Entre infini et au-delà
Les trois demoiselles suivirent Pierrick dans une vaste salle, dont le plafond était soutenu par deux rangées de colonnes, parallèles aux murs recouverts d'un élégant papier peint couleur noisette. Des peintures étaient suspendues à intervalles réguliers, dans des cadres finement ciselés. Elles représentaient des pokémon travaillant dans une mine en compagnie d'humains.
- Ces tableaux que vous voyez ont été réalisés par mon grand-oncle, il y a plus de trente ans. C'est le seul membre de ma famille à avoir réellement eu la fibre artistique. Ses toiles ont été exposées ici par son frère, qui était alors responsable du Musée Minier. Alignées, elles retracent dans l'ordre chronologique toutes les phases de l'extraction du charbon. Tout d'abord, nous plaçons des doses légères de dynamite dans les tunnels, pendant que des créatures solides, comme des Machopeur ou des Gravalanch, soutiennent les parois. Parfois, en plus de minerais, nous avons la chance incroyable de tomber sur des trésors rares et précieux.
Le Champion d'Arène se tut quelques secondes, afin de laisser à ses accompagnatrices le temps d'observer les diverses peintures en toute tranquillité, puis leur fit signe de lui emboîter le pas jusqu'à un escalier qui menait à l'étage. Elles débouchèrent cette fois-ci dans une pièce remplie de vitrines.
Derrière les nombreux compartiments en verre, astiqués avec soin, elles purent apercevoir plusieurs sortes de fossiles. Dôme, nautile, crâne... Il y en avait de toutes les formes, et pour tous les goûts.
- Ce ne sont pas des vrais, jugea utile d'indiquer Pierrick. Nous ne conservons que très rarement les originaux après en avoir effectué un moulage, car ils sont presque aussitôt envoyés au laboratoire de recherches, où les scientifiques font leur maximum pour ressusciter ces pokémon disparus. C'est de cette manière que j'ai obtenu mon Kranidos, qui a aujourd'hui évolué en Charkos. Venez, poursuivons la visite par ici.
Les quatre jeunes gens se dirigèrent vers une salle adjacente, où étaient exposées plusieurs statues grandeurs nature de créatures désormais disparues, et auxquelles seule la science pouvait rendre vie. Cassy s'approcha d'un Ptera suspendu au plafond avant de se tourner vers le Champion pour l'interroger :
- Ces pokémon comptent-ils parmi les premières créatures à avoir peuplé la Terre ? Ou y en a-t-il eu d'autres, avant ?
- Si ta question concerne les différentes espèces recensées à ce jour, comme les Tiplouf ou les Lixy, ils existaient également à l'époque où ces fossiles ont disparu.
L'interrogation de l'adolescente faisait plutôt référence aux Gijinkas, mais elle s'abstint d'insister. Si elle se montrait moins sibylline sur un sujet aussi tabou, elle risquait d'éveiller les soupçons. Elle détourna donc la conversation dans une nouvelle direction.
- Si tel est le cas, pourquoi seuls les pokémon représentés dans cette salle se sont éteints, alors que les autres ont survécu depuis tout ce temps ?
- C'est simple, il suffit d'en connaître l'explication. Regarde, proposa-t-il en allant s'agenouiller à côté de la représentation d'un Amonistar. Celui-ci était très lent. Comme il ne pouvait pas fuir ses prédateurs, il a été obligé de privilégier sa défense. Au fil du temps, la carapace qui l'entoure est devenue si lourde et si solide qu'elle l'empêchait de se mouvoir. Finalement, il ne pouvait plus chasser, ou se reproduire, raison pour laquelle ils ont tous disparu.
Cassy hocha distraitement la tête, feignant d'être intéressée. Ces anecdotes étaient certes passionnantes, mais elles ne lui étaient d'aucune utilité pour répondre aux trop nombreuses questions qu'elle se posait.
- Je vais vous montrer le laboratoire, à présent, déclara Pierrick. Il est normalement interdit au public, mais puisque cette visite n'a rien de conventionnelle, et surtout parce que vous êtes des amies de Cynthia, je vais faire une exception. Je me permets tout de même de vous mettre en garde au préalable. Tout ce que vous verrez là-bas est extrêmement fragile et précieux, raison pour laquelle je vous en conjure, ne touchez à rien. Si quelque chose venait à être cassé, ça pourrait retarder les recherches de plusieurs semaines.
Après avoir promis de faire attention, les deux jeunes filles suivirent le Champion, tandis que Cynthia fermait la marche. Ils suivirent un long couloir qui les mena à une porte fermée par un digicode. Pierrick le tapa avec une telle rapidité qu'il serait impossible pour quiconque d'avoir eu le temps de le mémoriser.
Ils entrèrent dans un vaste espace au toit vitré, à l'instar du mur situé juste en face d'eux. Transparent, il donnait sur la serre qu'elles avaient pu contempler de l'extérieur. Léa, curieuse, alla coller son nez dessus dans l'espoir de voir ce qui se trouvait de l'autre côté. Elle fit un bon en arrière quand un Ptera passa tout près d'elle, étouffant un cri.
- Ne t'inquiète pas, tu n'as rien à craindre. Ce verre est si épais que même un Ultralaser ne pourrait pas le briser. Nous avons reconstitué à l'abri de ce dôme l'habitat naturel de ces pokémon pour les intégrer progressivement à notre époque. Ils ont pu retrouver le climat plus chaud qui régnait sur Terre autrefois, ainsi que la faune dans laquelle ils ont toujours vécu, sauvage et hostile.
- Est-ce que ça fonctionne bien ? interrogea Cynthia en s'approchant à son tour.
- Nous n'avons encore jamais eu de problèmes majeurs. Il arrive que la plupart de ces spécimens se révèlent plus agressifs que la moyenne et tentent parfois pour certains de nous attaquer, mais rien de plus. Ils finissent par se calmer d'eux-mêmes au bout d'un temps d'adaptation, qui varie en fonction du pokémon.
Pierrick se tourna vers deux gros cylindres câblés qui reliaient le sol au plafond. Ils étaient entrouverts. Cassy et Léa les étudièrent longuement lorsqu'il leur expliqua que c'était là-dedans qu'ils ramenaient parfois un fossile à la vie, grâce à la quantité d'énergie qu'ils pouvaient accumuler.
- Le plus dur est de remettre l'ADN en mouvement, car après être resté si longtemps immobile, figé dans la pierre, il ne peut plus exercer son rôle, or c'est capital pour un pokémon, puisqu'il en a impérativement besoin pour évoluer par la suite.
- Tout ceci est vraiment fascinant, affirma la fillette en applaudissant joyeusement.
- Il ne me reste plus qu'à vous montrer la dernière salle, où nous exposons tous les objets de valeur que nous découvrons dans la mine. C'est par ici, mesdemoiselles.
Léa s'élança d'un pas bondissant à la suite du jeune homme pendant que Cassy restait un peu en retrait, à hauteur de Cynthia, mais suffisamment loin des oreilles des autres. À voix très basse, sans la regarder, tandis qu'ils regagnaient le corridor, elle murmura :
- Je m'interroge... Il y a quelque chose que je ne comprends pas, à propos des marques. Si elles ont un lien particulier avec le type qu'elles représentent, pourquoi sont-elles apparues sur ma peau ou sur celle de Léa lorsqu'on sait que les Champions d'Arène sont les meilleurs dresseurs dans la catégorie qu'ils ont choisie pour se spécialiser. Le symbole du dragon, par exemple, aurait mieux convenu à Peter, vous n'êtes pas de mon avis ?
- Ton raisonnement se tient, même si je ne suis pas d'accord. N'importe qui peut se perfectionner dans n'importe quel type. Une fillette angélique pourrait entraîner des pokémon ténèbres pendant qu'un garçon chétif élèverait des dragons, alors qu'un brigand se tournerait vers le type normal. Tu vois où je veux en venir ? Peut-être que ce n'est pas au dressage que ces glyphes s'adressent, mais aux gènes, puisqu'ils sont à même ta peau. Ton ADN a peut-être un lien avec les dragons, comme celui de Léa avec le type plante.
- Toutes nos hypothèses sont plausibles, mais nous n'arrivons à en confirmer ou à en infirmer aucune, se lamenta Cassy, penaude. Je commence à penser que nous tournons en rond, exactement comme l'agent Jenny au sujet de ma famille. Plus nous plafonnons, plus nous avons d'idées. Nous ne parviendrons jamais à découvrir quoi que ce soit, à cette allure. Nous ne savons même pas ce que nous cherchons exactement.
Cynthia s'apprêtait à ouvrir la bouche pour répondre quand sa voix fut recouverte par une sonnerie stridente, qui fit sursauter Cassy. Elle lui rappelait son premier voyage désastreux sur le bateau qui l'avait menée à Kanto, sauf que cette fois-ci, elle était sur la terre ferme.
- Que se passe-t-il ? cria la Championne à l'adresse de son homologue, tout en se bouchant les oreilles à deux mains.
- La sirène d'alerte. Je crois que quelqu'un essaye de cambrioler le musée. C'est une chance que nous soyons ici : je vais pouvoir le prendre par surprise et l'arrêter avant qu'il n'ait le temps de sévir.
- Je vais t'aider. Cassy, Léa, restez ici. Et surtout ne bougez pas. Je reviens aussi vite que possible.
Les dresseurs professionnels s'éloignèrent en courant dans la direction opposée au laboratoire, où se trouvaient les escaliers. Là, ils se séparèrent. Pierrick montait au troisième et dernier étage pendant que Cynthia descendait au rez-de-chaussée.
- Sors ton Bulbizarre, conseilla Cassy à son amie. Autant prévoir avant que le voleur ne nous tombe dessus sans crier gare.
La fillette attendit que l'alarme se soit interrompue pour appeler son pokémon, car il était encore craintif et elle ne voulait pas prendre le risque de l'effrayer. Sur leurs gardes, elles attendirent de longues minutes le retour de l'un ou l'autre des Champions. Léa s'était recroquevillée contre l'adolescente, qui avait passé un bras autour de ses épaules pour la rassurer. Étonnamment, Cassy n'éprouvait pas la moindre peur.
À force de tendre l'oreille pour tenter de percevoir un bruit, n'importe quoi qui aurait pu les tenir informées de l'avancée de la situation, la jeune fille finit par entendre une sorte de frottement, comme si quelque chose de solide était en train d'être découpé. Cela semblait provenir du laboratoire.
Léa l'avait écouté, elle aussi, car elle tourna vers elle un regard empli d'effroi. Cassy posa un doigt sur sa bouche pour lui intimer le silence complet, avant de se rapprocher d'elle jusqu'à coller quasiment ses lèvres contre son oreille, dans le creux de laquelle elle murmura le plus bas possible :
- Surtout, ne bouge pas. Et si tu vois quelque chose de suspect, n'hésite pas à attaquer avec Bulbizarre. Je reviens.
- Mais...
- Chut !
Longeant le mur, l'adolescente se glissa contre la porte du laboratoire, que Pierrick avait oublié de refermer dans sa précipitation. Elle jeta un rapide coup d'œil dans l'entrebâillement. Le bruit qu'elle avait perçu avec Léa semblait provenir du plafond.
Levant la tête, elle vit une silhouette, entièrement vêtue de noir, en train de découper le toit vitré à l'aide d'un diamant. Quand un morceau sphérique en fut détaché, libérant une ouverture, l'inconnu fixa à l'aide d'un ingénieux système de ventouses une corde qui lui permit de descendre au centre de la pièce.
- Va chercher Cynthia, vite ! articula Cassy sans émettre le moindre son, mais en s'aidant de gestes pour que Léa comprenne. Il est là !
La fillette rappela Bulbizarre dans sa pokéball avant de s'éloigner en courant en direction des escaliers, au bas desquels elle espérait trouvait le Maître de Sinnoh. Cassy pénétra dans le laboratoire, avec l'objectif téméraire de retenir le voleur jusqu'à l'arrivée des autres. Sitôt à l'intérieur, elle remarqua que la pièce était vide.
En entendant les gonds coulisser derrière elle, elle comprit qu'elle venait de se faire piéger. Comme elle ne connaissait pas le code, elle se retrouvait seule, enfermée avec le cambrioleur, sans personne pour lui porter secours. Elle se retourna, peu rassurée, afin de faire face à celui qui la retenait captive.
Elle n'eut pas le temps de voir son visage qu'une main se referma sur ses hanches et des lèvres sur les siennes. Elle ouvrit des yeux ronds, aussi surprise que choquée, avant de reconnaître l'homme habillé en noir. Se débattant, elle parvint à échapper à sa prise pour reculer d'un pas, qui la plaça hors de portée.
- Cassy, salua-t-il avec un sourire enjôleur.