Un lever de printemps

Chapitre 7 : Visions divergentes

10060 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/08/2021 23:15

Visions divergentes


L’orage enfla, ne cessa de grossir dans le ventre des glaces, montant en puissance de façon si exponentielle que Juàn ne put qu’écarquiller les yeux, nez baissé vers la croûte râpeuse recouvrant ses bottes, dès qu’il comprit que contrairement à ce qu’il connaissait, le tonnerre grondait sous ses pieds. À peine eut-il le temps de se demander si le choc de son vol plané n’avait pas franchi la barrière de sa chair pour se planter dans sa cervelle, durant un bref instant de flottement. La voix de Cape Rouge se tut sur une dernière déclaration les condamnant, engloutie par la clameur orchestrale, envahissante.

Au creux du glacier retentit un étrange bruit, rappelant celui d’une corde qui se rompt sous une pression trop intense, ou peut-être un crépitement amplifié de telle manière qu’il paraissait annihiler l’obstacle ayant le malheur de se trouver sur son passage, un éclatement phénoménal qui convergeait vers le groupe de cavaliers. Une fraction de seconde s’écoula. Non. Ce n’était pas exactement ça. Plutôt comme une nuée de kaïru crépitante – si, en perdant ses pouvoirs, Juàn avait dû abandonner l’idée de pouvoir ressentir à nouveau la fabuleuse énergie, une vie entière à côtoyer le tanabris, puis à se confronter à d’autres formes du kaïru pendant les guerres, ne laissait aucun doute sur l’origine du picotement parcourant sa peau. Courant du sud-est, à peu près, au nord, le long d’une ligne tracée à l’avance. Sur laquelle se tenait le Barran Yaär. Futhra ! Et eux, pauvres naïfs, se trouvaient droit sur son passage ! Le kaïru attirant le kaïru, ce devait être pour cela que Selmir avait si brutalement surgit, se jetant sur Izan : son énergie, que Juàn devinait exceptionnelle pour donner lieu à pareil monstre signature, servait de phare à celle qui grondait sous leurs pieds. Sûrement pour équilibrer le kaïru, qui en tant qu’énergie, restait volatile, afin d’éviter toute concentration perturbant les plans du trio d’Hildenerven, quoi que puisse être leur but.

Le regard de Juàn, une fraction de seconde plus tard, se posa sur son fils, qui le fixait avec terreur, les mains crispées sur les rênes. Un pauvre sourire étira les lèvres du brun, juste avant que les éléments ne se déchaînent. En réunissant à la fois Selmir, éventuellement les capacités de ses acolytes, et le tanabris intérieur de Blàs, ils avaient engendrés un déséquilibre, créant un point d’accroche pour le kaïru qui s’était réorienté vers eux. Sauf que Juàn ne se souvenait pas d’avoir entendu d’une forme de kaïru capable de se retourner si rapidement, et si violemment.

La sensation d’une masse formidable de puissance implosa brutalement, alors que le brun distingua vaguement une ombre formidable, inconsistante, d’un doré presque transparent, remontant à la surface à une vitesse difficilement préhensible, crevant la transparence bleutée de la poudreuse. Les éclairs jaillirent en myriades, cylindres compactés aveuglants, alors que la glace sous-jacente se disloquait, éclatant en une gerbe d’éclats assez larges pour empaler un cheval, des geysers jaillissant des fissures s’étalant exponentiellement.

– En selle ! Partez, maintenant ! cria-t-il, tout en sachant pertinemment que personne ne pourrait l’entendre dans le hurlement de l’énergie.

Il sauta sur le dos de sa jument, ignorant sa cuisse gauche qui protesta vigoureusement. Uli, sans cavalier, allait certainement fuir à toute jambes, or, il avait besoin de sa vieille carne pour fuir ce traquenard. Izan, projeté par l’onde de choc, s’écrasa comme au ralenti près du brun, un filet de sang coulant de sa bouche serrée. Sur sa droite, Juàn crut distinguer la nitescence familière à une transformation en monstre signature, sans parvenir à déterminer s’il s’agissait de Nerea, ou de Saraya.

Jusqu’à ce que, luttant pour ne pas retourner nez à terre aussi rapidement qu’il était monté, l’aura du tanabris frappe son visage. Sa mentor, plus rapide à la réaction que ses compagnons, se tenait presque à genoux, luttant de toute la force de son énergie pour maintenir un bouclier, imparfait, mais suffisant pour réduire la violence du choc. Nerea, elle, était nulle part en vue. Tout comme Tinli et Verln, constata-t-il avec dépit, la rage contre sa propre incapacité à lui venir en aide chevillée au corps. Et où se trouvaient leurs ennemis ?!

Il tourna instantanément la tête vers les enfants, en arrière, la peur de découvrir un carnage remontant dans sa gorge. Par miracle, ils tenaient toujours sur leurs montures, Jimèn hennissant doucement, en une longue supplique pour que sa cavalière lui donne l’ordre de partir. Pendragon, s’il s’affolait tout comme ses congénères, se contentait de minuscules écarts, bien loin des ruades auxquelles s’attendait Juàn.

Bientôt, les éclats de foudre devinrent si rapprochés que Juàn sentit sa rétine le brûler dangereusement. Le kaïru sembla s’emballer, redoubler de violence, craquelant la maigre protection érigée par Saraya. Elle allait céder, ce n’était plus qu’une question de secondes !

– Izan ! hurla Juàn, juste assez fort pour que le soldat, se remettant maladroitement debout, le fixe avec étonnement. Grimpez !

L’homme ne posa aucune question, attrapant la main tendue du brun avec empressement, ahanant de douleur quand il lui fallut se hisser en selle, derrière Juàn. Voyant son père remuer, Blàs leva le nez, pressant la main de son amie, attendant nerveusement un ordre, une affirmation, n’importe quoi qui puisse leur assurer que ça y est, papa s’occupait de tout, qu’il allait les tirer de ce fichu traquenard.

– On s’en va ! Contournez par l’ouest, on va trouver une issue ! ordonna le brun, son débit si accéléré qu’il peina lui-même à se comprendre, faisant de larges signes afin que les enfants comprennent.

Enterrant profondément en lui la terreur nouant ses entrailles, à l’idée qu’un éclat, qu’une crevasse soudaine puisse engloutir les enfants, ou juste que ceux-ci n’aient pas compris ses gestes, Juàn pressa les flancs d’Uli, courant droit vers Saraya. Il ne pouvait pas abandonner sa mentor là, à une mort certaine !

À peine eut-il galopé une demi portée de flèches qu’une véritable vague de glace se souleva devant l’escorte, soulevant un nuage de blizzard fouettant les visages, soustrayant le paysage à sa vue.

Tirant fortement sur les rênes, Juàn dévia sa route au dernier moment, évitant de justesse de heurter le mur artificiel en pleine face, sentant Izan manquer de déraper, désarçonné par ce subit changement de direction, s’agrippant douloureusement à ses côtes sensibles. Fouillant désespérément l’immaculée étouffante se soulevant à chaque foulée, remontant rapidement du sol aux hauteurs, Juàn finit par apercevoir Jimèn, sa petite cavalière sur le dos, à plusieurs encablures de là, adressant un signe bref à une seconde forme équine, bien plus grande. Trop loin pour qu’ils aient réussi à s’échapper aussi rapidement que lui, calcula-t-il avec surprise, incertain de ce qu’il voyait. À moins qu’Ainhoa ait eu la présence d’esprit de dévier légèrement leur trajectoire, avant que la vague ne vienne les frapper ? Une enfant de dix ans pouvait-elle détenir un réflexe aussi salvateur ?!

Juàn secoua la tête, soulagé, en quelque sorte, de sa propre bêtise. Elle était fille de Saraya. Bien sûr qu’elle en était capable.

– Mon seigneur, tournez à gauche ! s’époumona soudainement Izan à son oreille.

– Vous êtes fous ? Les enfants sont de l’autre côté !

– Mais votre épée est dans les parages ! Si elle n’est pas tombée, je pourrais l’attraper pendant que vous dirigez votre jument !

Juàn hésita. En s’éloignant ainsi des plus jeunes, il prenait le risque de ne pas réussir à les retrouver, d’autant que la nuit, désormais, ne tarderait plus. Mais sans son épée, et dépourvu de kaïru, comment pouvait-il les protéger des dangers de la toundra, et de la Horde ?

– Je vous en prie, faites-moi confiance…

Le ton, sans espoir, du soldat, fut ce qui décida Juàn à obliquer, plus que la perspective de retrouver son arme. Jetant un dernier regard aux enfants, s’attardant sur la silhouette frêle de son petit garçon, afin de prévoir leur trajectoire approximative, il effectua un virage serré, poussant sa jument encore davantage, malgré les risques de glissade. S’il voulait avoir une chance de réussir, une pointe de vitesse ne pourrait guère les desservir. Uli avait le pied assez sûr pour maintenir ce train quelques lancers de flèches, en condition normales. Dans un blizzard à peine suffisant pour distinguer les sabots de sa monture, il lui faudrait penser aux enfants pour tromper le destin.

Elle apparut brutalement, au détour d’une foulée particulièrement ardue à négocier. Glissant un peu plus sur le côté à chaque seconde, ayant quitté sa posture droite, dressée vers les cieux, pour former une diagonale dangereusement instable. Le cœur de Juàn fit un bond puissant dans sa poitrine, alors que l’inquiétude de ne trouver qu’un ravin béant, tombeau de Tranche-Course, s’éloignait. Elle était là, sa fidèle lame, encore debout, mais pour combien de temps ?

Autour de sa taille, l’un des bras d’Izan se détacha, le poids du soldat se penchant vers le flanc de la jument. D’une pression du talon, puis d’un petit coup quand Uli ne fit pas mine de réagir, Juàn décala sa jument, sans cesser de maintenir son regard sur l’épée. Plus qu’une portée de flèches… Une demi… Quelques pas…

La jument dépassa la lame, un choc dans le dos de Juàn indiquant qu’Izan avait plongé vers le sol, se retenant uniquement d’une poigne sur la tunique du brun.

– Je l’ai ! s’exclama triomphalement le soldat, la tension s’évanouissant perceptiblement de sa voix, presque enfantine.

Juàn hocha la tête, approbateur, sans parvenir à partager totalement l’enthousiasme de l’homme. Il attendit qu’Izan s’accroche de nouveau solidement à lui, la pointe de l’épée dirigée vers le bas, pour obliquer de nouveau, se forçant à ralentir progressivement, la peur revenant tambouriner aux parois de son esprit.

S’il ne parvenait pas à retrouver les enfants…

De longues minutes d’angoisse s’écoulèrent, durant lesquelles Juàn suivit strictement la direction qu’il pensait prise par les plus jeunes, scrutant avidement la levée de la tempête, tournant parfois le cou pour surveiller l’avancée de la nuit, à l’affût d’une éventuelle réapparition de Cape Rouge et ses compagnons. Izan, l’imitant, finit par glisser Tranche-Course dans son fourreau, une fois un petit trot adopté et ne risquant plus d’embrocher le brun par erreur.

Enfin, alors que le fracas des éléments s’estompait lentement, il capta les bribes d’une petite voix aiguë, au bord des sanglots. Résistant à l’envie de talonner de nouveau sa jument, qui ne supporterait peut-être pas une nouvelle course, le brun s’avança cependant aussi promptement qu’il le put en direction de l’appel.

Le soulagement, la tension nerveuse et l’appréhension s’écoulèrent le long de sa peau, alors que les formes malmenées par la neige des enfants se profila devant lui.

– Blàs ! Chéri, je suis là ! Ainhoa ! s’époumona-t-il à son tour, agitant comiquement les bras.

Son garçon sursauta immédiatement, entraînant Pendragon dans une volte-face étrangement artistique. Cherchant l’approbation d’Ainhoa du regard, la petite battant joyeusement des mains (ainsi, c’était bien elle qui avait mené le petit duo, songea Juàn, reconnaissant, et plus que jamais heureux d’avoir choisi la fillette pour suivre son fils), il s’élança dès qu’il l’obtint, fonçant vers son père. Jimèn, à force de sollicitations, finit par suivre lentement le mouvement, soufflant avec indignation des naseaux.

Sautant par-dessus une crevasse, apparue soudainement sous ses sabots, d’un bond souple, Pendragon piaffa de fierté quand, tournant sa tête allongée sur le côté, il vit le hongre forcé d’effectuer un petit détour pour le rejoindre, son petit cavalier reconnaissant, caressait vigoureusement son encolure. L’instant grégaire reprenant le dessus sur les équidés ceux-ci s’élancèrent, Jimèn se plaçant à quelques pas derrière l’alezan, alors qu’Uli restait davantage en retrait. Levant le nez, le désarroi tirant ses traits, Ainhoa se pencha légèrement en arrière, scrutant attentivement la sente d’où venaient de surgir les adultes.

Juàn compatit avec la fillette : lui-même ne cessait de s’interroger sur le sort de Saraya et Nerea.

Arrivé à hauteur de son père, Blàs se jeta de côté, le haut de son corps atterrissant dans les bras de son père tandis que ses jambes le maintenaient imparfaitement en selle. Craignant d’abord une réaction brutale de Pendragon, Juàn se tendit, toisant l’animal avec méfiance. Par chance, une nouvelle fois, l’alezan le surprit en se contentant de mâchonner ses rênes, patientant sagement que son petit cavalier cesse ses pitreries.

Soulagé, le brun resserra son étreinte autour du garçonnet. Ainhoa arrêta Jimèn, avant de descendre de cheval pour filer près d’Uli, prenant appui sur les étriers pour se hisser à son tour entre les deux hommes, profitant sans bouger de la chaleur dégagée par leurs silhouettes serrées.

– L'urgent est de trouver un endroit où dormir, avant que le froid de la nuit ne nous surprenne, annonça Juàn, une fois les effusions des retrouvailles un peu apaisées. Nous partirons à la recherche des femmes demain, à la première heure.

Un tonnerre d’approbation suivit sa déclaration, à l’exception d’Ainhoa, restée silencieuse, une tristesse déchirante apparaissant fugitivement sur son visage tandis qu’elle quittait Uli pour enfourcher sa propre monture. Juàn l’observa un bref instant, se promettant de venir lui parler un peu plus tard, quand ils seraient enfin à l’abri.

Ils zigzaguèrent entre les innombrables fissures, fendant désormais la glace en une myriade de fragments, révélant un océan resté dissimulé par les siècles. Quelques morceaux, parmi les plus éloignés, commençaient déjà à dériver à une lenteur difficilement imaginable. Pour le moment, le centre des terres restait intact, épargnant, d'après ses premiers calculs, le Barran Yaär.

En dépit de son désir premier de prendre la tête du groupe, Uli ne parvint pas à rattraper Pendragon, les longues foulées de l’alezan distançant sans peine la jument, ralentie par le poids supplémentaire d’Izan. Étrangement, Selmir, Cape Rouge et le troisième homme silencieux ne réapparurent guère, volatilisés comme s’ils n’avaient jamais existé. Si Juàn appréciait de ne plus devoir les affronter – sans l’avouer à haute voix, il reconnaissait intérieurement que son vol plané, et surtout l’atterrissage, l’avaient sérieusement secoué, physiquement –, ne pas savoir où se trouvaient ses ennemis le rendait plus méfiant encore.

Estimant que les chances d’être rattrapés avaient suffisamment diminué pour ralentir la cadence, Juàn se contenta d’un pas allongé, imité de ses compagnons. Pendragon, comme à son habitude, refusant de ralentir avant deux bonnes longueurs de flèches. Malheureusement, au pied des monts à demi-effondrés, la visibilité était terriblement réduite, empêchant Juàn d’observer à sa guise les alentours.

– Est-ce que quelqu’un voit quoi que ce soit qui puisse ressembler à un abri ? demanda-t-il en désespoir de cause, inquiet de sentir le poids d’Izan, dans son dos, se faire de plus en plus lourd.

De longues secondes s’écoulèrent, durant lesquelles le crépuscule étendit ses bras, apportant avec lui une vague de froideur, plus profonde encore que sa consœur diurne.

Enfin, alors que Juàn tâtait les parois les plus proches de la pointe de son épée, dans l’espoir de découvrir une cavité enfouie, l’extrémité de la lame s’enfonça, dégageant une ouverture sombre, semblant déboucher davantage que sur un faux espoir.

Mettant pied à terre, il continua de creuser frénétiquement, se penchant en avant quand il put passer la tête au travers de la poudreuse.

– Ainhoa, tu peux venir s’il te plaît ? J’ai besoin de lumière.

Descendant de cheval, la fillette s’avança, main tendue devant elle. Une petite sphère en jaillit, flottant doucement au-dessus de sa paume, d’un blanc tout juste assez contenu pour ne pas être parfaitement éblouissant, légèrement tremblotant.

Cela ressemblait aux parois d’un mince boyau, juste assez grand pour permettre à un cheval d’y pénétrer – à condition que son cavalier se couche sur l’encolure. Parfaitement invisible pour qui passait juste devant si l’on ne savait pas quoi chercher, et où. Distinguant un élargissement, un peu en aval, il pénétra le premier dans le tunnel, la bride en main et l’épée tirée au clair, suivi d’Ainhoa, éclairant doucement les environs.

Enfin, ils débouchèrent sur une salle légèrement plus grande, d’environ trois portées de flèches. La caverne paraissait des plus banales, à une exception près : son plafond vertigineux culminant à une hauteur telle, que Juàn n’en distingua la voûte que partiellement. Par chance, Juàn n’aperçut pas de stalactites risquant de s’effondrer sur leurs têtes à la moindre secousse.

– Les enfants, occupez-vous des chevaux, pendant que je soigne Izan, souffla-t-il.


µµµ


Tamponnant précautionneusement les sillons noirâtres creusés dans le dos du soldat, allongé sur le ventre contre la pierre, torse nu malgré le froid, Juàn délaissa quelques instants les plaies, se retournant afin de fouiller dans sa sacoche de selle, cherchant de quoi les protéger, tant bien que mal, des frottements. Derrière lui, Izan, le corps contracté, comme victime de milliers de crampes insidieuses le dévorant peu à peu, laissa échapper un soupir de soulagement tremblant, profitant de ce bref répit pour inspirer profondément. Croisant le regard clair de son petit seigneur, Blàs s’étant posté à deux pas de lui, les épaules entourées par le bras protecteur d’Ahinoa, l’homme mobilisa toute sa volonté pour lui adresser un petit sourire confiant, tordu en une grimace alors qu’une nouvelle vague de souffrance secouait son corps malmené. Achevant le contact visuel par un bref hochement de tête, probablement destiné à rassurer les enfants, il s’empressa de rabattre son visage contre le sol, le corps tremblant des gémissements douloureux retenus à grand-peine.

Compatissant, Juàn posa une main affectueuse sur l’épaule de l’homme, relativement épargnée par l’assaut auparavant destiné à l’occire. La pressa brièvement, tentant de lui transmettre toute la force dont il disposait, comme pour lui souffler qu’il lui fallait tenir encore un peu, que les soins étaient nécessaires, vitaux pour le sauver, que bientôt il pourrait prendre un peu de repos, bien mérité.

Ôtant l’opercule de protection, un morceau de tissu noué par une cordelette solidement serrée autour de la terre cuite, Juàn fit mine d’enlever ses gants, surpris de trouver ses mains déjà débarrassées de leur couche de vêtements habituelle. Avant de se rappeler que les sombres accessoires pendaient à sa ceinture depuis belle lurette, accrochés là depuis qu’il avait épongé sommairement le sang maculant la peau brunâtre du soldat. Soufflant exagérément par le nez, le brun gonfla comiquement les joues, plaquant les mains sur sa hanche en une parodie de la désespérance incarnée, provoquant un petit rire ravi de Blàs, sa compagne se contentant d’une ombre de sourire, ne parvenant pas à camoufler l’angoisse rongeant son corps de fillette de dix ans. Bien sûr, songea Juàn, cessant son manège pour prendre une large poignée de baume cicatrisant au creux de sa paume, elle s’inquiète pour sa mère et sa sœur. Comme eux tous, en réalité.

Néanmoins, pour Ainhoa, il s’agissait de sa famille proche. L’angoisse devait être insoutenable, d’autant plus quand il prenait en considération son jeune âge, conclut-il tristement, posant un regard doux sur son fils, observant curieusement la scène se déroulant sous ses yeux. Il avait bien essayé de lui intimer l’ordre de se détourner, autant afin d’offrir davantage d’intimité – toute relative – à Izan durant ses soins, que pour ne pas le choquer avec les manifestations de la douleur, jusque-là à peu près épargnées au gamin, d’un homme gravement blessé. Hélas, bien trop intrigué pour son propre bien, Blàs ne cessait de jeter des regards par-dessus son épaule, suivant, avide de connaissances, le moindre des gestes de son père, le plus petit tressaillement du soldat, tout cela sans qu’Ainhoa ne puisse l’en empêcher. Parfois, résister à son enfant était des plus compliqué, même pour la fille de Saraya, cédant rapidement aux insistances de son camarade tant que sa mère ne lui donnait pas d’ordres contraires. Au plus grand plaisir de Blàs.

Comment Izan s’arrangeait pour ne pas dévoiler l’étendue de sa douleur aux enfants, cela tenait du miracle.

Prenant garde à se montrer aussi délicat que possible, mal à l’aise avec ce genre d’exercice en dépit de sa connaissance absolue de la théorie, Juàn appliqua une généreuse couche de baume sur les griffures, vérifiant au passage qu’aucune autre saleté ne vienne s’amalgamer au mélange terriblement odorant (et encore, au cas où il aurait à s’en servir pour son fils, le brun avait-il fait en sorte qu’une fragrance citronnée soit ajoutée avant leur départ, afin de couvrir la senteur âcre originelle). À dire vrai, depuis la naissance de Blàs, il avait le fâcheux réflexe de demander à sa mentor de venir lui prêter main-forte chaque fois que le petit se blessait, même s’il ne s’agissait que d’une égratignure. Guère digne de sa réputation, marmonna-t-il pour lui-même.

Sous la pulpe de ses doigts, Izan se crispa violemment, serrant convulsivement ses avant-bras dans une vaine tentative de se consoler. Terriblement intrigué, Blàs tendit le cou en avant, son visage encore arrondi scrutateur. D’une tape amicale sur la main d’Ainhoa, il se dégagea de ses bras, la fillette hésitant franchement à le persuader de ne pas s’éloigner. Trottinant au niveau du soldat blessé, le garçonnet s’agenouilla lentement, ignorant le sifflement autoritaire de son père tentant de lui intimer l’ordre de retourner auprès de sa camarade. Rentrant la tête dans les épaules, craignant de se faire disputer, le petit désobéit néanmoins, entièrement concentré sur son compagnon de voyage. Doucement, en prenant mille précautions, il glissa sa petite menotte entre les doigts calleux de l’adulte, achevant de les recouvrir de son autre main. Imitant les gestes de son père, comprit ce dernier, une petite heure plus tôt, quand il avait aidé Izan à descendre de cheval, pressant sa main entre les siennes en guise d’encouragement.

Leur culture n’idolâtrait guère autant la famille royale que dans les Koyalsi, néanmoins Izan ne tarda guère à serrer compulsivement la petite main, reconnaissant, s’efforçant tant bien que mal de ne pas lui faire mal. Et dire que chez leurs ennemis (enfin, une partie d’entre eux…), poser les yeux sur un enfant de leur souverain, ou souveraine, était considéré comme un honneur infini en soi… Bien souvent, les régents ressentaient un attachement similaire à leur peuple. Telle était la force des Koyals, leur unité indéfectible entre membres d’un même pays. Enfin, jusqu’à ce que ces dernières années n’introduisent des dissonances que nul n’aurait cru possibles. Des rois bannissant leur enfant parce qu’il faisait montre de la même franchise brute que la totalité de son peuple, des souverains reniant tous les principes de valeurs et d’honneurs renversés de justesse avant une catastrophe, des Handroktasiaykins dégoûtés de leur propre famille fuyant pour rejoindre les Hildenerven, plus encore, étant heureux de renier les liens censés immuables les reliant à leur terre… Tant de choses impensables, et pourtant…

Nerveux, Juàn observa muettement son fils, désireux de repousser ces pensées qui, pour le moment, ne leur étaient guère utiles. Comme chaque fois, une bouffée de tendresse paternelle gonfla sa poitrine, un sourire naissant sur ses lèvres. Éclairé partiellement par la lueur du feu allumé un instant plus tôt par son père, entièrement concentré à prodiguer les attentions qu’il pouvait, hélas limitées en dépit de son jeune âge, qu’il lui semblait superbe, immatériel presque ! Ainsi, le garçonnet paraissait intouchable, inviolable, tel un sanctuaire sacré étant, par nul ne savait quelle grâce, descendu en ce monde afin d’éclaircir un avenir terriblement sombre. Son petit miracle à lui, un miracle qu’il n’attendait plus, sa chance de laisser un monde meilleur que celui trouvé en naissant… Que ses ennemis voulaient lui enlever, à tout prix. Eh bien, il ne les laisserait pas faire ! Il conduirait son petit en sécurité, dusse-t-il se frayer un chemin de sang et de cendres, cachant les yeux du garçon sous sa main gantée pour le protéger de ces horreurs.

À regret, il ne s’attarda guère, reprenant le fil de ses actions. Izan aussi, il le ramènerait, le remettrait sur pied, avant de lui octroyer un domaine en récompense de sa loyauté. Peu importeraient les protestations de Saraya, il lui assurerait une position à vie, ne serait-ce que pour lui prouver que celle-ci valait la peine d’être vécue !

Seulement, pour cela, il fallait achever de le soigner. Chaque fois que Juàn s’approchait de ses plaies, peu importait qu’il ne se contente que d’effleurer la zone alentour, les muscles du soldat se tendait en un même ensemble de nerfs à vif, lèvres mordues jusqu’au sang afin de contenir sa souffrance. Habitué aux batailles et aux plaies, toutes plus ignobles les unes que les autres, Juàn savait parfaitement que celle de l’homme se révélait des plus douloureuses, en particulier dans leur situation d’incertitude actuelle. Le moral détenait toujours des effets déterminants sur les blessés, et plus encore sur les troupes. Cependant, aussi impressionnantes soient les sillons gravés dans son corps, Izan n’aurait pas dû tant endurer. Même en prenant en compte la profondeur des griffures, trop important pour lui permettre de simplement recoudre les plaies.

Le pire fut d’ôter les écailles trop endommagées pour permettre la guérison : cassées net en leur milieu, elles détenaient la fâcheuse tendance de se plier coniquement, leur bord rendu acéré par l’irrégularité pénétrant au sein même des plaies. Heureusement, celles endommagées de la sorte tendaient à se détacher naturellement, laissant au soigneur l’unique tâche de les retirer une à une, prenant garde à ne pas empirer l’état du patient par une manipulation malvenue. Une chance, également, en dépit des douleurs du soldat. Sans la protection ébène accordée par la couche reptilienne recouvrant la moitié supérieure de son dos, se prolongeant de manière à recouvrir la colonne vertébrale jusqu’au bassin, ainsi que le dessous des biceps, Izan n’aurait probablement pas survécu à l’assaut de la monstruosité. Seule Saraya, victime d’une malformation congénitale, n’en détenait qu’une fine couche le long de sa colonne vertébrale, bien plus souple que celle de ses congénères.

Au moins, lors de leurs rares voyages parmi les Humains, les bras dénudés de l’escorte détournaient efficacement les soupçons. Enfin, sauf au beau milieu des steppes glacées. Néanmoins, Saraya avait juré de ne jamais mettre de manches longues, fière de sa particularité, et nul ne parvint à la faire changer d’avis. Même son mari, pourtant inquiet chaque fois que son épouse s’éloignait de lui, restait impuissant face à son caractère de bourrique.

De toute manière, des écailles ne pouvaient rien contre une foudre d’une telle ampleur. Une armure intégrale elle-même n’aurait rien pu faire contre pareille attaque.

Ne laissant rien paraître de son trouble aux enfants, Juàn s’exhorta au calme. La vieille femme avait la peau plus dure que toutes les armures de son peuple, et une ténacité mordante effrayant Kérès en personne depuis plus d’une soixantaine d’années. Ce n’était certainement pas aujourd’hui que les Limbes désireraient s’embarrasser d’un tel fardeau. Quant à Nerea, en dépit de sa moindre rudesse, elle figurait parmi les plus douées des filles de l’escorte, sans compter que cette dernière ne l’autoriserait jamais à se laisser mourir.

Se concentrer, se morigéna-t-il, essuyant ses doigts rendus graisseux sur un chiffon laissé à proximité.

Ne restait plus qu’à prendre un repos bien mérité, et espérer que les choses aillent mieux à son réveil.

Juàn tapota le flanc du soldat, attendant d’avoir attiré son attention pour glisser ses bras sous ses aisselles, l’aidant à s’asseoir difficilement, la main de Blàs ne lâchant pas un instant la sienne. Dans un équilibre précaire, il s’empara d’un épais bandage – si seulement il avait, dans sa bêtise, songé à le préparer avant de s’engager plus avant dans les soins, sûrement aurait-il moins nécessité de contorsions inutiles – calé au fin fond de sa sacoche de selle. Enfin en possession du Saint Graal, il cala le bout du tissu contre le flanc d’Izan, l’enroulant progressivement autour de son torse. Sur une idée d’Ainhoa, restée terriblement silencieuse depuis la disparition de sa famille, il proposa à Blàs de lui donner un coup de main, afin de progresser plus efficacement. Ravi d’aider véritablement, l’enfant hocha vigoureusement la tête, un bref sourire amusé ourlant les lèvres de la fillette, avant que celle-ci ne retombe dans son mutisme.

Peiné de la constater si isolée, Juàn se tourna vers son fils, tandis qu’il coinçait l’extrémité du bandage de manière à ce qu’il ne s’effiloche, ni ne s’échappe.

– Et si tu allais jouer un peu avec Ainhoa, avant d’aller dormir ?

Tout surpris, le garçon observa son père, interrogateur. C’était la première fois qu’on ne lui répétait pas de ne pas s’énerver juste avant d’aller se coucher. Blàs avait tendance à s’exciter copieusement, et très rapidement, avant de se retourner dans son lit sans arrêt en espérant trouver le sommeil. Puis filait dans la chambre de son père parce qu’il n’arrivait pas à dormir, jusqu’à ce que ce dernier soit assez réveillé pour lui lire une histoire, incapable à son tour de trouver le repos, occupé à s’assurer que nul ne viendrait tenter de lui arracher son enfant pendant son sommeil.

– Merci, papa, mais je n’ai pas très envie de jouer… murmura piteusement Blàs, fronçant les sourcils en constatant que non, il ne pouvait toujours pas tenter une feinte pour se blottir contre lui.

– Je vois ça, tu as l’air fracassé, mon cœur

– Oh non, je me sens capable de rester debout encore jusqu’à longtemps, déclara sentencieusement l’enfant, étouffant un bâillement dans sa manche.

– Je vois ça… Va au moins lui parler un peu, d’accord ? Tu veux bien faire ça pour moi ?

Inclinant la tête sur le côté, le garçonnet observa le duo formé par Juàn et Izan, avant de se retourner vers Ainhoa, silencieuse dans son coin de caverne.

– Ou bien, propose-lui de préparer votre coin dodo. Qu’en dis-tu ?

Sursautant brutalement, comme s’il réalisait qu’il s’agissait là d’une idée merveilleuse, Blàs lâcha enfin la main d’Izan. Juàn sentit la masse de l’homme s’affaisser brutalement sur elle-même, épuisé de jouer la comédie devant les enfants, tandis que le garçonnet trottinait, les yeux gonflés de fatigue en dépit de ses dénégations, pour se jeter plus qu’il ne s’assit près de sa camarade de vie préférée.

Rasséréné de constater qu’Ainhoa, plus sensée que son ami, éclatait de rire en se moquant gentiment de ses mensonges « de faux adulte », se redressant pour aider Blàs à installer leurs couches, Juàn écarta une dernière fois les onguents restants, empilés en désordre dans sa sacoche. La majorité de son contenu jonchait déjà le sol, au fur et à mesure qu’il ne parvenait à dénicher immédiatement les instruments nécessaires. Mettant, pour la première fois, rapidement la main sur l’objet de sa convoitise, il déboucha la petite fiole, pas plus grande que son index et guère beaucoup plus épaisse. Un antipoison général – le mieux qu’il détenait pour le moment. Priant pour que cela suffise à ralentir la progression du miasme courant dans les veines de son soldat, Juàn la lui tendit, ayant pris garde à retirer discrètement l’étiquette. Mieux valait éviter de l’affoler davantage, sa situation était suffisamment pénible comme cela.

– Tenez, buvez ça. Ça devrait vous aider à guérir.

– Guérir, répéta Izan brièvement, encore en train de reprendre son souffle.

Visiblement bien plus pessimiste que son seigneur, il n’émit pourtant aucun autre commentaire, se contentant de s’emparer du liquide ambré, l’avalant d’une traite. Tirant machinalement la langue, il rendit le flacon, vidé, à son propriétaire, une faible carnation rosée venant ajouter un peu de couleur à son teint pâle.

– J’ai conscience que ce n’est guère goûteux, s’excusa Juàn, rassemblant tout le bazar étalé par ses soins pour le ranger en vrac dans sa sacoche. Mais ça vous fera du bien.

– Si encore le poison figure parmi ceux traités par l’antidote, précisa Izan.

Se figeant, Juàn ne put s’empêcher d’ouvrir la bouche, dans une tentative de nier l’évidence. D’un geste las, Izan coupa net son éventuelle argumentation, observant les deux enfants se disputer pour savoir de quel côté ils iraient dormir. Les couvertures, entassées les unes sur les autres, démontrant clairement leur intention de partager le même lit. Admiratif de leur innocence, là où des adultes verraient l’ambiguïté d’une telle décision, Juàn hésita un instant à intervenir. Y renonça. La dispute n’avait guère l’air méchante, et puis, cela ajoutait un peu de vie dans une situation pénible à vivre pour deux petits. Si les décibels augmentaient trop, risquant de les faire repérer, il interviendrait, décida-t-il. Mais pas avant.

– Chaque fois que je me rends dans la famille de ma femme, j’avale un antipoison, à tout hasard, expliqua naturellement Izan devant son incompréhension, sans oser tourner le regard vers lui. Alors je reconnais plutôt bien son goût. Incomparable.

– Pourquoi continuer à leur rendre visite, alors ? s’étonna sincèrement Juàn.

– Ma femme les aime beaucoup, ça lui fait plaisir.

Incrédule, le brun chercha une trace de plaisanterie sur les traits tirés du soldat. En vain. Vaguement inquiet, en dépit de ses préoccupations première, il choisit finalement de ne pas insister. Plus tard, quand ils ne risqueraient plus de finir découpés en tranches de lard prêtes à cuire, il toucherait deux mots à l’homme concernant sa manie à tout accepter pourvu qu’on lui montre un peu d’attention. Mais pas maintenant.

Ôtant les boucles maintenant ses deux couvertures en place, il les déplia d’un coup sec, imitant les enfants quelques minutes plus tôt, les étalant soigneusement sur le sol gelé. Au moins le feu avait-il en partie réchauffé la pierre. Ou la terre, Juàn n’était pas encore parvenu à se décider, tant cette dernière démontrait un pouvoir de rigidification surprenant en présence de neige. Cessant enfin leur manège, les deux plus jeunes du groupe se glissaient prestement sous leurs propres couettes, la petite moue boudeuse de Blàs indiquant clairement sa défaite dans le duel l’opposant à Ainhoa.

– Papa, c’est quand que tu viens pour le bisou ? résonna la voix fluette de Blàs, presque incompréhensible tant elle était chuchotée, la peur d’être découverts revenant au galop maintenant que les esprits n’étaient plus occupés.

– Bientôt mon trésor, je termine avec Izan et j’arrive. Venez vous étendre ici, intima-t-il à l’intéressé.

Rapidement, le soldat fut étendu sur le flanc, refusant avec le peu de forces lui restant l’aide de Juàn, dans un reste de fierté à laquelle, il dut bien se l’avouer honteusement, il ne s’attendait pas. Néanmoins, Izan ne protesta pas quand il le recouvra autoritairement d’une seconde couverture, prenant garde à épargner le dos tout juste soigné. Certes, le bandage assurait déjà une certaine protection contre les frottements, mais mieux valait ne pas tenter Keres.

– Avec quoi allez-vous dormir, si je prends l’intégralité de vos affaires ? souffla le soldat, frissonnant.

– J’emploierai ma cape. Sans compter les tours de garde, durant lesquels je prendrai votre place, expliqua Juàn, sans avoir seulement l’once d’une intention de réveiller l’homme en plein sommeil réparateur.

S’assurant qu’Izan était positionné aussi près du feu que possible, il s’éloigna doucement vers le lit des enfants. C’était le mieux qu’il puisse faire pour le soldat. Impossible de lui prodiguer les soins dont il avait cruellement besoin sans rejoindre leur pays. Et pour cela, atteindre le Barran Yaär.

S’agenouillant auprès des enfants, il déposa un baiser sur le front de Blàs, les bras du garçon se nouant autour de son cou en une étreinte quémandeuse. Cédant rapidement, Juàn le souleva des couvertures, le calant un instant dans le creux de son coude. Se décalant précautionneusement, l’adulte glissa un bras atour des épaules d’Ainhoa, l’invitant d’une pression à les rejoindre. Le corps tendu à craquer, la fillette fit d’abord mine de ne rien remarquer, fixant les ombres de la grotte, devenues fantasmagorie indescriptible sous les assauts brûlants du margotin enflammé diffusant sa faible clarté. Abandonnant finalement sa façade d’indifférence, la petite châtain s’abandonna enfin, sautant dans les bras de l’adulte, dos tourné à Blàs, recroquevillée sur elle-même.

D’un regard, Juàn ordonna à son fils de n’émettre aucun commentaire. Y compris quand les sanglots silencieux secouèrent brutalement les épaules d’Ainhoa.

De longues minutes s’écoulèrent, lentement transformées en heures, les enfants finissant, malgré leur peur et l’angoisse nouant leurs entrailles, par céder à l’épuisement, avachis contre le torse de l’adulte n’esquissant pas un geste pour les repousser. Attendant la certitude que désormais, seul un boulet de canon pourrait réveiller les plus jeunes, Juàn fit enfin glisser Blàs sur le sol, regrettant instantanément le contact chaud du petit garçon contre lui. Resserrant sa prise sur Ainhoa, il fit le tour du lit improvisé, déposant tout aussi doucement la fillette sur sa place désignée, avant de recouvrir les deux enfants de leurs couvertures respectives, bataillant un moment pour comprendre précisément dans quel sens ils avaient pu les arranger.

Étouffant un bâillement avec le dos de sa main, il lutta un long moment, désireux de s’allonger auprès de son fils, plutôt que de retourner dans l’air glacé, près du feu, à guetter les alentours en priant pour que personne ne vienne les surprendre en plein repos. Après tout, il ne risquait pas tant que cela : avant d’accéder à la salle principale de la caverne, dans laquelle ils se trouvaient, il fallait parcourir un long tunnel de près d’une dizaine de mètres, plus étroit encore que l’endroit où ils se tenaient. Et par précaution, le groupe avait dîné de viande séchée, de pain et de fromage, afin de ne pas diffuser d’odeur de cuisson.

D’un autre côté, si eux avaient pu entrer, accompagnés de leurs chevaux, d’autres en avait également la capacité. Les braves bêtes profitant tout autant de leur repos bien mérité, bien que leur harnachement n’ait pas été retiré à l’exception des couvertures, et de la sacoche de secours pour Uli. Allongé contre le sol pour Jimen, dormant sur trois pattes pour ses camarades, avant que les rôles ne s’inversent à intervalles réguliers.

Résigné, il quitta les visages endormis des enfants, retournant s’installer près des flammes. D’une main, l’autre posée sur la garde de son épée, il remua les braises menaçant de se consumer du bout d’un tison, ravivant leur cœur presque mort déjà. Pourtant, il ne pouvait se permettre de le laisser s’éteindre. La chaleur leur était autant nécessaire qu’un repas consistant. Ou que les couches de vêtements les protégeant du froid.

Le geste de Juàn se suspendit machinalement. Plissant les sourcils, il se redressa, afin de s’assurer de ses suppositions. Non, il ne se trompait pas. Il ignorait si Izan l’avait réellement remarqué, néanmoins ses yeux restaient grands ouverts, écarquillés, allongé à présent sur le ventre, fixant les sillons de sa main posée près de sa tête. Secoué à intervalles réguliers de frissons brutaux, pâle, ses paupières papillonnaient presque frénétiquement, le souffle rapide, l’inquiétude voilant son regard sombre.

Craignant une poussée de fièvre malvenue, Juàn acheva rapidement sa tâche première, reportant son attention sur le soldat. L’apercevant enfin, Izan sursauta, grimaçant instantanément de douleur.

– Que vous arrive-t-il, Izan ? Vous me paraissez bien sombre, fit Juàn afin d’engager la conversation, posant une main sur l’épaule de l’homme tandis qu’il s’asseyait à ses côtés. J’ai conscience que la nuit n’est guère à la fête, mais ne craignez rien. Saraya et Nerea réunies feraient faire des cauchemars au plus enragé des Handroktasiaykins. Elles vont bien. Et elles nous rejoindront.

S’il décidait que finalement, la veille de l’homme n’était que le fruit de son inquiétude, Juàn abandonnerait tout aussi promptement sa tentative de discussion, la limitant au temps lui étant nécessaire pour décider. Néanmoins, s’il s’agissait réellement d’une infection se propageant, sur le point de l’amener au délire, se concentrer sur autre chose pourrait éventuellement l’aider à conserver sa lucidité.

– Je l’espère sincèrement, murmura doucement l’intéressé, le regard rivé sur les flammes dansantes du petit margotin encore fumant par endroits.

– Croyez-moi, je connais Saraya depuis suffisamment de temps pour en être certain. Et ses filles sont toutes de la même trempe. Combien en a-t-elle maintenant ?

– Il paraît… D’après Nerea, elles étaient quarante-trois l’hiver dernier.

Sincèrement admiratif, Juàn lâcha un petit sifflement, trop léger pour importuner les enfants. Perdu dans ses rêves, Blàs s’agita nerveusement, la joue contractée, accompagnant les retournements successifs de sa camarade.

– J’ignore comment Saraya peut toutes les élever avec le même amour, conclut-il, surveillant attentivement les deux enfants, imité par Izan. Continuez à garder espoir. Il est probable qu’elles se rendent elles aussi au Barran Yaär. Ou nous les rencontrerons en chemin, ou elles nous attendront bien calmement sur place, se moquant de la lenteur des hommes, en oubliant que nous avons avec nous deux enfants.

– Enfant, répéta sentencieusement Izan pour lui-même, comme une incantation dont il ignorait si elle serait, à la longue, maléfique ou bénéfique.

– C’est ce que j’ai dit, oui, confirma Juàn.

La fièvre provoquait-elle déjà le délire ?

– Pour les Koyals, les enfants sont leur bien le plus précieux, continua le soldat, perdu dans des pensées connues de lui seul. Rien n’est plus dangereux que de croiser une femme des Koyalsi enceinte. Ou, pire, un groupe de ses congénères l’accompagnant. Alors que les Dangarwill ont tendance à prendre les gosses pour des moyens de parvenir à leurs fins. Enfin, surtout les filles. En même temps, il ne naît que des filles dans leurs rangs depuis des siècles. Vous ne vous êtes jamais demandé comment elles parvenaient à concevoir des bébés, s’il n’y a aucun homme dans leurs rangs ? Et je ne parle pas de l’énigme Hildenerven.

– Eh bien… commença Juàn, incertain de comprendre l’objectif de l’homme.

– Peu importe, au fond, déclara finalement Izan, haussant les épaules. Ce qui compte, ce sont nos enfants, non ? Quand je vois comment vous aimez les vôtres en dépit de tout…

– Prenez garde, siffla Juàn, resserrant le poing sur son arme. Je peux parler de beaucoup avec vous, mais vous vous engagez sur un terrain dangereux. Je n’ai qu’un seul fils, et il s’agit de Blàs.

Passant une langue sèche sur ses lèvres craquelées, le soldat détourna le regard, balbutiant une série d’excuses si promptement qu’il n’en saisit pas la moitié. Se forçant à détendre ses bras raidis par la colère, Juàn inspira profondément, sans pour autant parvenir à lâcher la garde de son épée. D’un hochement de tête sec, il tenta de monter son absence de rancune, détendant très légèrement le soldat. Attristé, il constata que l’homme avait instinctivement levé les bras devant son visage, comme pour se protéger des coups.

– Ne paniquez pas, je ne vais pas vous frapper, assura-t-il spontanément. Je ne suis pas nos parents.

– Vous en avez pourtant toutes les raisons du monde, admit Izan, non sans jeter un rapide regard aux enfants afin de s’assurer de leur sommeil.

– Ne dites pas de bêtises, je ne suis pas vraiment d’humeur à les entendre, sauf votre respect, grimaça son vis-à-vis, tapotant le long de sa cuisse. Décidément, vous voilà bien pessimiste.

– Vous ne comprenez pas… Saraya a raison, je ne vous suis d’aucune utilité ! Et en plus de tout cela, je… Je suis un véritable moins que rien. Comment prouver sa valeur, quand, au fond de soi, ne réside qu’un vulgaire marais putride, guère seulement bon à engraisser les cochons ?!

– Reprenez-vous immédiatement, soldat, intervint Juàn, sans élever la voix, le pouce pointé en direction des enfants, désormais endormis l’un contre l’autre dans une tentative de se rassurer mutuellement. Cessez de vous dévalorisez de la sorte, jusque-là, nous avons réussi à nous en sortir, peu importe les obstacles. Mais je suppose que les attaques que nous subissons ne sont pas la véritable raison de votre réflexion soudaine, n’est-ce pas ?

Honteux de s’être si facilement retrouvé découvert, Izan baissa le nez, grattant distraitement sa barbe de dix jours. Pourtant habitué à la morosité fréquente de son soldat, couplée à une rêverie presque incessante étrangement repoussées impitoyablement chaque fois que le combat s’engageait, Juàn ne se rappela pas l’avoir déjà vu aussi… vidé. Pas seulement à cause de la fatigue provoquée par sa blessure. Vidé profondément, comme si l’essence même de son être se trouvait sucée par une entité invisible, fermement accrochée à ce qui composait le reste de substance épargnée par une vie au sein de laquelle l’homme ne parvenait à trouver sa place.

En dépit de ses quelques moments de fougue brutaux, parfois maladroits, le soldat retombait rapidement dans une sorte d’apathie imparfaite. Un fil tendu au-dessus du vide, auquel le jeune homme s’accrochait désespérément sans savoir pourquoi, juste parce que quelqu’un, tout le monde, répétait sans cesse à quel point la vie pouvait être importante, nécessaire. Pour la paire de jumeaux l’attendant à la maison, peut-être son épouse après tout. Mais sans ressentir le moindre désir intérieur de s’extirper véritablement de l’abîme le guettant avidement, n’attendant plus qu’une seconde d’inattention, d’abandon pour l’engloutir.

Chassant promptement son accès de colère, Juàn glissa avec maintes précautions un bras paternel autour des épaules de l’homme, prenant garde à ne pas frotter ses blessures. Peut-être avait-il cédé à ses sentiments en engageant Izan au sein de l’escorte – Saraya se serait bien moqué de sa personne si elle l’entendait, lui rabâchant une nouvelle fois sa théorie concernant la manie de Juàn à s’attacher aux personnes fragilisées.

D’accord, il résidait une part de vérité dans les déclarations de Saraya au sujet de l’homme.

Pour autant, aurait-il vraiment dû le repousser sous le seul prétexte qu’Izan « avait l’air » d’être fragile ?! Pas une fois il ne l’avait déçu, après tout, et Nerea se chargeait de regonfler l’orgueil malmené de son compagnon de route quand son esprit menaçait de vaciller. Plus encore, pourvu que Juàn montre un minimum d’intérêt pour son travail, voir se laissait aller à le féliciter chaleureusement, le soldat redoublait d’efforts, gagnant son droit de rester dans l’escorte en se démenant comme un beau diable. Malheureusement, Juàn restait conscient que cela ne suffirait pas : là où nombre de ses camarades atteignaient son niveau en produisant une poignée d’application sincère, Izan devait jeter toutes ses forces pour se maintenir à sa place actuelle. La raison pour laquelle Juàn savait qu’il ne pourrait jamais le faire monter en grade davantage, autant pour le bien de leur pays, que pour celui du soldat. Mais s’il pouvait juste lui offrir un peu de confiance, l’inciter à s’accrocher véritablement plutôt que de vivre pour ses enfants ou la bataille, alors Juàn estimait avoir eu raison de l’emmener avec eux.

Enfin, songea-t-il amèrement, observant les auréoles sombres s’étalant dans le dos de l’homme, pour le moment, Izan devait le maudire davantage qu’autre chose.

– Pourquoi ? souffla ce dernier, essuyant du revers du poignet la sueur coulant sur son front. Pourquoi vous continuez à me faire confiance alors que vous savez très bien que je ne suis pas quelqu’un de bien ?

– Contentez-vous de veiller sur les enfants à mes côtés jusqu’à notre retour au pays, répondit simplement Juàn, se redressant. Écoutez, je sais bien que nos statuts respectifs nous imposent une certaine distance, signe de respect mutuel. Néanmoins, au point où nous en sommes, pourquoi ne pas m’expliquer ce que vous avez sur le cœur ? Peut-être pourrai-je vous être de bon conseil ? Je vous promets que je ne le répéterai pas.

Parvenu près des deux bambins, Juàn réajusta les couvertures, encore en partie trempées par la longue chevauchée dans la poudreuse. Amorçant déjà son demi-tour habituel durant son sommeil, Ainhoa marmonna quelques galimatias incompréhensibles, pliée presque à quatre-vingt dix degrés, sans que cela ne paraisse affecter le sommeil de son compagnon. Par réflexe, il la décala lentement, une main glissée sous sa joue pour que son visage ne frotte guère contre le tissu, possiblement irritant à force de se démener, réajustant la position de la fillette. Bien sûr, cela ne servirait absolument à rien, puisqu’elle ne tarderait pas à se retourner une nouvelle fois, enfin, au moins gagnait-elle quelques minutes de sommeil un peu plus… classique.

Il admira un instant la tranquille sérénité des traits délicats, les évènements de la journée n’étendant guère leur emprise jusque dans son sommeil d’enfant, les membres totalement détendus en dépit de brèves contractions régulières. Quelle méthode Saraya pouvait-elle bien enseigner à ses filles pour leur permettre de garder un tel calme ?

Observant le visage crispé de son fils, Juàn sentit sa poitrine se serrer douloureusement. Oui, il aurait beaucoup donné pour le savoir, ne serait-ce que pour offrir un semblant de paix à son propre enfant. Se penchant sur le garçonnet, il remit en place quelques mèches rebelles, caressant du pouce la joue, chaude en dépit de l’air glacé, vaguement inquiet.

Gémissant doucement, Blàs remua frénétiquement, s’attirant un grognement ensommeillé de sa compagne de jeu. Déposant la paume sur la poitrine de son fils, Juàn massa machinalement la petite poitrine, attendant que les battements brutaux cognant contre la cage thoracique de Blàs s’apaisent tant bien que mal. Aurait-il dû laisser son enfant au sein des murs élevés de la forteresse les abritant, quand ils ne parcouraient guère les routes ? Quitte à l’entourer d’une escorte composée des meilleurs éléments, aussi fiable que possible. Était-ce uniquement une preuve d’égocentrisme paternel, méprisant le bien-être de son enfant au profit de son désir personnel de le garder auprès de lui ?

Entendant Blàs renifler dangereusement, Juàn ôta l’épaisse cape ornant ses épaules, la déployant en un éventail obscur sur le corps du garçon, examinant avec une minutie presque chirurgicale la blancheur faisant encore ressortir le jais de la chevelure bouclée. Pris de scrupules, l’homme se décala prudemment, s’arrangeant pour inclure Ainhoa dans l’épaisseur supplémentaire. Il ne manquait plus que Blàs tombe malade pour achever le tableau. Par Keres et les Limbes, qu’on lui laisse encore son fils pour de nombreuses années ! Qu’il ne le perde pas, il ne le supporterait pas !

– J’ai peur qu’il ne s’agisse de quelque chose que je dois régler seul, murmura finalement Izan, couvant avec émotion les enfants du regard, le regard scintillant de larmes difficilement contenues.

Sans un mot, Juàn devina qu’il songeait à ses propres jumeaux, restés au pays avec son épouse. Instinctivement, il comprit les émotions secouant le soldat, du moins partiellement. Déjà ignorait-il comment les hommes parvenaient à partir en campagne en laissant leurs enfants derrière eux, juste parce que leur souverain, ou leur capitaine, le leur ordonnait. Juàn savait pertinemment que, ces derniers temps, il négligeait particulièrement cette partie de ses devoirs. Depuis la naissance de Blàs, en réalité. Le champ de bataille, mener les troupes sur place, directement, au lieu de transmettre ses ordres à l’aide des télépathes ou des aigles voyageurs, voilà une réalité de l’existence qu’il avait totalement délaissée, préférant rester derrière les murailles, en permanence auprès de son fils, quitte à l’observer du haut des fenêtres quand il lui fallait s’occuper d’affaires d’adultes.

Le pire, en dépit de tout, étant sûrement qu’il n’en éprouvait aucun regret. Parfois des déceptions envers lui-même, certes, mais rien d’autre. Impossible de quitter son enfant pour des campagnes interminables, sans certitude de le retrouver vivant, en bonne santé, à son retour. L’idée que bientôt, il lui faudrait le laisser apprendre le maniement des armes, au risque de se retrouver blessé à l’entraînement, glaçait ses os.

Mais cette fois, sa lâcheté serait peut-être la pire erreur de sa vie, songea-t-il, la gorge nouée en observant son fils.

– L’infidélité des corps est toujours punie, d’une manière ou d’une autre, murmura soudainement Izan. Mais l’infidélité du cœur ? Est-ce que c’est davantage moralement condamnable, ou moins ? Ou tout autant ?

– Je crains de ne pas vous suivre, déclara lentement Juàn, pesant le poids de ses mots.

Même sans connaître exactement les troubles agitant son soldat, il devinait instinctivement l’importance que la question revêtait à ses yeux.

– Néanmoins, je dirai que cela dépend du contexte. C’est toujours bien triste que des couples se déchirent à cause de cela – dans le cas de cette « infidélité du cœur », je veux dire, comme c’est cela qui semble vous perturber davantage –, mais on ne choisit pas de tomber amoureux. Un cas bien complexe. Dois-je comprendre… Dois-je comprendre que vous n’aimez plus votre femme de la même manière qu’auparavant ?

Honteux, Izan serra les mâchoires, incapable de soutenir le regard de son seigneur.

– Pire. J’aime une autre femme, avoua-t-il enfin, les yeux rougis. Ça n’a aucun rapport avec la grossesse de Lina, au contraire, cela ne l’a rendu que plus belle, mais… Je n’ai rien vu venir, je…

Un raclement sec interrompit le soldat. Sautant sur ses pieds, Juàn tira son épée au clair, face à l’entrée de la caverne. Non, cela ne provenait pas de ce côté, plutôt de derrière eux à bien y réfléchir.

Juàn se retourna, Izan, repoussant les couvertures.

Rien, pas même la marque d’une quelconque présence hostile.

La glace, qui se tasse, sûrement…

– Je deviens trop nerveux, je suppose, marmonna-t-il pour lui-même.

– Faut-il réveiller les enfants ?

– Non. Mais restons sur nos gardes.

Vivement qu’ils quittent cet endroit confiné, et repartent à l’assaut des frimas. Tout valait mieux que l’attente interminable, sans véritable notion de temps, et sans savoir ce que manigançaient leurs ennemis.

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