Les Psychonautes dans la B(o)u(c)lle Temporelle
Toujours un peu rebuté par le ton sec et autoritaire de son superviseur du jour, le jeune Aquato l’observa un instant partir vers sa zone avant de sauter prestement sur sa balle orangée et rouler vers S-2 à travers les sous-bois, esquivant machinalement branche et liane sur son chemin ; profitant de son élan, il bondit du surplomb caché par la végétation et s’accrocha aux branches des arbres en contrebas en une acrobatie maîtrisée. Sur une impulsion presque mécanique, il escalada rapidement le tronc à proximité pour prendre de la hauteur et faire une reconnaissance rapide des lieux.
Émergeant de la canopée, il jeta un œil au loin main en visière ; toujours rien dans le coin, que des reliefs rarement parcourus de parcelles boisées et dominés par un léger promontoire un peu plus loin, dans un calme presque parfaitement sus-
- …uuuh-AAAAAAAAAAH !
Crispant ses mains sur la cime de son sapin en surprise suite au cri (et sourd choc qui avait légèrement fait trembler l’arbre) en contrebas, Razputin mit un instant à se reprendre, avant de redescendre non sans prudence pour vérifier ce qu’il s’était passé ; émergeant des branches la tête en bas, il jeta un rapide coup d’œil alentour et remarqua deux jambes sortant d’un buisson juste à côté de son tronc, avant que le buste et la figure dépareillés de Norma ne s’en redressent, l’air de voir tourner une bonne dizaine d’étoiles.
- Euh, ça va Norma ? demanda avec une certaine inquiétude le garçon, quand même un peu dépité de voir sa casse-pied de camarade dans cet état.
La jeune fille se contenta de se tenir la tête une seconde, avant de retirer ses lunettes un instant et de la secouer (faisant voler quelques feuilles) avant de lever le nez vers lui en remettant hautainement ses verres en place :
- Ça irait, si tu m’avais prévenu du ravin avant que j’y tombe Agent Aquatastrophe !
- Hé, c’est pas moi qui ait foncé derrière mon camarade sans regarder où j’allais ni si je lui rentrais pas dedans au passage ! rétorqua l’enfant en croisant les bras (occasionnant un très bref regard étonné et admiratif de la demoiselle devant ses capacités d’acrobate).
- …Je t’ai pas rentré dedans, Razputin, répondit-elle un peu surprise comme si elle n’y croyait pas complètement elle-même.
- …Pas encore ! répliqua Raz après une hésitation, sentant néanmoins qu’elle avait-non, aurait fait ça à un moment donné.
(mais quand ?)
Réagissant dans l’immédiat malgré sa surprise alarmée, Razputin envoya à son tour plusieurs Tirs Psys sur l’homme venant de faire tomber Norma ayant tenté de se protéger d’un tir pyrokinétique ; glissant au sol, il se plaça entre elle et l’inconnu déjà caché derrière un comptoir, appelant frénétiquement tout agent à portée sur le canal télépathique du Mégalobe :
Alerte, intrus formé aux Tirs Psys au labo de Mentallis, Norma est à terre ! Je répète, intrus au labo, l'agent Natividad est à terre !
Ici Oléander en renfort, vous êtes blessés soldats ?
Non, mais on a besoin d’aide pour maîtriser l’intrus ! répondit l'agent Aquato en poussant Norma s’étant relevée vers le comptoir, son regard concentré vers l’endroit où s’était planqué l’inconnu.
Ici Nein, nous arrivons Agent Aquato et Natividad ! fit alors la voix de Sasha sur le fil mental. Restez à couvert et essayez de contenir l’individu !
Raz envoya un acquiescement télépathique juste quand l’intrus sortait de sa cachette pour tirer un projectile psy écarlate sur lui ; l’acrobate esquiva d’un saut de côté et profita de son visuel pour saisir d’une main télékinétique l’homme et le soulever de terre.
Ici l’agent Natividad, entendit alors l’enfant qui jeta un œil frénétique vers Norma derrière lui, une main à la tempe et sortie de son couvert pour contempler d’un regard suffisant l’individu attrapé, la situation est sous contrôle ! L’intrus est maîtrisé, et-
- Non Norma, s’écria tout haut le garçon à ces mots, dis pas encore ça-!
Un frisson le fit reporter son attention vers l’inconnu dans sa prise mentale, et il eut juste le temps de voir un Tir Psy se former sur le front de l’intrus avant qu’il ne soit tiré droit sur lui ; d’un réflexe tenant presque de l’instinct pur, Razputin fit un salto arrière en évitant l’assaut, gardant par miracle sa télékinésie pour empêcher l’homme de s’échapper. Se rétablissant au sol, il fixa l’inconnu pour se préparer à son prochain coup ; pendant un instant, il sembla que l’intrus ait décidé de se calmer, son regard noir allant d’un agent junior à l’autre ; mais la seconde d’après, ses yeux irrités se plantèrent sur la jeune fille, et un mauvais pressentiment saisit le garçon qui s’apprêta à tirer une balle mentale pour assommer l’individu avant qu’il ne tente quelque chose.
Mais une main rouge éthérée apparut juste au-dessus de la pyrokinésiste restée confuse, et sans même réfléchir l’agent Aquato fonça sur elle alors que la main s’abattait en un éclair :
- NORMA ATTENTION !
Le petit corps de l’enfant tacla juste à temps la psychonaute junior qui tomba au sol, pile quand la prise écarlate se refermait violemment sur le plus jeune agent. Raz sentit l’air être expulsé de ses poumons, et sous le choc relâcha sa propre télékinésie sur l’intrus. Reprenant son souffle comme il pouvait malgré la main qui enserrait ses bras contre ses flancs, le garçon se débattit en donnant des coups de pieds, essayant de se faire le plus difficile à contenir pour l’homme le maintenant prisonnier. Du coin de l’œil, il vit l’agent Natividad se redresser une main sur la tempe, prête à tirer ; mais un mouvement brusque lui fit tourner la tête tandis que la jeune fille apparaissait dans son champ de vision, son regard violet se décomposant de stupeur.
- Tire et c’est ton petit camarade qui trime, menaça l’inconnu en brandissant le corps de Razputin devant lui tel un bouclier humain.
Le garçon se débattit encore malgré le tournis, essayant sans succès de se retourner pour contre-attaquer d’un Tir Psy tandis que Norma gardait sa posture offensive sans pour autant réagir, probablement à cause de la prise en otage de son camarade. Raz lui jeta un regard désespéré pour l’inciter à agir, mais elle refusa d’un mouvement de tête alors que l’intrus se déplaçait lentement vers la sortie, prenant garde à toujours garder son bouclier non consentant entre lui et l’agent Natividad tout en resserrant sa prise sur l’enfant pour qu’il cesse ses gesticulations.
Sa poigne fit grimacer Razputin qui recroquevilla instinctivement ses jambes, tentant malgré tout de lutter pour ne pas laisser l’homme s’enfuir et surtout le garder prisonnier ; mais Norma n’osait toujours pas agir, visiblement prise entre empêcher l’intrus de partir et protéger son camarade autant de lui que d’elle-même. L’homme était pratiquement à la sortie de la pièce et toujours la jeune fille continuait de les suivre, son regard terni d’une panique et détresse bien peu habituelle chez elle ; ayant tenté une dernier fois de se retourner pour une attaque à distance, l’agent Aquato se tourna cette fois vers sa collègue et lui cria en dernier espoir :
- Arrête-le Norma ! T’occupes pas de moi, le laisse pas s’enfuir !
- Mais je-!
- Silence gamin ! hurla l’intrus en resserrant brusquement sa prise sur l’enfant, le faisant crier de douleur. Et toi reste tranquille ou je l’écrase comme un insecte !
Comme pour prouver sa menace, Raz se sentit violemment brandi vers sa camarade restée figée de panique ; au même moment, il entendit les portes coulissantes s’ouvrir derrière lui, et soudain l’expression affolée de Norma se teinta d’étonnement presque soulagé.
Une seconde plus tard, une puissante détonation retentit dans son dos, et Raz se sentit brusquement lâché et tomba au sol, se rattrapant de justesse des mains. Tandis que l’agent Natividad s’approchait de lui (probablement pour le couvrir), l’enfant se redressait et tournait la tête vers l’entrée, pour voir Sasha à la tête d’un groupe d’autres agents, une main à la tempe et une fureur irradiant de tout son être d’ordinaire si stoïque rivée vers l’inconnu ayant été projeté à travers la vitre du patio.
- Tout va bien, soldats ?
Es-tu blessé, Razputin ? demanda la voix mentale de l’agent Nein toujours focalisé sur l’intrus se relevant contre la machine qui commençait à fumer dangereusement.
- N… Non, je pense pas, grimaça l’enfant en massant ses bras et côtes et retenant un sifflement douloureux.
Il n’eut pas le temps d’en dire plus qu’une main rougeâtre fusa rageusement vers eux ; les agents avec Nein esquivèrent l’assaut, tandis que Oléander éleva un bouclier vert autour de lui et des agents juniors pour les protéger. Sasha riposta immédiatement d’un Tir Psy bleu vers l’inconnu, qui contra l’assaut de son propre projectile écarlate ; cependant les deux attaques produisirent une détonation qui obligea l’homme à s’écarter pour éviter le contre-coup beaucoup trop près de lui, lequel frappa de plein fouet la machine qui trembla et vrombit frénétiquement.
Protégé par le bouclier Psy du coach, Razputin leva néanmoins les bras face à l’aveuglante déflagration, distinguant difficilement dans la lumière la silhouette de l’intrus se redresser et se poster juste devant eux comme pour les viser, sa figure floue se détachant des étincelles et vagues de fumée inquiétantes de la machine qui s’emballait.
L’agent Aquato leva automatiquement la main dans sa direction, prêt à riposter à l’attaque qui suivrait bientôt ; l’énergie psychique et l’adrénaline traversèrent ensemble ses veines comme chaque fois qu’il usait de ses pouvoirs ; il sentit la familière sensation saisir ses tempes, ses iris verts dardés sur son but alors que la fumée psitanique se faisaient de plus en plus opaque et les vrombissements surchauffés de plus en plus violents ; ses muscles se tendirent à l’extrême, et en un éclat prismatique il relâcha l’influx psychique droit sur sa cible. Le temps s’étira presque à l’infini, les alentours se décolorèrent en une myriade de rais irisés, et le mouvement s’arrêta net dans le temps – quand soudain le boum infernal déchira le continuum e-!
Raz rouvrit instantanément les yeux, iris malachite brillant de choc rivés sur les motifs sinueux du bois de la caravane.
- Mirtala, va aider Dion à débarrasser ; et Queepie, je t’ai vu, n’essaye pas de prendre la part de ton frère ! Où est-il d’ailleurs ? Razputin ! Razputin, c’est l’heure de se l-Oh, te voilà Pootie !
- B’jour maman, fit Raz sortant tout juste de la caravane en saluant sa mère.
L’enfant s’attabla à la table du petit-déjeuner, prenant l’assiette que lui avait réservé Donatella tandis que son petit frère s’accoudait juste à côté de lui, ses grands yeux de bébé vert sapin lorgnant son plat :
- Tu m’en donnes un peu ?
- T’as déjà eu ta part, non ? répliqua avec un sourire amusé son grand frère, décalant son repas loin du regard envieux du petit dernier.
- Mais j’ai encore faim !
- Queepie, laisse ton frère tranquille et va t’entraîner avec ton père ! ordonna fermement leur mère, ce qui suffit à faire décamper le benjamin tandis qu’elle se retournait vers son fils cadet. Tu en as mis du temps pour te lever, Pootie, qu’est-ce qui t’a retenu ?
À moitié plongé dans son petit-déjeuner (qu’il ne mangeait qu’à peine d’ailleurs, étrangement), le garçon entendit à demi la question de sa mère et secoua brièvement la tête en reprenant ses esprits, touillant distraitement son assiette :
- Oh, euh… rien de particulier…
- Razputin, tu sais que chaque fois que tu mens, ça me rajoute quelques rides.
- Mais c’est vrai, je-! J’ai juste pas réussi à me réveiller, c’est tout…
- Même pas quand papa a renversé son petit-déjeuner par accident sur la tête de Dion et qu’il a hurlé qu’il arriverait jamais à le retirer de ses cheveux ? fit Mirtala avec un grand sourire en s’accoudant juste en face de son grand frère.
- J’étais surpris et puis j’ai pas crié si fort ! nia véhément l’intéressé depuis le baquet à vaisselle à l’autre bout du camp.
- Pas vrai et pis même je suis sûre que ça a réveillé Nona et Monsieur Bacon dans la Forêt Oubliée !
Raz retint difficilement un rire devant sa petite sœur tirant la langue à leur frère, qui semblait sur le point de leur jeter l’assiette qu’il nettoyait si leur mère ne les surveillait pas ; leur père finit de sonner son glas en commentant que c’était un sacré cri, faisant presque éclater de rire le fils cadet qui pouffa dans sa main pour éviter d’encore plus énerver son grand frère. Queepie qui s’exerçait à garder l’équilibre sur la tête de son papa jeta un regard innocemment intrigué vers Razputin :
- C’est bizarre que ça t’as pas réveillé, tu te bouchais les oreilles en dormant ?
Son grand frère tritura un instant son assiette, de nouveau plongé dans ses pensées, avant d’avouer à demi-mots :
- Ben… je crois qu’en fait j’étais un peu comme… empêtré dans un rêve vraiment très bizarre ?
- Un rêve ?
Leur père fit descendre son dernier-né de sa tête et se tourna vers son cadet, son regard violet froncé d’inquiétude :
- Tu as fait un cauchemar, Razputin ?
- Non ! …Je crois pas ? Enfin c’était plus comme un rêve vraiment très très étrange, genre il se passait plein de trucs dans tout les sens et c’était pas logique, mais c’était logique d’une certaine façon ?
- T’as encore lu le numéro 13 d’Histoires Psychiques avant de dormir, je parie, lança Frazie qui faisait ses étirements devant sa tente.
- Non ! Et puis j’ai pas rêvé de cerveaux volants qui tiraient des lasers ou de blobs extraterrestres ! protesta son petit frère en lui jetant un regard outré.
- Du calme, les enfants, intervint alors doucement leur père en levant des mains apaisantes, Frazie, ne taquine pas ton frère avec ses BD.
- Revues périodiques d’investigation !
- Avec ses revues périodiques d’investigation, corrigea son parent avec un sourire. Allez, préparez-vous pour les étirements du matin !
Obéissant à leur père, les cinq enfants terminèrent leurs corvées ou reprirent leur entraînement avec leur mère ; Raz quant à lui mangea rapidement son petit-déjeuner, n’ayant que peu de temps pour les exercices avant de devoir rejoindre le Mégalobe pour la mission du jour.
Quelques minutes plus tard, le jeune psychonaute junior quitta le campement familial, souhaitant bonne journée à ses proches en leur faisant de grands signes, promettant à Tala de jouer avec elle au trampoli-main à son retour. Enfin complètement seul avec ses pensées, le garçon ne put s’empêcher de les tourner vers l’étrange rêve de ces-hein quoi, non, cette nuit ; il avait du mal à s’en souvenir maintenant, et pour une raison inconnue cela le perturbait beaucoup…
Un soudain pressentiment saisit ses os, et d’un mouvement presque automatique il se retourna main à la tempe, arrêtant net une pomme de pin qui fusait dans sa direction. Poussant un soupir, il laissa retomber l’objet incriminé et se tourna blasé vers les arbres alentours, appelant à la cantonade vocale et mentale :
- Frazie, montre-toi, je sais que t’es là ! …Je vais dire à papa que tu m’envoie encore des pommes de pin dans la figure ! ajouta-t-il après réflexion.
Rapporteur ! s’écria dans sa tête la voix de sa grande sœur cachée quelque part dans les arbres, comme à son habitude.
- Et encore, je lui ai pas parlé de la fois où t’as renversé le baquet de lessive sur Dion parce qu’il avait oublié de nourrir Sucrette ! ricana d’un grand sourire son petit frère, mains sur les hanches.
Oh, là, tu me cherches frangin !
- Pourquoi tu m’espionnes, de tout façon ? répliqua l’enfant en haussant les bras, continuant de chercher dans les branches la présence de sa sœur.
Parce que tu veux pas nous dire ce qui va pas, accusa cette fois Frazie, un arrière ton d’inquiétude dans sa voix agacée.
- Mais parce que je vais bien ! C’était juste un rêve trop bizarre, t’en as jamais fait ou quoi ?
Alors pourquoi tu veux pas nous dire ce que t’y as vu ?
- Quoi, tu veux que je raconte à tout le monde que dans mon rêve t’étais tellement nulle en TK que tu passais ton temps à t’envoyer tes propres pommes de pin dans la tronche ? fit Raz d’un sourire moqueur.
Il ne pensait pas avoir rêvé de ça excatement, mais il n’avait pas pu résister à cette pique pour qu’elle lui lâche les baskets. L’effet fut immédiat, et sous la forme d’une autre pomme de pin qui vola tellement vite qu’il n’eut même pas le temps de la voir arriver avant qu’elle ne s’écrase contre sa tempe. Poussant un cri, Razputin se tint le visage en grimaçant sous la douleur, avant qu’il ne se torde cette fois sous la colère :
- Oh, là c’est trop ! Je vais le dire à papa !
Vas-y et je dis à Dion que t’as caché tes "revues périodiques" sous sa couchette~! minauda la voix télépathique de Frazie en s’éloignant autant physiquement que mentalement.
Raz s’arrêta en plein élan, jambe en l’air et poings serrés, avant de poser rageusement le pied par terre en poussant un cri de frustration devant la menace de sa grande sœur.
Ouaip, ça allait vraiment être une loooongue journée.
Filant à travers bois en évitant branche et liane sur sa route, Razputin profita de son élan sur sa lévi-balle pour décoller du surplomb sous la végétation et s’accrocher aux branches en contrebas d’un salto avant enfin parfait. Sans attendre Norma qui arriverait bientôt si elle l’avait suivi de près comme d’habitude (et en dépit du petit fond de sa conscience voulant l’avertir de l’obstacle), il sauta sur le tronc à proximité et monta jusqu’au sommet pour jeter un œil à la zone S-2. La main en visière, il ne repéra pas plus de choses étranges que d’habitude dans les reliefs aux parcelles boisées clairsemées et le promontoire surplombant la zone un peu plus loin. Peut-être en allant voir de beaucoup plus près parviendrait-il à repérer ce changement d’énergie psychique cette f-
- …yAAAAAH-!
Et quelque chose heurta son tronc, le faisant s’y accrocher en crainte réflexe d’en être désarçonné. Soupirant, il tourna néanmoins la tête vers le sol qu’il ne pouvait apercevoir d’ici, portant une main à la tempe en cherchant un éclat orangé dans tout le vert des feuilles en dessous :
Tout va bien, Norma ?
- Raz-? Pourquoi tu m’as encore pas prévenu qu’il y avait un trou là ! fit le ton outré de la jeune fille quelque part sous le feuillage.
Je suppose à ta voix que tu n’y es pas tombé pour ce coup, hein ? soupira mentalement son camarade, son regard vert blasé fouillant une dernière fois la masse de verdure avant de décider de descendre.
- Pas grâce à toi, Aquatastrophe.
Soupirant réellement cette fois, l’enfant glissa de son tronc, s’accrochant tête en bas avec les jambes à une branche hors de l’épais feuillage pour observer la scène, jetant un œil à la ronde… et tomber nez-à-nez avec le regard violet de Norma, à juste quelques centimètres.
Poussant un cri en manquant de perdre prise, Raz inspira un instant avant de pratiquement hurler sur la jeune fille celui d’après :
- Tu veux que j’ai une crise cardiaque ? Tu pourrais prévenir que je me casse pas la figure, au moins !
- Ça, c’est pour encore pas m’avoir prévenue pour le trou, Raz-caille, fit-elle les bras croisés.
- …OK, t’as pas tort pour ce coup, concéda l’enfant en pointant un index d’accord vers elle.
Quittant sa branche d’un léger salto retourné (juste devant sa camarade qui recula instinctivement d’un pas, impressionnée malgré son air se voulant impassible), le jeune agent invoqua sa lévi-balle pour se diriger vers le promontoire non loin, non sans glisser un "Fait attention aux racines juste avant l’orée" à la pyrokinésiste avant de reprendre la route.
Ils ne virent rien de particulier en dehors des émanations de psitanium ci et là, pas plus d’activité psychique étrange que d’ours télékinésistes dans la zone. Croisant les bras, Norma pencha la tête avant de faire mine de se retourner vers le lieu de rendez-vous :
- Bon, toujours rien dans le coin ; allons dire à l’agent Heinz que la zone est vide et rentrons à la base !
- …C’est pas certain, songea Razputin une main au menton en observant les caprinés broutant en contrebas. On devrait au moins essayer de demander aux chèvres s’il n’y a pas de truc bizarre, cette fois !
- Raz, c’est Sam la zoolinguiste, pas m-HÉ mais ! Qu’est-ce que tu fais ? s’écria la jeune fille alors qu’il sautait du promontoire en invoquant une bulle de pensée au vol.
Sans lui répondre davantage, l’enfant se laissa doucement choir au sol, son parachute mental éclatant juste à quelques douzaines de centimètres du sol légèrement marécageux tandis qu’il atterrissait souplement en contrebas. Sa camarade lui cria encore quelques fois de revenir pour faire leur rapport, sans que cela ne freine la course du garçon qui rejoignait le point d’eau un peu plus loin, avant qu’elle ne pousse un profond soupir exaspéré.
Razputin s’approcha des quelques chèvres se désaltérant à la petite mare, ralentissant à leur proximité pour ne pas les faire sursauter ou être pris pour un prédateur (même s’il avait compris que la plupart des animaux le voyaient comme une bête sanguinaire, aussi amical se montre-t-il envers eux) ; certaines des biquettes levèrent la tête à son arrivée, pour avoir un geste de recul apeuré.
- Non, non, non, tout va bien mesdames, fit le garçon en levant légèrement des mains apaisantes, je veux juste vous parler.
Si les cabris ne semblaient pas complètement rassurés, au moins ne s’enfuirent-ils pas plus. L’enfant se permit donc d’approcher encore un peu, essayant de se connecter mentalement aux bêtes malgré son très peu d’expérience avec la zoolépathie :
- Est-ce que vous avez vu quelque chose de bizarre par ici ? Que vous ne voyez pas normalement ?
Les chèvres continuèrent de ruminer leurs bêlements sans logique aux oreilles de Raz en se regardant mutuellement, avant que l’une d’entre elles ne fasse plusieurs mouvement de tête insistants dans sa direction. Il mit une seconde à comprendre ce qu’elle voulait lui faire comprendre et secoua la tête, un peu vexé :
- Non, non ! Avant moi, vous avez vu quelque chose ?
Elles se remirent à ruminer entre elles, mais déjà plusieurs d’entre elles secouaient la tête en bêlant bruyamment avec gravité. Le garçon soupira en affaissant les épaules, frustré que ses tentatives de renseignement ne fonctionnent pas plus que ça, avant qu’un mouvement de panique ne se fasse brutalement dans la petite troupe de caprinés ; soudain sur ses gardes, l’agent junior porta par habitude une main à la tempe et scruta frénétiquement les environs, prêt à répondre à la menace… avant de soupirer à demi en constatant que ce n’était que Norma qui l’avait suivi, accrochée à sa propre bulle de pensée marine portée par la brise alentour. La jeune fille atterrit non loin (un peu moins adroitement que lui cependant) et redressa ses lunettes, une main sur les hanches d’un air agacé :
- Alors Agent Aquato, tu pars encore tout seul ? fit-elle sarcastiquement.
- C’est toi qui avait suggéré d’interroger les chèvres, je te rappelle, répliqua son camarade avec un rictus.
- J’ai pas-!
- Attendez, partez pas ! cria l’agent Aquato aux caprinés qui déjà se dispersaient suite à l’arrivée de Norma.
Mais malgré les demandes de Razputin, les biquettes s’éloignaient du point d’eau et des deux psychonautes juniors, au grand dam du garçon qui baissait les bras dépité de leur fuite.
Mais alors qu’elles sautaient au loin, une des caprinés s’arrêta un instant pour bêler intensément en direction des humains dans leur zone, attirant l‘attention de l’enfant qui se redressa, un sourcil intrigué. La chèvre bêla à nouveau, sans qu’il n’y comprenne rien de plus faute de zoolépathie compétente :
- Tu comprends quelque chose ? osa-t-il demander d’un rapide coup d’œil vers sa collègue.
- J’ai l’air de m’appeler Boole ? répliqua pince-sans-rire la pyrokinésiste en haussant un sourcil.
L’acrobate lui lança son propre regard blasé avant de le retourner vers la biquette qui toujours chevrotait avec insistance dans leur direction ; les deux psychonautes juniors froncèrent les sourcils à cette espèce d’avertissement qu’ils ne pouvaient comprendre malgré toute leur meilleure connexion mentale, tandis que la capriné continuait de bêler.
Puis elle s‘arrêta et secoua plusieurs fois la tête dans une direction précise, avant de la tourner à nouveau vers eux.
- …Tu as vu quelque chose de bizarre partir dans cette direction ? avança Raz en pointant dans la même direction qu’indiquée.
Pour toute réponse, la biquette bêla une nouvelle fois, encore plus fort qu’avant, et cette fois-ci le psychonaute crut presque percevoir une sensation d’acquiescement derrière le cri chevrotant avant que le capriné ne saute de son perchoir pour aller gambader plus loin avec ses compères, laissant là les deux agents juniors au milieu de la plaine semi-désertée. Razputin la regarda s’éloigner un moment, avant de se tourner vers Norma restée elle aussi à les fixer interloquée :
- On va jeter un œil à ce qu’il y avait là-bas ?
- Pourquoi, tu crois qu’une chèvre a comme par hasard déniché ce qui perturbait l’énergie psychique du coin ? fit-elle en haussant un sourcil sarcastique.
- Crois ce que tu veux, moi je vais vérifier proprement que y’ai rien de suspect ! répliqua l’enfant en s’avançant prudemment dans la tourbière vers l’endroit indiqué.
Sa camarade roula des yeux au ciel, avant de le suivre sur une lévi-balle pour éviter plus facilement les trous et aspérités du sol. Le duo arriva bientôt à l’orée d’une autre aire boisée dans la zone S-2, dans laquelle ils hésitèrent à s’engager du fait qu’ils étaient déjà bien éloignés de leur point de rendez-vous avec l’agent Heinz ; mais des traces au sol et des branches cassées remarquées par Norma leur indiqua que quelque chose était bien passé par ici, et ils pénétrèrent dans la mince forêt.
Les deux psychonautes juniors progressèrent à travers bois, notant de temps à autres d’autres traces du passage de l’individu (qui était bel et bien un individu au vu des empreintes de chaussure) s’étant introduit dans le périmètre sécurisé ; jusqu’à ce qu’ils parviennent après une pseudo randonnée de plusieurs minutes à travers arbres et reliefs à un point en hauteur à demi boisé. Raz écarta les branches qui lui bouchaient la vue sur les environs, et se figea. Norma, un peu en arrière par manque d’exercice, arriva à proximité en râlant de cet arrêt soudain. Puis elle vit le regard inquiet de son camarade et le rejoignit alors qu’il lui montrait sans un mot ce qu’il voyait, avant d’ouvrir comme lui des yeux concernés : ils étaient arrivés à la carrière, pile au-dessus du lac et le QG bien en vue à leur droite.
Les deux agents s’échangèrent un regard préoccupé, puis hochèrent sans un mot la tête de concert et se dirigèrent vers le quartier général des Psychonautes, Norma levant une main à la tempe pour alerter Hollis de la très probable présence d’un intrus sur les lieux du Mégalobe.
L’agent Aquato jaillit du conduit porté par la bulle de pensée invoquée en avance, plana au-delà du petit surplomb en dépassant Norma qui visiblement l’attendait là et atterrit au bas du promontoire avant de se diriger sans autre forme de procès vers la zone S-2 pour commencer l’inspection sans plus tarder… Enfin, si le raclement intempestif et la voix bourrue de l’agent Heinz ne l’avait pas retenu.
- Puis-je savoir pourquoi vous êtes si pressés d’aller faire une balade, Agent Aquato ?
Le garçon s’arrêta jambe en l’air, avant de se retourner un peu gêné vers son superviseur du jour, un demi sourire maladroit faisant grimacer son visage :
- Euh, j’allais inspecter la zone S-2 comme c’était prévu ?
Au vu du sourcil haussé de son supérieur, il y avait comme une erreur de communication quelque part, alors que l’adulte maugréait en activant quelque chose sur sa tablette :
- J’ignore qui vous a donné cet ordre spécifique, Agent Aquato, mais aussi juste soit-il, vous n’avez pas à partir ni prendre l’initiative avant qu’un agent vétéran vous y autorise.
Razputin reposa le pied au sol et renfrogna sa tête dans les épaules, raide, avant de revenir auprès de l’agent Heinz d’un pas légèrement piétinant tandis que Norma s’approchait à son tour, narquoise :
- Ne faites pas attention, Agent Heinz, l’agent Aquato a encore beaucoup à apprendre de ses supérieurs.
Dit celle qui a signalé qu’on avait une situation sous contrôle juste avant de se faire pratiquement prendre en otage, lui fit télépathiquement le psychonaute junior en jetant un regard blasé vers sa camarade junior.
Mais de quoi tu parles ? fit en réponse la pyrokinésiste en levant un sourcil à demi-confus vers lui.
Raz leva un index pour répliquer quand la voix de leur supérieur le coupa dans son élan :
- En dépit de son empressement peu bienvenu, l’agent Aquato a eu une correcte intuition : vous allez devoir inspecter la Zone S-2. Je pense ne pas devoir à vous expliquer pourquoi je dois me charger de S-1 ni ce que vous devez faire une fois votre patrouille terminée, n’est-ce pas Agents Aquato et Natividad ?
L’enfant se contenta d’un hochement de tête, sa camarade étant plus vocale malgré la surprise subsistant à sa dernière remarque. L’agent Heinz prit leur réponse en compte et partit vers sa destination après quelques bidouillages sur son appareil, et les deux psychonautes juniors prirent la direction de leur propre zone d’inspection ; tandis qu’il sautait sur une lévi-balle pour rejoindre rapidement les lieux, Norma se tourna vers Razputin, un éclat interrogateur dans ses yeux malgré leur inimitié habituelle :
- Pourquoi tu dis que j’ai été dans une situation où j’aurai été prise en otage alors que j’avais signalé que tout était sous contrôle ?
- Ben parce que c’est ce qui s’est passé, non ? répliqua Raz en haussant brièvement les épaules.
Sa camarade sembla vouloir faire une réplique acerbe comme d’habitude, mais au lieu de cela détourna le regard dans le vide, sourcils froncés comme essayant de réfléchir à cette remarque, avant de murmurer, peut-être plus pour elle-même :
- J’ai pas vraiment l’impression que ça soit réellement arrivé avant…
Emporté par sa bulle de pensée, Raz jaillit de l’ascenseur et atterrit comme toujours avec souplesse dans l’Atrium. Ignorant la voix de l’agent Mentallis vantant ses tout nouveaux produits depuis l’Otto-matique et les psychonautes pas plus inquiets malgré les patrouilles récentes, il traversa d’une traite les lieux jusqu’au Centre Névralgique, déboulant dans la salle de contrôle où il le savait attendaient ses collègues vétéran autour de la table de réunion :
- Qu’est-ce qu’on a cette fois ?
La Chef en second debout à l’écran central haussa un sourcil circonspect vers lui à cette remarque, le faisant rapetisser sur place :
- D’où vous vient cette remarque, Agent Aquato ?
- Je veux dire, si on a une réunion ce matin après toutes les patrouilles faites hier, c’est qu’il y a du nouveau non ?
- …C’est une conclusion logique, admit Hollis, mais j’éviterai d’en faire de si hâtives à l’avenir, Razputin.
L’enfant acquiesça, sachant qu’elle avait raison de le recadrer malgré son pressentiment suite aux derniers évènements, et alla s’asseoir avec les autres agents tandis qu’elle affichait des hologrammes du périmètre du Mégalobe.
- Bien, comme l’a correctement supposé l’agent Aquato, nous avons eu des pics d’activité psychiques anormales autour de la zone du quartier général ; il est probable que cela soit dû à une E.P.I., mais nous n’avons pas encore pu déterminer si elle était d’origine sauvage ou humaine.
- Pouvons-nous déjà parler d’E.P.I. si nous ne savons pas encore ce qui provoque ces pics ? avança non sans une certaine incrédulité l’agent Nein.
- T’as oublié que le psitanium ça pousse pas comme ça sur les arbres, Nein ? répliqua le coach d’un rire amusé.
L’intéressé se contenta de lui adresser un regard non amusé, tandis que leur supérieur sortait des fiches holographiques pour les consulter :
- Bien, étant donné que nous ignorons encore l’origine de cette activité suspecte et que nous avons besoin de toute l’aide nécessaire, vous irez chacun assister un agent de surveillance pour patrouiller leur zone ; je vais également demander aux agents juniors disponibles de venir en renfort.
- Agent Forsythe, je peux ne pas être avec Norma aujourd’hui ?
Pour la deuxième fois (et première fois pour les autres agents vétérans), Hollis leva un sourcil perplexe à la remarque de Raz qui tritura nerveusement le bord du bureau :
- Je veux dire, à moins qu’il n’y ait vraiment aucun autre agent junior qui puisse me rejoindre, est-ce qu’on peut juste cette fois ne pas me mettre avec l’agent Norma Natividad ? Notre travail d’équipe est pas très… efficace, bredouilla l’enfant en baissant les yeux avec gêne.
- …J’entends votre demande, Agent Aquato, mais à moins d’un résultat proprement catastrophique, il me semble que la meilleure façon d’améliorer votre coopération avec l’agent Natividad soit justement de travailler avec elle, n’est-ce pas ?
Le garçon soupira en s’affaissant dans son siège, murmurant un acquiescement résigné alors que leur supérieure retournait assigner les agents à leurs collègues, avant que Sasha ne se lève de son siège en hochant la tête :
- Je vais rejoindre l’agent Iggrek à la zone E-1.
- Pardon ? fit Hollis en dardant un regard extrêmement surpris vers l’agent Nein.
- N’est-ce pas la zone et l’agent qui m’ont été assignés ? répondit simplement ce dernier en arrêtant son geste à mi-course.
- …Agent Nein, est-ce que vous avez lu mes pensées ?
- …Non…
- Alors comment avez-vous su avant que je ne le dise ?
L’agent Nein eut subitement l’air très perdu, ce qui était d’une rareté extrême chez lui. Semblant contempler le plan parfaitement lisse de la table devant lui, il resta muet alors que l’agent Forsythe semblait attendre de pied ferme une explication de sa part ; et enfin, après avoir échangé un regard (et probablement une discussion télépathique avec sa partenaire), l’agent vedette des Histoires Psychiques releva la tête d’un perplexe mais sincère :
- Je n’en ai pas la moindre idée, Hollis.
L’intéressé fronça les sourcils, visiblement peu satisfaite de sa réponse mais sans pour autant s’en offusquer, avant de porter une main à la tempe et de secouer la tête en soupirant faiblement :
- Peu importe : l’agent Iggrek vient justement de me signaler qu’il avait repéré une activité suspecte dans sa zone. Faites-moi un rapport en direct.
L’agent vétéran acquiesça d’un mouvement de tête et se retira, non sans avoir reçu une remarque presque jalouse du coach qui se demandait si leur collègue n’avait soudainement pas développé des dons de prescience ; au déni platement incisif de ce dernier et à l’interrogation de Razputin, qui étrangement se sentait comme pris dans une sorte de déjà-vu.
(Ou de pressentiment ?)
- Razputin !
Sans surprise (étonnamment), l’agent Aquato s’arrêta devant la trappe ouverte de l’Otto-Route pour se tourner vers leur créateur qui déjà s’agenouillait à sa hauteur pour lui donner une broche :
- Pourrais-tu tester ma nouvelle broche de Bulle Temporelle ? Je viens tout juste de la terminer, et tu es le seul psychonaute connaissant ce pouvoir ; en dehors de Helmut qui n’est pas encore en état pour ce genre de test, bien sûr… Et ne t’en fais pas pour ta mission, tu n’as qu’à te servir de tes pouvoirs comme d’habitude et me donner les résultats !
- Euh d’accord, mais ça risque rien ? demanda l’enfant en accrochant l’accessoire juste à côté de son badge de Psychonaute junior.
- Et bien, à moins que tu ne décides d’essayer de te mettre toi-même dans une Bulle Temporelle – ce qui serait très peu futé venant de ta part, je ne te le cache pas, glissa-t-il avec un regard réprobateur – je ne vois pas comment cette broche pourrait poser problème, Razputin.
- Bon, alors j’essayerai Agent Mentallis, accepta l’agent junior en se retournant vers la trappe pour se rendre à sa destination.
- Ah ! fit Otto juste quand il sautait dans l’ouverture, et peut-être évite de créer une Bulle Temporelle sur la même cible que l’agent Nein, sa nouvelle broche de Tir Psy est encore en test !
- QUOOOOOOI !?
L’exclamation stupéfaite de Razputin résonna dans tout le conduit, alors qu’il était déjà entraîné par le système vers sa destination sans pouvoir revenir en arrière et rendre l’accessoire à l’inventeur ; même si en toute honnêteté, Raz fut plus surpris par le volume de son cri se réverbérant à travers l’Otto-Route que par l’avertissement certes inquiétant mais habituel venant du Psy-7.
Même si ça ne l’empêcha pas cette fois de manquer sa sortie du conduit et de trébucher sur le rebord en s’étalant pile dans la flaque de boue juste devant.
Ignorant Norma qui l’avait encore suivi dans l’Otto-Route, Raz la laissa expressément passer devant pour aller faire son rapport à Forsythe. Lui préféra prendre la direction du laboratoire de l’agent Mentallis afin de lui rendre temporairement sa broche de "Bulle Temporelle Augmentée" et lui dire qu’il n’avait le temps de la tester aujourd’hui ; et aussi parce qu’une drôle d’impression le poussait à prendre plutôt cette direction que celle du bureau de leur supérieure, probablement parce qu’il n’avait pas envie de se montrer devant tout le monde alors qu’il était encore à moitié maculé de boue après sa sortie maladroite.
S’approchant des plateformes lévitantes, il y jeta un œil distrait alors que son amicale main hydrokinésique s’élevait du lac pour le saluer gentiment, et il considéra un instant de l’ordonner de l’éclabousser pour retirer la boue à demie-séchée de ses vêtements ; mais il s’en abstint, n’ayant pas envie d’être trempé en plus d’être sale.
Relevant son regard vers le parking de l’autre côté, il allait s’engager sur les plateformes pour le rejoindre quand soudain un mouvement se fit au sommet du laboratoire ; Raz se figea, iris verts rivés sur le point mouvant sur le toit, suivant le trajet de ce point lointain et allongé, se déplaçant presque comme un être vivant ou une personne…
Un frisson de réalisation frappa l’agent Aquato en comprenant ce qu’il voyait s’introduire dans le laboratoire d’Otto Mentallis ; il sauta sur la première plateforme, invoquant au vol une lévi-balle et se précipita vers le bâtiment, manquant presque de glisser des plateaux dans sa hâte.
Ici Agent Aquato, alerte de sécurité à la Carrière, un intrus essaye d’entrer au laboratoire de Mentallis ! Je vais tenter de l’arrêter ! cria-t-il sur le réseau télépathique alors qu’il arrivait sur le parking, espérant qu’on l’entende à temps cette fois.
Sans s’arrêter (et surtout en voyant la silhouette ayant disparue du toit), il roula jusqu’au bâtiment et passa en vitesse les portes d’entrée ; Razputin traversa aussi vite l’antichambre et le couloir aux sirènes rouges, déboulant dans le laboratoire de l’inventeur et jetant immédiatement un œil vers le nouveau patio et sa machine inconnue-
Un éclat rouge écarlate envahit sa vision, et soudain une douleur aveuglante foudroya ses tempes, avant qu’elle ne se propage brutalement à tout son corps. Sonné par le choc contre sa tête et contre le sol, l’enfant tenta une première fois de se redresser, en vain. Des bribes de voix (et d’imagination ?) résonnèrent parmi le bourdonnement dans son crâne, alors que sa vision dansait encore sous l’effet des lumières tamisés du lieux et du Tir Psy en pleine tête. Une silhouette indiscernable apparut peu à peu devant lui, alors qu’il arrivait cette fois à relever son torse d’un geste tremblant (et pas juste à cause du coup) ; mais il n’eut pas le temps d’essayer de distinguer ce qui s’était approché de lui ni de se redresser davantage, car une poigne puissante se matérialisa soudain autour de ses côtes et bras, le faisant pousser un léger cri de douleur surprise ; la pièce se remit à danser un bref instant alors qu’il se sentait brusquement soulevé de terre, se débattant instinctivement contre ce qui l’enserrait.
Tentant de chasser le tournis qui brouillait ses sens, Raz perçut très difficilement une voix masculine pester ce qui ressemblait à des menaces, avant de sentir à nouveau du mouvement alors que l’inconnu le retenant prisonnier l’emmenait avec lui ; l’enfant perçut soudain très distinctement à travers ses bras plaqués contre lui et sa cage thoracique son cœur battre très fort et vite, au rythme de la panique qui le saisissait dans cette situation nouvelle et inattendue.
À l’aide, quelqu’un, pitié, pensa-t-il malgré lui, priant qu’un agent proche – non, n’importe qui – l’entende et vienne à son secours.
Retrouvant quelque peu ses esprits malgré le choc qui résonnait encore dans son crâne, le garçon prit conscience de sa situation : l’inconnu qui l’avait capturé était en train de fouiller le laboratoire, le gardant à portée de lui dans une poigne télékinétique qui restreignait ses mouvements, mais heureusement pas ses pouvoirs. Pris autant par la panique que par la colère, Raz se remit à donner des coups de pied, s’égosillant dans la main écarlate autour de lui :
- Lâchez-moi ! Posez-moi tout de suite !
- Arrête ça ou je t’assomme ! menaça aussitôt l’homme en resserrant brièvement sa prise sur ses côtes.
- Les Psychonautes vous laisseront pas vous échapper comme ça ! répliqua l’agent junior en se débattant toujours malgré la douleur soudaine.
- Je t’ai dit de rester tranquille !
L’intrus mit alors à exécution sa menace, se tournant vers son prisonnier en chargeant un Tir Psy rougeoyant à son front ; mais Razputin fut plus rapide.
Concentrant toute la colère et la peur qu’il ressentait, l’agent Aquato donna un violent coup de tête malgré la douleur provoquée par son mouvement et envoya un projectile orange en plein sur le torse de son agresseur. Touché de plein fouet, l’inconnu tituba violemment en arrière jusqu’à rencontrer le comptoir de l’atelier et relâchant sa prise sur le garçon qui retomba au sol, son tournis revenant en force tandis qu’il atterrissait maladroitement à quatre pattes. Poussé par l’adrénaline et la satisfaction d’avoir mis une telle dérouillée à son ravisseur, le psychonaute junior ignora le mal de tête lui enserrant les tempes et se redressa en tremblant, une main tendue et l’autre effleurant son crâne alors que l’intrus se reprenait lui aussi.
Un Tir Psy écarlate fusa en direction de l’acrobate qui esquiva d’un salto latéral avant de lancer à son tour deux balles mentales sur son adversaire qui avait projeté divers objets sur l’enfant d’une violente télékinésie ; les projectiles physiques manquèrent leur cible, mais pas ceux psychiques qui envoyèrent l’inconnu directement dans la vitre du patio qui se brisa sous l’impact. Juste à ce moment-là, un appel mental résonna sur le fil télépathique de Raz, enflammant sa céphalée persistante mais soulageant sa poitrine d’une oppression :
Ici Nein, nous arrivons Agent Aquato !
Tu vas bien trésor ? fit la voix de Milla juste après, une inquiétude notable dans son ton d’ordinaire enjoué.
Un peu secoué, mais je devrais m’en sortir, répondit l’agent junior en guettant son adversaire toujours à terre près de la machine dans le patio.
Tiens bon, soldat !
Raz envoya un hochement de tête mental à l’encouragement du coach, s’approchant prudemment de l’homme qui ne bougeait pas. Une nouvelle sorte de peur gagna lentement le cœur de l’enfant en ne le voyant toujours pas remuer ; avait-il frappé trop fort et blessé l’individu ? Ou était-ce la rencontre avec la vitre qui l’avait sonné ? Certes, il l’avait attaqué en premier ; mais de là à vouloir délibérément le blesser… ou pire ? Avait-il touché une partie fragile de l’homme sans le vouloir, ou avait-il donné un coup qui était celui de trop et-?
Une panique inquiète saisit le garçon qui se rapprocha plus vite de l’inconnu gisant par terre ; mais ce faisant, il remarqua un détail bizarre dans sa position, sa main étrangement recroquevillée sous sa tête comme volontairement mise là pour…
Un pressentiment prit soudain le psychonaute junior qui se retourna d’un bloc, juste à temps pour voir l’ombre translucide d’une main rouge éthérée fondre en traître ; d’un réflexe presque miraculeux (ou entraîné ?), Razputin leva sa propre main télékinétique et retint la poigne s’abattant sur lui, bloquant les deux membres psychiques dans un bras de fer mental.
Forçant sur sa prise (et son mal de tête) pour garder la main ennemie à distance, l’agent Aquato entendit et perçut au coin de sa vision l’homme se redresser et préparer un Tir Psy ; se retournant vers lui, il tira son propre projectile psychique juste quand l’individu lançait le sien. Les deux attaques s’annulèrent mutuellement dans une explosion qui projeta leurs propriétaires respectifs de part et d’autre ; Raz atterrit contre le comptoir, lui coupant légèrement le souffle et le faisant à nouveau souffrir de tournis.
Se tenant le crâne d’une main en grognant de douleur, le garçon entendit soudain la porte de l’atelier s’ouvrir et tourna son regard vitreux vers le groupe de psychonautes, Sasha Nein à leur tête, débouler sur les lieux en position offensive. L’agent Vodello, talonnant son partenaire, se tourna immédiatement vers l’enfant se redressant en s’aidant du comptoir et se précipita vers lui.
- Razputin ! Tout va bien trésor ? fit-elle en le soutenant.
- O-Oui, juste un peu sonné…
Il n’eut pas le temps d’en ajouter plus qu’un bruit les fit se retourner vers le patio et la machine qui commençait à s’emballer, pour voir l’homme cette fois complètement relevé et une main à la tempe, chargeant un tir rougeoyant à son front et une paire de mains écarlates menaçantes fusant en direction des psychonautes.
L’agent Aquato leva automatiquement la main dans sa direction, prêt à riposter à l’attaque imminente ; l’énergie psychique et l’adrénaline masquant la douleur lancinante traversèrent ensemble ses veines comme chaque fois qu’il invoquait ses pouvoirs ; il sentit la sensation naturelle saisir ses tempes battantes, ses iris verts rivés sur l’adversaire alors que les étincelles psitaniques se faisaient de plus en plus vives et les vibrations erratiques de plus en plus intenses ; ses muscles endoloris se tendirent à l’extrême, et en un éclat multicolore et térébrant il relâcha l’afflux psychique droit sur sa cible. Le temps se passa presque doucement, les alentours se grisonnèrent en une myriade de rayons irisés, et l’action s’arrêta nette dans le temps – quand soudain la détonation infernale déchira le continuum-!
- AAAAh-!
Raz rouvrit instantanément les yeux, souffle court et iris vert malachite brillant de terreur rivés frénétiquement sur le plafond de la caravane, les mains crispées sur la vieille couette matelassée et son cœur battant si fort qu’il le sentait presque sortir de sa poitrine. Sa silhouette instinctivement recroquevillée sur lui-même frissonnait sous l’épaisse couverture, et c’était difficile de savoir si c’était à cause du froid ou d’autre chose.
Razputin fixait sans vraiment les voir les détails du bois de la roulotte, remarquant à peine les rideaux soulevés par le vent et les rayons du petit matin pénétrant dans l’habitacle avec les bruits et les odeurs du camp, trop englué qu’il était dans ce rêve qu’il venait de terminer sans vraiment avoir l’impression d’en être délivré. Immobile malgré le léger tremblement de son corps, il essaya sans vraiment de conviction de se tirer de cet état éphémère, percevant à peine les appels et les pas s’approchant dans le sol sablonneux du campement.
Puis la voix grave mais chaude voix de son père perça enfin la bulle étouffante autour de lui, alors qu’Augustus penchait la tête dans la caravane familiale, son regard inquiet posé sur son enfant piégé dans les entraves de son rêve éveillé.
- Razputin ? Tout va bien fils ?