Fleurs de plumes

Chapitre 4 : L'Association

1701 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 15/11/2024 17:51

Le comptoir de l’Association se reconnaissait facilement. Un foisonnement de plantes grimpantes couvrait l’ensemble des murs et même une partie de la toiture, ce qui lui donnait l’apparence d’un buisson gigantesque qui aurait poussé en plein milieu du village. Ce rappel de la forêt où travaillaient les membres de l’Association était rendu encore plus vivant par des hologrammes de Fantasia : papillons, oiseaux et petits animaux arboricoles translucides semblaient habiter ces branches. En y regardant de plus près on pouvait voir, suspendus aux branches en question, les parchemins portant les sorts qui créaient cette faune fantomatique. Et aussi, signalant le domaine d’expertise de l’Association, des plumes de toutes tailles, assemblées en petits bouquets. De toutes tailles et de toutes les couleurs ; Fabrix prit le temps de faire le tour du bâtiment pour observer les différents colifichets. Il y trouva des plumes teintes, semblables à ce qu’il avait pu trouver à Caislean Merlin, mais il en remarqua quelques autres dont les fibres n’étaient pas raidies par la teinture. Fabrix en pinça doucement une : elle avait gardé toute sa souplesse et, de ce qu’il pouvait sentir, toutes ses vertus magiques. Il lui semblait même qu’elle avait une affinité avec le Fantasia nettement supérieure à celle des ordinaires plumes blanches. Fabrix sourit. Il avait trouvé ce qu’il cherchait.


Fabrix passa entre les deux boutures d’arbre à plumes qui encadraient la porte et pénétra dans le comptoir. L’intérieur était dans le même style que l’extérieur : plantes en pot ou poussant à même le sol de terre battue, papillons de Fantasia virevoltant dans l’air, bouquets de plumes diverses pendus au plafond. Mais la dimension commerciale de l’Association était aussi plus visible : des sacs de plumes et des fagots de bois rayé étaient disposés autour d’un bureau qu’occupait un homme svelte et grisonnant.

« Blien le blonjour, Monsieubl, blienvenue dans noble combloir. » Fabrix resta surpris un instant, moins par l’élocution peu commune de son interlocuteur que par la cause d’une telle prononciation : une ribambelle de bulles était sortie de sa bouche alors qu’il parlait. Les fragiles petites sphères s’envolèrent dans la pièce, et allèrent éclater en carillon sur les poutres.

« Ça sublend toujoubl la blemière fois, je saibl.

– En effet… Mais je trouve votre infection assez poétique.

– Blas toujoubl très blatique blour se faible comblendre. Et bla voble est encoble plus joblie, si je bluis me blermettre. Enfin, que bluis-je blour vous ?

– Merci de votre compliment. Eh bien, voyez-vous, je suis parcheminier, je viens de l’Artémis et je voudrais deux choses. Tout d’abord, refaire mon stock de matières premières, et ensuite en apprendre plus sur les plumes colorées qu’on trouve chez vous. Et peut-être vous en acheter, si le prix est raisonnable.

– Blour ce qui est des blumes blanches, noubl en avons blout un stockbl. Il blous suffit de me blire combien blous en bloulez. Nous ablons des tarifs blès avantableux. Mais blour les blumes coloblées, nous en ablons moins. Je bleux vous monbler nos réserbles, mais vous blouvez aussi blasser commanble. Nous ablons tout un choibl de coloblis. Blites-moi comblien de tembl vous resblez ici, et je vous blirai comblien nous blouvons en bleindre avant voble déparbl.

– C’est blès… euh, très intéressant, mais j’aimerais d’abord éclaircir un point. J’ai remarqué que vous disposiez de deux sortes de plumes colorées ici : les plumes teintes comme celles que l’on peut trouver à la capitale, mais également d’autres plumes qui semblent avoir été colorées par un processus différent. Ce sont ces dernières qui m’intéressent.

– Ah ! Je blois que blous avez bl’œil. Ces blumes-là sont bleaucoup blus rares, et nous ne les blendons blas.

– Comment ?

– Nous ne venblons blas ces blumes coloblées.

– Vous ne les vendez pas ?

– Blon. Ces blumes sont trop blécieuses pour être échanblées conble de bl’argent.

– Donc, si je comprends bien, ces plumes sont tellement rares que vous refusez de vous en séparer.

– Non, blous acceblons que bles gens partent avec quelbles blumes, blais nous n’acceblons pas d’argenbl en échanble. Si blous voublez vous en blocurer, blous devez vous renble au sièble : blils vous exbliqueront.

– Au sièble ?

– Blau siège.

– Mais n’est-ce pas ici le siège ?

– Blon, ici c’est le combloir. Le sièble est dans la Foblêt. »


Fabrix se sentit pâlir. Le siège de l’Association se trouvait dans la forêt ? C’était à la fois compréhensible, puisqu’ils récoltaient les plumes en son sein, mais aussi très surprenant étant donné le danger. L’idée de franchir l’orée de ces bois peuplés de monstres était loin de l’enchanter.

« Blallez voir bles gardes, lui dit le vendeur, ceux de bla tour bla blus proche blu viblage. Je blais les blévenir de voble arrivéebl. Bl’un d’enble eux vous guiblera jusqu’au sièble. »

L’enthousiasme de Fabrix était grandement retombé à l’idée de pénétrer dans la Forêt noire, la forêt des Némésis. Sa crainte des terribles créatures le disputait à sa fierté qui lui interdisait de se défiler, surtout qu’on lui proposait une escorte. Et vu que les membres de l’Association cueillaient souvent des plumes dans cette forêt, il devait y exister des itinéraires sécurisés. Mais une partie de lui s’inquiétait aussi de l’accueil qu’il pourrait recevoir. Que l’Association ait un relais et des refuges au sein de la forêt, soit, mais de là à installer le siège de l’organisation au milieu des Némésis… C’était louche. Il avait entendu dire que certaines régions reculées de Cyfandir avaient des traditions et des pratiques douteuse, et il craignait que le choc culturel ne soit violent, dans tous les sens du terme. Autant se montrer prudent.

« Je vais d’abord passer un coup de plume à l’Artémis, répondit le parcheminier, puis je m’y rendrai.

– Blès blien, je les bléviens. »

***


Fabrix était retourné à l’auberge. Là, dans la salle commune et en présence de Maître Ganelan, il avait contacté plusieurs de ses associés sur l’Artémis et les avait prévenus de son projet risqué. Il espérait que l’aubergiste ne manquerait pas d’en avertir l’ensemble du village, y compris l’Association. Surtout que Fabrix avait pris bien soin de mentionner plusieurs fois le nom de Master Lord Majesty sous-entendant qu’il le comptait parmi ses clients réguliers. Un mensonge indirect, certes, mais si l’Association voulait éviter un incident diplomatique, elle aurait désormais tout intérêt à garantir sa sécurité. Moins d’une demi-heure après, il atterrissait sur la tour de guet, se sentant un peu plus serein, ou plutôt un peu moins angoissé. À peine s’était-il posé sur la plate-forme qu’une femme s’avançait vers lui, remarquable par sa peau à pois pourpres.

« Bien le bonjour, vous devez être le parcheminier en quête de plumes colorées.

– En effet. Et vous êtes bien informée.

– Les étrangers ne sont pas légion ici, et Yvon m’a informé de votre projet. Je m’appelle Luthianne, garde forestière au service du Lord Arcoval.

– Fabrix Pétilaud, parcheminier artémisois.

– Je vais vous escorter jusqu’au siège de l’Association, Monsieur Pétilaud. Nous allons pour cela survoler la Forêt de Deuchainn jusqu’au plus bel arbre plumifère au monde. Êtes-vous prêt ? »

Non. Voilà ce que Fabrix brûlait de répondre alors qu’il sentait des pulsations sinistres émaner de la forêt juste en dessous de lui. Des Némésis, trop de Némésis. Il en avait déjà vu à l’Artémis, mais en vivarium. Une épaisse paroi de verre et des sceaux extrêmement puissants le séparaient alors de ces créatures. Mais ici, les bêtes formidables étaient juste dissimulées par quelques rameaux feuillus, qu’elles pourraient aisément traverser. Et il s’apprêtait à voler dans leur direction. Mais il ne pouvait quand même pas faire marche arrière maintenant… La "garde forestière" le regardait avec assurance : elle semblait sûre d’elle et de ses capacités. Le parcheminier soupira et hocha la tête, sans grand entrain. Luthianne lui sourit et tous deux enfourchèrent leur balai. Le « plus bel arbre plumifère au monde » avait intérêt à être à la hauteur de sa réputation.


Tout au long du trajet, Fabrix tâcha de rester loin au-dessus des cimes des arbres, guettant tout mouvement suspect sous le feuillage. Malgré toutes ses bonnes résolutions, il se crispait à la moindre brise agitant les branches. Il sentit même la panique monter à l’instant où il distingua quelque chose de noir et blanc émerger de la canopée, avant de réaliser qu’il s’agissait du faîte d’un arbre à plume.

« Il y en a un peu partout, disséminés à travers la forêt, lui expliqua la garde qui avait surpris son regard. L’Association en a répertorié plus d’une vingtaine de cette hauteur et les taille régulièrement pour récupérer plumes et bois. » Elle l’entraîna encore davantage vers l’intérieur de la forêt, jusqu’à arriver au-dessus d’une clairière, au centre de laquelle d’ostensibles frondaisons duveteuses émergeaient parmi le vert des feuilles ordinaires. Elle lui fit alors signe de descendre. Fabrix serra si fort le manche de son balai qu’il crut le fissurer, et plongea à son tour.

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