L'Apprenti de Kanto : Sur la Route des Saveurs
Léandre s'était lancé à corps perdu dans ses entraînements, bien décidé à relever le défi lancé par Maître Katana. Chaque jour qui passait renforçait sa détermination à prouver de quoi il était capable. Dès l'aube, avant que les couloirs de l'école ne s'animent, il se glissait discrètement dans la cuisine, son sanctuaire personnel. Là, entouré des outils de son art, il s'abandonnait à la quête de la perfection. Les premiers rayons de soleil filtraient à travers les fenêtres, éclairant doucement l’espace qu’il s’apprêtait à dominer de ses talents naissants.
La fraîcheur matinale imprégnait encore l'air, mais Léandre n’y prêtait guère attention. Ses mains, habiles et précises, parcouraient couteaux et ingrédients comme les instruments d’un orchestre invisible. La découpe d’une carotte, la chaleur d’une poêle, la fusion des saveurs dans une sauce : tout devait être impeccable, chaque geste maîtrisé. Il répétait sans cesse les mêmes mouvements, peaufinant ses techniques avec une rigueur presque obsessionnelle. Laisser une erreur subsister n'était pas envisageable. Ce concours serait son moment de briller, et chaque assiette devait raconter son histoire, celle d’un jeune cuisinier cherchant à marquer les esprits.
Dans un silence presque sacré, Maître Katana veillait sur lui, tel un spectre bienveillant. Bras croisés, le regard perçant, il n’intervenait jamais, mais observait. Ses yeux suivaient chaque geste de Léandre, évaluant le moindre faux pas, la plus petite hésitation. Ce silence n’était pas une absence ; il portait en lui une pression invisible, un poids constant qui pesait sur les épaules de Léandre. Mais loin de l'écraser, cette pression l’animait, l’obligeait à se surpasser à chaque instant.
Les journées s’étiraient, longues et épuisantes. La fatigue s’infiltrait dans ses muscles, ses paupières devenaient lourdes, mais Léandre ne cédait jamais. Le concours approchait, et l’idée de décevoir Katana ou de rater cette occasion était inimaginable. Plus que jamais, il était résolu à se montrer digne du défi. Chaque coup de couteau, chaque mouvement sur le feu devait atteindre la perfection. Il ajustait sans relâche ses recettes, modifiant les dosages, essayant de nouvelles combinaisons, toujours à la recherche de cet équilibre parfait qui enchanterait les palais du jury.
La cuisine était devenue son unique obsession. Il y passait ses journées, enfermé dans un monde de saveurs, d’arômes et de textures. Rien n’existait en dehors de cette quête. Dans un coin de son esprit, cependant, une pensée persistait, toujours là, tapie dans l’ombre : son Teddiursa lui manquait.
Mais Léandre savait qu'il ne pouvait se laisser distraire. Pas maintenant. Pas alors que l’enjeu était si grand. Il se promettait chaque soir de rester concentré, de ne penser qu’au concours. Pourtant, chaque nuit, une autre bataille l'attendait—celle de résister à l'envie irrésistible de retrouver son compagnon.
Pendant la journée, l’école s’animait autour de Léandre. Ses camarades allaient et venaient, échangeant des idées sur leurs propres préparations, discutant des ingrédients ou perfectionnant leurs techniques. Pourtant, au milieu de cette effervescence, Léandre se sentait étrangement déconnecté.
Il accomplissait ses tâches avec la même rigueur qu'à son habitude, mais une sensation sourde le pesait. À chaque passage dans les couloirs, ses yeux se portaient, presque malgré lui, vers la porte du bureau de Maître Katana. Derrière cette porte, un vide immense l’attendait, celui laissé par Teddiursa, son fidèle compagnon, enfermé dans sa Faiblo Ball depuis quinze jours. Quinze jours sans ce regard espiègle, sans ce contact rassurant, et le manque se faisait chaque jour plus insupportable. Léandre ressentait ce vide comme une plaie béante, un espace dans son cœur qu’il ne parvenait plus à remplir, malgré ses efforts en cuisine.
Au début, il avait cru que la distance ne serait que temporaire, qu’il s’habituerait à l’absence de Teddiursa et que son travail acharné suffirait à faire taire le manque. Il s’était persuadé que les longues heures en cuisine, répétant inlassablement les mêmes gestes, le distrairaient suffisamment.
Mais plus les jours passaient, plus le vide s’agrandissait. Chaque plat qu’il préparait lui semblait fade, sans éclat. La satisfaction qu’il espérait tirer de ses créations ne venait plus. Il commençait à douter de lui-même. Les saveurs, autrefois maîtrisées à la perfection, lui échappaient. Les textures étaient décevantes, les assaisonnements imprécis. Rien ne semblait suffire.
Finalement, une nuit, alors que le sommeil se refusait obstinément à lui, Léandre se retourna encore et encore dans son lit, ses pensées en désordre. Chaque minute qui passait le rendait plus agité, comme si quelque chose au fond de lui l’appelait. Il ne pouvait plus continuer ainsi, séparé de son fidèle Teddiursa, son absence devenait une douleur lancinante. Une idée germa doucement dans son esprit, une idée risquée, mais irrésistible. Tandis que l’école entière plongeait dans le silence, Léandre prit une décision qui ferait battre son cœur plus vite : il devait voir son Pokémon, coûte que coûte, même si cela signifiait briser les règles strictes de Maître Katana.
Sur la pointe des pieds, il se glissa hors de son dortoir, l’obscurité l’enveloppant comme un manteau invisible. Chaque mouvement, chaque pas était calculé, mesuré, tandis qu’il se frayait un chemin à travers les couloirs déserts de l’école. Le sol de pierre semblait renvoyer l’écho de ses pas, aussi légers fussent-ils, et Léandre se surprenait à retenir son souffle à chaque instant, guettant le moindre signe de vie autour de lui. Ses yeux, habitués à la pénombre, suivaient avec précision les contours familiers du lieu, mais son cœur battait avec une intensité presque douloureuse.
Arrivé devant la porte imposante du bureau de Maître Katana, il s’arrêta brusquement, son souffle se suspendant un instant dans l’air glacé de la nuit. Son cœur battait à tout rompre, martelant ses côtes comme un tambour de guerre. Il savait exactement où la Faiblo Ball était dissimulée, mais l’audace de son geste commençait à peser sur lui. Une hésitation, fugace, le traversa. Il pouvait encore faire demi-tour, revenir à son lit et faire comme si cette impulsion n’avait jamais existé. Mais le visage de Teddiursa, son fidèle compagnon, s’imposa à lui, balayant ses doutes.
Les doigts de Léandre frôlèrent doucement la poignée froide de la porte. Le métal semblait vibrer sous la tension de sa main, comme un dernier avertissement. Il la tourna lentement, retenant son souffle, chaque grincement infime résonnant dans le silence pesant de l’école endormie. Le battement de son cœur s’accéléra, résonnant dans sa poitrine comme un écho de ses craintes. La porte s’ouvrit enfin, et il pénétra dans le bureau de Maître Katana.
Léandre se déplaçait avec une précision presque surnaturelle, ses gestes empreints d’une maîtrise rare, forgée par les mois de travail acharné en cuisine. L’obscurité semblait l’observer, prête à le trahir au moindre faux pas. Mais il continua, déterminé, se glissant jusqu’à l’armoire où était enfermée la Faiblo Ball. Il l’ouvrit avec une délicatesse infinie, ses mains tremblantes légèrement alors qu’il retirait l’objet tant convoité. L’espace d’un instant, il s’autorisa à respirer, à sentir son cœur ralentir légèrement.
Avec des gestes précis, il libéra Teddiursa de la Faiblo Ball. Le petit Pokémon apparut dans une lueur douce et familière, ses yeux brillant dans l’obscurité. Léandre s’agenouilla devant lui, incapable de retenir un sourire triste, mais réconfortant. « Chut, ne fait pas de bruit... j’ai quelque chose pour toi » murmura-t-il doucement, tendant à Teddiursa un peu de miel qu’il avait discrètement volé dans les cuisines plus tôt dans la journée. Le Pokémon s’approcha, ses petites pattes tendues vers son dresseur, quémandant de l’affection. La scène était presque silencieuse, mais pour Léandre, elle criait tout ce qu'il ressentait. Le simple fait de voir Teddiursa savourer le miel, d'être à ses côtés, apaisait son esprit tourmenté.
Le regard tendre de Teddiursa, ses petits bruits de satisfaction en savourant le miel, arrachaient le cœur de Léandre. Il aurait voulu rester là, avec lui, à l’abri des attentes et des doutes, mais il savait que cela n’était qu’une parenthèse. Il se força à se redresser, caressant doucement la tête de son compagnon avant de murmurer : « Je suis désolé… » murmura-t-il doucement. « Je reviendrai demain. » Ses mots sonnaient comme une prière, une promesse silencieuse qu’il s’adressait autant à lui-même qu’à son Pokémon. Mais Teddiursa, incapable de comprendre la profondeur de la situation, se contentait de réclamer davantage de caresses, son petit ventre rond de miel émettant un gargouillis satisfait.
Le Pokémon le regarda avec ses grands yeux pleins de tristesse, une petite moue sur le visage, comme s'il pressentait la séparation imminente sans en comprendre la raison. Chaque seconde qui passait pesait sur le cœur de Léandre, et l’idée de devoir laisser à nouveau son fidèle compagnon derrière lui lui serrait la gorge. Il aurait voulu tout expliquer à Teddiursa, lui dire que bientôt, ils seraient de nouveau ensemble, mais aucun mot ne pouvait franchir ses lèvres. La main tremblante, il appuya sur le bouton de la Faiblo Ball, et dans un éclair de lumière blanche, le petit Pokémon disparut, emportant avec lui toute la chaleur et le réconfort qui avaient momentanément rempli la pièce.
Léandre resta un instant immobile, la sphère dans la main, son regard vide fixé sur l’endroit où Teddiursa se tenait quelques instants plus tôt. Le silence de la pièce lui parut soudain assourdissant, presque étouffant. Ses gestes, auparavant rapides et déterminés, devinrent lents, alourdis par une fatigue soudaine. Il referma l’armoire avec précaution, comme si le simple fait de faire un bruit pouvait révéler son escapade. Pourtant, ce n’était pas la peur de se faire prendre qui pesait sur lui à cet instant, mais la tristesse de devoir laisser son ami derrière lui encore une fois.
Il se glissa hors du bureau avec une discrétion calculée et lorsqu'il regagna enfin sa chambre, il se glissa sous les draps avec précaution, essayant de ne pas réveiller ses camarades. Son esprit était plus calme, comme si, pour une nuit au moins, il pourrait trouver un peu de paix avant l’épreuve qui l’attendait.
Les jours passaient, et chaque nuit se transformait en un rituel clandestin pour Léandre. Après de longues heures passées en cuisine à perfectionner ses plats, l’impatience grandissait en lui à mesure que la soirée avançait. Les bruits de l’école s'éteignaient peu à peu, les voix s'estompaient, et le crépitement des derniers feux finissait par mourir dans les cuisines. C’était à ce moment précis que Léandre savait que son heure était venue.
Dès que la dernière lumière disparaissait des dortoirs, il se glissait hors de son lit avec une discrétion devenue presque instinctive. Chaque mouvement était calculé : pas un souffle, pas un froissement de drap, et pourtant, son cœur battait toujours avec une intensité nouvelle à chaque escapade nocturne. Même si cette routine était désormais ancrée en lui, l'adrénaline continuait de le traverser à chaque pas. Il connaissait le chemin par cœur, chaque dalle du sol, chaque craquement potentiel dans les planches sous ses pieds. Lorsqu'il atteignait enfin le bureau de Maître Katana, il entrait en silence, l’ombre dansante d'une flamme sur le point de s’éteindre.
Léandre ouvrait doucement l’armoire, libérant Teddiursa dans une lumière douce et familière. Comme toujours, le Pokémon l'accueillait avec une joie palpable, ses grands yeux pleins de gratitude et de malice. Teddiursa n’avait besoin que de voir Léandre pour retrouver son éclat, et c'était cette énergie qui réchauffait chaque nuit le cœur de son dresseur. Il n’était plus seulement un élève en cuisine, il redevenait l’ami dévoué d’un compagnon loyal.
Pendant la journée, Léandre restait impassible, ne laissant jamais transparaître le poids de cette double vie. Il s’efforçait de maintenir un masque de concentration implacable, ses doigts endoloris à force d’éplucher, découper et perfectionner chaque détail de ses plats. Les heures s'enchaînaient, marquées par les bruits rythmés des couteaux sur les planches à découper et les crépitements des poêles brûlantes. Maître Katana l’observait toujours de loin, silencieux, ses yeux perçants comme ceux d’un rapace, analysant chaque geste de son élève avec une précision impitoyable.
Cette routine, faite d’efforts intenses le jour et de visites secrètes la nuit, devint son refuge, son équilibre fragile. Jusqu’à la veille du concours.
Ce soir-là, tout semblait différent. Une étrange sérénité s’était emparée de lui durant la journée, comme si les semaines d’entraînement rigoureux avaient enfin porté leurs fruits. Pour la première fois, Léandre se sentait prêt à affronter le défi. Ses recettes avaient été peaufinées jusqu’à la perfection, chaque technique maîtrisée avec une précision chirurgicale. Son cœur, bien que battant d’appréhension, vibrait d’une nouvelle confiance.
Ce soir, il irait voir Teddiursa une dernière fois, avant le grand jour. Il lui murmurerait des mots d’encouragement, une promesse silencieuse qu’après le concours, ils seraient enfin réunis, pour de bon.
Comme à son habitude, Léandre attendit que l'école plonge dans le calme absolu. Les lumières s'éteignirent une à une, et l'obscurité tomba sur les couloirs silencieux. Ses gestes étaient devenus machinales, rodés par l’habitude. Pas un bruit, pas une hésitation. Il se glissa jusqu’au bureau de Maître Katana, son souffle réduit à un murmure. Tout était exactement comme les fois précédentes : l’armoire, les parchemins, les ombres familières des objets entassés.
Mais en ouvrant l’armoire, une froide angoisse saisit son cœur. L’endroit où la Faiblo Ball reposait toujours, ce coin précis qu’il connaissait par cœur, était étrangement vide. Ses yeux fouillèrent frénétiquement l’obscurité, cherchant le moindre reflet, la moindre trace de la petite sphère. Rien. Une vague de panique monta en lui. Léandre resta figé, incapable de croire ce qu’il voyait. Il fouilla l’armoire avec des gestes de plus en plus désespérés, ses mains tremblantes repoussant parchemins et objets. Mais il n’y avait rien. La Faiblo Ball avait disparu.
Un vide s'ouvrit en lui, un gouffre d’incompréhension et de terreur. Teddiursa n’était plus là.
Léandre refusait de l’accepter. L’avait-il mal rangé la veille ? Où était passée la Faiblo Ball ? Qui avait pu la prendre ? Maître Katana ? Ses pensées tourbillonnaient, s’entrechoquaient, son cœur tambourinait si violemment dans sa poitrine qu’il craignit un instant que son agitation ne résonne dans toute la pièce. Un sentiment d’impuissance dévorante l’envahit.
Il ne pouvait pas laisser ces pensées le dominer, pas maintenant. Mais l’idée d’affronter le lendemain, de se présenter à son concours sans la présence réconfortante de son Pokémon, était insupportable. L’esprit en ébullition, il referma l’armoire avec précipitation et s’éclipsa du bureau, regagnant sa chambre à pas rapides. Ses pensées tournaient en boucle, cherchant une réponse qui n'existait pas.
Le lendemain serait le jour le plus important de sa jeune vie d’apprenti, mais une certitude s’imposa à lui avec une froideur implacable : il n'était pas dans les meilleures dispositions mentales pour le réussir.