Entre infini et au-delà

Cassy referma un livre aussi dense que poussiéreux et le remit sur son étagère. Elle avait passé une semaine entière enfermée dans la bibliothèque à lire les nombreux ouvrages de la Team Galaxie. Cela lui avait permis d'étendre ses connaissances à propos des humains légendaires et des mythes que la Pokible avait occultés ou altérés, mais elle était toujours dans le flou le plus total à propos de la magie des glyphes.

Elle posa une main contre son front, savourant sa fraîcheur. Même à Ébènelle, lorsqu'elle avait dû rendre des travaux écrits à Sandra, elle n'avait jamais autant lu, et cela lui avait donné mal à la tête. Elle espérait que ce malaise lui passerait vite, car elle aurait besoin de toutes ses facultés pour réfléchir à la façon dont elle allait aborder avec Éric le sujet des Cré's.

Le hasard voulut que son frère pénètre au même moment dans la salle hexagonale. Il portait comme à l'accoutumée une blouse blanche par-dessus son uniforme de la Team Galaxie. Cassy arborait désormais le sien, elle aussi, fabriqué sur mesure pour elle par le tailleur de l'organisation.

Elle détestait cet habit, qui était le plus inconfortable qu'elle ait jamais porté. Le latex moulait son corps et gênait ses mouvements. Elle n'avait pas encore osé en parler à Sven, mais elle envisageait très sérieusement de le faire pour tenter d'obtenir grâce à lui une dispense du port de cette tenue. Après tout, lui-même ne la mettait jamais.

- Tu as besoin de moi ? demanda-t-elle à Éric.

- Pas vraiment. En fait, Sylvain m'a laissé un mail, en début d'après-midi, et je ne l'ai trouvé qu'à l'instant. D'après ses estimations, ton œuf devrait éclore dans les prochains jours, et il te propose de le rejoindre à Voilaroc.

Des sentiments conflictuels s'emparèrent aussitôt de Cassy. Une part d'elle était tout excitée à l'idée de découvrir enfin quel serait son nouveau pokémon, tandis qu'une autre ployait sous la culpabilité que lui inspirait la pensée de Sandra. L'adolescente ne se pardonnait toujours pas son départ brutal de l'Arène.

Le reste de ses émotions concernait Sylvain. Il lui manquait énormément, même si elle puisait dans les bras de Sven le réconfort nécessaire pour ne pas penser à lui autrement qu'en ami et en cousin. Elle craignait cependant de ne pas y parvenir si elle se retrouvait en sa présence. Elle était indéniablement amoureuse de lui, et cette barrière imposée entre eux par leur lien de parenté la faisait souffrir.

- Hélio n'accepterait sûrement pas que je quitte le QG si tôt après mon arrivée, déclara-t-elle simplement.

- Plusieurs sbires ont des pokémon dotés de la capacité Téléport. Ils peuvent t'amener là-bas pour que tu assistes à l'éclosion et te ramener ensuite ici. Sylvain pense qu'il serait préférable que tu sois là lorsque ton dragon pointera le bout de son nez, afin qu'il fasse connaissance le plus tôt possible avec sa future dresseuse.

Cassy réfléchit, tout en triturant les pages de son bloc-notes. Il serait sot de manquer la naissance de son nouveau pokémon uniquement parce qu'elle ne voulait pas se confronter à Sylvain. Qui plus est, il y avait peut-être moyen de mettre ce voyage à profit.

- Je crois que je préfèrerais m'y rendre avec Galopa.

- Avec Galopa ? répéta Éric. Le trajet te prendrait au moins deux jours, rien que pour y aller. Là, c'est sûr qu'Hélio ne...

- J'ai une théorie à propos des Cré's, coupa Cassy. Je sais que ce n'est pas là-dessus que je suis censée travailler, mais en étudiant tous ces livres, j'ai quelques hypothèses qui me sont venues à l'esprit et que j'aimerais vérifier par moi-même.

- Lesquelles ?

- Je ne tiens pas à en parler pour le moment. Si quelqu'un est bien placé pour comprendre ça, Éric, c'est toi. Lorsque nous étions enfants, tu refusais toujours de discuter de tes expériences tant que tu n'étais pas certain du résultat.

- Les temps ont changé. Ici, je dois faire des rapports réguliers à mes supérieurs directs, y compris à Hélio. Il y a un protocole à respecter. Qui plus est, mener des recherches sur le terrain n'est pas de ton ressors.

- Je le connais pourtant bien mieux que toi, répliqua Cassy. Je n'ai pas passé les trente derniers mois de ma vie enfermée dans ce bâtiment.

- Ça n'a rien à voir. Qu'espères-tu trouver, exactement ?

- Des renseignements. Je voudrais pouvoir interroger des personnes à propos des mythes et des légendes de Sinnoh, car je suis persuadée que les Cré's sont tous les trois dans cette région.

- Et qui figure en tête de ta liste ? demanda Éric.

- Kiméra. Elle a une licence de théologie et j'ai déjà eu l'occasion de la rencontrer par le passé. Elle pourra peut-être m'apporter les réponses et les explications que ces livres ne contiennent pas.

- Kiméra ? Je te souhaite bien du courage, Kathy. Cette Championne est une vraie peau d'Écrémeuh, pour reprendre les mots du Commandant Saturne. Elle possède une collection d'ouvrages rares encore plus importante que celle de la Team Galaxie, mais elle a toujours refusé d'en vendre quelques-uns à Hélio, malgré les sommes astronomiques qu'il lui a offertes en échange. Et ils sont si bien protégés qu'il est impossible de les voler. Même Niklausson l'a admis.

- Ça ne coûte rien d'essayer encore une fois.

Les lèvres d'Éric se pincèrent, comme souvent quand il réfléchissait. Il rajusta les deux pans de sa blouse, puis finit par déclarer :

- Je vais en toucher un mot à Hélio. Le reste dépendra de sa réponse.

- Je suis confiante. Si tu ne parviens pas à le convaincre, Sven s'en chargera.

À la façon dont les poings d'Éric se contractèrent, Cassy sut qu'elle venait de marquer un point. Il ferait l'impossible pour pousser le leader de la Team Galaxie à accepter uniquement pour qu'elle n'ait pas à faire appel à Sven, et pire encore, qu'il réussisse là où lui-même aurait échoué.

- Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi vouloir absolument t'y rendre avec Galopa, insiste Éric. L'un des sbires pourrait très bien...

- Maintenant que je connais les méthodes de l'organisation, je préfère me charger seule de cette mission. Je n'ai pas envie de voir les gens à qui j'aurai adressé la parole « disparaître » mystérieusement, juste au cas où ils soupçonneraient potentiellement quelque chose à propos de la Team Galaxie.

- Tu es toujours en colère à cause de la mort de nos parents, n'est-ce pas ?

- Leur assassinat, rectifia Cassy d'un ton glacé. Oui, ça, j'ai bien peur de ne jamais pouvoir l'accepter.

La commissure des lèvres d'Éric se souleva, comme pour esquisser un sourire, ce qui eut le don d'agacer sa cadette. Avait-il à ce point si peu de cœur pour que, non content d'être indifférent, il aille jusqu'à retirer un certain plaisir du décès de leur famille ?

- La confiance, ça marche à double sens, Kathy. Le meilleur moyen pour que tes contacts n'aient pas d'ennuis, c'est que tu tiennes ta langue. Tâche de rien révéler de compromettant à propos de tes nouvelles activités et tout ira bien.

- C'est une menace ?

- Un avertissement. Si l'envie te prenait de parler, tu ne ferais pas que mettre la vie de tes amis en danger, mais aussi l'organisation en péril. Tu aurais tout à perdre et rien à gagner, c'est pourquoi je ne m'inquiète pas. Tu es assez intelligente pour le comprendre par toi-même.

Cassy ne releva pas, car Éric avait raison. Elle avait toujours fait passer la sécurité des autres avant la sienne, comme lorsqu'elle avait fui le Bourg-Palette en pleine nuit pour préserver Régis et son grand-père. Elle n'avait cependant guère le choix si elle voulait obtenir des renseignements.

Elle allait donc devoir redoubler de prudence. Heureusement, elle pouvait compter sur son imagination pour l'aider, car un plan germa dans son esprit avant même que son frère ait réussi à obtenir d'Hélio l'autorisation de quitter le quartier général aussi longtemps qu'elle le jugerait nécessaire à ses recherches.

Lorsqu'elle se mit en route pour Voilaroc, le lendemain matin, Cassy avait tout calculé dans les moindres détails, à commencer par son itinéraire. Elle ferait halte à Unionpolis sur le chemin du retour, mais pas pour y rencontrer Kiméra. Elle y retrouverait Esméralda et Cynthia, à qui elle aurait transmis ses instructions par le biais de sa grand-mère, quand elle s'arrêterait à Célestia à l'aller.

Elle avait mis en place maintes précautions, au cas où la Team Galaxie ait le vice de la faire suivre par un sbire, ce dont elle les croyait tout à fait capable. Parvenue dans la cité où Cynthia avait passé son enfance, elle se rendit directement au Centre Pokémon, après avoir ordonné à Galopa de feindre une boiterie.

Il s'était d'abord montré réticent, trop heureux de pouvoir à nouveau galoper en compagnie de sa cavalière, mais il avait fini par obéir. Ces semaines de séparation à Ébènelle n'avaient en rien altérer la complicité que Cassy entretenait avec son ami de toujours.

L'infirmière Joëlle prit en charge le pokémon claudiquant et pendant qu'elle s'assurait de son état, dans une salle d'examen où personne ne risquait de les espionner, Cassy lui remit une lettre.

- Pourriez-vous la donner au professeur Carolina ? pria-t-elle avec un sourire qui se voulait persuasif. Régis Chen savait que je me rendais à Sinnoh et il m'a demandé de la lui transmettre, mais je crains de ne pouvoir m'attarder à Célestia. Ce contretemps avec Galopa m'a déjà mise très en retard.

- Oui, bien sûr.

- Je vous saurai gré d'être très discrète. Cette missive contient des informations sur des travaux confidentiels, à propos desquels il demande conseil à Carolina. Comme il a toujours eu un profond respect pour vos cousines infirmières de Kanto, il ne m'en voudra sans doute pas de m'adresser à vous pour cette tâche.

- Vous pouvez compter sur moi, mademoiselle...

- Rilène. Cassy Rilène.

L'intéressée prononça son pseudonyme avec un sourire. Seul Sven continuait à la nommer ainsi et cela lui manquait. Elle avait beaucoup de mal à se réhabituer au prénom de Katharina, qu'elle avait pourtant porté des années durant, avant de passer les deux dernières à tenter de l'effacer.

Après que l'infirmière eut certifié que Galopa était en pleine forme et que sa boiterie était sûrement dû à un simple caillou, Cassy reprit son chemin. Elle passa la nuit à la belle étoile sur la route 210 et atteignit Voilaroc le lendemain, en début d'après-midi.

Elle connaissait cette ville de vue pour l'avoir traversée à l'époque où elle avait rejoint Cynthia à Célestia, à son retour de Kanto, mais elle ignorait où était situé le quartier général de la Team Galaxie. Éric lui avait cependant assuré qu'elle ne pourrait pas le manquer et, une fois n'était pas coutume, il avait raison.

Le bâtiment était gigantesque, au moins trois fois plus large que celui de Vestigion, et tout aussi moderne, si ce n'était davantage. Face à lui, Cassy eut l'impression d'être minuscule et elle se demanda, l'espace d'un instant, ce qu'elle faisait là. Elle se sentait encore moins à sa place qu'à l'accoutumée.

Elle mit pied à terre, car l'immeuble avait été bâti au sommet d'une butte artificielle trop abrupte pour qu'elle envisage de la gravir sur le dos de son pokémon. Il avança lentement dans son sillage jusqu'à l'entrée, qui était assez large pour lui permettre de pénétrer à l'intérieur.

L'ambiance était différente de celle de Vestigion. Il n'y avait pas de couloirs aux allures de labyrinthe et tout n'était pas d'une blancheur aveuglante, bien au contraire. Le sol était recouvert par un parquet flottant, et non par du carrelage. Quant aux murs, ils affichaient une teinte chaleureuse.

- Bonjour, la salua une sbire en se dirigeant vers elle. Que puis-je pour vous ?

Les uniformes, en tout cas, étaient les mêmes, nota Cassy au premier coup d'œil. Elle se racla la gorge en raffermissant sa main sur la bride de Galopa, puis déclara :

- Mon cousin doit m'attendre, je suis Katharina Galaksija.

- Ah oui, nous avons été informés de votre arrivée. Je suis heureuse de faire votre connaissance. Sylvain est au sous-sol, en plein entraînement. Pour le rejoindre, prenez l'escalier qui est là. Je vais m'occuper de votre pokémon, si vous le voulez.

Cassy lui confia Galopa sans trop d'hésitation. Quand elle n'avait pas le temps de s'occuper de lui, à Vestigion, des sbires s'en chargeaient à sa place, et elle n'avait pas encore eu à se plaindre du travail qu'ils accomplissaient. Le cheval de feu poussa un petit hennissement, mais s'apaisa sitôt que l'employée lui caressa le chanfrein.

Cassy ôta la cape qu'elle portait autour de son cou et la jeta en travers de son bras, tandis qu'elle se dirigeait vers les marches. Plus elle se rapprochait de Sylvain et plus elle sentait le rythme de son cœur accélérer dans sa poitrine. Elle ferma les yeux, prit une profonde inspiration et descendit.