Derkomai's Mask

Chapitre 50 : En espérant que la protection de l’euphorbe fonctionne

5526 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 15/12/2024 11:47

Le centre pokémon de Vergazon, ses fourneaux s’allumaient bien tôt ce matin et de toute évidence :

- Brûlé ? bailla Serena.

Le reptile tendit ses ailes pour ne pas qu’elle découvre le massacre, mais l’odeur qui envahissait la cuisine suffisait à le trahir.

- Toujours tes crêpes ?

- Dra, acquiesça-t-il.

Il s’était retourné, le ventre plein de farine et de jaune d’œuf sans oublier une touche de sucre… ou de sel ? On ne savait jamais avec lui.

Serena frotta le sol du bout du pied, se demandant si le reptile n’allait pas mal prendre son cadeau. Et honnêtement, elle-même ne savait pas à quel moment elle s’était dit que ce genre de chose pourrait faire plaisir à un dracaufeu. Il n’en demeurait pas moins que le reptile venait de remarquer le paquet qu’elle tenait à la main.

- C’est pour toi, précisa-t-elle vivement.

Elle regrettait de l’avoir emballé, certaine que cela ne ferait qu’accentuer la déception du dragon de ne pas avoir un vrai cadeau. Décidément, elle pourrait presque écrire : « comment faire comprendre à son dracaufeu qu’on se moque de lui en dix étape » avec le bordereau « testé et approuvé » en travers.

- Si tu n’en veux pas ce n’est pas grave, s’empressa-t-elle d’ajouter une fois la surprise déballée. Je vais juste…

Il souriait. Serena n’en revenait pas, mais il souriait bel et bien, sa griffe effleurant les broderies constituées d’une petite flamme et de l’inscription « Empereur des fourneaux » en kalosien.

- Ça te plait ? s’étonna-t-elle.

Il passa le tablier à son cou et en tira un peu les bords pour en rendre bien visible le motif.

- Dra-Dra ! s’exclama-t-il.

Serena effleura le ruban dans ses cheveux, se demandant si finalement elle n’aurait pas préféré qu’il néglige son cadeau pour ne pas qu’elle se sente aussi… Elle se glissa vers le saladier posé sur un coin de table et commença à remuer la préparation. Bonne odeur, bonne consistance et aucune effluve toxique à vue de nez.

- Pas si mal.

- Caufeu, soupira le reptile en montrant la pile de « crêpes » n’ayant pas bien digéré la cuisson.

- Les premières sont toujours ratées, lui rappela-t-elle.

- Dracaudra ?

Elle posa un doigt sur ses lèvres et lui fit un clin d’œil complice.

- On ne le dira pas.

Il baissa la tête vers son beau tablier, sa queue tapotant doucement le sol.

- Cau…

Sans plus réfléchir, il versa la préparation dans la poêle, tournant maladroitement le poignet sans parvenir à combler les trous dans le disque.

- Dracau ? demanda-t-il en se tournant vers la jeune fille.

- Bien sûr que j’ai hâte, pouffa-t-elle.

Elle s’était approchée, attendant avec lui que le moment crucial arrive. Elle effleura la main du dragon, accompagnant son geste lorsqu’il fit s’envoler la crêpe. Serena se serra un peu plus, retenant son souffle avec lui quand elle retomba dans la poêle.

- On recommence, lui souriait-elle.

Echouerait-il ? Pour l’instant il n’y pensait pas, concentré à caler petit à petit sa respiration sur celle qui l’accompagnait, les paroles d’Atalante résonnant différemment en lui. Ce rythme qui n’était pas le sien, il commençait à aimer le suivre.

Quand ils coupèrent le feu, Serena inspecta avec attention le plateau. Elle pencha soudain la tête de côté, un petit sourire de fierté illuminant ses traits juste avant qu’elle ne se saisisse de leur création et en prenne une bouchée. Elle se figea, Sacha déglutit en agrippant la flamme sur son tablier.

- C’est…

Elle observa longuement l’objet comme s’il s’agissait de la plus incroyable, la plus étrange, et la plus géniale des inventions. Quelque chose qu’elle devait à tout prix montrer à quelqu’un, et Flora choisit pile ce moment pour les rejoindre.

- C’est mangeable !

- Euh… Oui, c’est tout le principe d’une crêpe, rappela la coordinatrice.

Et il lui paraissait plus extraordinaire de voir un dracaufeu avec un tablier de cuisine que de pouvoir manger une crêpe, mais bon… Flora grimaça, c’était peut-être mangeable, mais ce qu’elle venait de gouter se rapprochait plus du carton que de l’aliment.

- Alors ? lui demanda Serena les yeux pétillants de joie.

- Oh, oui, eh bien, c’est mangeable. Et… moins pir- meilleur ! que les pokéblocs de Sacha.

Flora ne pensait pas que c’était un compliment, mais cela sembla suffire à Dracaufeu qui gonflait le torse de fierté. En revanche, le visage de la coordinatrice s’était brusquement fermé dans le même temps.

- Tu t’inquiètes toujours pour lui ?

- Difficile de ne pas l’être.

- C’est sûr, en vacances sur une île paradisiaque, il ne s’en sortira pas indemne face aux coups de soleils.

- Il y a quand même quelque chose qui ne colle pas, bougonna la jeune fille.

- Tu penses qu’il t’évite ? lui sourit-elle gentiment. Je t’assure que ce n’est pas le cas. Sacha est… nous tous en tant que dresseurs, on est tellement occupés pendant nos voyages qu’on ne pense pas forcément à donner ou prendre des nouvelles.

- Mais de manière aussi brutale…

- Je n’ai eu aucune nouvelle de lui pendant tout son voyage à Unys, je n’aurais même jamais su qu’il avait visité cette région si je n’avais pas croisé Aurore lors d’un concours. Et pour tout te dire, je crois que la principale raison pour laquelle on a pu garder un peu contact après qu’on se soit séparés, c’est bien le fait qu’il y avait Pierre. C’est Sacha, pour lui ses journées c’est avant tout vivre dans l’instant présent, faire des combats, capturer des pokémons et…

- Ecrire des lettres.

- Exactement, écrire des… HEIN ?!

Serena emberlificota ses doigts à défaut de savoir quoi en faire pendant que Flora à moitié en état de choc cherchait ses mots.

- Tu veux dire… avec du papier ?

- Oui.

- Et de l’encre ?

- C’est ça.

- Donc, selon toi, Sacha s’est assis. Il s’est assis à une table ou quelque chose du genre et… il a utilisé de l’encre et du papier. C’est bien ce que tu essayes de me dire ?

- Et il me l’a envoyé, oui.

Sacha ne croyait pas avoir vu Flora aussi sidérée que maintenant, sa bouche s’entrouvrant d’ébahissement alors que Serena sortait de son sac une enveloppe signée de la main du dresseur au Pikachu.

- Et il y a du papier dedans ?

- Oui.

- Du papier avec de l’encre dessus ?

- Flora…

- Attends, il faut être sûr qu’il n’y ait pas de malentendu. Dans cette enveloppe, il y a du papier et sur ce papier il y a de l’encre, et tu me dis que celui qui a mis cette encre sur ce papier et qui ensuite te l’a envoyé c’est…

- Sacha.

Flora effleura du regard les cursives qui dessinaient le prénom du garçon, pas encore bien certaine qu’elle n’était pas en proie à une attaque Hypnose avant de finalement se rendre à l’évidence :

- Il t’a écrit… Une lettre, répéta-t-elle abasourdie. Une lettre tout ce qu’il y a de plus lettre.

"C’est juste une lettre," couina Sacha.

Les deux coordinatrices se tournèrent brusquement vers lui et le dévisagèrent comme s’il venait de dire la plus grande absurdité de tous les temps. J’aurais peut-être dû utiliser une carte postale finalement, déglutit-il.

- Attends un peu ! s’écria Flora.

Elle s’était presque collée au mur, les mains devant elle, une pure expression d’épouvante alors que Serena lui tendait la missive.

- Il te l’a envoyé à toi, s’affolait-elle. S’il te l’a envoyé à toi, c’est bien parce qu’il ne voulait pas que quelqu’un d’autre la lise.

- C’est Sacha.

- D’accord, mais est-ce qu’au moins tu l’as lue avant de…

- C’est Sacha, se crispa la jeune fille.

- Sacha qui écrit une LETTRE ! Avec du papier, de l’encre et…

- Flora. Je ne peux pas la lire, avoua Serena les joues rouges.

Le métamorphosé et la dresseuse d’Hoenn pâlirent presque en même temps.

- Oh, mais quel idiot ! se frappa-t-elle le front. Ça lui ressemble bien d’oublier ce genre de détail.

Un sacré détail quand votre destinataire pouvait à peine déchiffrer votre prénom. Et encore, c’était bien parce que Sacha avait à l’époque fait l’effort de lui montrer comment il s’écrivait, sinon la jeune fille aurait mis encore plus de temps à comprendre ce qui lui était parvenu.

- Serena, tu imagines si ça contenait quelque chose… entre vous deux.

- C’est Sacha, répéta-t-elle moins assurée que les fois précédentes.

Certes, c’était Sacha, mais un Sacha après les adieux de Serena. Et de ce que Flora en avait compris ils avaient été quelque peu… Différents.

- Quoiqu’il en soit, reprit Flora, je refuse de...

Assister à la toute première déclaration – indirecte – de Sacha ? Avec un poème peut-être, ou bien il lui proposerait un rendez-vous quelque part où il pourrait déclarer sa flamme, à moins qu’il n’ait écrit que quelques phrases hésitantes avant de finalement écrire en tremblant… Attendez !

Serena s’était brutalement reculée et avait ramené le mot contre son cœur. Sacha non plus se sentait étrangement inquiet alors que Flora souriait largement et tendait la main en disant d’un ton doucereux :

- C’est vrai, ce n’est que Sacha après tout.

- Finalement… je crois que je vais la garder, déglutit la jeune fille.

- Donne-moi cette lettre.

- Flora, je ne pense pas que ce soit une bonne idée finalement et…

- Serena. Donne-la-moi.

- NON !

Elle bondit sur le côté, esquivant de justesse une Flora désormais bien décidée à lui rendre service.

- Tu ne veux plus savoir ce qu’elle contient ?

Serena recula de plusieurs pas, manquant de peu de trébucher alors que la dresseuse d’Hoenn s’avançait vers elle les bras tendus et les doigts en crochet comme un zombie avide de chair fraiche.

- C'est-à-dire que finalement, je ne veux pas t’ennuyer avec ça, surtout que c’est sans doute juste Sacha qui parle de pokémons et de combats.

- Mais ça ne me dérange pas.

Les deux jeunes filles tournaient désormais autour de la table, les jambes fléchies et les muscles tendus, prêtes à tout moment à partir d’un côté ou de l’autre.

- C’est trop gentil, siffla Serena. Mais je crois que je vais me débrouiller et Aaah !

Flora avait sauté par-dessus la table, un geste souple et maîtrisé digne d’une performeuse qui réduisit soudain la distance et força la jeune kalosienne à trouver un nouveau refuge… derrière son dragon. Le pauvre Sacha se retrouvait donc en plein milieu de la course poursuite, et il commençait déjà à avoir le tournis.

- Tu ne pourras pas m’échapper éternellement ! cria Flora.

- Mais elle, si, menaça la dresseuse.

Flora se figea, Serena tenait désormais la lettre au-dessus de la flamme caudale du dragon, déterminée à en finir si son amie tentait de faire ne serait-ce qu’un pas de plus.

- Tu n’oseras pas, souffla Flora.

Evidemment qu’elle n’oserait pas ! C’était peut-être sa seule chance d’avoir enfin des nouvelles du garçon mais…

- Tu veux tester ?

La coordinatrice constata quelques secondes la fine enveloppe et la flamme qui bien que rabougrie, pouvait toujours faire des dégâts. Flora recula prudemment, alors que dans son for intérieur Serena criait : ça fonctionne ! Je ne peux pas croire que ça fonctionne ! Un peu trop bien d’ailleurs, puisque Sacha l’avait aussi crue. Il s’était brusquement écarté pour laisser le champ libre à Flora, glissant même une aile derrière sa dresseuse pour éviter qu’elle ne s’échappe encore.

- Hu ? put-elle juste dire au moment où Flora s’emparait de la lettre. Elle se tourna lentement vers le dragon, presque les larmes aux yeux quand elle s’écria : alors tu préfères vraiment Flora !?

- Dra… grogna-t-il faiblement.

Il y avait passé du temps et il ne voulait pas voir ses efforts réduits en cendre, sans compter toute la difficulté qu’il aurait à en renvoyer une. Et puis, contrairement à la jeune fille, il savait exactement ce qui était écrit alors…

- Oh Serena, je me languis de toi, jour et nuit je rêve que nous soyons réunis.

- Dra ?!

- Flora ! hurla la jeune fille.

- Si on ne peut plus plaisanter, bougonna-t-elle.

Elle jeta un œil plus sérieux au message et fronça soudain les sourcils, tellement concentrée que Serena n’osait plus l’interrompre.

- C’est grave ? déglutit la kalosienne.

- D’écrire de manière aussi illisible, oui, clairement.

Après tous les efforts qu’il avait fait pour soigner son écriture… Mais il ne pouvait pas grimacer très longtemps, sinon il risquait bien de s’attirer quelques questions de la part des dresseuses.

- Mais… Tu veux dire que c’est impossible de savoir…

- Si j’arrive à déchiffrer plus d’un mot sur trois, ça devrait pouvoir se faire, la rassura Flora.

Elle commença laborieusement à lire sous l’écoute attentive du dragon qui acquiesçait à chaque fin de phrase, se réjouissant d’avoir réussi à produire quelque chose de tellement rassurant que Serena n’aurait plus à s’inquiéter pour lui jusqu’à ce qu’il ait retrouvé son corps.

- « Tout va bien et je n’ai aucun problème. Il n’y a donc aucune raison de s’inquiéter. A la prochaine, » acheva Flora.

Parfait, sourit discrètement le faux pokémon. Maintenant il n’attendait plus que le soupir de soulagement de sa dresseuse… ou sa mine horrifiée ?

- D’accord, moi aussi je commence à croire qu’il lui est arrivé quelque chose, admit Flora.

Hein ? Qu’est-ce qu’elle voulait dire par là ? On ne faisait pas plus rassurant pourtant !

- Il a des problèmes, confirma Serena. De gros problèmes.

Euh… Attendez ! Stop ! Était-il le seul à avoir entendu « Tout va bien. » ? Il avait expressément écrit « Tout va bien » et cela à trois reprises alors comment avaient-elles pu comprendre « Tout va mal » ?!

- Et pas la moindre petite déclaration, se désespéra Flora.

La déception de la coordinatrice était quelque peu contagieuse, mais Serena se reprit vite. S’il avait vraiment des ennuis, alors la dernière chose que le garçon avait en tête était de lui donner une réponse sur ce qu’il ressentait pour elle. Et s’il lui demandait son aide ? Si elle était la seule qu’il avait pu contacter et qu’elle devenait donc son dernier espoir ?

- On doit vite le retrouver.

- Mais comment ? Tu as dit toi-même qu’il était injoignable…

Sauf qu’elle se souvenait parfaitement de l’impression bizarre qu’elle avait eu lors de son échange avec Délia et le chercheur. Sans aller jusqu’à dire qu’ils lui cachaient quelque chose…

- Je… Je crois que le professeur Chen ne m’a pas tout dit.

- DRA !

Les deux jeunes filles sursautèrent, observant avec curiosité le dragon qui semblait à deux griffes de faire une syncope tant il était pâle.

- Tu es au courant de quelque chose ? s’étonna Serena.

- D-Dracau ? Cauuu, caufeu, dénia-t-il.

- Hum…

Pourquoi, pourquoi, pourquoi !? Je n’ai pas envoyé cette lettre pour que tout déraille ! se lamentait le reptile. Il déglutit un peu en sentant le regard toujours insistant de sa dresseuse avant d’essayer de petits grognements :

"Il… Il a l’air d’aller plutôt bien donc je ne comprends pas pourquoi tu voudrais… Et puis on n’a pas fini de petit déjeuner."

Il se dandinait sur place, frottant nerveusement son cou alors qu’il se demandait s’il n’aurait pas mieux fait de se taire.

- Dracaufeu, soupira-t-elle agacée, c’est quelque chose que je dois régler, et rapidement.

Ni l’aile du dragon qui tenta de la retenir, ni le visage atterré du monstre ne suffit à la faire dévier de son objectif.

"Tu… Tu ne vas quand même pas déranger le professeur pour si peu ? Au moins laisse lui le temps de se réveiller et…"

Trop tard. Le vieil homme, sa tasse de café à la main, dévisageait les deux jeunes filles comme s’il venait de recevoir un coup de fil d’Arceus lui-même.

- Serena, articula-t-il lentement, Flora, et Dracaufeu… avec un tablier ?

- Dra, confirma le reptile non sans une pointe de fierté de montrer son cadeau.

Chen but une gorgée de café, se brulant la lèvre et la langue au passage. Oui, pas de doute, il était bel et bien réveillé, quoique le tablier le faisait encore douter qu’il n’était pas tombé dans une dimension parallèle.

- Professeur… Je crois que Sacha a des ennuis.

Est-ce que tu parles de sa transformation en pokémon ou du fait que je vais définitivement l’enfermer dans une pokéball la prochaine fois que je le vois ? fulmina le chercheur. Il gardait toutefois un calme apparent, continuant de siroter son remontant du matin – et dont il avait bien besoin.

- A Alola ? demanda-t-il faussement surpris. Allons Serena, je sais que tu as du mal avec le fait qu’il ne donne pas beaucoup de nouvelles, mais Sacha est…

- Justement professeur, rétorqua-t-elle, il m’en a donné.

Chen écarquilla les yeux. Comment aurait-il pu la contacter dans son corps de pokémon ? Il posa la tasse et vérifia d’un rapide coup d’œil le reptile à côté de la jeune fille. Des yeux marrons, un poil en zig-zag sur chaque joue, aucun doute sur le fait qu’il s’agissait du métamorphosé. Se pourrait-il alors que le sort se soit amenui au point de libérer de temps à autre le faux-pokémon.

- A minuit par exemple…

- Comment ? ne comprit pas la jeune fille.

- Non je… Je me demandais juste à quelle heure il avait appelé.

Serena ne comprenait pas trop en quoi cela intéressait le chercheur, mais il lui paraissait important de vite corriger un certain détail :

- Ce n’était pas un appel, mais…

Chen se releva de sa chaise, l’enveloppe à quelques centimètres de son écran signé de la patte – c’était le cas de le dire - du dresseur du Bourg Palette.

- Donc, une lettre. Il t’a envoyé une lettre.

- Et c’est une vraie lettre professeur, ne put s’empêcher de préciser Flora. Avec du papier, de l’encre et…

- Ce n’est pas normal, acheva Serena.

Le professeur jeta un regard noir au métamorphosé qui ne put que faiblement articuler :

"Mais j’ai dit que j’allais bien…"

- Plus pour très longtemps, grinça Chen entre ses dents. Enfin, je veux dire, il est vrai que moi-même je suis un peu surpris, mais peut-être qu’il voulait juste s’essayer au style épistolaire pour… eh bien pour…

- Pour… ? reprit la jeune fille.

Elle attendait patiemment la réponse de l’éminent et génial homme de science qui connaissait si bien ce dresseur à qui il avait offert son premier pokémon. Sauf que, il se trouvait qu’il n’en avait strictement aucune idée tant le comportement du métamorphosé était aberrant. Et pour sa gouverne, ce serait plutôt à elle de répondre à pourquoi Sacha envoyait des lettres ou portait des tabliers à présent, puisque, de toute évidence, c’était elle qui l’avait cassé !

Ding-Dong !

Merci ! se réjouit le professeur d’entendre le monde l’approuver. Plus que tout, il lui permettait de se soustraire aux jeunes filles pour aller ouvrir au saint qui avait sonné à sa porte… à moins que ce ne soit le plus terrible démon du village. Un sac de provision à la main, Mme Ketchum ne s’attendait pas à ce que le professeur soit aussi catastrophé qu’elle lui ait fait ses courses.

- Tout va bien ? demanda-t-elle.

- J’ai Serena au téléphone.

Donc tout allait mal.

- Ah…

- Et Sacha lui a écrit une lettre.

Stupéfaite, Délia dévisagea le professeur comme s’il venait de lui annoncer le mariage de son fils. Elle leva la main, et dessina dans l’air le premier signe alphabétique qui lui vint en tête.

- Vous voulez dire une lettre ?

- Non, corrigea le professeur en traçant un rectangle de ses mains. Une lettre tout ce qu’il y a de plus lettre.

Elle fit un pas en arrière, se sentant défaillir. Alors comme ça…

- Je n’ai pas le droit à un seul coup de fil et il lui écrit des lettres !?

- Il écrit des lettres, il porte un tablier, nous ne sommes plus à ça près.

- Un tabl-

- Mais le problème n’est pas là, rappela le professeur.

- Bon courage.

- Un peu d’aide ?

- Le restaurant.

- Mes recherches.

- En pantoufle ?

Chen grimaça avant de sortir sur le perron et de tirer la porte jusqu’à l’entrebâillement. Il ne voulait surtout pas que la coordinatrice l’entende, même si pour cela il devait prendre le risque de payer un serrurier.

- Le visiophone à l’arrière de la maison, chuchota-t-il. Passez par la réserve et une fois que vous y serez contactez vite Raphaël.

Elle fronça les sourcils, pas bien sûre de comprendre, mais le professeur s’empressa de lui expliquer sa brillante idée.

- Au pire, c’est Sacha qui prend, concéda-t-elle une fois les explications données.

- Je ne pense pas qu’elle nous laissera nous en tirer à si bon compte.

- Peut-être pas vous, mais elle sait qu’il vaut mieux ne pas s’attaquer à moi.

Le professeur eut un léger frisson en entendant le rire de Mme Ketchum. C’est vrai qu’il ne lui avait pas demandé comment elle avait fait pour contrer la kalosienne la dernière fois, et quelque chose lui disait que c’était un art auquel il n’aurait jamais accès.

Bon… Il était temps pour lui d’y retourner. Les pieds trainants et le dos vouté, mais y retourner quand même.

- Un postier récalcitrant, prit-il les devants avant qu’on lui pose la moindre question. On me livre des colis que je n’ai pas demandé et c’est quand même à moi de payer… La prochaine fois il se débrouilla.

Le métamorphosé déglutit, il avait bien compris le message et croyez-le que s’il pouvait aider le professeur il le ferait mais...

- D-Drac-

- Pas maintenant Dracaufeu, le repoussa-t-elle.

- Cau… gémit-il.

- Et donc professeur ? Vous aviez l’air d’avoir une idée de ce qui arrive à Sacha il me semble.

La petite ne perdait pas le nord en plus de n’avoir aucune empathie pour le malheureux Samuel Chen.

- Une idée c’est peut-être exagéré, grommela-t-il. Une supposition plutôt.

- Et qui est…

- Que tu devrais contacter mon cousin.

Qui lui demanderait d’appeler le grand-oncle, puis l’arrière petit neveu qui la redirigerait vers l’arrière-arrière-grand-père qui ne serait bien entendu plus disponible.

- J’ai un peu de mal à comprendre professeur…

- Dracau… confirma le faux-pokémon. Cau ! se couvrit-il vite la bouche quand la jeune fille se tourna vers lui.

Samuel leva le doigt alors qu’il expliquait tout fier :

- J’ai l’intuition qu’il a quelque chose à voir avec la soudaine crise littéraire aigüe de notre ami.

Serena déglutit, se demandant quel genre d’homme pouvait contraindre Sacha à s’assoir, à rester immobile plus de cinq minutes devant un bureau et à écrire. Pour réussir un tel exploit, ce devait être une sorte de monstre ou…

- Il est directeur d’école.

Effectivement, cela se valait aussi.

- Sacha à l’école ? s’étonna Flora.

- Mais une Ecole Pokémon, précisa Chen.

De quoi rabattre les cartes quand on parlait d’un pokémaniac. Toutefois, Serena hésitait encore un peu, la désagréable sensation que ce cher professeur omettait un détail important, et qui peut-être pourrait expliquer pourquoi son Dracaufeu avait la bougeotte dès qu’elle appelait au Bourg Palette.

- Vous auriez son numéro ? demanda Flora.

Serena grimaça, mais le mal état déjà fait. D’un grand sourire, le chercheur répondit :

- Bien sûr, laissez-moi juste le retrouver dans mon carnet.

Et il prit tout son temps pour le chercher dans ses tiroirs, puis lire les listes interminables de noms en humidifiant son pouce à chaque page qu’il tournait. C’était déjà suffisamment insupportable sans qu’en plus il s’interrompe :

- Au fait Serena, je ne t’ai pas félicitée pour le concours de Mérouville. Et Dracaufeu… Tu fais ce que tu peux.

Sacha renifla de vexation. D’accord, il n’avait pas vraiment de talents pour ça, pas comme un certain Absol, mais il ne se laisserait pas enterrer (ni noyer) si facilement. A fortiori depuis qu’une certaine dresseuse attendait de voir ses progrès.

- C’est très gentil professeur, mais le numéro, rappela la coordinatrice.

- Oui, certes, alors 02…

- 02 ? répéta Flora qui montrait elle aussi des signes d’impatience.

- Tu as une idée de ton prochain concours ?

Les deux jeunes filles faillirent tomber à la renverse. Mais à quoi jouait le scientifique au juste ? A croire que ça l’amusait de les voir trépigner.

- On verra, siffla-t-elle.

- Dra ? C audra, dra, caudra.

- Ce n’est pas parce que j’ai dit qu’on participera à celui de Lavandia qu’on s’y rendra forcément.

- Cau, caufeu ?

- C’est… Flora, toi tu me comprends ?

- J’ai abandonné au premier « Dra », avoua-t-elle.

- Mais… C’est clair pourtant que…

- Je n’en doute pas. Professeur, si on pouvait avoir ce numéro avant que j’apprenne le dracaufeu, je vous en serais très reconnaissante.

Comment refuser quand c’était si gentiment de demander, et que Délia vous faisait un petit signe discret dans le coin de votre champ de vision.

- Dra… gémit Sacha.

Quelques minutes supplémentaires n’auraient pas été de refus, histoire de se préparer mentalement avant que Serena ne se mette à composer le numéro. Mais bon, à présent son destin reposait sur les épaules d’un parfait inconnu… Ou la copie du professeur Chen en plus bronzé ?

- Puisque je vous dis que votre super Eplucheur Scalproie Guillotine 3000 ne m’intéresse pas ! J’ai du travail moi, et… Vous n’êtes pas un peu jeunes pour faire du démarchage ?

- C'est-à-dire que nous sommes dresseuses, et honnêtement aujourd’hui il y a le Scalpereur 1000 qui est bien meilleur… Enfin, je m’appelle Flora et voici mon amie Serena, c’est le professeur Chen qui nous a donné votre numéro pour…

- Sacha ! Est-ce que vous connaissez Sacha !?

Flora lui bloqua la bouche, un peu de diplomatie ne ferait pas de mal.

- Excusez-la, elle est un peu nerveuse.

- Humph, essayait-elle de se dégager. n’suis pas…

Raphaël sentit une goutte de sueur glisser le long de sa tempe. Délia lui avait demandé de les rassurer, une mission qui, en voyant l’état d’excitation dans lequel elles étaient, risquait d’être plus ardu que prévu. En plus, à cause de ces fichus vendeurs qui avaient réussi l’exploit de l’appeler trois fois d’affilés en moins d’une minute, il avait loupé son entrée.

- Nous avons reçu des nouvelles quelque peu étranges de sa part, expliqua Flora.

Serena avait beau être toujours bâillonnée, cela ne l’empêcha pas de sortir le message et de dire :

- Humf, normumph.

- Oh ça ! Oui, je m’en chovsouviens très bien, sourit Chen.

- Umphumph !? Hum-hum, umphumphumph !

- Un exercice que nous avons fait en classe. Même si je ne crois pas qu’il ait beaucoup apprécié celui-ci, ça avait même l’air d’être une keunotorture pour lui.

La jeune fille se figea alors que Flora desserrait prudemment sa prise.

- Mais pourquoi l’avoir envoyé ? demanda finalement Serena.

Pour te rassurer ! aurait voulu crier Sacha. Alors pourquoi tu fais tout l’inverse… Quand je dis que je vais bien, c’est que je vais bien, tiens regarde : tu as déjà vu un humain transformé en pokémon plus en forme ? Non ! Donc… JE.VAIS.BIEN !

- Quand on commence quelque chose il faut le finir. Et puis la Poste Goélise a son petit charme.

- Mais… Mais…

Serena baissa la tête. Un devoir d’école, elle était un devoir d’école… Et elle était aussi l’une de ses plus récentes accompagnatrices. L’exercice devait déjà être un calvaire pour le garçon sans qu’il ait en plus à réfléchir sérieusement à qui l’envoyer.

- D-Dra ? s’inquiéta le métamorphosé en sentant sa dresseuse quelque peu tendue et… vexée ?

- Je suis désolée de vous avoir dérangé, s’inclina Serena. Si vous revoyez Sacha, passez-lui le bonjour de ma part…

Raphaël eut un léger sourire satisfait. Son cousin écrivait de beaux poèmes, mais lui se considérait comme un excellent comédien et venait de le prouver, surtout vu le temps qu’il avait eu pour se préparer. On pourrait presque le qualifier de génie.

- Et Miaouss aussi, ajouta-t-elle.

- Oui, Miaou-

- DRA !

Miaoussûr que je saluerais son Pikachu.

Raphael souffla intérieurement. Son cousin avait beau lui parler souvent de son protégé et même lui avoir montré quelques un de ses combats, quand vous n’aviez jamais vu quelqu’un en vrai ça restait compliqué. Heureusement que ce Dracaufeu était là… et pourquoi levait-il discrètement ses deux pouces comme s’il le félicitait ?

Serena raccrocha finalement au grand soulagement du métamorphosé, maintenant ils pouvaient enfin…

- Je pars à Alola.

Exactement, partir à… Hein !?

- Tu as toujours des doutes ? s’enquit Flora.

Eh bien, entre le fait qu’elle n’avait toujours pas pu joindre directement Sacha, Amélia qui s’était elle aussi mystérieusement volatilisée et le leader Aqua qu’elle ne pouvait complètement oublier, cela commençait à faire beaucoup.

- Je préfère vérifier.

- Dra ! Caudradra, caufeu, lui rappela son faux pokémon.

- On ne va pas rester à Alola. C’est juste le temps de vérifier qu’il va bien et on sera vite de retour.

- Et le Grand Festival arrivera lui aussi très vite, remarqua Flora. Serena, il te manque deux rubans et… Tu ne peux pas prendre plus de retards.

- Mais…

- Donc, c’est moi qui irai à Alola, décida la coordinatrice. Ça tombe bien, je cherchais justement un endroit où m’entrainer.

- Flora… Tu n’es pas obligée, tu sais, je peux très bien…

- C’est aussi mon ami, lui rappela-t-elle. Je te tiendrai au courant dès que l’aurai retrouvé, ajouta-t-elle d’un sourire réconfortant. Ah ! Et je n’oublierai pas de lui tirer les oreilles pour t’avoir inquiétée.

Sacha plaqua ses mains sur ses ouïes. La prochaine fois il leur dirait que tout allait mal, au moins il serait tranquille.

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