Entre infini et au-delà

Chapitre 34 : Je mens

2529 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 04:40

- Sven ? s'exclama Cassy. Qu'est-ce que tu fais ici ?

- Et toi ? Je ne pensais pas qu'il y aurait de la concurrence.

- De quoi parles-tu ?

- Du cambriolage du musée, bien sûr. Tu recommences, malgré ta petite mésaventure à Sinnoh ?

- Ma petite...

L'adolescente mit un moment à comprendre ce qu'il voulait dire. Elle avait totalement oublié que, lorsqu'elle l'avait rencontré à bord du bateau menant à Kanto, elle avait prétendu être une voleuse en fuite, qui tentait désespérément d'échapper à l'agent Jenny et ses subordonnés.

- Non, finit-elle par lâcher. Je ne suis pas ici pour commettre un forfait, car j'accompagne des amies. Nous étions en train de visiter le Musée Minier, que Pierrick a aimablement accepté d'ouvrir pour nous. Permets-moi de t'avertir, d'ailleurs : Cynthia, la grande Cynthia de l'Élite des Quatre, est ici. Si tu la croises, tu n'auras aucune chance de t'échapper.

- Comment t'es-tu retrouvée avec une bande pareille ? demanda Sven, sans masquer sa surprise.

- Même si je te le disais, tu ne me croirais pas...

Cassy observa avec une curiosité non dissimulée son interlocuteur, qui arborait une combinaison moulante en cuir noir, ainsi qu'un bonnet qui recouvrait ses cheveux sauvages. Un mousqueton était fixé à sa taille, maintenant la corde qui reliait le sol au plafond. Divers autres objets étaient accrochés à son ceinturon.

- Vas-tu m'expliquer ce que tu es venu chercher ? interrogea-t-elle dans un murmure. Depuis quand es-tu un voleur ?

- Voleur n'est pas le terme que j'utiliserais pour me qualifier, affirma-t-il avec un clin d'œil complice. J'admets cependant volontiers que mon emploi consiste essentiellement à commettre des actes douteux au regard de la loi et de la morale. Disons pour faire simple que j'accomplis des missions.

- Dans ce cas, tu travailles pour quelqu'un.

- Tu es une petite futée, toi, susurra-t-il avant de déposer un nouveau baiser sur ses lèvres entrouvertes. Effectivement, je reçois des instructions d'une personne, contrairement à toi qui as la chance inouïe d'œuvrer pour ton propre compte.

Cassy grommela quelque chose d'inaudible. Elle regrettait d'avoir menti à Sven en prétendant être coupable d'un vol pour justifier son désir d'échapper coûte que coûte à la police quand lui-même s'avérait finalement être un véritable criminel.

- À cause de ta situation, je ne devrais même pas me compromettre avec toi, poursuivit-il. La règle d'or, dans un milieu comme le mien, est de ne jamais courir de risques inutiles.

- Pourquoi le fais-tu, dans ce cas ?

La question de l'adolescente parut le déstabiliser, alors qu'il avait entrepris de commencer à fouiller tous les placards et les tiroirs de la pièce, à la recherche de lui seul savait quoi. Après plus de deux minutes de silence, il haussa les épaules.

- Sais pas. Il faudra sérieusement que je médite là-dessus à l'avenir.

Des coups précipités furent frappés à la porte au même instant. La voix de Cynthia leur parvint, étouffée par l'épaisseur du métal. Elle appelait Cassy, qui ne tarda pas à lui répondre, sans quitter Sven du regard. Il venait de s'emparer d'un épais dossier et était sur le point de s'enfuir avec quand elle le retint par le bras.

- Pour qui travailles-tu ? chuchota la jeune fille afin d'être certaine que personne ne l'entende à l'extérieur de la pièce.

- Secret professionnel.

Le jeune homme lui adressa un sourire sournois, puis se hissa le long de la corde jusqu'au toit vitré, sur lequel il se mit à courir. L'entrée du laboratoire fut déverrouillée par une série de bips, provoqués par le clavier numérique, au moment où il disparaissait totalement. Cynthia fit irruption dans la salle, Pierrick et Léa sur ses talons, mais trop tard.

- Cassy, tu vas bien ? s'exclama la Championne en fondant sur elle. J'ai eu tellement peur ! Que s'est-il passé ?

- Je n'ai rien. Il ne m'a pas fait de mal. Je suis désolée, je n'ai pas réussi à le retenir. Il vient de s'échapper par là, ajouta-t-elle en désignant le cercle que Sven avait découpé à même le verre. Je n'ai pas pu voir son visage, il portait une sorte de cagoule qui ne laissait rien voir, hormis ses yeux.

- Est-ce que tu sais ce qu'il a volé ? demanda Pierrick avec anxiété.

- Des dossiers, je crois. Je m'en veux, j'aurais aimé pouvoir faire quelque chose, mais il a refermé la porte derrière moi, et...

- Ne t'inquiète pas, murmura le maître de Sinnoh en la serrant contre elle. C'est fini, maintenant. Je suis soulagée qu'il ne te soit pas arrivé malheur. Quand je pense à ce qui aurait pu se passer si ce malfaiteur avait été décidé à employer la force...

- Cynthia... articula l'adolescente d'un ton ferme en appuyant consciencieusement sur chaque syllabe. Il n'a volé que des documents scientifiques.

- Oui, il... Oh ! Je... Pierrick, tu pourras t'occuper de tout sans moi ? Je crois que je ferais bien de conduire les filles dans un endroit tranquille. Les pauvres sont en état de choc.

Son regard se posa sur Léa, qui tremblait comme une feuille à côté du Champion, puis sur l'adolescente qu'elle tenait encore dans ses bras et qui avait le regard vide. Le jeune homme acquiesça d'un signe de tête. S'excusant encore une fois de n'avoir rien pu faire pour l'aider, elles prirent congé de lui.

- Il va sûrement prévenir la police... commença Cassy, lorsqu'elles se furent installées à la terrasse d'un café sélectionné par Cynthia pour déguster une tasse de chocolat chaud. Que se passera-t-il si l'agent Jenny vient nous interroger ? Si elle me reconnaît ?

La Championne ouvrit la bouche pour lui répondre, mais le regard de Léa se tourna vers elle au même moment, la dissuadant de s'exprimer. Feignant la maladresse, elle renversa un peu de sa boisson sur la table et s'exclama :

- Mince ! Est-ce que tu peux aller au comptoir demander quelques serviettes supplémentaires, s'il te plaît ? Oh, et sans vouloir abuser, est-ce que tu peux aussi commander trois parts de cheese-cake ?

L'enfant acquiesça et se leva. Elle n'avait quasiment pas prononcé le moindre mot depuis qu'elles avaient quitté le Musée Minier, un exploit chez elle qui parlait constamment, d'ordinaire. Cynthia attendit qu'elle soit suffisamment loin pour glisser sa main dans la poche de son manteau.

- J'avais prévu d'attendre que nous soyons aux Colonnes Lances pour te faire la surprise, mais... Voilà.

Elle fit glisser devant elle un document plastifié à la forme rectangulaire. Il s'agissait de la fausse carte d'identité promise à Cassy. Les contacts de Lucio avaient effectué un véritable travail d'orfèvre, car elle était en tout point identique à une vraie. La jeune fille sourit en constatant que sa région de naissance, Sinnoh, avait été remplacée par celle qui l'avait adoptée, Kanto.

- Tu n'es plus Katharina Granet, tu n'as donc plus à redouter la police, indiqua Cynthia. Enfin, c'est provisoire, bien entendu. Lorsque nous aurons résolu cette affaire au centre de laquelle tu te trouves, tu seras libre de redevenir toi-même.

- Je ne suis pas certaine d'en avoir vraiment envie. Je ne sais pas comment l'expliquer, c'est juste que... J'ai tellement changé en si peu de temps que je préfère me convaincre que je suis réellement Cassy, et que la véritable Katharina a disparu dans le salon de sa ferme en même temps que le reste de sa famille.

- Je comprends. À ce sujet... Tu m'as fait un sous-entendu, au Musée Minier, non ?

- Je crois... J'ai des doutes. Est-ce que ce cambriolage pourrait avoir un lien avec les barbares qui ont fouillé la chambre de mon frère ? J'ignore quoi penser. Les méthodes utilisées étaient différentes : aujourd'hui, le voleur aurait pu passer inaperçu si je ne l'avais pas surpris. Son forfait avait une certaine délicatesse, si je puis dire, et il ne m'a fait aucun mal. Chez moi, les miens ont été massacrés et la chambre d'Eric intégralement retournée. Ça ne correspond pas.

- À moins que nous fassions fausse route depuis le début. Peut-être que ceux qui ont attaqué ta famille n'ont aucun lien avec ceux qui sont ensuite venus pour tenter de voler les recherches de ton frère.

- Non. Ces deux affaires ont forcément un rapport. Personne ne savait rien de nous, nous vivions à l'écart et nous ne nous faisions jamais remarquer. C'était obligatoirement quelqu'un qui savait où nous trouver. Je ne peux pas songer que ces évènements soient étrangers l'un à l'autre. En revanche, pour ce qui est du vol qui vient de se produire au musée... Je me demande si ce n'est pas moi qui cherche désespérément la moindre coïncidence susceptible de me fournir un indice.

- Oublions tout ça pour le moment, proposa Cynthia en buvant une gorgée de chocolat, sans quoi nous allons finir par nous perdre, à vouloir emprunter trop de chemins. Je pense qu'il serait préférable de nous concentrer sur les hypothèses que nous avons déjà établies avant d'en émettre de nouvelles. Nous ferons ce que nous avons décidé. Cet après-midi, quand le Concours sera terminé, nous nous mettrons en route pour les Colonnes Lances, d'où nous tâcherons de résoudre le mystère entourant les Gijinkas et ces étranges marques qui sont apparues.

L'adolescente approuva d'un signe de tête, puis elles se turent toutes les deux, car Léa revenait avec un nouveau plateau entre les mains. Elle le déposa au centre de la table et se rassit sur sa chaise. Elle avait repris quelques couleurs depuis qu'elles avaient quitté le Musée Minier, où l'angoisse l'avait rendue blême.

Cassy pensa à Sven, qui avait perpétré ce cambriolage. Elle n'aurait jamais pu imaginer qu'il s'agissait d'un criminel, mais que savait-elle de lui, exactement ? Absolument rien. Elle supposait tout au plus qu'il était originaire de Sinnoh, tout comme elle, mais cela pouvait aussi bien être un mensonge, une sorte de couverture pour dissimuler à quiconque sa véritable identité, à l'instar de celle qu'elle-même utilisait désormais.

Malgré le côté obscur qu'elle lui avait découvert une heure plus tôt, elle était incapable de se résoudre à croire qu'il puisse être lié, d'une quelconque façon, avec les monstres qui avaient fait disparaître sa famille en ne laissant derrière eux que leur sang et une scène cauchemardesque.

Il n'en demeurait pourtant pas moins des similitudes indéniables entre les deux affaires. Éric avait mené des recherches sur les Gijinkas, Sven avait dérobé des documents traitant de la résurrection de pokémon disparus. En dépit des recommandations de Cynthia, Cassy s'obstinait à vouloir faire le parallèle.

Sven avait affirmé travailler pour quelqu'un, mais elle n'avait pas réussi à lui soutirer un nom. Était-il possible que son employeur soit de connivence avec ceux qui avaient assassiné sa famille ? Pire... Pouvait-il être également leur commanditaire ?

Elle songea à parler de cela à la Championne de Sinnoh sitôt qu'elles seraient de nouveau seules, mais elle se ravisa. Cela impliquerait de lui avouer qu'elle avait volontairement laissé un voleur s'échapper, et elle doutait que Cynthia approuve un tel comportement, même de sa part.

Cassy ne savait plus quoi penser de Sven, à ceci près qu'il n'était pas digne de confiance. Il lui avait pourtant sauvé la vie, des mois plus tôt, ce qu'elle ne pouvait pas oublier. Après tout, rien ne l'avait obligé à lui venir en aide, ce jour-là, preuve qu'il n'était pas mauvais dans l'âme.

Elle était coincée. Elle ne pouvait évoquer les idées qui assombrissaient son esprit sans mentionner la relation étrange qu'elle entretenait avec le jeune homme, qui s'avérait être un professionnel du crime. Elle se tut donc, se contentant de remâcher ses réflexions en silence.

Il ne fallait pas désespérer. Elle avait encore d'autres pistes à explorer, en particulier celle des Colonnes Lances. Le regard triste, Cassy osait espérer que, une fois là-haut, au plus près de ces dieux qu'elle priait si souvent, Arceus lui indiquerait la voie à suivre. Elle en avait tant besoin.

Laisser un commentaire ?