L'Ami du Miroir
À partir de ce jour-là, le destin a commencé à tourner. Ta vie changeait un peu plus chaque jour.
Tu n’allais plus à la chambre secrète pour réfléchir et rêver ; tu y allais désormais pour rencontrer cette étrange personne qui, bizarrement, était différente de toutes les autres que tu connaissais.
Plus étrange encore, cette personne te donnait l’impression d’être avec toi même lorsque tu n’étais pas dans la chambre du miroir. Tu entendais souvent sa voix, et cela te rassurait profondément, peu importe la situation.
Cette personne n’avait pas de nom. Du moins, elle n’a jamais voulu te le dire. Alors tu l’appelais des fois l’Homme du miroir, des fois l’Étrange personne… en fait, son nom importait peu… tu n’avais pas besoin de nom puisque tu n’avais jamais à la désigner. Tu n’en parlais à personne, et lorsque tu pensais à elle, un nom ne servait à rien car tu savais déjà à quoi tu pensais.
C’est un peu comme les choses immatérielles que personne ne peut définir…
Cette « personne », elle ne te faisait pas peur. Plus étrange encore, tu n’as jamais voulu avoir la moindre explication quant à son existence. C’était comme si… tu vivais dans une autre dimension où la logique humaine n’est plus valable, chose que tu n’avais jamais cru pouvoir accepter un jour.
Une semaine a déjà passé, et tu lui as déjà raconté toute ta vie. Aujourd’hui encore, tu vas le voir.
Lorsque tu rentres dans la chambre du miroir du toit qu’il est désormais hors de question de réparer, tu jettes immédiatement un regard vers le miroir propre et étincelant. Il n’est pas là. Tu avances et poses la main sur la glace.
Aussitôt, une main plus grande que la tienne apparaît de l’autre côté, et ton reflet se transforme en lui.
« Bonjour, Hershel. »
Cette voix provient de cette main qui tient la tienne. Tu lèves le regard car il est beaucoup plus grand que toi. Oui, c’est lui.
« Il est tard. Tu devrais dire bonsoir », lui dis-tu en souriant. Encore une chose qui t’impressionnait. Tu lui parlais avec tant de familiarité. Pourtant, c’est un adulte.
« Peu importe », il répond. « Jour, soir, l’essentiel est que tu sois venu. »
Vous vous assoyez tous les deux et tu lui racontes ta journée jusqu’au moindre détail. Il t’aide à faire tes devoirs, et réagis à ce que tu lui dis. Il rigole lorsque tu lui raconte comment James, la brute qui se moquait des fois de toi, s’est fait grondé par le professeur et a explosé en sanglots. Il te félicite lorsque tu lui dis que tu as été le seul à avoir pu résoudre l’exercice de mathématiques. Il sourit quand tu lui apprends que tu as vu un adorable petit chaton sur le chemin de retour.
Il t’écoute, chose que peu de gens savent faire. Il ne dit pas grand-chose, mais n’est-ce pas parfait comme ça ?
« Tu sais, tu ressembles énormément à un héros avec cette cape et cette épée. Un héros qui défend le bien et combat le mal », lui dis-tu alors que tu ranges ton dernier devoir terminé.
« Moi, un héros ? » Tes paroles semblent le surprendre. « Non, je ne suis pas un héros. Loin de là… »
Tu secoues la tête.
« Mais si ! Tu es un héros. Tu as au moins sauvé une personne.
-Qui ? » Demande-t-il avec un regard mi-surpris, mi-perplexe.
Tu te lèves.
« Moi ! » T’exclames-tu, les bras déployés. « Avant, j’étais juste un enfant seul et triste dans ce monde difficile, mais maintenant, grâce à toi, je suis si heureux et j’ai enfin envie de vivre. »
Il n’est pas convaincu.
« Je n’ai pourtant rien fait, Hershel. Je ne t’aide pas à payer quoi que ce soit, je ne te défends pas contre les gens qui te dérangent, et je ne fais rien qui puisse t’être utile concrètement.
-Mais si ! Tu m’écoutes, tu prends le temps d’écouter un enfant sans grande importance, et tu me fais sourire. C’est beaucoup, tu sais. »
Il te regarde avec un petit sourire en coin.
« Ça, Hershel, ce n’est pas ce que fait un héros, mais ce que fait un ami. »
Le mot te surprend. Ami…
« Est-ce que je peux dire que tu es… mon ami ?
-Bien sûr ! »
Ami… tu as un ami !
C’est ça ! Tu pourrais l’appeler « Mon Ami », puisque tu ne lui trouves pas de nom. Tu n’as pas d’autres amis, donc tu ne risques pas de confondre.
Mais quelque chose manque encore…
Ami, c’est un joli mot, mais il est si… réaliste. Or, cet homme est tout sauf ça. Si son existence défie toute logique humaine, alors il est inacceptable que son nom ne fasse pas pareil.
Mon ami… un ami… il vit dans un miroir… Mon ami qui vit dans un miroir… non…
« L’Ami du Miroir ! » tu hurles, le faisant sursauter.
« Le quoi ?
-L’Ami du Miroir. Tu es l’Ami du Miroir ! »
Il fait une grimace.
« Ce nom est horrible. »
Être ami avec quelqu’un, cela signifie aussi qu’on peut dire tout haut ce qu’on pense. Même quand ce n’est pas un compliment.
« Pourquoi ?
-J’ai dit que j’étais ton ami, pas celui du miroir.
-Mais je n’ai pas dit que tu étais l’ami du miroir ! »
Il te regarde d’un air triomphal.
« OK. Je t’ai appelé l’Ami du Miroir, mais ça veut dire « l’ami qui vit dans le miroir », pas l’ami du miroir !
-L’ami du miroir ne veut pas dire l’ami du miroir », dit-il avec un air moqueur. « Je ne te savais pas philosophe, Hershel.
-Mais ! »
Vous vous regardez pendant un moment, puis éclatez de rire.
Être amis, c’est aussi débattre sérieusement sur des sujets tout à fait stupides.
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Un jour, allongé sur le bois de la pièce, tu lui as posé une question.
« Dis, à ton avis, quelle est la différence entre un ami et un héros ? »
Il a longtemps réfléchi.
« Je pense qu’un ami est plus intelligent qu’un héros. »
Sa réponse te surprend. « Pourquoi ?
-Eh bien, parce qu’un ami se casse moins la tête. Il ne risque pas sa vie, ne fait pas beaucoup d’efforts. Et pourtant, il arrive être plus précieux qu’un héros… »
Tu avais envie de lui dire que tu n’étais pas d’accord avec lui. Qu’un ami faisait beaucoup de choses, se sacrifiait en silence. Mais… plus tu creusais ton idée, tu voyais qu’elle te menait vers la sienne.
« Un héros te fera descendre d’un arbre », dis-tu finalement. « Tandis qu’un ami restera en bas à t’encourager et à crier que tu peux descendre tout seul de l’arbre.
-Il se fatigue moins.
-Mais ça lui prendra probablement plus de temps que le héros qui t’a descendu puis est parti. »
Il était toujours là, allongé comme toi derrière son miroir.
« Disons qu’un ami est un héros qui ne fait rien, et qui pourtant, nous aide énormément. »
Cette conclusion t’a plu.
« Je ne te savais pas philosophe, l’Ami du Miroir ! »
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Un jour, tu lui as dit que tu voulais te venger de cette organisation qui t’a volé tes parents et séparé de ton frère, mais que tu ne savais pas comment faire.
« Tu dois être plus fort qu’eux », t’a-t-il indiqué.
« Mais je ne suis qu’un enfant.
-Tu ne le resteras pas éternellement.
-C’est une grande organisation criminelle. Je n’ai aucune chance à moi seul pour être plus fort qu’eux. »
Il secoua la tête.
« Nous ne sommes plus dans une ère où la force prend son sens matériel.
-Qu’est-ce que tu veux dire ? »
Il t’a regardé avec un air que tu n’as pu déchiffrer. C’est dur de savoir à quoi il pense avec ce masque.
« Tu dois savoir plus de choses qu’eux. Cette organisation s’intéresse à la civilisation aslante, n’est-ce pas ? Tu dois étudier cette civilisation et la comprendre mieux qu’eux. »
Il faisait frais ce jour-là, et il y avait du vent. Mais caché derrière son miroir, il ne semblait pas être affecté. Seuls tes cheveux bruns bouclés bougeaient au rythme du vent glacé. Tu as riposté à sa dernière réplique.
« Comment puis-je savoir plus de choses sur les Aslantes qu’une organisation qui les étudie depuis je-ne-sais-combien de temps ?
-Tu as les livres de ton père, non ?
-Oui, mais… »
Il ne t’a pas laissé t’opposer.
« Tu vas lire ces livres en entier, et ensuite je te dirai quoi faire.
-Tous ?
-Tous.
-Mais il y en a tellement. Je ne sais même si une vie me suffira !
-Arrête de dire des bêtises. Je sais que tu peux le faire. »
Tu as paru surpris. Il n’avait pas l’habitude de te donner des ordres.
« Et le jour où tu auras fini », termina-t-il avec un ton un peu différent. « Ce jour-là, je vais t’offrir quelque chose. »
Tu as hésité, et puis ensuite tu as levé le regard vers lui.
« Je vais essayer. »
Et puis tu es allé chercher le premier livre, me laissant seul dans la chambre du miroir. Je savais que je venais de franchir le point non retour.
Je ne suis pas magicien, ni héros, mais je réaliserai tous tes souhaits. Comment ? Comme le fait un ami.
« Un ami restera en bas à t’encourager et à crier que tu peux descendre tout seul de l’arbre», n’est ce pas, Hershel ?
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Un jour, tu lui as fait une requête.
« Pourquoi est-ce que tu n’enlèves pas ton masque ? Je voudrais tant voir ton visage. »
Il ne sembla pas surpris par ta demande.
« Je ne peux pas le faire.
-Pourquoi ?
-Car, le jour où je le ferai, nous ne pourrons plus jamais être amis. »
Tu lui as demandé ce qu’il voulait dire par là, mais il n’a pas voulu répondre.