Troisième Chance

Chapitre 5 : Premiers contacts

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Dernière mise à jour 08/11/2016 22:57

 

Chapître 5 - Premiers contacts 

Ils se levèrent avec le soleil, se détachant sans mot dire de l'intime étreinte. Ils ne ressentaient pas le besoin de parler tandis qu'ils rangeaient leurs quelques affaires et avalaient leur maigre petit déjeuner. Vu de l'extérieur, on aurait pu prendre ces réflexes acquis depuis seulement deux jours passés ensemble pour des habitudes créées par des mois sur la route avec l'autre pour seule compagnie. Ils se mirent en chemin rapidement en direction des murs de la ville, le Prince imposant un rythme stable, mais pas épuisant. Les jambes et les pieds d'Elika souffraient de l'exercice inhabituel qu'ils avaient eu à subir ces derniers jours, mais elle serrait les dents et acceptait la brûlure de ses muscles pour ce qu'elle était ; un signe d'évolution ».

Des terres bien cultivées remplaçaient les plaines tandis que, lentement ils se rapprochaient de plus en plus de la ville. Bien que l'effort fut évident, il était clair,  malheureusement, que ces terres ne produiraient que peu une fois l'heure de la récolte venue. Des canaux d'irrigation séparaient les carrés de terres, mais très peu d’eau s'y écoulait ; ce n'étaient pas les généreuses plaines inondables des Deux Fleuves. Ils traversèrent des petits champs d'orge et de blé ; des vergers d'oliviers et de figuiers

Il y avait déjà des hommes et des femmes dans les champs qui désherbaient, élaguaient et entretenaient les canaux.

Elika les observait avec une fascination à peine dissimulée. Chez elle, même avec très peu d'entretien, les petites étendues de terres arables étaient suffisamment fertiles pour produire assez pour que les quelques rares personnes qui vivaient encore dans le royaume puissent manger à leur faim. En revanche, ces gens n'avaient d'autre choix que de travailler les terres de leur maître de l'aube à la nuit tombante, simplement pour ne pas mourir de faim. Ils portaient des vêtements coupés dans un tissu robuste, rapiécés çà et là pour combattre l'usure. Leur peau était plus sombre que la sienne ou celle du Prince, et leur yeux étaient légèrement bridés.

Ils parlaient le sumérien avec l'accent local, ce qui conférait à leur mots, à son avis du moins, une étrange sensation citrique, comme s'ils avaient mordu dans une tranche de citron dans leur petite enfance et ne s'en étaient jamais débarrassée. Pour une pièce d'argent, le Prince acheta à un homme un pain frais de couleur sombre, probablement destiné à être son déjeuner, et ils se partagèrent également son outre. La première gorgée d'eau fraîche depuis ces trois derniers jours leur donna l'impression de boire à la fontaine des dieux. Toujours fatigués et sales, mais néanmoins rafraîchis, ils dirent adieu à l'homme et continuèrent leur chemin vers la ville.

Au fur et à mesure que la matinée passait, il continuait la formation accélérée d'Elika sur leur couverture, et à midi, lorsqu'ils atteignirent les murs, elle avait une famille fictive qu'elle avait laissé derrière elle ; des amis inventés, des anecdotes et des dizaines de petits détails en mémoire. Elle avait le sentiment que tout cela était complètement inutile, et ne l'apprenait qu'à contrecœur. Ils étaient donc tous deux passablement énervés et hargneux lorsqu'ils s'arrêtèrent à l'ombre des murs.

Il y avait quatre gardes en service, trois d'entre eux contrôlant les rares personnes qui entraient et sortaient ; le quatrième, assis derrière une table branlante, prenait des notes sur un long rouleau de papyrus. Tous portaient des armures en cuir qui n'étaient pas à leur taille, et de courtes épées de bronze sur le flanc tandis que leurs lances reposaient contre le mur.

S'approchant d'eux, le Prince lança à Elika un regard qui signifiait “Laisse-moi parler”. Il s'arrêta juste devant la table, grand et fier, sa main nonchalamment posé sur le pommeau de son épée.

 « Puisse Marduk vous éclairer de sa lumière bienfaisante ! » dit-il en saluant le garde.

 « Que sa sagesse vous guide dans votre chemin », vint la réponse. Le garde le toisa lentement des pieds à la tête, remarquant les vêtements coûteux et la longue épée. Il se leva avec des gestes étudiés, repoussant sa chaise. La quarantaine passée, c'était un homme aux larges épaules, trapu, plus petit que le Prince de presque une tête.

 « A qui ai-je l'honneur de m'adresser ? » demanda t-il.

 « Je suis Shabhaz, courrier de sa Majesté Impériale Nabolopossar. » Le garde serra l'avant bras tendu d'une forte poigne.

 « Je suis Hurrabb-Awil, sergent de sa Divine Majesté Astyage. »

 « Ravi de vous rencontrer Sergent. »

 « Moi de même. » Ils relachèrent leur étreinte, et le sergent revint à la charge.

 « Vous êtes bien loin de chez vous, Babylonien. »

 « Je reviens de l'est, en charge de courriers personnels, et ramenant avec moi un petit diamant que j'ai trouvé sur le bord de la route. » Il agita sa main nonchalamment en direction d'Elika, qui se tenait à quelques pieds derrière eux avec Farah, de plus en plus consciente de la légèreté de ce qu'elle portait, sous les regards libidineux des passants.

 « C'est vrai qu'elle à l'air mignonne », approuva le sergent.

 « Vu le prix que je l'ai payée … », soupira le Prince. « Mais vous savez ce que c'est, quand on aime, on ne compte pas. » Puis, se ravisant, il ajouta : « Bien que je ne sois pas sûr qu'Ishtar soit favorable à notre union, nous n'avons fait que jouer de malchance depuis que nous sommes partis. Nous avons été pris dans une tempête de sable et nos deux chevaux ainsi que notre autre âne bâté se sont enfuis. »

 « Effectivement, ce n'est pas de chance ; faites en sorte de déposer une offrande digne de ce nom sur les autels pour apaiser la colère des dieux. »

 « Je le ferai dès que j'aurais débarrassé mon corps de la poussière de la route, cela ne ferait qu'offenser les dieux si j'allais au devant d'eux couvert de sueur et de crasse. »

 « Vos paroles sont pleines de sagesse, courrier. Cependant, avant que je ne vous laisse entrer dans la ville, je dois m'assurer que vous n'êtes pas un mendiant. » A ces mots, la main du Prince vola vers la garde de son épée. L'acier sonna, alors qu'il la tirait à moitié au clair et criait :

 « Comment osez-vous me traiter de mendiant ! Je suis un courrier impérial et mon chemin est protégé des dieux eux-mêmes ! »

Les autres gardes tendirent vivement la main vers leurs épées courtes, tandis que le sergent levait une main pacifique.

« Calmez-vous, Monsieur ! Je vous prie de m'excuser si mes paroles vous ont offensé, ce n'était pas mon intention. Ce sont les lois en vigueur dans la cité … »

 « … qui requièrent que vous insultiez ceux qui la visitent ? » dit il, interrompant le sergent et s'empourprant de colère.

Elika recula d'un pas hésitant, se préparant à combattre. Sa volonté effleurait délicatement le centre tumultueux au plus profond d'elle même, la où résidait sa magie. Elle commença à relâcher le pouvoir, observant les gardes et les passants. Ils étaient en train de se donner en spectacle ; les quelques rares personnes qui pouvaient prendre le temps de quitter les champs pour rentrer déjeuner chez elles, s'arrêtaient pour regarder ce théâtre de rue.

 « Inutile de s'énerver, Monsieur », dit le sergent, les yeux sur la lame d'acier partiellement tirée au clair, calculant combien de coups sa lame de bronze pourrait encaisser, avant de se briser en deux. « La cité exige des étrangers qu'ils acquittent une taxe de deux pièces d'argent avant de passer les portes. »

Le Prince grogna, rengaina son épée dans son fourreau, et attrapa sa bourse. Il lança une pièce d'argent coupée en deux sur la table.

 « Cela suffira t-il ? » demanda t-il d'un ton condescendant.

 « Ça ira. Passez une bonne journée, Monsieur », acquiesça le soldat.

 « Avant que je ne parte, pourriez-vous m'indiquer où je peux trouver un compatriote qui pourrait me donner asile jusqu'à demain, ou au moins m'indiquer une bonne auberge ? » demanda le Prince nonchalamment, comme s'il n'avait pas été sur le point de couper l'homme en deux quelques instants plus tôt.

 « Personne de chez vous ne vit ici, Monsieur, mais je crois que notre taverne propose des chambres qui conviendraient aux goûts les plus raffinés. Demandez le Rêve de l'Etoile du Matin. » Il désigna la route principale qui conduisait au centre de la ville. Le Prince attrapa sa bourse et en sortit un autre morceau de métal, de la taille d'un douzième d'une pièce, cette fois.

 « Merci de votre conseil, et bonne journée ! »

 « Pareillement, Monsieur », dit le soldat, empochant le morceau d'argent posé sur la table.

Sans rien ajouter, le Prince se tourna et prit les rennes de Farah des mains d'Elika.

 « Allons-y, femme ! Je veux que tu me débarrasse de cette crasse le plus vite possible. »

Lorsqu'ils eurent disparu de la vue des badauds, elle siffla, furieuse :

« Tu es devenu fou ? »

 « Détends-toi, ma grande, sinon toute cette petite démonstration n'aura servi à rien », murmura t-il en réponse, sans même ralentir.

 « Tu as failli nous faire tuer ! » Sa voix étouffée masquait à peine sa colère. Il se tourna et l'empoigna par le haut du bras de sa main gantée, ses doigts marquant douloureusement sa chair.

 « Non, en aucun cas. C'est toi seule qui risque de nous faire tuer maintenant. Alors ferme ta gueule et suis-moi. Je t'expliquerai une fois que nous serons derrière des portes closes. » Il la relâcha en la repoussant si violemment qu'elle faillit trébucher, et tourna les talons, conduisant Farah d'un pas rapide vers le centre de la ville. Elika se retrouvant abandonnée sur la large route se mit à courir après lui. Elle le rattrapa deux coins de rue plus loin, juste avant qu'ils n'atteignent la place du bazar.

Le Prince prit les rennes à sa gauche et tendit sa main droite gantée derrière lui. Sans mot dire, elle prit sa main, tandis qu'il les conduisait à travers la place principale d'Ankuwa.

La ville n'avait jamais été un royaume indépendant, juste un comptoir de commerce avancé qui avait progressivement gagné en ampleur et en influence, jusqu'à ce que les Mèdes décident qu'ils avaient besoin d'un nouveau centre régional. Peu après, les murs de la ville furent érigés, le système d'irrigation déjà existant complètement rénové et les bâtiments « superflus » éliminés, dotant Ankuwa de deux grandes routes principales, l'une la traversant d'est en ouest, l'autre du nord au sud. Autour de la place centrale, les temples des principaux dieux avaient éclos comme des champignons après la pluie. Un petit bazar qui s'était créé de lui-même, occupait l'espace vide et les rues environnantes, où des artisans à la peau sombre et des marchands de passage en ville proposaient depuis leurs échoppes, sous des tentes peintes, leurs marchandises et leurs services à qui pouvait se les offrir. Une importante garnison de cinq cent hommes, chargé de nettoyer les routes des brigands, était stationnée dans la ville. En deux générations, Ankuwa était devenu un centre gouvernemental insignifiant et isolé parmi huit mille autres, avec juste assez d’échanges commerciaux et d'agriculture pour ne pas mourir de faim.

Shabhaz et Nastaran traversèrent la place, le Prince jouant des épaules pour se frayer un chemin, et se servant de son fidèle âne comme d'une arme offensive, tandis que la princesse qui les suivait à la trace, essayait de ne pas avoir l'air submergé par la multitude de gens qui l'entourait. La foule s'écartait devant eux, personne ne tenant à faire connaissance avec les sabots de cuivre de l'âne. Ils s'arrêtèrent bientôt de l'autre côté, devant un bâtiment à deux étages, à la peinture jadis rouge vif et jaune criard, dont il ne restait plus à présent que des tâches décolorées et écaillées. Une grande étoile de cuivre finement martelée pendait au-dessus de la porte principale, indiquant qu'il s'agissait bien du sérail qu'ils cherchaient.

Le prince les amena d'abord aux écuries qui s'ouvraient à droite à côté du bâtiment. Il retira les sacs de selle du dos de Farah, puis donna les rennes à un palefrenier. Les hissant sur ses épaules, il entra dans la bâtiment principal de l'auberge, Elika sur ses talons.

L'intérieur était en meilleur état que l'extérieur. Des coussins moelleux entouraient des tables basses, des braseros de cuivre pendant du plafond illuminaient la salle. Environ une douzaine d'hommes restaient assis à ne rien faire, prenant leur déjeuner ou sirotant simplement un café léger, mais il y avait assez de place pour trois fois plus. L'imposant propriétaire se leva de sa chaise branlante près de la porte masquée d'un rideau menant à la cuisine. Il se dirigea vers les nouveaux venus avec une rapidité alarmante csa compte tenu de sa corpulence.

 « Bienvenue, bienvenue au Rêve de l'Étoile du Matin ! En quoi puis-je vous aider monseigneur ? » dit-il en s'adressant au Prince. Il avait rapidement évalué la richesse potentielle de ses nouveaux hôtes.

 « Votre meilleure chambre, aubergiste, pour moi et ma rose, et faites-nous monter votre meilleur vin ainsi qu'un repas consistant. »

Tandis que l'aubergiste ouvrait la bouche, le Prince lui lança une pleine pièce d'argent. Il la cueillit au vol avec une aisance éprouvée et mordit dedans.

 « Tout ce que vous voudrez, mon bon monsieur ! » Son sourire s'élargit encore plus, révélant une bouche pleine de dents à moitié pourries.

 « Et également un bain après le repas. »

Le propriétaire se contenta de hocher la tête avec empressement.

 « Tout ce vous désirez, monsieur ! Laissez-moi vous montrer votre chambre. » Il leur fit monter un escalier en bois qui les amena au second étage du sérail. « Les domestiques vous amèneront le reste de vos affaires. »

 « Nous n'avons plus d'affaires, hélas. Elles ont été volées pendant la nuit. »

 « C'est épouvantable, épouvantable », dit l'aubergiste, s'inquiétant tout à coup de savoir si ses hôtes étaient réellement aussi riches qu'ils en avaient l'air. Le Prince se contenta de hausser les épaules et agita sa bourse, qui tinta de manière prometteuse.

 « Rien qu'un peu d'or ne puisse remplacer. Dites-moi, mon brave, quel est votre nom ? »

 « Mubbaharan, monsieur, propriétaire de cet humble pisé », répondit-il en ouvrant une porte. Il les conduisit dans une chambre chichement meublée, mais spacieuse.

 « Donc Mubbarahan, voudriez-vous avoir l'amabilité de nous envoyer le meilleur tailleur que l’on puisse trouver à Ankuwa ? Il nous faudrait quelqu'un qui ait le sens des couleurs et du style et qui ne rechigne pas à la tâche. Mon épouse et moi-même avons besoin de nouveaux vêtements pour reprendre la route dès demain. »

 « Vous partez déjà, monseigneur ? », la déception de perdre sa poule aux œufs d'or perçant dans sa voix de façon manifeste.

 « En effet. Le temps m'est compté. J'ai des affaires urgentes à régler dans l'est. »

 « Et que dois-je dire au tailleur, qui le demande ? »

Le Prince cessa de sonder la salle et fit face à Mubbarahan, le regardant peut-être pour la première fois.

 « Je suis Shabhaz, courrier du tout puissant Empire Babylonien », dit-il avec autant de fierté et d'arrogance qu'il pouvait en réunir.

« Je m'en souviendrai, monsieur. »

 « Veillez à ce que le tailleur ne vienne pas avant le crépuscule. Après un déjeuner et un bain, nous nous reposerons un moment. Je n'apprécie guère que l'on me dérange. »

 « Vos désirs sont des ordres, Monsieur. Je vous fais immédiatement monter ce que les cuisines ont de mieux à offrir. » Le Prince le remercia d'un hochement de tête, et tourna les talons ; pour sa part, la conversation était terminée. Il conserva son  sourire dédaigneux de bêcheur jusqu'à ce que le propriétaire ait quitté la chambre, puis franchit d'un seul pas la distance qui le séparait d'Elika et la serra étroitement dans ses bras. Elle se raidit, posa sa main contre sa poitrine, essayant de le tenir à distance. Il murmura à son oreille :

 « Il y a probablement des yeux et des oreilles dans le mur. Il faut parler discrètement. » Sentant qu'elle se laissait faire avec hésitation, il murmura :

 « Laisse-toi tomber sur le lit avec moi. Atterris au-dessus. » Avant même qu'Elika n'ait pu analyser complètement ce qu'il disait, il joignit le geste à la parole et se laissa choir sur le matelas derrière eux, l'entraînant avec lui dans sa chute. Elle atterrit moitié sur lui, moitié à côté, ses bras toujours autour d'elle, sa chevelure tombant en rideau autour d'eux.

 « Maintenant on peut discuter, mais continue à parler doucement. » Il y avait comme un ton amusé dans sa voix qui laissait supposer qu'il se délectait un peu trop de tout cela.

 « Non mais on peut savoir à quoi tu joues, là ? » murmura t-elle furieuse, mais elle avait appris à lui faire suffisamment confiance pour ne pas le repousser avec indignation. Pour l'instant.

 « Il faut que je te fasse un dessin ? » Voyant les éclairs s'accumuler dans ses yeux, il continua rapidement : « Les soldats aux portes m'ont envoyé moi, le courrier d'une nation alliée mais étrangère, précisément dans cette auberge. Ce qui veut dire qu'on peut raisonnablement supposer que tout le monde ici rend des comptes aux Mèdes sur les voyageurs. Je pense qu'ils ne sont pas non plus à une paire d'oreilles ou de judas près. »

 « Tu veux dire qu'ils nous regardent en ce moment même ? »

« C'est plus que probable. »

 « Avec moi dans … dans un lit avec toi ? » Le sourire du Prince s’élargit encore plus en entendant la juste indignation qui perçait dans sa voix étouffée. Il s'amusait énormément de cette situation, un peu trop peut-être pour son propre bien.

 « Arrête ton cinéma. Personne ne sait qui tu es ici, et c'était précisément l'idée de ma petite démonstration de tout à l'heure. »

 « Tu aurais pu entrer en fanfare, que tu n’aurais pas fait une arrivée plus remarquée. »

 « Exactement. L'idée était qu'ils se rappellent de nous. Tu t'es fondue à merveille dans le décor. »

 « Ça nous fait une belle jambe. »

 « Quiconque posera des questions, cherchera une princesse et peut être un garde voyageant avec elle. Ils ne se souviendront que d'un Babylonien arrogant mais équitable, et peut être qu'ils se rappelleront qu'il voyageait avec une concubine. »

 « Et quand est-ce que tu as été équitable ? L'arrogance était bien présente, mais je n'ai pas bien vu l'autre partie. »

 « Tu as beaucoup à apprendre sur la manière dont le monde réel fonctionne, Nastaran. » Bien qu’elle seule puisse l'entendre murmurer, il n'utilisait pas son vrai nom. « J'ai tendu mon bras au sergent de la porte. Ce qui fait de lui pratiquement mon égal. C'est une chose à laquelle il ne se serait pas attendu de la part d'un courrier impérial. Sur les routes de Babylone, je suis l’équivalent d’un dieu. Je peux réquisitionner des chevaux, et intervenir si je le juge bon. C'est pour ça qu'il est devenu suspicieux. Mais je lui ai également donné un pourboire comme quelqu'un dont les dépenses sont payées par le trésor royal. Il se rappellera à mon bon souvenir devant une ou deux chopes de vins. »

 « Et s'il avait éventé ton bluff ? » murmura t-elle en se penchant, son oreille droite tout contre la sienne. Il frissonna, et elle en éprouva une pointe de satisfaction.

 « Du bluff ? J'ai une tablette d'argile légale qui fait de moi le courrier de la puissante Babylone, mandaté par Nabolopossar, au nom de Marduk. »

« Légale ? »

« Aussi vraie que nature. Ça aussi, ça coûte une fortune. C'est hors de prix de corrompre les scribes qui fabriquent les tablettes. Si jamais j'étais démasqué, ils y laisseraient leurs têtes. »

« Oh mon pauvre, être obligé de dépenser autant … » Le mépris dans sa voix était flagrant. Il se contenta de hausser les épaules.

« L'homme devait pas mal d'argent à deux ou trois personnages louches. Des dettes de jeu, à ce que j'ai cru comprendre. Ils l'avaient dans leur collimateur. J'ai fait disparaître les dettes. Maintenant, c'est envers moi qu'il a une dette. » Il y avait comme un tranchant d'acier dans sa voix lorsqu'il parlait d'effacer les dettes. Elle frissonna, et pas de façon agréable cette fois.

« Combien... Combien de gens tu as tué ? »

« Cette fois-là ? Personne. Je leur ai simplement fait comprendre que leurs méthodes me dérangeaient. Les dés n'ont pas roulé comme prévu. »

« Et au total ? »

« Est-ce que j'ai l'air de tenir les comptes ? » demanda t-il sans qu'aucune pointe d'humour ne perce dans le ton qu'il employait. « Je vole les morts si je ne peux pas faire autrement, et non les vivants. Je ne tue que si j'y suis contraint, et en aucun cas s'il y a une autre solution. Mais le monde dans lequel on vit n’est pas facile.» Pourtant, même lui avait l'impression d'être sur la défensive.

La princesse s'écarta de lui, son cœur qui jusque là battait rapidement s'immobilisa soudain. Elle s'assit sur leur matelas fatigué, le visage indéchiffrable. Le Prince se leva lentement, et dit : « Je vais m'occuper du déjeuner. Ce serait bien d'avoir un repas chaud. »

La porte se referma avec un bruit sourd qui sonnait creux.

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