Troisième Chance

Chapitre 11 : Questions délicates ...

Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 21:03

Chapter 11 - Questions délicates ...

 

Sans se soucier de l'épiphanie d’Aryens, le Prince et Elika continuaient leur conversation.

« Et personne n’a brandi le fer pour venger Ninive? » demanda t’elle à l’escroc.

« Les vaincus n’avaient que je peux d’amis, je le crains. Ce fut une leçon abjecte pour tous de s’apercevoir qu’on ne pouvait pas faire confiance aux Assyriens. Nabuchodonosor mourut bientôt et Sinsharishkun monta sur le trône de son père avant même qu’il n’ait pu refroidir. Elam et Babylone resserrèrent leurs liens, se préparant à l’inévitable conflit, mais ni elles, ni les Assyriens ne firent preuve de la moindre faiblesse exploitable par la suite, rien qui aurait pu permettre à l’autre camp d’attaquer.

« Les dieux eux mêmes auraient du foudroyer sur place ceux qui ont commis de telles atrocités », dit la Princesse, le souffle toujours coupé par la rage. « Une guerre telle que celle là ne devrait pas se produire »

Agastya rompit le silence, pour la première fois depuis un long moment. « La guerre n’est pas belle à voir, elle ne l’a jamais été et ne le sera jamais. Les Assyriens paieront en temps voulu pour ce qu’ils ont fait, mais je crains que ce ne soit davantage pour des raisons politiques qu’en vertu d’un juste courroux. » Le maitre espion haussa les épaules. « Et les dieux prennent rarement parti dans les conflits, en dépit de ce que leurs prêtres voudraient nous faire croire. »

« Le sang sera lavé dans le sang, œil pour œil, dent pour dent », ajouta sombrement le Prince, et une fois de plus ce jour là, Elika frissonna en entendant l’émotion dans sa voix. « En retour, les Assyriens crieront vengeance, ce qui entrainera une vendetta sans fin où tous devront payer les dettes de la génération précédente, accompagnées des intérêts de retard. »

« Des pensées et des discussions pas très réjouissantes, conclut-elle, et ça ne fait pas avancer notre cause. Monstruosités du passé mises à part, comment on va trouver ton magicien ? »

 « Il s’appelle Berisath, et facilement avec un peu de chance, si il propose toujours ses services à des tarifs aussi prohibitifs. Mais pas aujourd’hui », dit le Prince, et Elika leva un sourcil.

 « Tu es sur la brèche en permanence depuis des semaines, sans parler de ce que tu as du subir pour… enfin tout, quoi » déclara t il en pesant soigneusement ses mots. « Je tiens à présenter mes excuses officielles pour avoir amené sur le tapis des sujets de conversation aussi déprimants, et je décrète que ce jour sera consacré au repos et à la détente. » Le ton chaleureux de sa voix semblait sincère, même s’il contrastait singulièrement avec la débauche de sang évoquée quelques instants plus tôt.

Elika resta perplexe l’espace d’un instant, ne sachant comment réagir face à ce brusque changement d’humeur. « Le temps est une ressource précieuse que l'on ne peut guère se permettre de gaspiller », prévint-elle.

 « Pas plus qu'on ne peut se permettre de commettre d'erreur à cause de la fatigue, madame », remarqua Agastya en prenant le parti du Prince. « Par ailleurs, je pourrais utiliser un peu de ce temps pour moi-même également ; j'ai des lettres à écrire et des affaires à traiter. »

« Je suis sûr qu'Ohrmadz doit bien avoir un commandement quelque part du style : ‘’Le confort de ton corps et de ton âme tu ne négligeras point, sans quoi d'épuisement tu périras’’ », ajouta le Prince.

« Pile dans le mille, comme toujours, quand il est question de dogme » répliqua t-elle, prompte au sarcasme, mais l’esquisse d’un sourire apparaissant sur ses lèvres. Elle leva la main droite, prenant une pose d’orateur, ou plus exactement, de ce qui s’en rapprochait le plus, compte tenu du fait qu’elle était étendue sur un amas de coussins, et déclara pompeusement : « Très bien, déchargeons-nous du poids du monde le temps d’une journée, et assumons la responsabilité de nous amuser un peu. »

« J’espère que je peux compter sur vous pour vous comporter en adultes responsables, pendant que je serais sorti », conclut Agastya.

« En fait, je suggère que nous jetions les bases des activités du jour en commençant par un bon petit somme dès le matin » proposa le Prince. Elika se pencha par-dessus la table et lui donna une claque sur les genoux.

« Espèce de tire-au-flanc, va ! »

« Les longues journées passées en selle et les nuits froides sur le sol dur déclenchent en moi une irrésistible envie de lits de plumes, de couvertures en soie, et de jours paisibles où je n’ai rien de mieux à faire que de sonner une cloche pour qu'une horde de servantes empressées s’affairent à combler tous mes désirs. »

« Huumm », murmura Elika, non pas manifester son approbation mais plutôt pour l'encourager, se demandant si le Prince arriverait finalement quelque part avec son hyperbole.

« Une irrésistible envie qui pourrait être réprimée, voire même rejetée en raison de détails pratiques terre-à-terre, histoire de frapper encore plus fort pour refaire surface quand l'opportunité se présentera d'elle même. Et une telle opportunité s'est montrée, ma chère Princesse, et j’entends bien sauter dessus, comme les grands fauves de Kasi sautent sur les imprudents qui osent s'aventurer dans leur jungle. » Le Prince cessa sa tirade pour reprendre son souffle et jeter un coup d'oeil autour de lui. « Au fait, il est passé où ? »

« Il est parti en plein milieu de ta dernière phrase, il y doit y avoir à peu près cinq minutes, je crois. Si tu te souciais un peu plus des autres que de ta petite personne, tu t'en serais aperçu. » Elle prit une poire dans l'assiette posée sur la table basse et mordit dedans.

« Je fais tout mon possible pour me concentrer sur les choses importantes, mais ta beauté est si éblouissante qu'elle occulte tout le reste. » Elika eut un rire chevalin, et toussa, luttant pour empêcher les morceaux de poire de lui sortir par le nez.

« Tu penses vraiment tout ce que tu dis, ou tu balances des compliments au hasard ? » s’enquit-elle, mi-taquine, mi-sérieuse, reposant la poire, à présent susceptible de présenter un danger mortel.

« Tu n’as pas envie de savoir ce que j’ai en tête ? » demanda t-il en contrant sa question par une autre.

 « Tu veux dire à part le crissement de la paille dont elle est remplie ? »

« De la paille ? Elika, s'il te plait, vous vous êtes mis à plusieurs pour la trouver celle-là ? Tu m'as habitué à mieux.

« Oh, mes insultes ne la fauchent donc pas, alors ? » s’exclama t-elle en riant, ses dents accrochant la lumière dorée qui emplissait peu à peu la pièce d'une chaleur indolente.

« Les vannes subissent un contrôle qualité très strict », dit-il d’un ton moqueur et sérieux à la fois.

 « Et sont marquées du sceau de ton approbation, je suppose ? » Elle inclina la tête sur le côté, et le regarda d'un air interrogateur à travers ses cheveux qui tombait en rideau sur son visage.

« Du genre infalsifiable. » Il s'installa en position assise sur le divan.

« Et dis-moi, où apposerais-tu ce sceau ? » Elle inclina la tête et secoua sa chevelure pour dégager son visage, découvrant son cou gracieux. Elle caressa sa peau délicate avec le dos de sa main, comme s'il s'agissait d'une offrande.

« Le marquage se fait au cas par cas, mais je présume que je le placerai là ou il serait caché des yeux libidineux du commun des mortels. » Il parcourait ses courbes du regard, sans même prendre la peine de dissimuler qu'il répertoriait tous les endroits où de telles marques pourraient être apposées, chose qu'Elika jugea la fois outrageante et excitante.

« A un endroit habituellement couvert, je suppose ? »

« Ta beauté n'a d'égale que ton esprit acéré, Princesse. »

« Et tu n’apposes le sceau de ton approbation qu’avec parcimonie, je suppose ? »

« Il y a eu beaucoup d’appelées et peu d’élues, je peux te l’assurer. C'est un privilège rare qui n’est accordé qu’après examen très approfondi. » La façon dont il appuya sur le dernier mot résonna comme une douce musique aux oreilles d'Elika. La promesse contenue dans sa voix aurait fait rougir une pierre.

« Cela rend ton sceau si convoité très attrayant, je dois l'admettre », concéda t-elle avec un sourire entendu. La plaisanterie facile et l’allusion tendancieuse qui l'accompagnait lui échappèrent. Peut-être avait-elle effectivement besoin d'une journée de repos pour se remettre. « Mais je crains que mes insultes n'aient rouillé par manque d'entretien, et que dans une compétition honnête, je ne puisse espérer gagner le prix. »

« Si tu as l'intention de le voler, je crains que tu ne te frotte au meilleur de la catégorie. »

« Oh, la situation est tendue, alors ? » dit-elle, les yeux pétillants de malice.

« Avec une marge de manœuvre serrée, je le crains. A moins que … » Le Prince laissa sa phrase en suspens.

« A moins que ? Allez, continue », le pressa t-elle.

« Eh bien, si tu ne peux pas falsifier le sceau, et que tu ne peux pas le voler, alors tu peux toujours essayer de corrompre le gardien », dit le Prince, pragmatique.

« Oh, je vois, s'exclama t-elle, mais un escroc aussi honnête que toi exigera des pots de vin bien au-delà de mes modestes moyens, pour apposer le sceau de son approbation si renommé, avec des candidates pleines d'espoir placées en rangs serrés à perte de vue. » D'un geste enveloppant du bras, elle fit mine d'introduire une foule invisible.

« La corruption est un jeu difficile, je le crains, on ne peut jamais savoir si le pot de vin recevra un accueil chaleureux ou un appel à la garde ; on ne peut qu'espérer. »

« Oh, ta sagesse me transcende, Prince des Voleurs, Fontaine de Savoir, Celui Que Les Dieux Révèrent. »

Le Prince éclata de rire, et balaya d’un petit geste une peluche fictive sur sa chemise, arborant une expression altière.

« La plupart des gens ne peuvent que s'efforcer d'atteindre la grandeur, moi je suis né avec. »

« Et il ne s’agirait pas que le reste du monde puisse l'oublier une seconde », dit Elika, lui lançant un regard qu'elle espérait cinglant.

« Oui, cette masse de gens stupides semble l'oublier à tout bout de champ, honnêtement parfois, je me demande bien pourquoi je me tracasse autant. Ils n'en valent pas la peine de toute façon. » Le Prince continuait à plastronner, imitant si bien un gamin pourri gâté de l'aristocratie, qu'Elika était sûre qu'il avait souvent du tenir ce rôle.

« Et moi, tu trouves que j'en vaux la peine ? » demanda t elle

« C'est le cas ? » dit il en lui renvoyant la question.

«Pourquoi tu ne viens pas t’en assurer ? » Cela lui avait échappé, sans préméditation et involontairement, faisant monter la chaleur d’un cran. Et bien qu’Elika eut voulu ravaler ses propos immédiatement, elle sentit les battements de son cœur s'accélérer lorsque le Prince se leva du divan sans hésitation, et traversa la distance qui les séparait en deux grandes enjambées. Il s'accroupit devant elle, et deux bras se glissèrent sous ses genoux et son dos avec une aisance éprouvée, la soulevant des coussins avant qu'elle ne puisse ouvrir la bouche pour protester.

« Et comment, dit-il lentement et délibérément, son visage à peine à quelques pouces du sien, suggères-tu que je m’en assure ? » Il sentait la froide ivresse de l'excitation, mais il appréciait davantage le frisson du jeu et la sensation du contrôle qu'il exerçait sur elle, que la perspective de se lancer dans quelque chose qu'elle regretterait le lendemain.

Le cœur d'Elika martelait sa poitrine, elle chercha une plaisanterie dans les tréfonds de son esprit, quelque chose susceptible de balayer le ton sérieux que prenait soudain la conversation, mais son esprit la trahit. La chaleur d'un autre, la force tranquille de ses bras qui la serraient, le bleu moqueur de ses yeux, la ligne de son menton, attiraient son attention, la troublant d'une façon dangereusement inconnue.

« Je suis sure, dit-elle d’une voix étranglée, qu'il doit y avoir des préliminaires. » Elle ne savait pas si c'était la bonne chose à dire, ou du moins la plus avisée, et s'il allait se moquer d'elle ou la repousser. C'était un territoire inexploré ; sombre et excitant.

« Il y a des préliminaires pour ce genre de chose » dit il, et elle sentit le monde commencer à tourner lorsqu’il se dirigea vers l'autre pièce, la tenant dans ses bras. « Des préliminaires marrants et géniaux ». Ses bras s'enroulèrent autour de lui, presque d'eux mêmes, ses doigts fouillant l’enchevêtrement de ses cheveux sombres.

Il se pencha et la déposa délicatement sur une pile de coussins qui délimitait la chambrée. Il resta agenouillé à côté d'elle ; les bras d’Elika toujours autour de lui, ses cils caressant presque les siens. « Néanmoins, dit il, doux comme une plume, je n'ai pas besoin de ça. Je sais que tu en vaux la peine. Que tout en toi en vaut la peine. »

Il ravala péniblement sa salive, comme si sa gorge était remplie de sable, et plongea ses yeux dans les siens. « Il n'y a que toi pour transformer la peine en compliment », dit-elle avec un petit rire nerveux. Puis, comme si on lui avait lancé un seau d’eau, elle revint à la réalité : « Qu'est ce qu'on fait, Prince ? Shabhaz ? Je ne connais même pas ton nom. »

Le Prince sentait que la tête lui tournait, ne sachant quelle option choisir. Un seul mot murmuré, cela aurait suffit. Un mot qu'il n'avait plus dit à voix haute depuis son arrivée à Babylone, à l'âge de six ans, battu et ensanglanté. Mais les noms véhiculaient un pouvoir ; le pouvoir de libérer des choses dissimulées derrière des portes closes et de révéler des secrets gardés par la mort. En dépit de toutes ses bravades, il craignait de donner son vrai nom à quelqu’un d’autre, du fait de tout ce que cela impliquerait. La confiance inconditionnelle n’était pas dans ses habitudes. Camaraderie et amitié lui convenaient bien, avec leurs lignes clairement définies, leurs interactions dictées par des règles tacites et délimitées par des frontières. Lui dire son nom signifierait qu'il était prêt à lui donner plus qu'il ne pouvait lui donner.

Elika sentit son hésitation et ses yeux devinrent froids sous l’effet de la peine. Ses bras se sentirent soudain maladroits et déplacés enroulés autour de lui. Elle se détacha de son étreinte et s’écarta, relevant les yeux vers lui.

« Quel est ton nom, étranger du désert ? » Il fixait toujours l’endroit où elle était allongée quelque temps plus tôt, évitant son regard. Le silence s’éternisait entre eux, chaque instant les éloignant un peu plus l’un de l’autre.

Il releva les yeux, avec une expression indéchiffrable. « Je suis désolé », lâcha t-il d’un ton monocorde, vide d’émotions. « Je suis désolé. »

« Pourquoi ? »

Il se contenta de secouer la tête en guise de réponse, cherchant les mots qui d’habitude lui venaient si facilement.

« C’est tout simplement génial. Putain de génial. » La colère d’Elika montait, la peine cédant la place à la fureur. « Tu… tu es prêt à me baiser, mais tu n’es pas prêt à me dire comment tu t’appelles ? Je n’arrive pas à croire que j’ai pu tomber amoureuse d’un connard comme toi. » La bile lui montait à la gorge, elle se sentait manipulée et trahie.

Le Prince luttait pour se maîtriser, la honte l’anesthésiant de l’intérieur au point de le rendre froid et inhumain. « Il n’y a pas que ça. Il y a des éléments qui te dépassent … »

« Arrête de foutre de moi avec tes mystères à la con. Tu n’es qu’un putain de sale dégonflé, c’est tout. »

 « Je ne voulais pas te faire de peine … », bégaya t-il, pour une fois à court de mots.

« Je n’arrive pas à croire que je t’ai laissé me toucher. » Les larmes alimentaient sa colère et elle s’empara d’un oreiller et le lui lança. Il le rattrapa au vol aisément, la saisit par le poignet et la tira brutalement vers le bas, suffisamment fort pour laisser des marques, puis attrapa son autre poignet et l’enfonça dans les coussins.

« Tais toi et écoutes », siffla t il. Elle se débattait dans son étreinte, mais sa poigne d'acier ne faiblissait pas. « Lâche-moi espèce de salaud. »

« Pas avant que tu ne m'aies écouté. » La colère s’insinuait également dans sa voix.

« Lâche-moi maintenant. » Elle se tenta à nouveau de se soustraire à son étreinte et instinctivement, atteignit le seul outil encore disponible : sa magie. Le feu blanc reflua avidement de l'espace vide derrière son cœur, explosant dans les paumes de ses mains, serpentant droit vers le Prince à la vitesse d'un cobra à l'attaque. Ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'elle réalisa ce qu'elle avait fait, mais trop tard. Les éclairs de feu carbonisèrent ses vêtements, et l'espace d'un instant, une terreur folle emplit leurs yeux, tous deux certains qu'il allait s’ajouter aux autres témoignages d'un pouvoir bien plus grand que celui de l'homme, comme les brigands enterrés dans des tombes anonymes dans le désert. Mais, alors que la lumière blanche s’éloignait, rappelée par Elika, là où il n'aurait du rester que la peau calcinée, apparaissait la chair rose et indemne. Dissipant momentanément sa colère, le remord l'envahit. L'espace d'un instant, elle avait cru que sa fureur incontrôlée avait tué l'homme auquel elle était prête à offrir sa virginité, à peine une minute plus tôt.

« C'est la seconde fois que tu essaie de me tuer, Princesse. Des gens moins évolués pourraient s'en offusquer, tu sais. » Vidé par le choc, il la relâcha et s'assit. Un frisson lui parcourut le dos et il fut secoué d’un tremblement. Peu de choses lui avaient paru aussi inéluctables dans sa carrière d'escroc que cette mort brûlante se précipitant vers lui quelques instants plus tôt.

« C... comment ?», balbutia t elle, sa colère disparue, remplacé par un regret honteux.

« Je ne sais pas. Peut être que tu ne peux pas faire de mal aux innocents. Peut être que j'ai été infecté trop souvent et que la magie me reconnait. Peut être que je suis béni d'Ohrmadz. Peu importe. Tu veux que j’aille te chercher une dague pour que tu puisses finir le boulot proprement ? »

« Je suis désolée, dit elle la tête baissée, je suis profondément, absolument désolée. Le pouvoir m’a échappé … Jamais je n’ai voulu te faire tant de mal. » C’était facile à dire, plus facile que d’imaginer à quel point il était heureux que la magie n’ait pu l’atteindre, un peu comme si elle était vivante. Vivante et affamée. Et à quel point il avait été facile de la libérer, à quel point l’option de prendre une vie devenait prioritaire pour se sortir d’une impasse. Il y avait là matière à réfléchir pour plus tard.

Le Prince la prit par le menton et lui releva la tête, obligeant son regard à rencontrer le sien.

« Je me suis battu pour toi. J'ai tué pour toi. Et s’il fallait choisir entre toi et moi, je mourrais pour toi. » Il reprit son souffle, pour donner plus de poids à ses mots. « Je te demande de me faire confiance quand je te dis que ce n'est pas une chose anodine que tu me demande, et que j'ai plus d'une raison que tu ne l'imagines de ne pas te donner de réponse. Fais moi confiance, comme tu m'as fait confiance contre les armées d'Ahriman, lorsque je te dis que je ne peux pas te donner mon nom, quelque que soient les raisons. Je te le demande comme un guerrier le demanderait à un autre. »

Elika le regardait, cherchant dans ses yeux toutes traces de moquerie, ou de dissimulation, mais elle ne rencontra qu'un regard dur et imperturbable.

« Tu me demande de t’accepter comme un garde du corps qui a des secrets. »

« Oui, comme j'ai un jour accepté une fille étrange qui ne m’a pas dit ce qu'elle comptait faire, ou ce qui arriverait une fois que nous aurions défait tous les Corrompus. »

Le silence s’éternisait entre eux, un silence pensif. Elika n’osa pas demander « Et si je refuse ? » Certaines questions ne pouvaient plus s’effacer une fois exprimées à voix haute.

« Elika, la question est : jusqu’à quel point me fais-tu confiance ? »

Ses yeux noisette s’assombrirent un long moment sous l’effet de la concentration, puis elle soupira.

« Je te fais confiance. Totalement. J’aimerais que ce ne soit pas le cas, mais si. Et c’est là-dessus que je joue le monde. » Chacun de ses mots résonnait comme un bruit sourd et étouffé dans le silence de la chambre. Il acquiesça gravement, comprenant ce qu’elle disait à mots couverts. Un garde du corps qui avait des secrets, un allié sans nom, un ami sans passé. C’était beaucoup demander à quelqu’un qui portait le poids du monde sur ses épaules.

« Si tu as besoin de savoir, je t’en parlerai. Je ne veux pas que ça puisse te mettre en danger, toi ou notre mission, mais d’autres vies dépendent de certaines informations liées à mon passé … », commença t-il.

« Ne m’explique pas, l’interrompit-elle, je t’ai accordé ma confiance. Tu n’as pas besoin de jouer sur les mots que tu ne peux pas dire et parler d’histoires que tu ne peux pas raconter. Si tu dois vraiment garder de telles choses secrètes dans l’intérêt des autres, fais-le. Mais en retour, je te demande de ne pas inventer des histoires à dormir debout si tu penses que je ne dois pas savoir. »

Après s’être imprégné de ses paroles, il acquiesça.

 « Qu’il en soit ainsi. » Inconsciemment, il toucha ses lèvres, puis son cœur.

Le silence les recouvrit comme une couverture. Ils étaient entourés de coussins colorés éparpillés ça et là sur le sol de la petite chambre à coucher. Au dessus de leurs têtes, une fenêtre étroite laissait entrer un rai de lumière qui tombait dans la pièce, perçant les ombres telle une flèche, arrêtée dans son élan par le mur d'en face. Des grains de poussière dansaient dans le rayon doré, et le bourdonnement atténué de la rue en dessous d’eux filtrait à travers la fenêtre, comme venu d’un autre monde. Ils se tenaient assis très droit, leurs mains supportant leur poids, leurs jambes repliées sous eux. Lorsqu’ils rompirent le silence, ce fut d’une voix tendre et sérieuse, la joie et la colère oubliées, les mots tombant détachés et graves.

« Excuse-moi pour la peine que je t’ai faite aujourd’hui, dit le Prince, attentif et prudent. Je n’avais pas l’intention de profiter de toi. »

« Tu n'as pris que ce que je t'ai volontiers offert, et je ne peux m'en prendre qu'à ma propre naïveté d'avoir attendu de toi plus que ce que tu ne voulais donner. » Elle dissimulait sa peine dernière des paroles formelles, mais la raideur de sa posture, la façon dont elle regardait résolument de l'autre coté la trahissaient.

« J'aimerais pouvoir te donner tout ce que tu veux et plus encore. » Les mots ne lui venaient pas facilement. « Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme toi, d’unique et de merveilleux, toutes les autres sont insignifiantes en comparaison. ». Malgré la tendresse de sa voix, le ton était grave et mesuré. Elle se tourna, le scrutant du regard avec surprise.

« Je … ne sais pas quoi dire. »

« Tu n'as pas besoin de dire quoi que ce soit. Je voulais seulement que tu le saches. Si tant est que ce soit important, je veux que tu comprennes que je ne joue aucun jeu et que je ne cherche pas à t’embrouiller. Tu es belle, vibrante, pleine de vie, remplie d'espoir pour un monde qui n'est qu'obscurité et désolation, et tu me pousses à être davantage que ce que je suis. ». Son sérieux l’inquiéta quelque peu. Elle n’était pas habituée à la simplicité quand il s’agissait du Prince, encore moins à la vérité vraie, et elle avait le sentiment qu'une expérience unique s'offrait à elle.

« Merci », dit elle submergée par toutes les émotions qui tourbillonnaient en elle. « Je voudrais rester seule un moment. J’ai pas mal de choses à penser, si ça ne t’ennuie pas. »

Il se mit debout sans mot dire, et se dirigea vers l’autre pièce.

« Prince ? » l’appela t-elle? Il s’arrêta et regarda par-dessus son épaule depuis le couloir, prêt à disparaître à sa vue.

«Oui ? »

« Sans rancune ? » Il acquiesça et la gratifia d’un demi-sourire aigrelet.

« Sans rancune. »

Il sortit de la chambre, silencieux comme un chat, la laissant assise au milieu d’une myriade de couleurs, un papillon parmi les fleurs d’un jardin d’été.

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