tu as besoin de moi, je serai dans la chambre de mon frère.
-D’accord.
Claire m’embrassa sur la joue à son tour, et partit. Moi, je restai assis encore un moment, jusqu’au repas du soir, en fait. Je ne pus m’empêcher de penser à ma rencontre avec ma sœur, qui datait un peu maintenant. Une partie de moi pensait que ses messages subliminaux et la disparition de Chris n’étaient pas une coïncidence. Et une autre espérait que ce ne soit qu’une coïncidence.
Je réussis à oublier pendant le dîner avec Claire, Jake et Sherry. C’était dingue à quel point mes émotions négatives partaient vite avec eux. Mais elles revinrent vite, lorsque j’allai me coucher. D’ailleurs, mes pressentiments étaient corrects, à ce sujet : je restai en mode légume toute la nuit, incapable de dormir, ne pouvant m’empêcher de m’ôter le visage de Chris de la tête.