Troisième Chance

Chapitre 6 : Retrouvailles

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Dernière mise à jour 09/11/2016 06:08

 

Chapître 6 - Retrouvailles 

La femme en blanc était assise sur le rebord du lit fixant le vide, des millions de pensées se succédant les unes aux autres dans sa tête. Incapable de réfléchir davantage, elle capitula, et toucha la magie en elle ; la laissa l'envahir. Le feu blanc déferla, se ruant dans ses veines et la brûlant de l'intérieur, jusqu'à ce qu'elle se souvienne de l'avertissement du Prince et canalise la magie avant qu'elle n’ait pu surgir de ses doigts. Elle avait hâte de déchaîner, de relâcher le pouvoir ; de laisser la lumière courir librement et la purifier. C'était si simple avant. Suivre la voie tracée par le Dieu de la Lumière, et accomplir le sacrifice ultime qui réparerait tous les maux. A présent, plus rien n'était simple. Il n'y avait plus de gentils et de méchants. Juste des nuances de gris.

La réalité lui apparaissait progressivement. Elle voyageait avec un voleur, un ruffian, un pilleur de tombes et pire encore. Un meurtrier, quelqu'un qui tuait sans culpabilité ni remords. Comment pouvait-elle lui confier le sort du monde ? C'était un homme sans passé, sans nom, sans racines. En dehors de quelques allusions et de demi vérités murmurées qu'il avait partagées avec elle bien à contre-coeur. Il traçait leur chemin avec une assurance à laquelle elle ne pouvait plus croire, en vertu de raisons pour le moins discutables.

Qu'est-ce que c'était que ce marché avec Ahriman ? Qu'est-ce que c'était réellement ? Le choc de l’entendre prononcer réellement ces mots, admettant avec tant de désinvolture qu'il tuait encore et encore, la faisait remettre en question tout ce qu'il avait dit auparavant et éclairait d'un jour plus sombre et plus sinistre encore ses actions depuis leur fuite de la vallée.

Pour la première fois depuis qu'elle avait pris son troisième souffle, elle se demanda si elle ne devrait pas simplement s'en aller. Simplement s'en aller, franchir cette porte et disparaître. Trouver sa propre voie et aller ou Ohrmazd la conduirait.

Elle inspira profondément, contraignant la magie à réintégrer sa place au plus profond d'elle-même. Elle relâcha sa respiration dans un soupir. Ce n'était pas évident d'être Elika des Ahura ces derniers temps. Ses sombres pensées furent interrompues par des voix qui se rapprochaient dans le couloir et bientôt la porte fut ouverte par son compagnon, deux ou trois domestiques sur ses talons. Pompeusement, il leur donna ses directives tandis qu'ils disposaient un copieux festin sur une table basse qu'ils avaient apportée avec eux. Des plats d'argile furent déposés sur la surface de cuivre finement ciselée, et en quelques minutes, ils furent remplis de poulet et d'agneau, de légumes bouillis, de pommes de terre au four et d'une sauce épaisse et épicée, de quoi nourrir facilement plus d'une demi douzaine de convives.

Un gros bidon en étain rempli d'un vin léger fut placé au milieu de la table, ainsi que des verres en étain finement travaillés. Sans mot dire, Elika s'assit en tailleur sur l'un des coussins disposés autour de la table et attendit que le Prince ait fait sortir les domestiques

Lorsque le dernier d'entre eux eut passé la porte, il laissa tomber le masque du négociant ; il arborait un soupçon de ce sourire malicieux auquel elle était tellement habituée, alors qu'il se laissait tomber lourdement à coté d'elle. Il tressaillit instantanément, jura dans sa barbe, puis ajusta son fourreau de façon à ce que la poignée de la garde cesse de s’enfoncer dans son entrejambe.

« Allez, à l'attaque ! » dit il, tendant la main vers une cuillère et se servant une part généreuse de l'un des bols.

Elika se força à se détendre, murmura quelque chose d’inintelligible en réponse, et tendit le bras pour se servir à son tour. Pendant un moment, seuls des sons de mastication se firent entendre dans la chambre tandis qu'ils rattrapaient les quelques douze repas qu'ils avaient sautés. De temps à autre, des domestiques faisaient leur apparition pour s'assurer que le plus estimé des hôtes ainsi que son épouse ne manquaient de rien. A l’issue du repas, le Prince demanda à ce qu’un bain soit préparé pour lui et un autre pour sa ‘Nastaran’, mais l’un après l’autre, de façon à ce que la chambre et les trésors qu’elle recelait ne soient pas laissés sans surveillance l'espace d'une minute. Lorsque les filles de service escortèrent Elika jusqu'à leur quartier général provisoire, il était allongé sur le lit, pelant des oranges, apparemment très content de lui.

« Comment était le service ? » demanda t-il

« Beaucoup trop zélé. Je suis capable de prendre mon bain toute seule. Ce n’est en aucun cas un exercice pour trois personnes. »

« Même pour te laver le dos, tu n'as besoin de personne ? » Il fit sauter une tranche dans sa bouche. Elika le gratifia d’un regard peu amène.

« Je m'en sors très bien, merci. »

« J'ai du mal à l'imaginer ... » dit le Prince et ses yeux se voilèrent, suggérant qu’il tentait activement de se représenter la scène. Il fut brutalement tiré de sa rêverie par une orange qui le frappa en pleine poitrine.

« Hé ! C’était quoi, ça ? » s'éleva la voix emprunte d’une juste indignation.

« Estime-toi heureux que je n’aie pas choisi la pastèque », dit-elle, saisissant une pomme et la mordant avec avidité. A présent, avec le ventre plein et après un bain chaud, le monde ne semblait plus si sombre. Elle se laissa tomber à côté de lui sur le lit et demanda nonchalamment : « Alors, qu’est-ce que tu as prévu pour la suite ? »

« Des vêtements. Des chevaux. Ensuite on quitte la ville par l’ouest. »

Baissant la voix, elle demanda : « Tu n’avais pas prévu de partir vers l’est et de revenir sur tes pas ? »

« Si, mais ça ne marcherait pas. Trop de gens nous ont vus entrer par l’est. Je ne m’attendais vraiment pas à ce que les gardes de la porte nous arrêtent. »

« Ce n'est pas ce qu'ils ont fait la dernière fois que tu es venu ? »

« Je ne suis pas exactement arrivé en plein jour », dit il en ignorant sa question. Voyant son expression, il ajouta rapidement : « Ne vas pas t'imaginer une quelconque grimpette sur les murs et des sauts de toit en toit. Je suis simplement arrivé au coucher du soleil, lorsque la garde changeait. Et quand c'est nécessaire, je sais très bien passer inaperçu. »

« Pas de poursuites au clair de lune, de combats à l'épée pleins de panache, de fuites téméraires ? Je suis déçue. »

« Je sais que ça risque d'être un scoop pour toi après ce que tu as vu dans ton royaume, mais je préfère généralement utiliser les escaliers pour grimper sur des surfaces verticales. » Il commença à peler une autre orange.

« Et voilà que maintenant tu détruis ton image si soigneusement entretenue. » Bien que le ton de sa voix fût emprunt de sarcasme, un sourire flottait au coin de ses lèvres.

« J'imagine que je vais devoir trouver un moyen de la restaurer, c’est ça ? »

« Tu sais, à force de manger de la nourriture normale, de dormir dans un lit, d'emprunter les escaliers et de passer par les portes, tu vas finir par ressembler à n’importe qui. »

« Hé, c'est toi qui a les pouvoirs des dieux, moi je ne suis qu'un simple mortel », dit-il, son ton moqueur se muant en murmure, mais conservant sa nature impertinente. Le coeur d'Elika fit un bond en entendant la voix profonde et calme.

« D'accord, on quitte la ville. Mais pour aller où ? Comment on va faire pour L'emprisonner à nouveau ? dit elle en changeant rapidement de sujet.

« Babylone. On va à Babylone. J'ai pas mal réfléchi ces derniers jours. » Elle ravala la pique évidente qu'elle avait sur le bout de la langue, et écouta. « Au départ, tu voulais aller à Ninive. Peu de gens s'en sont sortis une fois la ville assiégée par les Assyriens, mais certains se sont enfuis avant, et il devait y avoir des érudits parmi eux. »

« A quand remonte la destruction de la ville ? »

« A longtemps à l'échelle humaine, mais pas longtemps vu du prisme de l'histoire. Vingt ans peut-être ? Probablement un peu moins. Donc certains érudits devraient être encore en vie. »

Elika haussa les épaules, presque fataliste. « C'est toujours mieux que ce que j'ai à proposer pour l'instant. »

« Et de toute façon, même si nous n'arrivons pas à trouver les érudits de Ninive, Babylone est toujours remplie de bibliothèques, de prêtres, de prophètes et de magiciens. Je les ai toujours pris pour des malfrats et d’habiles charlatans, mais depuis, j'ai vu un certain nombre de choses qui m'ont poussé à reconsidérer la question. »

« Et tu crois qu'il en y a dans le lot qui pourraient être authentiques ? »

« Qui sait ? Tu aurais cru, toi, qu'il existait des royaumes cachés avec des princesses ensorcelées qui combattent des dieux maléfiques ? Moi pas, en tous cas. »

« Je ne vois pas du tout de quoi tu parles », dit-elle nonchalamment

« Ouais. C'est ça. »

Un silence inconfortable s’installa entre eux. Elika tenta de trouver quelque chose à dire, quelque chose qui apaiserait la tension, mais son esprit fit choux blanc. Au même moment, le Prince se demandait pourquoi il ne glisserait pas un bras autour de la taille de la brunette assise près de lui, à présent agréablement parfumée, la renversant et laissant la nature suivre son cours. L'ennui était qu'il pouvait aisément identifier une demi douzaine de raisons pour lesquelles ce serait une rudement mauvaise idée. En fait, il n'y voyait que des inconvénients, à une exception près: il en mourrait d'envie et suspectait fortement qu'Elika serait plus que réceptive à l'idée. Mais là s'arrêtaient les avantages, tout le reste n'étant que complications. Il ne mélangeait jamais les affaires et le plaisir, ne s'engageait jamais sans être sûr de pouvoir se volatiliser dans un nuage de fumée si les choses devenaient trop sérieuses, ne couchait en aucun cas avec des gens dont les ennemis était plus forts que lui, même si ce point était à présent devenu discutable. Et dans la mesure du possible, il évitait de choisir comme maîtresses des filles qui seraient assez naïves pour attendre de lui plus qu'il ne pouvait donner. A moins qu'elles ne soient vraiment très jolies et que leurs pères ou leurs frères ne soient dans l'incapacité de lui mettre la main dessus après coup, ajouta t-il en se ravisant.

Parvenu à une décision, il sauta sur ses pieds dans un mouvement soudain et fluide, interrompant la rêverie dans laquelle ils s’étaient plongés.

« Une préférence pour les chevaux ? »

« Hein ? » dit-elle en sursautant, surprise par le brusque changement de sujet.

« Je vais faire un tour et voir ce que ce trou a à offrir en matière de montures. »

« Bonne idée », dit-elle, et elle sauta du lit à son tour.

« Calme ta joie, Princesse, je vais faire les boutiques de chevaux. Toi, tu ne bouges pas d’ici, comme une gentille aristocrate bien élevée que tu es. »

« Et comment tu comptes me faire accepter ça ? »

« Il faut bien que quelqu’un reste ici pour surveiller nos affaires. Ce sont les seules choses qui nous restent après la tempête de sable, après tout », dit-il en s’adressant aux potentielles oreilles indiscrètes.

« Ce n'est pas juste », bougonna Elika. Le Prince se demanda une fois encore quel âge elle avait réellement. Une chatte curieuse et une tigresse rodant à l'affût, ainsi qu'une lionne matriarche dévouée, toutes fondues en une seule.

« Il y aura encore d’autres villes, avec des bazars sans commune mesure avec celui-là. En fait, j’ai vu des villages dont les marchés sont même plus intéressants que celui d’Ankuwa. Et je ne voudrais pas que le commun des mortel se rince l’œil avant que tu n’aies pu t’habiller selon les coutumes locales. » Il fit un vague mouvement qui semblait englober son ventre découvert, son pantalon et le tissu léger de sa tunique. « Tu laisserais un souvenir impérissable, j’en ai peur. » Il vit qu’elle avait compris l’idée, mais qu’elle ne l’appréciait pas. « De toute façon, je ne tarderai pas à revenir, et il faut aussi qu’on voit le tailleur dans la soirée. »

« Et que suis-je censée faire pendant que tu n'es pas là ? »

« Rester ici et te reposer, je dirais. Nous avons un trajet long et difficile devant nous, et je ne suis pas sûr que tu sois habituée à passer six heures par jour en selle. »

Elle fit une grimace, elle pouvait aisément imaginer quel serait l'état de son postérieur, ne serait-ce qu'après une journée de cheval.

« J'ai saisi, oh mon maître. D'autres requêtes ? »

« Sois bien sage jusqu’à mon retour. Je sais que tu es une grande fille, et que tu peux te défendre toute seule, mais j’aimerais autant que tu n’aies pas à le faire. » Il se tut l’espace d’un instant, réfléchissant. « Alors une préférence pour les montures ? Quel est ton niveau ? »

« Je suis une cavalière confirmée, mais sûrement pas une experte. Tu sais quoi ? Je m’en remets à toi. »

« Pas bête. Comme ça, quelque que soient les défauts de ton cheval, tu pourras m’en faire le reproche. »

« Si tu le prends comme ça, oui », dit Elika.

« D’autres souhaits que le tailleur ne saurait combler ? »

Elle réfléchit un instant.

« Trouve-moi une brosse. Et au moins une dague, je me sens nue sans arme. » Elle grimaça instantanément, prenant conscience de la perche qu'elle venait de tendre. Le Prince la gratifia d'un long regard enveloppant, la toisant des pieds à la tête. Avec une feinte déception dans la voix, il dit :

« Je te rassure, tu es tout sauf nue. Je vais voir ce que je peux faire. »

« J'espère que tu parles de la dague et pas de la nudité ? »

« On peut voir ça quand je reviens, non ? » Il agita ses sourcils en la regardant, et franchit la porte avant de devoir éviter d'autres fruits volants.

Elika regarda la porte se fermer et marmonna : « Pourquoi faut-il toujours qu'il ait le dernier mot ? »

Quelques heures plus tard, le Prince ramenait deux excellents chevaux vers le Rêve de l'Etoile du Matin, avec un gamin de six ans sur ses talons qui en conduisait deux autres. Ils passèrent les doubles portes menant aux écuries à côté de la taverne. Ébouriffant les cheveux du gamin, le Prince renvoya le fils du maquignon chez lui. Les deux montures et les deux chevaux chargés furent confiés aux soins d'un garçon d'écurie et le Courrier Impérial demanda à ce qu'il bénéficient des meilleurs soins, ponctuant sa requête de deux pièces d'argent étincelantes. Les yeux du palefrenier s'agrandirent comme des soucoupes, il n'avait probablement jamais eu en main ce noble métal auparavant. Il commença promptement à détacher les courroies retenant les étriers jamais utilisés jusque là. Ensuite les animaux furent nourris et hydratés, puis on leur fit de la place auprès de Farah, mais à ce moment-là, le Prince et son nouveau sac à dos rempli d'articles fraîchement acquis avaient disparu depuis longtemps par la porte latérale qui menait à la taverne.

C'est fou tout ce qu'on peut faire quand on dispose d'une véritable fortune en or, et qu'on ne craint pas de la disperser aux quatre vents, songea le Prince alors qu'il entrait dans la pièce principale, à la recherche d'ennuis potentiels. Et lorsqu'il en eut trouvé un, il jura silencieusement et se dirigea vers les escaliers à longue enjambées, espérant ne pas s'être fait remarquer. En vain.

« Je n'en crois pas mes yeux ! » Le Prince marmonna de nouveau quelque chose de sinistre, puis se tourna avec un large sourire.

« C'est bien toi mon vieil ami ? » Un petit homme grassouillet à la peau sombre, presque cuite à point par le soleil de sa terre natale, se levait lentement d'une table basse entourée de coussins durs.

« Je n'en crois pas mes yeux ! » Il se répétait, ouvrant largement les bras pour le saluer. « Joins-toi à nous pour un verre de vin, mon ami. »

« Rien ne saurait faire plus plaisir à ton ami Shabhaz, courrier de sa Majesté Impériale, que de partager un verre et une histoire avec toi », dit-il, traversant déjà la pièce.

« Alors laisse ton humble ami Agastya, loyal serviteur du Dirigeant de Toutes Les Terres, le Roi Brihadratha de Kasi, partager sa nourriture et son vin avec toi. Tout ce qui est à moi est à toi. »

Agastya se situait quelque part dans la seconde moitié de l'âge mûr, plus large que haut, avec un sourire engageant auquel il ne manquait que quelques dents, et des yeux noirs étincelants pleins de malice. Ses trois compagnons étaient grands, musclés et silencieux, et gratifièrent le Prince d'un regard mauvais lorsque lui et leur maître s'étreignirent.

« Le sort t'a épargné, Agastya, dit le Prince, inaugurant le pseudonyme fraichement appris. Ou alors tu as pris des vacances en Phénicie ? »

L'Aryen était vêtu de la tête aux pieds de diverses nuances de pourpre – la couleur la plus chère que l'or puisse acheter, exclusivement fabriquée à partir du labeur minutieux d'escargots de mer, le long de la côte est de la Mer du Haut (que les Romains, des générations plus tard, nommeraient Mare Nostrum avec l'arrogance typique des constructeurs d'empire). L'or et les bijoux étincelaient et cliquetaient lorsqu'il bougeait, et quand il s'agissait de bouger, il savait y faire. Ses bras brassaient constamment de l'air, et sa voix était celle d'un marchand rompu à l'art des négociations difficiles qu'il menait d'une langue mielleuse.

« Je ne peux que remercier les Dieux », répondit-il alors qu'ils s'asseyaient. « Et toi alors, comment t'es tu retrouvé si loin de chez toi ? » demanda t-il tout en versant du vin au Prince.

« Je vais là où les vents du destin me portent. »

« On dirait plutôt que c'est une tornade qui t'a recraché, cette fois. Tu ne serais pas un peu dans une mauvaise passe ? » demanda t-il en observant les vêtements toujours déchirés du Prince.

« L'argent est le cadet de mes soucis », dit-il avec assurance. Voyant que l'Aryen levait un sourcil, il ajouta : « Si vraiment. Des jours sombres arrivent, mon ami. Tu ferais bien de quitter la ville aux premières lueurs de l'aube », dit-il en baissant la voix.

Agastya se renversa sur sa chaise, appuyant son menton sur son poing fermé. « Y aurait-il des conflits majeurs à l'horizon dont je ne serais pas informé ? » demanda t-il en plaisantant à demi.

« Oui », dit le Prince d'un ton totalement dépourvu d'espièglerie.

« Ben voyons. » Agastya se mit à glousser, puis s'aperçut que le Babylonien ne se joignait pas à lui. Lentement, son expression s'assombrit à son tour. Ses gardes du corps se redressèrent légèrement, sensibles au changement d'atmosphère, et les verres de vin disparurent de leurs mains. « Tu ne rigoles pas, c'est ça ? » Ce n'était pas une question.

« Non. »

« Qu'est-ce que tu sais ? »

« Est-ce que je t'ai déjà vendu de fausses informations ? » demanda le Prince, une soudaine lueur dans les yeux.

« Je sens que je ne vais pas aimer la suite, pas vrai ? » demanda l'Aryen avec une feinte exaspération. « Non, jusqu'ici, tu as toujours été fiable. »

« Alors j'ai une longue histoire à te raconter, vieux frère. »

« Et si ton histoire en vaut la peine, j'ai les poches profondes », répondit-il.

« Comme je te l'ai dit, je n'ai pas spécialement besoin d'argent en ce moment. Mais si tu vas vers l'ouest, je pourrais avoir besoin de compagnons de voyage. »

« Nous allons à Babylone, avec un stock de marchandises à vendre. »

« Et avide d'entendre ce que tes espions ont appris en ton absence, sans doute », dit le Prince en riant à demi.

« La soie et l'or ne sont pas les seuls objets de valeur dignes d'être échangés … ou volés, si on doit en passer par là. »

« Effectivement, acquiesça le Prince. Prend la route avec nous demain à l'aube et attend-toi à être étonné. »

« Et en retour ? »

« J'aurai moi aussi quelques questions. »

Agastya eut l'air perdu dans ses pensées pendant un long moment, puis acquiesça, « Qu'il en soit ainsi. » Puis il se leva étonnamment vite pour un homme de sa corpulence, le Prince se levant à son tour, et tous deux crachèrent dans leur paumes et se serrèrent la main, scellant l'accord.

Se ravisant, il demanda :

« Au fait, Shabhaz ? »

« Oui ? »

« C'est qui “nous” ? »

« Oh, juste un joyau des sables que j'ai trouvé en chemin. Je te la présenterai demain. Évite simplement de lui raconter trop d'histoires embarrassantes en route, s'il te plait. Elles ne sont pas adaptées à son petit cœur fragile. » Le négociant aryen acquiesça, comprenant ce qu'il demandait.

« Un bienfait en appelle un autre. » Il lui adressa un large sourire, et la lueur du foyer dansa sur ses dents en or. « Alors finalement, il y en a une qui a réussi à te mettre le grappin dessus ? »

« Il m'a suffit de voir sa personnalité magique et son sourire enchanteur, et j'étais fichu. »

« Et quel est le nom de cette femme exceptionnelle ? »

« En ce moment ? Nastaran. »Agastya leva un sourcil à l'évocation de la nature temporaire de son nom, puis haussa les épaules.

« J'ai hâte de la rencontrer. »

« Disons demain matin, alors. » Ils se serrèrent la main une fois encore, se saluant d'un signe de tête, deux experts dans leurs commerces de prédilection, le Prince des Voleurs de Babylone et le Maître des Espions du puissant royaume de Kasi.

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