Entre infini et au-delà
Cassy ne fut pas aussi impressionnée qu'elle l'aurait cru par la Conférence du Lys. Elle s'attendait à voir de très bons dresseurs s'affronter, mais elle fut finalement déçue. Ils avaient beau avoir vaincu huit Champions pour se qualifier, ils étaient loin d'avoir un niveau équivalent à celui de Sandra, son modèle de référence.
Les matchs se succédèrent les uns à la suite des autres. Les éliminatoires et les premiers tours ayant eu lieu au cours des jours précédents, il ne restait plus que les quarts, les demies et enfin la finale. Celle-ci fut remportée par un dénommé Paul, au terme d'une âpre lutte.
Si Cassy n'avait accordé qu'un intérêt moyen à la compétition, elle n'était pas restée indifférente à ce qui l'entourait. Les combats s'étaient déroulés dans l'Arène principale de la Vallée du Lys, celle dans laquelle officiait l'Élite des Quatre. Cynthia, ainsi que ses collègues, avaient d'ailleurs présidé le tournoi depuis la loge officielle.
Le cœur de l'adolescente s'était serré lorsqu'elle avait aperçu, de loin, ses longs cheveux blonds et sa tenue aussi noire qu'à l'accoutumée. Le Maître de Sinnoh s'attendait-elle à ce qu'elle soit venue ? Ou pensait-elle qu'elle aurait trouvé une excuse pour ne pas accompagner Sandra ?
Après la finale, des vestiaires privés furent mis à disposition des invités de marque, tels que les Champions, afin de leur permettre de se changer en vue de la fête. Sandra consentit à partager le sien avec Cassy. Pour l'occasion, elle lui avait cédé l'une de ses robes. Trop grande pour elle à l'origine, la dracologue avait demandé à sa mère de la retoucher légèrement.
Cassy s'observa dans le miroir, sans un mot. La dernière fois qu'elle avait porté une robe, elle était encore Katharina Granet, et le vêtement ne lui seyait pas de la même façon. En l'espace de deux ans et demi, son corps s'était affiné et allongé. Avec ses cheveux roux, c'était à peine s'il restait encore quoi que ce soit à reconnaître de la fillette qu'elle avait été. Même ses yeux, qui avaient conservé leur teinte saphir, possédaient désormais une dureté qu'ils n'avaient pas jadis.
- J'aurais été incapable de t'imaginer avec une robe sur le dos avant de te voir de mes propres yeux, révéla Sandra.
- Je pourrais vous retourner le compliment. Je ne pensais pas que vous en aviez dans votre placard si vous ne me l'aviez pas dit.
- Je doute que tu laisses Sylvain indifférent dans cette tenue. Quoique... Je crois qu'il ne l'a jamais été depuis qu'il t'a rencontrée.
Cassy esquissa un sourire qui manquait d'entrain. Elle fixa ses cheveux sur sa nuque à l'aide d'une pince, puis arrangea le collier de Régis autour de son cou. Elle ajusta ensuite la dentelle de ses manches, de manière à masquer correctement son glyphe, puis suivit Sandra hors du vestiaire.
La cité du Lys semblait métamorphosée. Cassy ne l'avait vue que brièvement au cours d'un passage éclair, de nuit, alors qu'elle recherchait Cynthia. Elle était à présent décorée avec de nombreuses banderoles, et des guirlandes lumineuses reliaient les réverbères entre eux. Le sol, quant à lui, était couvert de confettis multicolores.
La foule en liesse était omniprésente, bien loin du souvenir désert et silencieux que Cassy conservait en mémoire. Partout, on s'agitait, on discutait et on dansait. Plusieurs groupes de musiciens, disposés dans des lieux opposés, jouaient des airs entraînants, non loin des tentes dans lesquelles il était possible de trouver des boissons et de la nourriture.
Sylvain rejoignit ses amies et resta quelques secondes ébahi par le spectacle qu'offrait Cassy en robe, comme Sandra l'avait prédit. Celle-ci n'était pas moins élégante, vêtue d'un tailleur exceptionnellement noir, elle qui portait presque toujours des teintes variées de bleu, mais il ne parut même pas la remarquer.
- Tu es... très jolie, parvint-il enfin à bredouiller. Tu...
- Sandra !
Le Topdresseur fut interrompu par l'arrivée de Blanche, qui s'immisça dans leur groupe. Elle les embrassa à tour de rôle, Cassy et lui, puis partagea une rapide étreinte avec la Championne d'Ébènelle. Après avoir échangé quelques politesses, Sandra s'enquit d'un ton cassant :
- Est-ce que tu sais s'il est là ?
Cassy comprit aussitôt qu'elle faisait référence à Peter, pendant que Blanche secouait la tête en signe de dénégation.
- Jusqu'ici, je ne l'ai pas vu. Il arrivera peut-être plus tard. C'est une invitation officielle de Cynthia Shirona, ça m'étonnerait qu'il ne fasse pas au moins une apparition.
- Je doute d'apprécier que le Maître de Sinnoh ait plus d'autorité que moi sur mon propre cousin. Excusez-moi, j'ai besoin d'un verre.
Cassy suivit Sandra du regard jusqu'à la tente la plus proche. Des tables avaient été dressées, ou plus exactement des planches avaient été posées sur des tréteaux. L'un des serveurs l'accueillit avec un sourire éclatant, avant de lui servir du punch à sa demande. Elle l'avala d'une traite. Jamais son élève ne lui aurait soupçonné une telle descente.
- Tu es responsable, ce soir, déclara Sandra en pointant un doigt dans sa direction. Si je suis complètement ivre d'ici la fin de la soirée, tâchez de me ramener à l'Arène avant que je roule sous une table ou que je monte sur l'estrade pour me mettre à chanter.
Cassy grimaça. Elle chantait encore plus mal qu'elle cuisinait, ce qui n'était pas peu dire. Elle promit à Sandra de la chaperonner si tel était son désir, tandis qu'une voix prenait la parole au micro et se répercutait dans les enceintes.
- S'il vous plaît ! Messieurs-dames, par ici, approchez !
Cynthia se tenait sur l'estrade mentionnée par Sandra et faisait signe à la foule. Cassy s'approcha avec Sylvain, mais demeura tout de même à nette distance des premiers rangs.
- Je vous remercie tous d'être venus assister en si grand nombre à la Conférence du Lys, qui a été une fois de plus un succès retentissant, et vous demande encore un tonnerre d'applaudissements pour notre nouveau champion régional, Paul Shinji. Après avoir conclu à la cinquième place de ce tournoi l'an passé, il remporte désormais ce titre très convoité.
Pendant que la foule l'ovationnait, un jeune homme aux cheveux violets et à la mine renfrognée, guère plus âgé que Cassy, monta sur scène. Cynthia lui serra chaleureusement la main en le félicitant, puis lui remit son trophée, une coupe en or qui arborait au centre le logo finement ciselé de la Ligue de Sinnoh.
- Et maintenant, que la fête continue ! conclut la Championne
Lorsque Cassy et Sylvain revinrent vers le buffet, Sandra, toujours en compagnie de Blanche, achevait de vider son troisième verre de punch. Mal à l'aise, le Topdresseur demanda au serveur deux cocktails sans alcool.
- Ne vous inquiétez pas pour elle, murmura la spécialiste du type normal à l'oreille de Cassy. Je m'en occupe. Amusez-vous.
- Vous en êtes sûre ? Je ne voudrais pas que votre soirée soit gâchée par...
- Celui qui gâche tout, c'est toujours Peter, coupa Blanche. Crois-moi, ce n'est pas la première fois que je la vois dans cet état par sa faute. Profitez donc de la fête, ça ne me dérange pas.
Cassy la remercia d'un signe de tête et, non sans un pincement au cœur, s'éloigna avec Sylvain pour déambuler parmi les différents stands. Certains étaient destinés à l'amusement, d'autres à la vente... Des vendeurs déambulaient devant les tentes en proposant aux dresseurs du matériel rare ou bon marché. La clientèle semblait au rendez-vous.
Alors que Cassy sirotait une nouvelle gorgée de cocktail, elle éclata de rire en voyant un adolescent se prendre les pieds dans l'un des nombreux fils électriques tirés à travers la grand-rue. Toute trace d'hilarité s'effaça néanmoins de son visage lorsqu'un Pikachu accourut pour ramasser la casquette qu'il avait fait tomber.
Cassy lâcha son verre, qui s'écrasa sur le sol. Comme il était en plastique, il ne se cassa pas, mais son contenu se déversa par terre tandis qu'elle enfouissait sa tête entre ses mains. Si Sacha était ici, il y avait de fortes chances pour que Régis ne soit pas loin non plus, lui qui exerçait désormais à Sinnoh.
- Qu'y a-t-il ? interrogea Sylvain. Tu ne te sens pas bien ?
- J'ai... un peu la tête qui tourne, mentit-elle. Sûrement la foule. Est-ce que ça t'embête si on s'isole un moment ?
- Bien sûr que non. Viens, allons-y.
Sylvain lui offrit son bras et ils trouvèrent un banc situé à l'écart des festivités. Il n'y avait qu'une piste de danse à proximité, et l'air que jouaient les musiciens était relativement paisible. Plusieurs couples tournoyaient tranquillement au rythme de la mélodie.
- Veux-tu que je retourne te chercher quelque chose à boire ? interrogea Sylvain.
- Non, merci. J'ai juste besoin de rester au calme deux ou trois minutes. Ça ira mieux ensuite.
Cassy devait surtout mettre de l'ordre dans ses pensées. Il fallait qu'elle étouffe au fond de son cœur le désir qu'elle avait de voir Régis, de le serrer dans ses bras. De tous ses amis, il était le seul qu'elle ne pouvait pas se risquer à approcher en public, puisque c'était chez son grand-père que ses poursuivants l'avaient retrouvée.
- Tiens, bonjour, salua une voix mélodieuse.
Cassy, qui fixait ses pieds, leva la tête et blêmit lorsqu'elle vit Cynthia face à eux. Sylvain s'empressa de se mettre debout pour s'incliner légèrement. Le Maître de Sinnoh lui adressa un sourire, puis dit :
- Je te reconnais, tu es le stagiaire de l'Arène d'Ébènelle. Ravie de te revoir. Et toi, je suppose que tu es l'apprentie de Sandra, celle qui aime sortir par la fenêtre, n'est-ce pas ?
Cassy s'empourpra au moment d'acquiescer, puis ramena son attention sur ses chaussures. Elle n'osait pas regarder Cynthia, de crainte que l'étincelle qui brillerait dans ses yeux la trahisse.
- Que faites-vous à l'écart ? demanda la Championne. Vous devriez plutôt profiter de la fête.
- Cassy s'est senti mal à cause de la foule, madame Shirona. Nous sommes venus ici pour lui permettre de se ressaisir.
- C'est vrai qu'il y a beaucoup de monde. Tout à l'heure, j'ai dû aider une jeune fille à retrouver l'une de ses amies. Heureusement, ses vêtements d'un jaune électrique ne passaient pas inaperçus.
Cynthia avait volontairement intensifié le mot et Cassy comprit le message. Puisque Tina portait ce glyphe, cela signifiait que Léa et elle assistaient aux festivités, elles aussi.
- Où est Sandra ? Je n'ai pas encore eu l'occasion de la croiser.
- Avec Blanche, répondit Cassy d'une voix rendue à peine audible par la gêne. Mais... Euh... Elle ne va pas très bien, et je pense qu'il vaudrait mieux... La laisser tranquille.
- Je comprends. J'espère que ce n'est pas trop grave.
- Non, non, assura Sylvain, car l'adolescente s'était de nouveau murée dans le silence. Une simple baisse de moral, ça ira mieux demain.
- Je lui souhaite. Passez une bonne soirée.
Cassy osa regarder Cynthia au moment où celle-ci leur adressait un sourire éclatant, avant de tourner les talons. Le Topdresseur la suivit des yeux jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans la foule, puis s'adressa à son amie :
- Je vais finir par croire qu'elle t'intimide. Comment est-ce possible ? Tu tiens tête à Sandra et tu as peur de Cynthia Shirona, qui est autrement plus sympathique ? Je ne te comprends pas.
- Je suppose que c'est sa prestance qui me fait cet effet-là, éluda Cassy, avant de changer précipitamment de sujet : Et si on dansait ? Je me sens un peu mieux, maintenant.
- Tu es sûre ? Tournoyer alors que tu as eu un étourdissement, je doute que ce soit recommandé.
- Tant pis, je prends le risque. Nous n'allons tout de même pas passer la soirée assis sur un banc.
Sylvain haussa les épaules, mais se laissa convaincre. Il prit la main de Cassy et ils se dirigèrent ensemble vers la piste de danse, où le violoniste entamait un slow. Tandis que la jeune fille passait ses bras autour du cou du Topdresseur, elle esquissa un sourire en songeant que la seule et unique fois où elle avait dansé, c'était avec Sven, juste avant que le bateau à bord duquel ils voyageaient percute un ban de Corayon. Au moins, cette fois, aucune catastrophe ne se produirait.
- Tu sais, murmura-t-elle pendant qu'ils se mouvaient au rythme de la musique, j'aurais sincèrement aimé que ça se passe différemment entre nous.
- Il faut croire que notre relation est incompatible avec ce que nous sommes, répondit Sylvain avec la même tristesse.
Cassy se rapprocha de lui, assez pour poser la tête sur son épaule. Elle le sentit se raidir. Lui qui avait l'habitude de la voir fuir, il ne devait pas s'attendre à ce qu'elle fasse le premier pas.
- Si j'ai accepté d'être ta cavalière ce soir, c'est parce qu'il s'agit de ma façon de te dire adieu, avoua-t-elle. Je ne voulais pas que tu partes sans l'avoir fait. Je l'aurais regretté indéfiniment, sinon.
Le Topdresseur s'immobilisa et obligea Cassy à le regarder en face. Elle s'exécuta et ne bougea pas lorsqu'il prit son menton entre ses mains, pas plus que lorsqu'il avança son visage vers le sien et que ses lèvres frôlèrent les siennes. Elle se contenta de fermer les yeux en signe de reddition complète.
- Sylvain ! s'exclama alors un timbre masculin. Arrête ça tout de suite !