Entre infini et au-delà
— De ce côté-ci, tu trouveras toutes les autres pièces de vie, indiqua Régis, une fois de retour au rez-de-chaussée. Salon, salle à manger, cuisine... Tu pourras venir ici dès que tu auras un moment de libre. Quant au laboratoire, tu as le droit de t’y trouver, mais à condition de faire preuve de maintes précautions. Il y a beaucoup d’objets fragiles, très onéreux pour certains, sans parler des produits dangereux qu’il nous arrive de manipuler. Dans l’idéal, il vaut mieux que tu ne touches à rien, du moins pour le moment.
Cassy ne protesta pas, jugeant cette recommandation parfaitement légitime. Éric aussi détestait qu’elle s'approche son matériel scientifique, et elle n’avait aucune envie de s’attirer les foudres de son nouvel employeur en commettant une maladresse.
— Le garde-manger est par là, ajouta Régis en l’entraînant vers une porte identique à celle de tous les placards et débarras du laboratoire.
Il l’ouvrit, révélant toute une rangée d’étagères surchargées. Elles étaient courbées sous le poids de dizaines de boîtes métalliques, pleines de nourriture. Chacune d’elles portait une étiquette, sans doute dans le but d’identifier plus facilement l’espèce à laquelle son contenu était destiné. Cassy se demanda avec une pointe d’appréhension comment elle allait retenir les noms de tous les pokémon, et les rations précises qu’il faudrait leur attribuer.
— Ne prends pas cet air effrayé, voyons ! plaisanta Régis. Ça paraît impressionnant de prime abord, mais la tâche qui t’incombe est relativement simple. Elle nécessite juste du temps, c’est tout. Et comme les pensionnaires n’ont pas encore été nourris, aujourd’hui, c’est le moment de s’y mettre. Regarde. Là, ce sont les pokéblocs. En dessous, il y a des poffins. Ici, ce sont les baies, et...
Tout en parlant, Régis empila différentes boîtes entre les bras de Cassy. Au début, elle se contenta de les stabiliser du mieux possible, mais elle finit par émettre une plainte lorsque cela commença à devenir trop lourd pour elle. Le jeune homme n’insista pas, en prit également quelques-unes, puis ouvrit la voie jusqu’au parc.
Cassy peinait à voir où elle allait à cause de son chargement qui l’empêchait de regarder devant elle, et surtout de distinguer le sol. Comme Régis avançait sans hésitation, cependant, elle en conclut qu’elle ne risquait pas de rencontrer un obstacle et tâcha de calquer son allure sur la sienne.
— Il y a plusieurs règles à observer lorsque tu effectues ta tournée, mais une seule est vraiment importante, informa le scientifique. Il faut toujours nourrir les carnivores en premier, c’est pour ça qu’on va débuter avec les Ursaring.
— Les U-Ursaring ?
La fillette blêmit à la pensée de cette créature aux crocs et aux griffes impressionnants, qu’elle avait découverte en photographie dans les pages d’une encyclopédie. Régis perçut le tremblement dans sa voix, car il se retourna pour lui adresser un sourire rassurant.
— Ne t’inquiète pas, aucun pokémon ici n’est sauvage, ils ne risquent donc pas de t’attaquer. Néanmoins, certains peuvent se montrer particulièrement désagréables, d’où cette consigne. Si les carnivores voient d’autres pensionnaires manger avant eux, ça va les rendre grognons, or je suppose que tu ne tiens pas à te présenter face à un Ursaring mécontent, n’est-ce pas ?
Cassy répondit par la négative et son souffle s’accéléra, tandis qu’ils se rapprochaient d’une petite grotte en pierre de fabrication humaine, construite dans le but de recréer au mieux l’habitat naturel des ursidés. Elle se figea lorsqu’elle en vit un surgir de la cavité. Haut de presque deux mètres, il était encore plus intimidant que ce qu’elle redoutait.
— Pas de gestes brusques, conseilla Régis. Pose doucement tes boîtes à terre et cherche celle qui leur correspond. Elle est pleine de poffins concentrés en protéines. Tu l’as ? Parfait. Maintenant, places-en un dans ta main et tends-la lentement vers lui.
— Il ne risque pas de me dévorer les doigts ?
— À ma connaissance, les miens sont toujours intacts. Même si tu as peur, évite de retirer ton bras trop vivement, d’accord ?
Cassy déglutit. Elle mit un aliment dans sa paume et s’apprêtait à déplier le coude, mais l’apparition d’un second Ursaring ne fit qu’ajouter à ses craintes. Son visage s’illumina néanmoins lorsqu’elle vit quatre adorables Teddiursa gambader dans son sillage.
Le mastodonte s’inclina vers la fillette, qui réprima un frisson. Elle sentit son souffle chaud courir sur sa peau tandis qu’il la reniflait, avant de planter une griffe dans le poffin et de l’engloutir goulument. Un grognement de satisfaction lui échappa.
— C’est bien, continue, l’encouragea Régis.
Un peu rassurée, Cassy acheva de repaître les ursidés et alla jusqu’à caresser la tête du Teddiursa le plus affectueux. Cela sembla lui plaire, car il s’éloigna ensuite en agitant joyeusement les pattes pour retrouver ses congénères.
Les deux adolescents poursuivirent leur tournée, et les autres pokémon ne se comportèrent pas différemment, qu’ils soient carnivores ou non. Au début, ils se méfiaient un peu de cette inconnue qu’était Cassy, puis finissaient par s’approcher, autant pour la nourriture qu’elle leur offrait que par curiosité.
Leur dernière étape fut l’étang, où la fillette vida la moitié d’une boîte de baies alga à la surface. Des pokémon poissons surgirent aussitôt pour les avaler, et un minuscule Ptitard avança timidement jusqu’à Cassy en longeant le rivage boueux. Avec un sourire, elle lui tendit un aliment rien que pour lui. Il s’en délecta.
— J’ai comme l’impression que Régis n’aurait pas pu faire un meilleur choix pour le remplacer, commenta une voix. La façon dont tu procèdes est remarquable. Les pokémon vont t’adorer.
Cassy sursauta, manquant de lâcher la boîte qu’elle avait calée sous son bras, pendant que Régis pivotait sur lui-même. Le professeur Chen se tenait derrière eux, les mains dans le dos, et paraissait les observer depuis plusieurs minutes.
— Je... Merci beaucoup de m’avoir engagée, monsieur. Je vous promets de me montrer digne de la chance que vous m’accordez.
— Merci à toi d’avoir accepté. On ne peut pas dire que les volontaires se soient bousculés pour ce poste. La plupart des gens qui souhaitent travailler ici sont des scientifiques accomplis, surqualifiés pour une telle besogne, et les novices préfèrent quant à eux partir à l’aventure sur les routes. Grâce à toi, Régis va pouvoir libérer un peu son emploi du temps et m’assister plus activement.
— Vous étudiez toujours les œufs ? interrogea Cassy. Vous en aviez un avec vous, le jour où nous vous avons rencontré sur la route 2.
— Non, j’ai laissé à mon confrère, le professeur Orme, le soin de poursuivre ces recherches. Pour ma part, je me concentre sur la théorie de l’évolution.
Cassy savait ce qu’impliquait ce terme, mais ses connaissances étaient très limitées. Mme Fangin s’était contentée d’évoquer brièvement le sujet, qu’ils auraient dû étudier plus avant au cours du trimestre suivant.
— Pour l’instant, je n’en suis qu’à l’énumération des hypothèses, poursuivit le professeur Chen, même si l’une d’elles me séduit plus que les autres.
— Laquelle ?
— Celle d’une croissance subite. Contrairement à nous autres, humains, qui changeons progressivement tout au long de notre vie, je dirais que les pokémon emmagasinent de l’expérience jusqu’à ce qu’ils atteignent un stade supérieur. Là où il nous faudrait plusieurs années pour passer du statut d’enfant à celui d’adolescent, puis d’adulte, eux le font en quelques secondes. Certaines espèces, par exemple, doivent assimiler une nouvelle capacité pour évoluer, comme s’ils avaient besoin de valider une sorte d’acquis pour grandir. Ça expliquerait aussi pourquoi le délai de transformation n’est pas le même pour chaque spécimen. Certains mettront un an, d’autres trois... Tout dépend du vécu, ce qui vaut également pour nous. Un humain qui a traversé beaucoup d’épreuves gagnera généralement plus vite en maturité que quelqu’un qui a été encadré et choyé tout au long de sa vie.
« À qui le dites-vous... », songea amèrement Cassy. La petite fille insouciante qu’elle était encore avant cette tragique promenade en forêt lui avait rarement paru aussi lointaine qu’en cet instant.
— Vos idées sont passionnantes, déclara-t-elle, mais qu’en est-il des pokémon qui n’évoluent pas ? Je crois que Mme Fangin les appelait... Comment était-ce, déjà ? Ah oui, les stades uniques.
— Tu es décidément très perspicace, Cassy. Tu as tout de suite trouvé la faille principale de cette théorie. En effet, je me suis posé la même question, et j’ai bien peur de n’avoir pour le moment aucune réponse à lui apporter.
Le professeur Chen lui adressa un sourire bienveillant, et celui que Cassy lui rendit fut plus mélancolique. Comme Éric aurait été heureux de pouvoir soutenir une telle conversation avec un scientifique aussi brillant... Si le grand-père de Régis jugeait la fillette perspicace, qu’aurait-il pensé de son génie de frère ?
Comme il était presque midi, le professeur leur conseilla de rentrer déjeuner. Ils partagèrent un repas dans la salle à manger en compagnie des autres scientifiques, après quoi, en début d’après-midi, Régis entraîna Cassy hors du laboratoire pour lui faire visiter le Bourg-Palette.
Sa première impression ne l’avait pas trompée. C’était un petit village tout ce qu’il y avait de plus paisible, avec pour seul commerce une épicerie qui fournissait le strict nécessaire à ses clients. Quelques curieux abordèrent Régis pour qu’il leur présente cette « ravissante inconnue » et, fidèle à sa parole, il se montra relativement évasif, se contentant de révéler le minimum.
À mesure que les heures, puis les jours s’écoulèrent, Cassy se détendit complètement. L’appréhension qu’elle éprouvait au moment de consentir à quitter l’École des dresseurs s’était envolée, et elle se sentait beaucoup plus à son aise au sein du laboratoire que là-bas, avec les tout jeunes élèves.
Au bout d’une semaine, elle avait appris presque autant sur les pokémon et le monde qui l’entourait qu’elle ne l’aurait fait en un mois à Jadielle, ce qui la confortait dans l’idée qu’elle avait fait le bon choix en décidant de partir. Elle prenait de surcroît beaucoup de plaisir à s’occuper des pensionnaires du professeur Chen, qui n’avaient pas mis longtemps à l’adopter. Ils bondissaient dès qu’ils la voyaient arriver, les bras chargés de nourriture.
Un matin, Cassy fut tirée du sommeil avant que retentisse la sonnerie du réveil que Régis lui avait prêté. Une violente averse était en train de s’abattre sur le Bourg-Palette, et les gouttes se fracassaient contre la lucarne de sa chambrette. La fillette étouffa un bâillement dans le creux de sa main, puis repoussa les draps qu’elle avait changés la veille, après avoir mystérieusement découvert une parure de lit jaune pastel sur le seuil de sa porte.
Elle se vêtit sans se presser, puis décrocha la cape de Sven de la patère. Tout en descendant les marches de l’escalier en colimaçon, elle rabattit le capuchon sur sa tête afin de se protéger de la pluie. Cela ne l’empêcha toutefois pas de grelotter de froid dès l’instant où elle mit un pied dehors, à moitié ensevelie sous la dizaine de boîtes qu’elle transportait.
Les Ursaring, en dépit de leur appétit féroce, ne consentirent à sortir de leur grotte qu’à contrecœur, car ils ne tenaient pas à mouiller leur fourrure. La plupart des autres espèces réagirent de la même façon, si bien que Cassy dut se résoudre à abandonner leurs rations dans les auges prévues à cet effet. Régis le lui avait déconseillé, étant donné qu’il n’était pas rare qu’un pokémon cherche à manger plus que sa part, mais c’était toléré dans des circonstances exceptionnelles telles que celle-ci.
L’écurie était bondée lorsque la fillette s’y présenta. Tous les équidés, et même d’autres créatures, s’étaient rassemblés à l’intérieur, à l’abri des trombes d’eau qui tombaient du ciel. Une fois que Cassy eut alimenté tout le monde, elle donna à son Ponyta un poffin supplémentaire.
— Tu sais que ce n’est pas bien de faire du favoritisme ? s’enquit une voix qui s’éleva dans son dos.
Cassy recula précipitamment et heurta un seau vide qui bascula dans un grand fracas métallique, tandis qu’un éclat de rire résonnait parmi les boxes. Elle se détendit légèrement en s’apercevant qu’elle n’avait été surprise que par Régis.
— Qu’est-ce que tu fais là ? interrogea-t-elle.
— Je suis venu te donner un coup de main. Avec un temps pareil, il vaut mieux éviter de s’attarder dehors, à moins de vouloir attraper un rhume. Et puis, tu as vu ta tête ? Tes cheveux bouclent à cause de l’humidité.
— Tu as regardé les tiens, avant de critiquer ma coiffure ?
Régis n’avait visiblement pas mis de gel, à moins que la pluie ait déjà eu raison de lui, car le sommet de son crâne était complètement aplati. Étant habituée à le voir avec sa coupe hérissée, Cassy estima que cette nouvelle apparence ne lui seyait pas.
— Ta gratitude est touchante, répliqua le jeune homme avec cynisme. Si j’avais su, je ne me serais pas dépêché de te rejoindre et je t’aurais laissé risquer seule la pneumonie.
En dépit de ses paroles, Cassy savait qu’il n’en pensait pas un mot. Il était trop gentil pour cela, même s’il ne manquait jamais une occasion de la taquiner. Il lui en fit d’ailleurs la démonstration au moment de nourrir les pokémon de l’étang. Pendant que la fillette dispersait des baies alga à la surface, Régis plongea sa main dans l’eau et l’aspergea.
Cassy poussa un cri, plus par réflexe que par désagrément, puisque la pluie s’était déjà chargée de la mouiller de la tête aux pieds. Elle lui rendit la pareille, et la plaisanterie ne tarda pas à tourner à la bataille d’éclaboussures, du moins jusqu’à ce que Régis perde l’équilibre sur l’herbe glissante et tombe dans le bassin.
Cessant aussitôt de jouer, Cassy lui tendit la main pour l’aider à en sortir, mais son collègue, qui n’avait pas dit son dernier mot, l’entraîna avec lui, si bien qu’ils se retrouvèrent tous les deux à patauger dans la boue.
— Ton grand-père va nous tuer, redouta Cassy pendant qu’ils regagnaient le laboratoire, harassés.
— Une chance qu’il soit parti avec les autres scientifiques mener une étude sur le terrain. Il faut plus qu’une averse pour effrayer des chercheurs déterminés.
Dès qu’ils eurent franchi la porte vitrée conduisant à l’intérieur, Cassy retira ses bottes et les glissa sous le radiateur le plus proche, afin d’en faire sécher le cuir. Elle abandonna ensuite la cape de Sven à même le sol, où le manteau de Régis la rejoignit aussitôt. Ils les décrotteraient plus tard, la priorité étant pour eux d’enfiler des vêtements secs.
Une fois changés, ils se répartirent les tâches. Cassy proposa de laver le sol qu’ils avaient sali avec la vase de l’étang pendant que Régis se chargerait de nettoyer leurs affaires, ce qu’il accepta. La fillette achevait de passer la serpillère quand trois coups retentirent, toqués à la porte du laboratoire.
Puisque Régis était officieusement le maître des lieux en l’absence de son grand-père et du reste du personnel, Cassy lui laissa le soin d’aller ouvrir. Elle rapporta le seau et le balai dans la buanderie, puis rinça le morceau de chiffon devenu boueux qu’elle avait utilisé pour astiquer le carrelage.
De retour dans la grande salle du laboratoire, elle fut surprise de constater que le visiteur ne s’était pas attardé, car Régis était seul, mais ce qui la désempara encore plus, c’était la gravité de son expression. Il la dévisagea longuement avant de prendre la parole :
— Ton institutrice a profité du fait qu’il n’y ait pas classe aujourd’hui pour te rendre visite. Elle voulait savoir comment se passait ton nouveau travail, et...
— Oh, vraiment ? Pourquoi est-elle déjà repartie, alors ?
— Et aussi te remettre ceci, acheva Régis sans tenir compte de son interruption.
Il franchit la distance qui le séparait de Cassy pour lui tendre un document. En le dépliant, elle découvrit son relevé de notes du premier trimestre, ainsi qu’une copie de ses résultats aux examens.
— Elle avait l’air contrarié, et il m’a suffi de lui demander ce qui la taraudait pour qu’elle m’explique. Le Roucool censé porter ces papiers à tes parents est revenu à Jadielle sans avoir pu accomplir sa mission. Une petite enquête lui a permis de découvrir que l’adresse que tu as fournie dans ton dossier d’inscription n’existe pas.
Cassy s’efforça de garder contenance, mais elle était certaine d’être livide et de sembler sur le point de se liquéfier sur place. Tâchant de maîtriser sa voix pour qu’elle ne tremble pas, elle lâcha un unique :
— Et ?
— Je lui ai répondu que tu étais partie sur le terrain avec mon grand-père et que ce n’était pas la peine qu’elle gaspille son temps à t’attendre, puisque tu rentrerais probablement très tard. Néanmoins, j’ai aussi dû lui promettre de tirer toute cette affaire au clair, donc si tu veux bien m’excuser, je dois réfléchir à une justification cohérente et imparable.
— Je...
Régis ne lui laissa pas l’occasion d’ajouter quoi que ce soit. Il avait déjà tourné les talons et disparut dans le salon. Cassy regarda la porte se refermer derrière lui, avant de murmurer du bout des lèvres :
— Merci...
Sa gratitude était sincère, mais elle se mêlait aussi à de l’inquiétude. En dépit de la sympathie que Régis lui portait depuis qu’il avait fait sa connaissance et de la parole qu’il lui avait donnée, Cassy craignait qu’il commence à se méfier d’elle, ce qui aurait été parfaitement légitime à la vue de ce qu’il venait d’apprendre.
La fillette resta un long moment immobile au milieu du laboratoire, à se perdre dans ses pensées. Elle aimait beaucoup cet endroit, bien plus que l’École des dresseurs, au point de se sentir presque à nouveau chez elle, ce qui ne s’était pas produit depuis qu’elle avait quitté sa ferme, à Sinnoh.
Elle n’avait pas envie de partir. Elle savait pourtant qu’elle devrait s’y résoudre si les soupçons qu’elle soulevait devenaient trop importants, mais elle préfèrerait rester. Elle n’oubliait pas la promesse qu’elle s’était faite, celle de démêler le mystère entourant la disparition de sa famille, cependant elle avait pour la première fois l’impression que cela ne pressait pas. Qu’elle avait tout le temps devant elle, et qu’elle avait le droit de s’accorder un peu du répit qui s’offrait à elle malgré la précarité de son existence.
Prenant une profonde inspiration, Cassy se mit en mouvement et pénétra à son tour dans le salon, où Régis était affalé sur le canapé, fixant sans le voir l’écran éteint de la télévision. Il lui accorda un regard en coin, mais ne prononça pas un mot, et ne réagit pas davantage lorsqu’elle vint s’asseoir à ses côtés.
Tout aussi silencieuse, Cassy attendit. Elle se demandait ce qu’il allait dire ou faire, et surtout, elle le redoutait. Au bout de plusieurs minutes, qui avaient paru durer des heures, Régis bougea enfin. Il décala son bras vers la gauche, dans sa direction, et posa doucement sa main sur la sienne.
Un peu étonnée, la fillette tourna la tête, pour se rendre compte qu’il lui souriait. Son appréhension s’envola presque aussitôt, tandis qu’elle se lovait contre lui pour blottir son visage dans le creux de son épaule. Elle ferma les paupières, détendue, et songea qu’elle ne s’était pas sentie aussi bien depuis ce qui lui semblait être une éternité.