L'Ami du Miroir
Là, sous le toit, il y a un endroit très spécial. Une pièce où personne n’a jamais mis les pieds auparavant.
Un endroit dont l’existence même n’a aucune explication.
Et dans cette petite pièce, il y a un jeune garçon âgé de treize ans qui vient toujours ici après l’école, pour rêver d’une chose qui, l’apprendra-t-il plus tard, s’appelle « bonheur ».
Toi.
Avant même que tu ne t’en rendes compte, cette petite pièce sale coincée entre le toit et le plafond est devenue ton repère favori. Tu as commencé à venir ici de plus en plus souvent. D’abord, tu disais que c’était juste pour chercher d’éventuels indices, puis tu as remarqué que, lorsque tu étais ici, tu ne sentais jamais le temps passer. Il n’y a absolument rien de spécial dans cette chambre, et il aurait été plus logique de s’ennuyer dès la seconde visite…
Pourtant, depuis que tu as découvert cette pièce, c’est le reste du monde qui est devenu ennuyeux.
Chaque jour, tu regardais autour de toi pour t’assurer que personne ne te voyait, puis tu montais l’échelle et entrais par la fissure du toit. Qu’il pleuve, qu’il fasse trop frais ou trop chaud, tu venais tous les jours. Parfois, tu passais même la nuit ici, allongé sur le vieux bois pourri. Tu n’as jamais ramené la moindre distraction avec toi, pas même une couverture ou un oreiller. Tu étais bien trop fasciné par cette pièce où il n’y a rien d’autre qu’un miroir, pas de meubles, pas même des rats ou des insectes. Tu ne voulais rien ajouter à ce décor, et tu n’as pas envisagé la possibilité que toi-même tu sois un élément parasite.
Tu aimais cet endroit.
Une semaine après la découverte, tu as croisé Becky Eildren qui t’a demandé pourquoi tes parents n’avaient toujours pas réparé le toit. Tu lui as répondu, comme chaque fois, avec un mensonge, lui disant que la fissure n’était pas aussi importante que ça, et que la réparation n’était pas du tout urgente. Pour appuyer tes propos, tu lui as même montré le plafond intact de la maison vu de l’intérieur.
Elle n’a pas cherché à en savoir plus.
Et ta vie continua sur ce train. Chaque jour, tu venais ici, t’assoyais sur le sol que tu n’as pas nettoyé, et tu te mettais à réfléchir…
Parfois, tu pensais à tes parents. Parfois, tu pensais à ton frère et à ces gens qui l’ont adopté. Ont-ils découvert la supercherie ? Il n’y a pas de raison…
Parfois, tu aimais imaginer que tu étais dans un rêve, et que tu vas bientôt ouvrir les yeux sur la voix de ta mère te disant que tu vas être en retard pour l’école.
Parfois, tu te disais tout simplement qu’un jour, tu parviendrais à retrouver ta famille. Ça se passe toujours comme ça, dans les histoires, l’enfant abandonné finit toujours par revoir ses parents.
N’est-ce pas ?
Là, sous le toit, il y a un endroit très spécial. Une pièce où personne n’a jamais mis les pieds auparavant. Et dans cette petite pièce, il y a un jeune garçon âgé de treize ans qui vient toujours ici après l’école, pour rêver d’une chose qui, l’apprendra-t-il plus tard, s’appelle « bonheur ».
Il est tout le temps perdu, il semble lui manquer quelque chose… il ne pleure jamais mais il semble avoir besoin de quelqu’un pour essuyer ses larmes.
Et moi, je regarde cet enfant. Chaque jour qu’il vient, chaque fois qu’il part. Viens vers moi, allez viens. Devant toi repose ton futur ; devant toi repose ton salut. Alors viens. S’il te plaît, viens vers moi. Viens. Viens…
C’est simple, pourtant… alors pourquoi ? Pourquoi ne t’approches-tu pas juste un peu plus ? Pourquoi ne nettoies-tu pas ce miroir pour que tu puisses te voir… me voir.
Viens. Viens vers ce miroir.
~~~~~~~~~~~~~~
Ton réveil sonne. Tu ouvres les yeux.
Aujourd’hui, c’est un jour absolument banal. École. Tâches ménagères. Devoirs. Il n’y a rien de bien spécial de prévu…
Mais tu sais qu’il y a une chose, qui vient jeter des couleurs sur ce paysage en noir et blanc. Ton petit monde à toi. Cette « chose », tu lui as donné un nom.
La Chambre du Miroir.
Tu te prépares comme tous les jours. Pour toi, la journée ne commence que dans le soir, lorsque, ayant tout fini, tu as enfin le droit de rêver.
C’est un endroit très précieux pour toi. Et aujourd’hui encore tu iras là-bas. Mais…
Alors que tu regardes le toit en sortant de chez toi, une pensée te traverse l’esprit.
« Pourquoi ne nettoierais-je pas La Chambre du Miroir ? Ainsi je n’aurais plus à laver mes vêtements à chaque fois que j’y vais. »
Jusque-là tu avais pensé sauvegarder le charme de cette chambre en n’y changeant rien, mais tu as subitement changé d’avis. Tu t’en vas en courant vers ton école. Ce soir, tu prendras un seau et des chiffons, et tu iras nettoyer ton petit trésor.
Pourquoi ?
Je sais que tu n’en peux plus. Tu sais que je n’en peux plus. Alors s’il te plaît…
Viens.