Un lever de printemps

Chapitre 3 : Sombres perspectives

7475 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/05/2021 23:14

Sombres perspectives


Dépliant ses membres encore engourdis par la gelée matinale, Saraya se décida à jeter un coup d’œil à travers la petite fenêtre (tenant davantage de la lucarne, à la réflexion) de sa chambre, placée sur le mur opposé à la porte. Les montants, vernis dans un brun sombre, presque noir, contrastait étrangement avec la blancheur immaculée de l’extérieur. Tout d’abord, elle n’aperçut rien d’autre que cette clarté, où qu’elle posa ses iris d’argent, une brume fine s’étant levée de la couche de poudreuse jusqu’à recouvrir le paysage d’une chape trompeusement uniforme. Voilà qui promettait de longues heures d’errance, soupira-t-elle intérieurement, pressée de retrouver les hauts murs d’enceinte de sa patrie.

Non qu’elle se laissait gagner par le scepticisme presque cynique d’Izan, au contraire. Sa morosité poussait la vieille femme à faire montre de plus encore d’optimisme, comme pour contrecarrer les idées négatives de l’homme. Néanmoins, elle devait bien s’avouer que la longue randonnée passée à patauger dans la neige, serrant les dents en baissant le nez pour ne pas se faire fouetter par les rafales fréquentes, finissait par l’agacer à un point encore rarement atteint chez elle. D’autant que ses autres filles et son époux commençaient à sérieusement lui manquer. Et qu’il serait toujours plus aisé d’assurer la protection de Juàn et de Blàs en terrain connu, plutôt qu’ici, en pleines terres si déformées par les flocons qu’elles n’en étaient que traîtresses. Tout comme Juàn, pour sa part, s’impatientait de retourner au sein de son fief pour pouvoir continuer son œuvre de pacification (enfin, s’il était possible de l’appeler ainsi), conservant son fils à l’abri des éventuelles embuscades dressées sur leur chemin.

Décidément, il était temps que cette chevauchée prenne fin. Et encore, ne ressassait-elle pas les incessantes plaques de verglas ayant glissé du toit toute la nuit, l’empêchant de trouver un sommeil reposant.

Se détournant de son poste d’observation, Saraya acheva de nouer sa longue chevelure. Plus qu’à espérer que cette purée de pois se lève rapidement, ou cela risquait de compromettre leur départ… Si encore des adultes seuls composaient leur petit groupe, peut-être Juàn prendrait-il la décision de sauter malgré tout en selle, affrontant la poudreuse avec prudence, mais témérité. Avec deux enfants, aussi capables que pouvaient l’être Ainhoa et Blàs, il n’était même pas question d’y penser.

Enfin apprêtée, l’escorte tapota le bout de ses bottes contre le montant de son lit, constatant avec dépit que l’humidité permanente ne leur était guère favorable. S’il ne fallait pas les jeter immédiatement, une fois rentrée, elle aurait beaucoup de chance. Un bon point, cependant, d’avoir pu prendre un rapide bain chaud avant de descendre déjeuner. Cela délassait toujours ses muscles, et les petits auraient de quoi s’ébattre gaiement, bien que ce ne soit qu’un petit quart d’heure de répit avant de replonger dans le froid.

Saraya referma d’abord vigoureusement le battant, puis aussi doucement que possible dès qu’elle se rappela que certains dormeurs venaient peut-être tout juste d’émerger de leur couette, balayant le palier d’un regard circulaire afin de vérifier que personne ne tentait de l’espionner en se croyant invisible.

Ajustant le tissu encerclant ses épaules, elle boucla plus étroitement encore sa ceinture, regrettant de ne pouvoir faire disparaître sa masse comme Juàn dissimulait son épée dans les replis de sa cape ébène, doublée de bleu nuit en son intérieur. D’un autre côté, la lance de Nerea attirait bien plus les regards.

Non, justement, cela la contrariait encore davantage ; si quiconque s’avisait de lui chercher des noises…

Au pied de l’escalier grinçant – aucune chance de demeurer discret, avec pareil engin ; quoique, les Koyals, vêtus de leurs bottes à semelles souples, avaient le don de l’étonner en ce domaine –, elle fut accueillie par le cri joyeux d’Ainhoa, la fillette courant sans raison apparente d’un bout à l’autre de la pièce. Saraya la contempla, stupéfaite, se demandant bien quelle mouche avait pu la piquer, jusqu’à ce qu’elle remarque la présence de sa mère. Effectuant un dérapage presque contrôlé, s’appuyant d’une main contre le sol pour ne pas finir le nez contre les planches, Ainhoa s’appliqua à tourner habilement sur ses jambes, changeant complètement de direction pour filer se jeter dans les jambes de l’escorte.

– Bonjour, maman ! Est-ce que tu as bien dormi ? fit la fillette, entourant la taille noueuse de ses bras fins.

– Très bien, ma grande, et toi ? Rassure-moi, tu ne t’es pas encore retrouvée la tête à l’envers, ce matin ?

– Pas du tout ! Ça fait au moins trois nuits que je suis restée sur l’oreiller, affirma Ainhoa avec aplomb, sans voir Nerea, debout derrière elle, opiner négativement du chef à l’attention de Saraya.

– Si tu le dis… Dis-moi, qu’est-ce que tu faisais, à l’instant, à courir dans tous les sens ?

Devant le silence expectatif de la fillette, qui ne s’était visiblement pas posé question aussi triviale, Alan Rupert prit la parole, aussi surpris que Saraya une seconde auparavant, terminant de ramasser l’argent que Juàn lui tendait. Ce dernier, sourcils froncés, grommela contre le fait de n’avoir pas été averti que les box n’étaient pas compris dans le prix réclamé à l’avance. Heureusement, l’homme ignorait que Blàs, attendant que son père passe dans la salle de bain afin de se préparer pour la nuit, était venu trouver le gérant du refuge pour demander une double ration de foin pour son Pendragon. Un détail que l’aubergiste, cédant au regard suppliant du petit, avait promis de ne jamais révéler au père en question, quitte à passer pour un voleur. De l’avis de Juàn, Pendragon recevait déjà bien assez de récompenses, pour une carne empressée de tester sans arrêt les réflexes de son fils.

– Je lui ai demandé d’arrêter d’utiliser son arc comme une fronde, expliqua Alan, les yeux ronds, même si elle prétendait que cela la réchauffait. Alors elle s’est mise à courir un peu partout.

Se souvenant enfin de la raison de son agitation, Ainhoa approuva vigoureusement du chef, très fière d’elle, sans prêter attention à la méfiance croissante des deux autres types de la veille, attablés à l’écart. Sur la table la plus proche de la cheminée, évidemment, s’agaça intérieurement Saraya. Puis, remarquant qu’Alan quittait son comptoir, un large plateau couvert de bols pour le repas, Ainhoa ne tenta guère d’ajouter de détails, s’asseyant sagement à sa place, emmenant sa mère par la main.

Remarquant que Juàn, une fois les frais supplémentaires réglés, se fit servir son petit-déjeuner à l’autre bout de la table, requérant la place nécessaire pour déplier la carte ne le quittant que rarement, Saraya lâcha la main d’Ainhoa, lui commandant de rester bien sagement assise le temps qu’elle parte discuter. Déçue de ne pas pouvoir manger selon le schéma très élaboré conçu dans sa petite caboche, la fillette ne contesta cependant pas, se mettant à observer avec une attention constante le moindre des détails de la salle commune, s’interrogeant profondément sur l’utilité du trophée de chasse – un cerf aux traits figés dans une expression ressemblant désagréablement à une surprise confuse – mis en valeur au-dessus de l’une des cheminées. Cette petite réfléchit trop, conclut intérieurement Saraya. Un trait de caractère qu’elle s’efforçait de canaliser, tout comme son énergie débordante et souvent incompréhensible.

Saraya suspendit son pas, mimant un intérêt inexistant pour les fusils, suspendus par des crochets aussi larges que son poignet aux troncs de bois formant les murs. L’air d’avoir passé une nuit blanche, Izan ne se joignit pas au petit groupe, courbé sur un tabouret du comptoir. Frottant régulièrement ses paupières lourdes, le jeune homme se pencha sur ce qui semblait être son deuxième ou troisième bol de café, si elle se fiait à l’odeur parvenant jusqu’à ses narines. Enfermé dans un mutisme songeur, l’homme portait toutes les minutes la main à sa ceinture, comme regrettant l’absence de son bâton à ses côtés. Ne restait plus qu’à espérer qu’aucune de ses insinuations de la veille ne soit parvenue aux oreilles de ses compagnons ; par chance, si l’on exceptait la concentration des plus minutieuse de Juàn et la morosité d’Izan, rien ne paraissait avoir réellement changé depuis la veille, Ainhoa en particulier continuant à rire à la moindre plaisanterie de Nerea – ou de quiconque d’ailleurs. Peut-être n’était-il pas irrécupérable, au fond, la leçon intégrée ?

Certes, néanmoins des certitudes valait mieux que de douces suppositions, alors si elle trouvait comment…

En écho aux réflexions de sa mère, presque comme si elle lisait dans ses pensées, Nerea quitta son siège, tapotant machinalement la tête de sa sœur en lui recommandait d’être sage. Passant près de sa mère, elle se pencha vers elle dans une imitation d’étreinte affectueuse, lui murmurant à l’oreille :

– J’ignore ce qu’il a, mais je me charge de le pousser à avancer sans rechigner.

Pressant brièvement la jeune femme contre elle, Saraya la remercia silencieusement, satisfaite de la loyauté de sa fille à ses ordres. S’éloignant d’un pas à la fois gracieux et ferme, Nerea roula des épaules comme si elle s’apprêtait à gronder un mercenaire particulièrement réticent.

Et évidemment, hors de question de conserver la tresse, pourtant si pratique, que Saraya avait observée la nuit passée… Enfin, elle verrait bien l’erreur de son choix, quand le vent lui ramènerait ses cheveux en plein visage. Atteignant le comptoir, Nerea tapota l’épaule du soldat, celui-ci la dévisageant d’un air hébété, avant de réaliser qu’il ne rêvait effectivement pas. Se détendant finalement, Izan se laissa entraîner par l’assurance de sa compagne de route, terriblement enjouée d’un avenir qui se présentait glorieusement.

Pleinement confiante en les capacités de sa fille, Saraya se désintéressa de la petite scène, gagnant la portion de table sur laquelle Juàn, muni d’un étrange instrument ressemblant à un compas (était-ce un compas, au fait ? Bah, de toute façon, elle préférait se repérer au paysage pour trouver son chemin. Peu importait qu’elle ait affirmé le contraire avant le coucher, la veille ; il ne s’agissait que d’un cas exceptionnel), calculait la route qu’ils emprunteraient d’ici peu. Le front plissé de concentration, ses mains frémirent quand il entendit les bruits de pas de l’escorte, mais ne quitta pas un instant du regard la carte, écartant ses doigts pour prendre une mesure qu’il reporta rapidement sur le morceau de papier froissé.

Saraya ne se fia pas à son apparente immobilité ; l’homme l’avait repérée, mais, ne la considérant pas comme un danger, se contentait de rester à l’affût. Cependant, ses yeux sombres se rivèrent enfin sur elle, quand elle prit appui sur le chêne composant la large table de repas, s’asseyant sur le plateau en laissant ses jambes pendre dans le vide. Le tintement de deux verres cognés l’un contre l’autre résonna brièvement, les deux autres clients du refuge buvant à gorgées lentes, sans cesser de fixer les étrangers.

– Je suis surprise que Blàs ne soit pas déjà à s’accrocher au bas de ta tunique, commenta-t-elle sur le ton de la conversation.

– Il dort encore. Puisque le vacarme d’Ainhoa ne l’a pas réveillé, je me suis dit qu’il serait préférable de le laisser se reposer encore un peu, répondit l’homme sur le même ton.

Un petit sourire étira ses lèvres, alors qu’il dédaignait enfin sa carte, inclinant la tête sur le côté.

– Pourquoi, tu veux encore effectuer une de tes rondes ? Fais attention, tu finiras embrochée un de ces quatre.

Saraya soupira exagérément, toisant l’homme de la même manière qu’elle observait ses filles afin de leur faire comprendre la puérilité de leurs réflexions. Hélas, Juàn sembla se moquer éperdument de l’effet recherché, étirant longuement ses jambes tandis qu’il croisait les bras sur sa poitrine, moqueur.

– Toutes ces années n’ont pas été suffisantes pour te mettre un peu de plomb dans le crâne, décidément, constata Saraya, faussement désolée. À moins que le froid ne finisse par te geler les quelques connexions nerveuses qui se baladent sous ta satanée tignasse.

– Ne t’occupe pas de mes cheveux. Demande-toi plutôt pourquoi tu continues de garder tes bras nus, alors que la longueur de ta tunique s’est considérablement rallongée ? répondit Juàn, la bonne humeur le gagnant.

Le genre de remarque qu’elle attendait plutôt de la part des enfants – quant à interpréter cette réalité, eh bien, rien de ce qui lui venait à l’esprit n’avantageait Juàn. Elle devait pourtant admettre qu’en se levant, ce matin-là, et constatant l’épaisseur du voile immatériel du brouillard, elle s’était empressée de revêtir une tunique tombant jusqu’à ses genoux par-dessus son haut dépourvu de manches, enfoncé dans son pantalon, de la veille. Tout comme ses gants dépassaient à présent ses poignets. Simple mesure de précaution. Nerea elle-même avait opté pour une longue veste d’équitation d’un vert sombre, presque noir, fendue sur le côté pour lui permettre de chevaucher sans peine, ses bottes recouvrant ses mollets. Izan, lui, avait opté pour une cape de voyage plus épaisse, refusant catégoriquement de porter une quelconque tunique pour une raison échappant complètement à Saraya, le col montant protégeant en grande partie sa gorge.

Pour autant, rien ni personne ne la forcerait jamais à recouvrir ses bras de ces tissus ignobles ! Après, cela lui collait à la peau, et l’empêchait de respirer. De toute sa vie, peut-être avait-elle dérogé à cette règle une ou deux fois, bien avant la naissance de Juàn. Mais le brun trouverait cette réponse des plus futiles, bien sûr.

Aussi, adoptant une posture exagérément hautaine, rétorqua-t-elle avec assurance :

– Pour faire parler les imbéciles. Tu vois, cela fonctionne à merveille.

Un instant interdit, ne sachant si elle plaisantait ou se moquait réellement de sa personne, Juàn finit par éclater d’un rire sincère, grave et profond, résonnant contre les planches encaquées de la salle commune.

– Avec ça, si ton fils ne se réveille pas, c’est une véritable marmotte, déclara Saraya.

– Blàs est un gros dormeur, c’est vrai. Mais il a du mal à rester allongé seul trop longtemps. Je pense qu’il ne va pas tarder. Néanmoins, sache que ton intérêt envers mon garçon est des plus appréciables.

Au comptoir, les sons des voix de Nerea et Izan baissèrent significativement, un des hommes attablés à l’écart se rendant près d’Alan, de nouveau enfermé dans sa cuisine, probablement dans le but de préparer les consommations. Contrarié d’une telle interruption, Izan l’oublia instantanément dès qu’il se remit à discuter avec sa voisine, aucune trace de ses doutes de la nuit ne transparaissant sur son son visage.

Au moins savait-il garder la face, donc. Cela tiendrait, avec un peu de chance, jusqu’au retour.

– Nerea semble beaucoup s’intéresser à Izan, depuis notre départ, commenta Juàn, inscrivant une petite marque sur la carte au crayon. C’est étrange, elle ne s’est pourtant guère souciée de lui auparavant.

– Les longs voyages ont toujours tendance à rapprocher les individus, proposa Saraya, devinant la contrariété derrière cette réflexion apparemment innocente. Comme la guerre, bien souvent.

– Pour les Koyals, probablement. Leurs plus grandes amitiés se soldent dans l’honneur et les batailles, enfin, d’après leurs propres dires, quoi que cela signifie. Mais les combats sont davantage le lieu de trahisons ou d’élévation hiérarchique, pour notre part. Jamais un chef de régiment ne descendra au sein de simples soldats, dusse-t-il les commander, s’il n’y est pas expressément obligé.

– Que veux-tu dire par là, exactement ? Il ne s’agit guère d’affrontements, mais de deux personnes qui discutent.

– As-tu demandé à Nerea de surveiller Izan ? questionna Juàn de but-en-blanc, plongeant ses iris, sombres, dans ceux de celle qui l’accompagnait depuis des décennies désormais.

Saraya garda le silence, sondant brièvement l’homme. La contrariété, oui, elle avait vu juste.

– Tu as fait une erreur en l’engageant. Tes sentiments te porteront préjudice, tôt ou tard.

– Ainsi donc, c’était bien ça… Izan ne voudra jamais décevoir quelqu’un qui se soucie de lui sans que celle-ci n’en tire d’avantages apparents. Aussi, il devient plus facile à contrôler, c’est bien ça ?

– Je t’en prie, Juàn, ne prends pas la mouche aussi facilement. Tu exposes cela comme de sombres manipulations destinées à nous perdre. Il s’agit simplement de s’assurer que la faiblesse de ce garçon ne nous portera pas préjudice. Tu l’as entendu comme moi, cette nuit. Ne viens pas me seriner sur sa fiabilité.

– Il ne risque pas de faire ses preuves, si personne ne lui en laisse l’occasion, grinça Juàn, joignant les doigts devant lui dans une tentative de contrôler le début de colère montant en lui. Mes sentiments m’ont déjà mené à effectuer les mauvais choix, certes. Mais je ne suis plus un gamin de vingt ans, j’ai appris de mes erreurs. Il serait temps que tu apprennes à avoir un peu confiance en mon jugement ! (son bref éclat de voix fit tourner les têtes des trois hommes du refuge, la méfiance revenant s’installer sur leurs traits. Inspirant profondément, Juàn reprit, plus calmement.) Izan a des points faibles, c’est certain. Mais je lui confierai ma vie sans hésiter. Alors, même si j’éprouve le plus grand respect à ton égard, je te prierai de ne plus interférer dans mes décisions, que cela vienne de toi, ou d’une manière détournée par le biais de tes filles. J’abhorre ce genre de manipulation. Si même toi tu ne crois pas en mes décisions, alors que nous partageons nos existences depuis si longtemps, qui le fera ? C’est de ton soutien dont j’ai besoin.

– Tu l’as, pleinement. Je comprends ton point de vue, Juàn. Mais il ne s’agit pas que de toi. Pense à Blàs ; s’il avait entendu Izan critiquer tes démarches, comment crois-tu qu’il aurait réagi, petit comme il est ?

– Ne mêle pas mon fils à ça ! tonna Juàn, perdant son sang-froid, le poing frappant la table.

Tanguant dangereusement, le bol de bouillie et le pain assignés à l’homme manquèrent de peu se renverser, rattrapés de justesse avant que leur contenu ne s’éparpille sur la précieuse carte. Le silence tomba brutalement sur la salle commune, tous les regards se retrouvant braqués sur les deux silhouettes. Serrant les dents en pestant intérieurement contre l’emportement malvenu de son protégé, Saraya adressa un sourire rassurant à la plus jeune de ses filles. Voilà qui n’allait pas améliorer les dispositions d’esprit des locaux…

– Papa ? résonna une voix fluette, encore toute ensommeillée d’une nuit trop courte.

Sa colère retombant instantanément, Juàn pivota vers l’escalier, abandonnant les interrogations muettes pesant sur lui tandis qu’il quittait le banc. Bâillant à s’en décrocher la mâchoire, Blàs tendit les bras, son doudou en forme de crabe orange et safran, deux petites billes noires symbolisant les yeux, sous le bras. Il s’accrocha au coup de son père quand celui-ci le souleva de terre, l’enserrant de ses bras puissants.

– J’ai fait une bêtise ? demanda le petit, inquiet à l’idée que l’homme ait découvert son petit manège envers Pendragon.

– Du tout, ne t’inquiète pas, le rassura immédiatement Juàn, attrapant un bol et la corbeille de pain. Dépêche-toi de manger, nous partons dans une petite heure au plus tard.

Au minimum, aurait plutôt affirmé pour sa part Saraya. Blàs, tout juste levé, était encore recouvert de sa tenue de nuit. Le temps qu’il termine son petit-déjeuner, puis remonte s’habiller chaudement, en plus des cinq minutes obligatoires à batifoler avec Ainhoa, les trois-quarts du temps seraient facilement écoulés. Sans compter les chevaux à sortir, brosser, seller…

Définitivement, une heure paraissait bien juste.

Ravie de constater le réveil de son compagnon de jeu, Ainhoa oblitéra volontairement les recommandations de sa sœur aînée, embarquant les reliefs de son repas pour retourner s’installer auprès de Blàs. Ni Juàn, ni Saraya, ne lui fit cependant la moindre remarque. Ils s’attelaient à construire une amitié indéfectible entre les petits, alors aucun n’irait bêtement gâcher leurs efforts en empêchant les deux enfants de se retrouver. Surtout pour une histoire de rester à une place particulière.

– Bonjour, Blàs ! chantonna gaiement Ainhoa. Tu as bien dormi ?

– Nan, marmonna l’intéressé, presque grognon. La neige a fait plein de bruits, des gros crrr-crrr. Et puis, t’as fait un gros bruit quand tu t’es encore retournée !

– N’importe quoi. Je suis restée droite dans mon lit, cette nuit, protesta la fillette, indignée.

– Menteuse, même que t’as fait boum ! Même qu’il faisait noir ! Alors je n’ai pas fermé l’œil de toute la nuit !

Le nez d’Ainhoa se fripa un instant, accentuant encore les minuscules taches de rousseur parsemant ses pommettes, ne croyant pas un mot de ce que lui déclarait son compagnon de jeu. Puis elle éclata de rire, comme s’il venait de lui raconter une bonne blague, s’attirant l’incrédulité de Blàs qui hésita sérieusement à se caler plus étroitement dans les bras de son père, boudeur, afin de bien marquer sa protestation.

Finalement, le garçonnet décida que cela ne valait pas la peine qu’il s’y penche davantage, puisque de toute façon il avait raison et puis c’est tout. Grimpant sur la table en prenant appui sur les genoux de Juàn, il choisit soigneusement les quelques ingrédients qui constitueraient son petit-déjeuner, avant de sauter sur le sol, ses pieds seulement chaussés d’une épaisse paire de chaussettes (noires, à son grand dam, bien qu’il y ait cousu, avec l’aide d’Ainhoa, quelques bandes de couleurs désordonnées) battant le parquet tandis qu’il filait s’installer devant l’une des grandes cheminées, contemplant avec émerveillement les langues enflammées lécher la pierre, noircie par des années d’usage.

– Blàs, ne t’approche pas tant, tu vas finir par te brûler, commanda Juàn, se levant déjà à demi pour l’écarter.

– Bougez pas, j’y vais, claironna Ainhoa, dépassant précipitamment les adultes pour ne pas les laisser intervenir.

Se jetant plus qu’elle ne s’assit près de Blàs, la fillette glissa les bras sous ses aisselles, le reculant sans grand ménagement. Couinant de surprise, le garçonnet la toisa furieusement, crispant les doigts autour de son bol pour que son contenu ne se déverse pas sur le tapis d’un rouge vif.

– Un de ces jours, elle va me casser mon fils, balbutia Juàn, forçant un rire en totale contradiction avec la blancheur de ses traits.

– Mais non, c’est toi qui le traite comme une petite chose fragile, sourit Saraya, surveillant néanmoins étroitement Ainhoa, à tout hasard. Regarde, Blàs s’en amuse déjà.

Devinant le potentiel de jeu qu’une telle démonstration de force de sa compagne pouvait bien procurer, l’enfant avait déjà lâché son repas, laissant Ainhoa le traîner à travers toute la pièce en lui commandant d’accélérer, son crabinou pendant mollement au bout de son poing. Interrompus en pleine comparaison des bienfaits de vivre isolé du monde, plutôt que de se trouver entraînés dans le tourbillon d’une vie dans les hautes sphères, Izan et Nerea papillonnèrent des paupières, désespérés depuis longtemps de comprendre ce qui pouvait bien passer sous le crâne des enfants. L’homme contempla avec envie la nouvelle distraction tout juste créée, se demandant probablement si ce genre d’amusement plairait à ses jumeaux, plus tard.

– Nous reparlerons de tout cela plus tard, conclut Juàn, apaisé par l’intervention du petit.

– Au moins, leurs cinq minutes de jeu seront bouclées, comme cela, fit Saraya, plaquant une main sur son oreille gauche. Bon sang, ce qu’ils ont du coffre ces deux-là ! Plus sérieusement, revenons aux affaires urgentes. Tu as pu trouver une route détournée ?

Émettant un petit bruit de gorge en guise d’assentiment, Juàn lissa avec application les coins de la carte, mise à mal par l’escalade de Blàs un peu plus tôt. Récupérant la tambouille vide de Saraya, il la cala dans le coin supérieur droit, afin de l’empêcher de se rouler d’elle-même, répétant l’opération avec la petite sacoche qui ne quittait jamais, ou presque, sa ceinture, maintenant les coins inférieurs avec ses mains.

– Nous avons deux possibilités, expliqua-t-il patiemment, profitant des éclats des enfants pour s’assurer que personne ne puisse les écouter. Soit, comme je le disais hier soir, il nous suffit de contourner le col vers le sud (empoignant le compas – oui, ce devait bien être le nom de ce truc… –, Juàn tapota les reliefs d’encre au fur et à mesure de ses paroles), et nous traversons toute une autre étendue qui, chez nous, correspond plus ou moins aux plaines de Shol Aguma, puis remontons vers le nord-ouest pour retrouver à peu près la route menant au Barran Yaär. Ainsi, en utilisant les points de réflexion, nous aurons passage près de la Porte des Songes. La capitale ne sera plus qu’à une ou deux journées de cheval, et les lieux seront bien plus hospitaliers que ces étendues désertiques. Les enfants n’auront plus à craindre autant le froid.

– Cela nous fait un sacré détour, commenta Saraya, pinçant les lèvres. Avec cette poudreuse qui ne cesse de tomber, les rafales, nous en avons pour des heures. Au moins trois. Et je parierai davantage pour six.

– Je sais bien, d’autant que le terrain est traître, soupira Juàn, se laissant aller en arrière.

– Tu as dit « soit », remarqua Saraya. Est-ce que cela signifie que nous avons une autre possibilité.

– Éventuellement, répondit évasivement Juàn. (comprenant que l’escorte ne le quitterait pas avant d’en apprendre plus, il céda.) Eh bien, si jamais un… détail fait que le chemin est également bloqué, il existe une sente à travers la montagne, qui serpente entre le col qui nous bloque, et un autre un peu plus loin. Enfin, je ne suis pas certain que l’on puisse appeler ces monticules des montagnes, mais cela forme une succession de collines, en tout cas. Cela nous ferait suivre un chemin parallèle à celui prévu initialement. Je n’étais pas certain de cette possibilité, mais après vérification, je pense que c’est faisable. C’est plus court que le premier, mais au moins aussi dangereux. D’autant que certains endroits sont étroits, et d’autres, avec la neige et le verglas, potentiellement glissants. Je n’ai pas envie d’embarquer les enfants dans ce périple.

Suivant du bout du doigt le tracé, d’un violet pâli par le temps, Saraya étudia les deux propositions ainsi découvertes. Elle rejoignit rapidement l’avis de Juàn ; certes, le risque de se faire surprendre par la nuit, tombant bien vite en ces régions glacées, restait particulièrement élevé en empruntant un tel détour. Néanmoins, le second choix offrait bien trop d’endroits où tenter une embuscade. Dans les plaines, au moins, il ne serait guère difficile de voir approcher les ennemis. À moins que les crevasses ne fournissent une cachette suffisante pour les dissimuler à leurs regards ?!

– Va pour le détour, finit-elle par déclarer. Mais il ne faut pas tarder à se mettre en route, ou nous devrons accélérer la cadence pour ne pas devoir dormir en pleine nature.

Baissant la voix, elle ajouta, forçant Juàn à se pencher davantage vers elle en mimant se resservir un verre :

– C’est la dernière étape, et jusque-là les choses se sont presque trop bien déroulées.

– Tu oublies l’attaque alors que nous entrions dans, eh bien, à proximité des Terres de Clint.

– Oui, bon, comparé à ce que nous avons déjà connu, ce n’est pas si dramatique, tempéra-t-elle. Ce que je veux dire, c’est que nous devons à tout prix rejoindre notre pays. Les nouvelles sont assez inquiétantes pour que certains membres de trois des Familles Originelles envisagent la possibilité d’une trêve. Mais d’autres sont probablement prêts à tout pour nous empêcher de toucher au but.

Sur une idée d’Ainhoa, Blàs cria à la cantonade qu’il retournait dans sa chambre pour s’habiller, déclinant la proposition d’assistance de la fillette en déclarant être assez grand pour se débrouiller seul. De moins en moins enclins à subir les babillages de gamins, gâchant leur premier repas de la journée, les deux types de la veille se levèrent, observant les petits avec aménité. Avant de rencontrer le regard de Juàn, terrible, braqué sur eux comme la promesse de milliers de souffrances s’ils osaient critiquer, de quelque manière que ce soit, les enfants. Battant en retraite, ils passèrent leurs lourdes frusques d’hiver, quittant la structure principale du refuge dans un grognement amical, destiné à Alan Rupert.

Attendant que les humains soient hors de portée, Juàn reprit, sourcils froncés, se demandant si cela valait la peine de leur expliquer deux-trois petites choses en privé :

– Pourquoi tant d’avertissements, Saraya ? Cette histoire te travaille terriblement, dis-moi. Toi aussi, tu as ce mauvais pressentiment qui te tient les tripes ?

Elle ne répondit guère. Il n’y en avait nul besoin. Cette impression fugitive que quelque chose n’allait pas, ou tournerait mal dans très peu de temps, mais sans que l’on puisse déterminer d’où proviendrait le poignard qui finirait planté dans votre dos. De nombreuses fois, cela avait tiraillé Saraya, mettant ses nerfs à rude épreuve tandis qu’elle tentait tant bien que mal de déterminer quel fragment d’existence surveiller en particulier… pour se rendre compte que la réalité se situait ailleurs, parfois très loin de ce qu’elle avait imaginé. Aussi finit-elle par ne plus chercher à prévoir précisément ce qui arriverait, s’efforçant au contraire de parer au mieux toute éventualité. Néanmoins, si Juàn éprouvait la même sensation que l’escorte…

Appuyant son menton sur ses deux mains jointes, coudes sur la table, l’homme se perdit un instant, contemplant les derniers adultes du groupe, qui quittaient enfin le comptoir pour achever les préparatifs. Le regard voilé, le poids de son âge, de la disparition de sa semi-immortalité, de ses dons, parurent lui peser terriblement, comme si, en cette brumeuse matinée d’hiver, les pertes d’autrefois se faisaient davantage ressentir. Il dériva vers l’escalier, observant l’endroit où son fils avait disparu si joyeusement, à regret.

– Je m’en veux, souffla-t-il doucement. Autant les enfants ne comprennent pas encore tout ce que les notions de « paix » et de « guerre » impliquent, autant je m’en veux de leur faire croire à eux (du menton, il désigna Izan et Nerea, récupérant les bagages qu’il fallait harnacher aux chevaux) que nous œuvrons pour un futur dénué de batailles. Alors qu’en réalité, nous nous préparons à lutter contre bien pire.

– Il n’y a rien de mal à leur apporter un peu d’espoir, le contredit Saraya, compatissante.

– Si cet espoir n’est que du vent, oui.

– Je ne vois pas les choses de la même manière. La paix existe, et tu essaies réellement d’obtenir une trêve définitive avec les Familles Originelles. Et nombre de peuples, au passage. Mais plus encore, c’est pour la survie des nôtres que tu te bats. Et cela, c’est tout aussi noble.

– Cela ne change rien aux faits. Nous leur mentons, et rien ne nous garantit que nous réussirons. (Juàn inspira profondément, redressant le buste alors qu’il reprenait contact avec la réalité.) Cependant, même si ce n’est pas juste, nous faisons ce qui est nécessaire. Que cela soit cruel ou non. J’irai jusqu’au bout, si cela peut te rassurer.

– Je n’en avais pas besoin, assura l’escorte, descendant de son perchoir. Je n’en ai jamais douté. Contente-toi de nous mener à bon port et tout ira bien. Par contre, je crains fort que si personne ne surveille un peu plus les enfants, nous ne quitterons guère cet endroit.

– Ne t’inquiète pas pour ça, je ne me suis jamais perdu de ma vie, et je ne compte pas commencer maintenant. Mais je vais quand même voir ce que fait mon fils. Blàs est monté il y a plus d’un quart d’heure, déjà, constata Juàn, vérifiant ses dires sur la petite horloge murale, une horreur de plastique blanc, entourée d’une gangue craquelée par endroits.

Sans attendre de réponse, l’homme roula la carte, empilant le bol usagé avec d’autres, déposés en coin de table, avant de ranger son compas et les quelques crayons étalés çà et là dans sa sacoche, qu’il fixa à sa ceinture, une fine bande de cuir à peine visible tant sa couleur se trouvait proche de celle de sa veste. Maudissant son étourderie, Saraya marcha à grandes enjambées vers l’escalier, gravissant les marches quatre à quatre, récupérant sous son bras le sac allongé contenant ses affaires de voyage. Il aurait été tellement simple, après tout, de penser à le descendre dès sa première entrée dans la salle commune, qu’elle s’admonesta une gifle mentale. Claquant, cette fois définitivement, le battant derrière elle, l’escorte dut s’écarter promptement, Blàs et Ainhoa déboulant dans le couloir au moment où elle s’apprêtait à sortir du refuge afin de se rendre à l’écurie, dévalant les escaliers en babillant joyeusement. Leur emboîtant le pas, Saraya manqua leur crier de prendre garde à ne pas tomber, avant de se rappeler que cela ne changerait rien, de toute façon.

Quelques pas derrière eux, Juàn lui adressa un petit sourire en guise d’excuse, évoquant plus un gardien d’oies effarouchées qu’un cavalier prêt à affronter les frimas du blizzard. Au pied de l’escalier, la lumière se raréfiait significativement, Alan Rupert coupant les lampes électriques à mesure que l’aube se levait paresseusement. Les ombres de la salle commune s’allongèrent, comme pour s’emparer des voyageurs délaissant le confort de ses cheminées, les dernières bûches agonisant en attendant que le gérant garnisse de nouveau les antres de pierre. Par chance, le brouillard se dissipait enfin, ne laissant que de minces traînées, à la manière des filaments de moisissure recouvrant peu à peu les malheureux insectes tombant dans le piège de leur ignominie, prenant le contrôle de leur système nerveux jusqu’à les parasiter complètement, une fois leur victime réduite à l’impuissance la plus totale, simple réceptacle à leur développement.

Prenant le temps de ralentir, Saraya jeta furtivement un coup d’œil à travers la fenêtre, apercevant fugitivement le reflet d’Alan Rupert. Le soulagement de voir partir un tel groupe d’individus détendait l’ensemble de ses traits, alors qu’il sursautait chaque fois que Juàn, ou Nerea, franchissait les portes, partant récupérer une ou deux affaires oubliées soit par les enfants, soit délaissées par les adultes. Il ne restait plus qu’à espérer que le temps se maintienne, et que la route décidée par Juàn ne comporte guère trop de crevasses, et autres pièges nécessitant d’allonger encore le trajet.

Une bourrasque cueillit l’escorte, à peine eut-elle posé le pied hors de l’abri, s’engouffrant à toute force dans le moindre interstice mal resserré. Une volée de poudreuse s’envola, tourbillonnant une poignée de secondes dans le gel, fouettant impitoyablement Izan, qui tenait par la bride sa jument Alma et le hongre d’Ainhoa, Jimen. Marmonnant une aménité, malheureusement portée par le vent aux oreilles de tous, le soldat déglutit péniblement, esquivant les regards désapprobateurs ou amusés dirigés vers lui. Les joues déjà rougies par le froid, il tendit les rênes à la plus jeune des femmes, cette dernière mâchonnant ses lèvres avec application. Un tic fort dérangeant, la prenant toujours quand elle se trouvait obligée d’étaler une crème protectrice sur celles-ci. Une bonne intention, mais qui tombait rapidement à l’eau, avec une manie pareille. Pourtant, il n’y avait vraiment pas de quoi se plaindre : alors que les baumes de son pays étaient totalement transparents, elle avait déjà vu des contenus teintant les lèvres d’une nuance de blanc particulièrement repoussante chez les Humains.

Saraya s’avança à l’extrémité de la ligne formée par les chevaux, dûment sellés et chargés des bagages, préparés avec empressement par ses compagnons. Libérée de son fardeau, Ainhoa sauta souplement sur sa monture, Izan empoigna la lance de Nerea en attendant que la jeune femme se fut hissée à son tour en selle pour lui tendre son arme. Jouant à la perfection son rôle d’amitié auprès de lui, elle lui tapota la main en guise de remerciement, le soldat plantant son propre bâton en terre avant d’enfourcher Alma.

Promptement, mais avec un soin que seule conférait l’habitude, Juàn vérifia la solidité des sangles, la qualité du brossage des bêtes, avant de s’attaquer aux attaches de selle supportant les quelques bagages, et surtout les précieuses couvertures fixées aux troussequins, Blàs sur les talons. Le petit ne perdit pas une miette des vérifications de son père, tentant dans le même temps de ranger son doudou sans que quiconque ne le voit. Après tout, il détestait passer pour un bébé, et Ainhoa ne manquera pas de le taquiner, Saraya n’en douta pas une seconde. Bientôt, les quatre années de différence entre les enfants ne vaudraient guère plus qu’un moucheron dans un nid de renards, mais pour le moment, la fillette profitait joyeusement de ses privilèges d’aînée.

Juàn, posté devant Pendragon, glissa les mains autour de la taille de son fils, encore trop petit pour grimper sur le fier alezan sans qu’on lui tienne la jambe (l’homme revisitant à sa façon ce concept), ignorant le regard presque vexé de Nerea, tout comme il ne prêta pas attention à la déférence avec laquelle Izan le remercia de son attention. Saraya n’eut aucun mal à fixer ses affaires à la selle de Tinli, avant de monter à son tour, ne pouvant retenir un sourire quand Uli tenta un écart au moment exact où Juàn décollait le pied du sol. Saisissant fermement les rênes, ce dernier se força à détendre sa main, la jument renâclant farouchement. Un jour, l’escorte devrait bien trouver un moyen d’adoucir définitivement son contact…

– On rentre pour de bon à la maison ? questionna Blàs, enfouissant furtivement son crabinou sous sa cape.

– Normalement, oui, à condition de ne plus tarder. Comme hier, les enfants, vous restez bien entre nous. Izan, Nerea, vous formerez l’arrière-garde. Saraya, viens avec moi à l’avant, j’aurai peut-être besoin de ton acuité visuelle, commanda Juàn.

Pressant les mollets, il partit au pas, sonnant ainsi le départ de la colonne. Sorti du refuge, rassuré de constater que les drôles d’énergumènes s’éloignaient enfin de ses pénates, Alan Rupert scruta dubitativement l’obscurité encore épaisse de la nuit, seul le point du jour, loin devant les cavaliers, offrant un semblant de lueur jaunâtre pour les guider.

– Je suis ravi de vous avoir accueilli dans mon noble établissement, débita-t-il par pure politesse. J’espère que votre voyage ne sera pas trop rude. À propos, n’est-il pas encore tôt pour repartir dans le blizzard ? Vous n’allez rien voir, même si la brume s’est miraculeusement levée.

– Ne vous inquiétez pas pour l’obscurité, assura Nerea, lui adressant un sourire éblouissant, déstabilisant le gérant tandis qu’Izan se renfrogna au fond de sa salle. Nous savons nous débrouiller.

Une cabriole de Pendragon détournant l’attention de l’humain, la petite colonne en profita pour allonger le pas, Ainhoa s’escrimant à talonner Jimen. Le brave pie tourna la tête, l’observant d’un air surpris, avant de baisser l’encolure en soufflant exagérément des naseaux, daignant agrandir ses foulées.

La façade silencieuse du refuge rétrécissant promptement dans son dos, Saraya commença à scruter attentivement les alentours, tendue comme si elle devait débusquer une poignée de Dangarwill armées de leurs célèbres lances, des bâtons plus grands qu’elles et munis à leur extrémité d’une lame aussi longue qu’une épée courte de Handroktasiaykins. Les meilleures lancières de l’Univers, probablement.

En avançant à ce rythme, et s’autorisant quelques sessions de trot quand le terrain le permettrait, ils devraient arriver au Barran Yaär avant le retour de la nuit.


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Bonjour, ou Bonsoir!


Une nouvelle fois, ce chapitre a été corrigé par l'unique BakApple, que je remercie sincèrement! J'espère que ce chapitre vous aura plu: c'est le dernier qui peut être réellement qualifié d' "exposition", avant que tout ne change dans le prochain ;)


N'hésitez pas à laisser un commentaire pour donner votre impression, c'est toujours encourageant pour la suite!


Sur ce, bonne journée, ou soirée!




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