Entre infini et au-delà

Chapitre 75 : La légende de Rose Latulipe

2069 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/09/2017 15:20

Sandra tint sa parole et permit à Cassy de conserver l'œuf. En plus de cela, elle lui procura un incubateur au Centre Pokémon, afin de le conserver dans les meilleures dispositions possibles jusqu'à son éclosion. La jeune fille l'avait installé sur son bureau et contemplait chaque jour son contenu.

Elle lisait quantité d'ouvrages sur les bébés dragons et, le plus souvent, les achevait paniquée. Apparemment, ils pouvaient se montrer impulsifs, dangereux et agressifs dès leur naissance, n'hésitant pas à attaquer la première personne qu'ils verraient s'ils ne reconnaissaient pas celle-ci comme étant leur mère.

Cassy essaya de demander quelques conseils à Sylvain, car il lui avait avoué avoir déjà fait éclore un œuf, à l'Académie de Mauville, mais il refusait toujours obstinément de lui adresser la parole. Même Sandra, après avoir tenté de relancer la communication entre eux à plusieurs reprises, avait baissé les bras.

Cassy songeait parfois qu'elle pourrait peut-être envisager de dire la vérité au Topdresseur, de lui montrer son propre glyphe et de partager ses connaissances avec lui, mais elle finissait par laisser cette idée de côté.

Tout ce qu'elle savait de Sylvain, c'était que lui aussi cachait un secret, et qu'il savait probablement plus de choses qu'elle. Elle ignorait qui étaient sa famille, ses amis, ses relations... Dans le fond, et malgré l'affection qu'elle avait pour lui, rien ne prouvait qu'elle pouvait lui accorder aveuglément sa confiance.

Après tout, Sven lui avait déjà sauvé la vie deux fois, et elle ne se fiait pas à lui pour autant. Elle n'avait certes pas encore surpris Sylvain en train de cambrioler un musée, mais elle n'était sûre de rien.

Le dilemme auquel Cassy était exposée s'achèverait de toute façon bientôt, en même temps que le stage de l'adolescent, à la fin du mois de février. Elle ignorait ce qui la tourmentait le plus. Savoir qu'ils se quitteraient en froid et qu'elle ne le reverrait certainement jamais, ou se retrouver seule à l'Arène avec Sandra.

Comme celle-ci livrait une série de matchs contre des dresseurs avides de badges dans la salle de combat, Cassy décida d'aller l'observer un petit moment, afin de détourner son esprit de ses préoccupations, mais elle se fit jeter dehors par la Championne avant la fin du premier round, qui lui intima de cesser de se tourner les pouces.

Ne souhaitant pas se rendre dans la bibliothèque où Sylvain parachevait les derniers détails de sa thèse, elle quitta l'Arène et s'installa non loin de l'étang pour s'exercer avec Draco. Elle lui fit d'abord exécuter quelques mouvements d'assouplissements, puis répéter les attaques et les différents combos qu'ils avaient mis au point.

Quand cela fut fait, elle se mit en quête d'un pokémon sauvage à affronter. Cassy songea, l'espace d'une téméraire seconde, à en trouver un dans l'Antre du Dragon, avant de se raviser. Mieux valait ne pas agacer Sandra en s'aventurant à l'intérieur sans sa permission alors qu'elle serait sous peu son unique bouc-émissaire.

L'adolescente déambulait dans un bosquet d'arbres, Draco sur ses talons, sans parvenir à croiser une seule créature, quand elle entendit le son lointain d'une voix crier son nom. C'était un timbre masculin, qu'elle reconnut comme étant celui de Sylvain. Un peu surprise, elle hésita à réapparaître. Que lui voulait-il, lui qui n'avait pas eu un mot pour elle depuis des jours ?

D'un pas lent, elle émergea de l'ombrage et le Topdresseur, qui était en train de parcourir les environs immédiats de l'Arène à sa recherche, la remarqua aussitôt. Il pressa l'allure pour la rejoindre.

- Quand j'ai vu que tu n'étais pas dans ta chambre, j'ai supposé que je te trouverais probablement dehors.

- Qu'est-ce que tu veux ? demanda Cassy, suspicieuse.

Le ton de Sylvain était dépourvu de toute animosité, et même presque chaleureux, ce qui avait de quoi soulever des questions, après la fureur qu'il avait nourrie contre elle. Pourquoi changeait-il aussi brusquement d'attitude ? Que désirait-il ?

- J'aimerais te dire un mot. Est-ce qu'on peut marcher pendant qu'on discute ? Je préfèrerais.

Cassy rappela Draco dans sa pokéball, puis emboîta le pas à Sylvain qui s'était déjà remis à marcher. La jeune fille se plaça à ses côtés tandis qu'ils s'engageaient sur la pente qui menait à Ébènelle. L'herbe était glissante, mais en prenant quelques précautions, il était facile d'éviter la chute.

- Alors ? demanda Cassy, qui peinait à réfréner son impatience. De quoi souhaites-tu m'entretenir ?

Une part d'elle voulait croire qu'il allait enfin lui révéler son secret, tandis que l'autre était convaincue qu'il ne le ferait pas. Sylvain semblait nerveux, presque hésitant. Il rajusta l'écharpe qu'il portait autour du cou, avant de se lancer :

- Puisque je vais bientôt partir, je tenais à ce que tu saches que je suis sincèrement désolé. Je regrette que nous en soyons arrivés là.

- Pourquoi ? C'est en grande partie ma faute, non ?

- C'est vrai que tu n'avais pas à fouiller dans mon ordinateur, mais... En fait, ce pour quoi je m'en veux le plus, c'est mon silence. Ces derniers jours, j'ai été tenté de te parler, de tout t'avouer, mais je ne peux pas.

- Pourquoi ça ? Que risques-tu ?

- Énormément. Déjà, j'ai donné ma parole, et je ne peux pas la trahir, car ce serait trahir mes parents. Je chéris trop leur mémoire pour m'y résoudre. Ensuite, les enjeux sont bien trop grands. Je veux croire que tu es digne de confiance, Cassy, mais je n'en ai aucune preuve. Comprends-moi, si je te révélais mon secret, qu'est-ce qui me prouve que tu n'irais pas le répéter, hormis ta simple parole ?

L'adolescente ouvrit la bouche pour lui assurer que jamais elle ne ferait cela, mais elle la referma finalement sans avoir laissé échapper un mot. Comment aurait-elle pu blâmer Sylvain quand elle-même se taisait pour des raisons identiques ?

- Je suppose que tu me prends pour un fou, n'est-ce pas ? Un individu louche et paranoïaque ?

- Non, ou bien je le suis autant que toi. Moi aussi, j'ai mes propres mystères.

- Parfois... Parfois, j'ai l'impression d'être lié à toi, confessa Sylvain. J'ai le sentiment que si je te parlais, tu me comprendrais mieux que quiconque, et je me sens terriblement mal de ne pas pouvoir le faire. Je voudrais tout te dire, faire tomber toutes ces barrières qui nous séparent, mais je...

Le Topdresseur s'interrompit. Il parcourut encore une dizaine de mètres, puis s'immobilisa, les mains dans les poches. Il en sortit une pour triturer machinalement les pokéballs suspendues à sa ceinture.

- D'une certaine manière, ça vaut mieux pour moi d'en finir avec ce stage, avoua-t-il dans un souffle. Tu es perspicace, Cassy, et très intelligente. Tu comprendrais tôt ou tard de quoi il en retourne, si je m'attarde. Et même si ce n'est pas le cas, j'aurais du mal à continuer à me taire alors que mon cœur me souffle le contraire.

Sylvain retira l'un de ses gants pour effleurer la joue de son amie du bout des doigts. Il frôla d'abord sa pommette, puis fit courir sa main sur sa peau, jusqu'à la commissure de ses lèvres qu'il effleura avec son pouce. La sensation était agréable, mais Cassy se sentait mal à ce contact. La respiration saccadée, le corps tremblant, elle recula d'un pas.

La relation qu'elle entretenait avec Sylvain n'avait rien à voir avec celle qui la liait à Sven. Les sentiments de l'adolescent étaient plus purs, plus touchants. C'était justement ce qui l'effrayait. Il y avait en lui une telle douceur, qui s'étendait parfois même jusqu'à la candeur...

Sven était différent. Il n'avait pas peur de braver les interdits, comme il l'avait fait lors de leur première rencontre en prenant sous son aile la passagère clandestine qu'était Cassy. Elle avait ensuite découvert sa part de ténèbres, et son penchant pour les actes criminels.

Sylvain avait beau posséder des secrets, tout ce que la jeune fille percevait en lui, c'était la lumière, or elle-même avait la sensation de s'en éloigner irrémédiablement. Pas seulement à cause de Lilith, mais parce qu'elle avançait dans le noir depuis qu'elle avait quitté le Bourg-Palette. Elle n'avait plus de repères et si Ébènelle était devenu son phare, en quelque sorte, elle vivait dans la crainte de le voir s'effondrer.

- Pardon... murmura Sylvain.

- Toi, pardonne-moi. Je... Je suis désolée.

Les lèvres et la voix rendues tremblantes par la peine, Cassy tourna les talons et s'éloigna en courant vers l'Arène. Le Topdresseur ne chercha pas à la suivre, tandis qu'elle remontait la pente et s'engouffrait à l'intérieur du bâtiment. Elle n'avait pas encore atteint sa chambre quand les larmes commencèrent à ruisseler sur ses joues.

Était-ce tout ce que lui réservait l'avenir ? Perdre ou devoir renoncer aux gens qu'elle aimait ? D'abord Éric, puis Régis et maintenant Sylvain... Sandra serait-elle la prochaine sur la liste ? Cassy en était convaincue. Quel que soit le destin que lui promettait son glyphe, le bonheur n'en faisait pas partie.

Cette douleur qu'elle ressentait empirait à chaque fois qu'elle s'éloignait d'un être cher. Combien de temps encore pourrait-elle la supporter ? Comment pourrait-elle endurer cette solitude sans que le chagrin finisse par la rendre folle ? Si seulement elle savait pourquoi elle subissait cela, pourquoi c'était elle qui portait la marque du dragon, et pas quelqu'un d'autre.

Les yeux rouges, gonflés par les pleurs, elle était étendue sur son lit quand quelqu'un toqua à la porte de sa chambre. Elle ne bougea pas, de crainte qu'il s'agisse de Sylvain. L'adolescent était néanmoins trop courtois pour insister après qu'elle se fut enfuie précipitamment. Et surtout trop courtois pour pousser le battant sans y avoir été invité.

- Ah... lâcha Sandra tandis que Cassy se redressait sur un coude. Moi qui pensais que tu serais heureuse de te réconcilier avec Sylvain... Tu as refusé, c'est ça ?

- Refuser quoi ?

- D'être sa cavalière pour la fête qui clôturera la Conférence du Lys. Il m'a dit tout à l'heure qu'il avait l'intention de t'inviter. Il s'est dégonflé ?

- Il... Non. Je crois que je ne lui en ai pas laissé le temps, en fait.

- Tu devrais aller le voir, dans ce cas. À moins que ce ne soit pas ce que tu veuilles.

- Je vais réfléchir.

Sandra acquiesça et disparut en refermant la porte, tandis que Cassy se laissait retomber sur le flanc. Elle roula sur le dos et fixa le plafond en poussant un soupir. Il ne lui restait plus que quelques jours à partager avec Sylvain. Valait-il mieux maintenir la distance entre eux ou accepter une proposition qu'il n'avait pas eu l'audace de lui faire ?

Cassy était déjà très attachée à lui, trop pour ne pas souffrir lorsqu'elle le perdrait. N'était-il pas préférable de ne pas renouer ces liens qui se briseraient sous peu pour de bon ? Elle en avait envie, pourtant, malgré la douleur que cela engendrerait.

Elle repensa à Éric, à Régis... Autant de gens qu'elle aimait et à qui elle n'avait pu faire de vrais adieux, pour une raison ou pour une autre. Elle ne se souvenait plus des derniers mots qu'elle avait échangés avec son frère, ni de leur dernière activité commune. Quant à son meilleur ami, elle l'avait abandonné en catastrophe en pleine nuit, pour lui sauver la vie. La fête de la Conférence du Lys pourrait être un moyen de se séparer correctement de Sylvain, avec moins de regrets.

Cassy essuya ses yeux et mit de l'ordre dans sa chevelure, puis se leva. D'un pas lent, presque robotisé, elle quitta sa chambre et remonta le couloir jusqu'aux appartements voisins. Là, face à la porte, elle leva le poing et toqua. Sylvain lui ouvrit presque aussitôt.

- Sandra m'a expliqué, avoua-t-elle d'une voix neutre. C'est d'accord. Je veux bien être ta cavalière.

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