Derkomai's Mask
Chapitre 51 : Un Rhododendron à vous rendre fou
6045 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 22/12/2024 12:54
Flora les avait quittés peu de temps après Vergazon, bien décidée à traverser l’épaisse forêt par le sud pour rejoindre l’aéroport à proximité de Bourg-en-Vol. Serena se retrouvait donc à nouveau seule avec ses pokémons, en particulier Dracaufeu qui lui fit la conversation tout le long du trajet vers Lavandia. On ne l’arrêtait plus, sa queue remuant de joie et ses ailes frémissant de temps à autre quand la jeune fille lui répondait du mieux qu’elle pouvait.
En tous cas, il avait l’air d’avoir retrouvé sa bonne humeur après l’épisode avec Absol, balançant les bras avec vigueur, on aurait presque cru parfois qu’il sautillait de bonheur. Cela contrastait clairement avec ces dernières semaines et Serena avait toujours du mal à croire qu’il se soit mis dans un tel état juste parce qu’il avait loupé une performance, et la couture, et la cuisine… D’accord, c’est vrai que ça faisait beaucoup, mais tout de même, un dracaufeu devrait plus être ennuyé de perdre un combat que d’échouer à faire les activités domestiques, c’était pourtant bien ces dernières qu’il avait pris le plus à cœur.
En parlant de cœur, Serena sentit doucement le sien s’accélérer alors qu’elle repassait sa main contre sa joue. Elle aimait bien les feuilletons télévisés et films à l’eau de rose et forcément le pokémon s’était retrouvé à les regarder lui aussi, et si elle pensait qu’il ne les observait que d’un œil vague, finalement il semblait y avoir été bien plus attentif que prévu. Et le jeune Salamèche qu’il était dans le fond s’était empressé d’imiter sans comprendre ce que cela sous-entendait…
- Dracaufeu, l’appela-t-elle d’une voix hésitante.
- Dra ? lui sourit-il.
Il approcha si rapidement son museau qu’elle eut peur qu’il recommence et elle ne put s’empêcher de faire un petit pas en arrière.
- Tu as l’ouïe fine, tu n’es pas obligée de te rapprocher autant pour m’entendre.
- Cau… Dracaucau, décida-t-il finalement.
Serena se sentit à nouveau rougir. Si ça continuait elle allait vraiment croire…
- Atten-
Trop tard, il s’était pris le pied dans une racine et s’était retrouvé le museau dans les feuilles.
- Voilà pourquoi je t’ai dit de…
Il s’était retourné sur le dos, les bras et les ailes étendues, un petit sourire en coin alors qu’il levait sur sa dresseuse un regard plein de douceur. Serena mordilla sa lèvre, pourquoi depuis leur discussion à la sortie du Tunnel Merazon semblait-il si… Elle passa rapidement son chemin, faisant pousser un cri mi-amusé mi-contrarié au dragon.
- Tu es impossible, se plaignit-elle non sans revenir sur ses pas pour tendre la main au reptile et l’aider à se relever. Si on n’arrive pas en ville avant la nuit par ta faute, tu auras intérêt à…
- Draaaa ?
- Eh bien… Je n’ai pas essayé de toucher tes ailes depuis un moment maintenant, il serait peut-être temps de reprendre.
Elle eut un petit rire intérieur quand son partenaire se recroquevilla sur lui-même et porta ses ailes loin derrière lui et des mains de la jeune fille. Alors Dracaufeu, on plaisantait moins maintenant et… Elle ouvrit grand les yeux quand il rapprocha ses ailes, poussant un petit soupir mais bien décidée à la laisser faire.
- J’ai dit si on n’arrivait pas avant la nuit ! s’empressa-t-elle de lui rappeler.
- Cau… Dracau, insista-t-il quand même.
Stop ! Tout allait beaucoup trop vite pour elle ! Hier encore il se serait envolé si elle avait esquissé un geste vers ses ailes et là c’était presque comme s’il réclamait. Ou bien il était juste un peu trop enthousiaste et allait vite se rendre compte que ce n’était pas si simple.
Il va la retirer, il va la retirer à la seconde où tu vas y toucher, se persuadait-elle tandis qu’elle approchait sa main. Elle tâtonna le dessus de l’aile, lui octroyant encore le temps de changer d’avis, mais le dragon ne bougea pas et quand elle passa ses doigts sur la fine membrane…
- Dra, souffla-t-il.
Elle continua, l’effleurement se muant en caresse sans que cela ne semble plus troubler le reptile à part les écailles au niveau de ses joues qui rougissaient doucement.
- Caudra, dra, avoua-t-il en pouffant.
Cette fois, ce fut Serena qui préféra ne pas aller plus loin, se remettant en marche. Le dragon s’était montré gêné, mais pas ennuyé et encore moins apeuré. Mais qu’est-ce qu’il lui arrivait à la fin ?! C’est vrai qu’on disait qu’un baiser pouvait changer un garçon mais… Ce n’était pas un baiser ! Ce n’était certainement pas un baiser aussi sûr que Dracaufeu n’était pas un garçon, il n’était même pas humain !
Et Serena continua de se le répéter jusqu’à ce qu’ils arrivent aux abords de Lavandia et que la coordinatrice décide que la clairière où ils venaient d’arriver ferait un parfait terrain d’entrainement (et parce qu’elle avait cruellement besoin de se changer les idées). Du moins, le terrain parfait jusqu’à ce que les deux lapins électriques ne se disputent à cause d’une attaque mal visée, qu’elle essaye de s’interposer entre eux et tombe finalement dans la rivière – elle qui s’en était approchée pour profiter de l’air frais, elle était servie.
- Dra ! s’écria Sacha en se jetant à l’eau avant de se souvenir que ce n’était pas l’environnement préféré des pokémons feus.
Il gémit un peu de douleur lorsque sa flamme caudale barbotta, mais réussit à ramener la jeune fille sur la rive avec l’aide des rubans de Nymphali.
- Pi... s’excusèrent en cœur les deux lapins.
- Ce n’est pas grave ! cria-t-elle en se détachant vite de l’étreinte du dragon. Mais plus de disputes pour ce soir, s’il vous plait.
Elle était trempée, elle avait froid, et Dracaufeu qui passa son aile sur ses épaules pour la réchauffer…
- On va s’arrêter là ! couina-t-elle. Voltère nous a dit de passer chez lui dès qu’on arrivait, et ce serait malpoli de plus le faire attendre.
Et puis elle ne se voyait pas diner en tête à tête avec le dragon, pas ce soir.
***
Elles avaient des courses à faire, comme le disait si bien Serena. Et qui d'autre que sa vieille amie, son premier pokémon, pour l'aider dans cette grande ville bruyante qu’était Lavandia pendant que les autres finissaient leurs soins au centre pokémon.
Roussil leva le museau, un grognement étouffé derrière elle, avant de vite le rabaisser pour ne pas trébucher dans le petit interstice qui séparait le quai du tramway.
"Injuste, mais pratique," ricana tout bas la renarde.
La sonnerie pulsa de son timbre langoureux et baveux, aussi écœurante que la lumière qui dégoulinait sur sa patte. Au moins, il suffisait de la secouer un peu pour que tout disparaisse, comme on se débarrassait de simples fourmillements qui traînaillaient sur un membre engourdi. Tiens, d’ailleurs, Serena faisait la même chose en se massant le front avec une légère grimace de douleur avant que ça ne passe, donc elle n’aurait aucun commentaire à lui faire.
- Tu te souviens quand on a affronté Aria ?
La porte s'ouvrit, les gens s'échappèrent comme le ferait du sang à travers une plaie béante. Et puis il y eut la sonnerie crachotant son alerte, absolument increvable.
"On oublie les courses et on continue notre petite virée en parlant du passé, c'est ça ?"
La porte claqua, quelque part dans le dernier wagon, quelques mots apeurés et des mouvements agités avant que tout redevienne calme.
"Très bien, parlons un peu de notre dernier salon à Kalos. Un bon moment, c'est certain."
- Pas cet affrontement, l'arrêta Serena. Celui d'avant, celui où...
"C'est que ça remonte," siffla la renarde. "Combien déjà ? Trois, quatre, à moins que ce ne soit cinq stations ?"
- S'il te plaît Roussil, ne joue pas à ça.
Les roues crissèrent sur les rails, un gémissement de souffrance avec cette énorme machine qui pesaient sur elle, un soupçon de vie avant qu'elles cessent de geindre une fois leur allure retrouvée.
"D'abord Pandespiègle, maintenant toi, je vais finir par croire que j'ai contracté une maladie mortelle quand mon seul problème est d'être devenue une guirlande sur patte."
- Mais ça te fait peur. Cette fois ça te fait peur...
Roussil devina les câbles au-dessus d’eux se pliant sous le poids de la bête, vibrants d'électricité.
"D'accord, très bien, peut-être que ma tête de ces derniers jours ne respirait pas la confiance et le calme mais... Non, je n'ai pas peur, du moins pas plus aujourd'hui qu'à l'époque. C'est même le contraire, c'est quelque chose que je veux, quelque chose dont j'ai hâte."
Elle frotta sa fourrure qui s'était à nouveau illuminée tandis que son corps se courbait avec le virage.
"Pandespiègle, lui, il a la trouille d'évoluer, de l'acte d'évoluer ou je ne sais quoi, peu-importe, mais moi ce n'est pas ça."
- Mais il y a bien quelque chose, murmura la dresseuse sans se retenir de jeter un rapide coup d’œil sur la lumière qui clignotait sur le panneau.
"C'est ça Serena, c'est ça que je ne supporte pas," tapota-t-elle le siège où elle était assise. "Je m'attendais à ce que ça soit comme la dernière fois, mais non, il faut qu'on me fasse ce genre de mauvais coup," montra-t-elle la lumière cédant sous ses griffes. "Je suis sur la ligne Serena, en train d'arriver certes, mais toujours sur la ligne. Et c'est cette conscience, ce temps où je peux voir la chose arriver, où je peux comprendre à quel point c'est important, c'est ça que je ne supporte pas."
Le tramway pencha d'un côté, les gens s’agrippèrent à ce qu'ils purent dans un élan de panique infondé.
"J'ai pensé au fait que j'allais disparaître et revenir dans une autre forme, je me suis demandée si ce serait toujours moi, j'ai imaginé mon nouveau corps et ce qu'il se passera après, je me suis demandée si je m'en sortirais vraiment, et si je n’éprouverais aucun regret. Voilà, j'ai conscience donc je doute – Et Sacha n'aide pas - fin de citation. Et je ne pense pas que tu puisses me faire de reproches là-dessus."
Sa dresseuse vacilla, un claquement d'anxiété heurta son visage, mais Roussil ne s'arrêta pas, le feulement dans sa gorge était trop fort pour être contenu.
"Tu regrettes maintenant ? Tu regrettes que je ne te donne plus autre chose à penser, que la petite musique pour te distraire sur ta ligne se soit arrêtée."
Serena n'eut pas le temps d'attraper la patte de son amie, les lourds battants s'étaient déjà rejoints.
- Non, non, non, Roussil. Roussil !
Elle courut vers l'arrière, bousculant les autres passagers, mais le tramway n'était déjà plus si loin de son « next stop ». A peine le dernier wagon atteint que les portes s'ouvraient dans un grand fracas et qu'une vague de gens entraient, le courant trop fort pour que la jeune fille puisse aller contre eux.
- Je descends ici, pardon, je dois descendre ici !
Je ne vais pas y arriver, pas y arriver, pas... Serena se sentit soulever, deux bras chauds autour de sa taille, un souffle lourd contre sa nuque et un râle nauséeux lorsqu'elle se retrouva à l'air libre à regarder la masse s'enfuir sur la grande allée.
- Dracaufeu... balbutia-t-elle. Q-Qu'est-ce que tu fais ici ?
Les écailles frémissaient contre sa peau, les paupières closes et le cou courbé, à deux doigts de s'effondrer. De l'autre côté de la voie, le cri strident des roues et le « ding-ding » oppressant. Il était encore temps de courir, sauter dans le wagon et repartir sur la ligne. La ferraille clinquante s'ébranla et Serena n'esquissa pas le moindre geste, une seule pensée dans son esprit quand par mégarde, il remonta sa main contre son dos, étrangement doux malgré les griffes qu'elle sentait à travers le tissu. Elle jeta des regards hébétés autour d'elle, cherchant à comprend où elle était avant que finalement la réalité la frappe plus fort que si elle s'était jetée au travers des rails.
Je suis sur le quai. Je suis descendue sur le quai !
Roussil marchait la tête bien droite pour que tous ceux qui la croisaient voient bien le « Attention, ça percute ! » écrit en gros sur son front, y compris les voitures dont on entendait les crissements des pneus lors du freinage d’urgence.
"C'est bon, tu t'es défoulée ?"
Malheureusement, certains ne savaient pas lire les avertissements.
"Je sais que tu n'en as rien à faire de ce que je pense, après tout toi tu es déjà sur la ligne quand moi je n'ai même pas mon ticket pour entrer," nargua-t-il.
Elle se tourna vers lui, ses petits crocs bordant ses babines.
"Tu as entendu ?"
"J'étais pas loin sous les sièges... désolé."
"Tu te plains de ne pas avoir de ticket, mais tu n'en as pas besoin," grogna la renarde. "Et donc ? A quoi ça ressemblait pour toi ? Un caprice de quelqu'un qui ne connaît pas sa chance ?"
"J'ai pas dit ça," rouspéta le panda. "C'est juste que si je peux comprendre que ce soit dur de voir le truc arriver, au moins tu as une bonne idée d'où tu t'arrêtes et ce qu'il y a après : tu vas évoluer en quelque chose de bien Roussil, ça ce sera pas différent de la dernière fois, j'en suis sûr. Bon, ensuite, c'est vrai que tu risques d'être absolument immangeable."
"Imbuvable. On dit absolument imbuvable, pas immangeable," tiqua la renarde.
"C'est pas moi qui le dit, c'est le pokédex," répliqua le panda d'un sourire de défiance. "Tu seras pas pire que la soupe de Sacha, mais presque."
"Hey !" se vexa-t-elle.
Il pouffa avant de reprendre un air plus sérieux, les bras croisés dans le dos pendant qu'il s'approchait de son amie.
"C'était pas juste de ton évolution que tu voulais parler, je me trompe ?"
Roussil grimaça contre ce mauvais bougre qui n'en était pas vraiment un, c'était même tout le contraire.
"Je ne lui en veux pas. Je sais bien qu'elle se rapproche de Sacha et que forcément nous derrière... Je le sais, et sans dire que je l'accepte totalement, je crois pouvoir dire que je m'y ferais mais... Je suis son premier pokémon, tu comprends ?"
"Ouais, je sais."
"Et c'est d'autant plus frustrant que lui il ne dit rien, que elle, elle ne voit rien et que moi je dois attendre que l'un ou l'autre se décide avant d'enfin pouvoir leur dire : bye bye vous deux, bon voyage. C'est épuisant."
"Mais en attendant... elle a quand même fait le trajet avec toi. Du moins, jusqu'à ce que tu lui fasses ta mauvaise tête et partes en courant."
- Roussil !
Ils levèrent tous les deux museaux en l'air pour voir leur dresseuse arriver. Pourquoi tu n'es pas restée là-bas avec lui, pourquoi a-t-il fallu que tu reviennes. Tu es vraiment la reine quand il s'agit de louper ton arrêt, se désespéra la renarde. A peine posée que la dresseuse sautait du dos de son pokémon. Tu as intérêt à avoir une bonne excuse ! Et maintenant qu'est-ce que tu vas me dire ? Qu'est-ce que tu vas bien pouvoir me dire ?!
Rien. Absolument aucun mot quand elle passa ses bras autour du cou duveteux de son amie et enfonça son visage dans sa fourrure. Tu ne sais pas quoi dire, bien sûr que tu ne sais pas quoi dire ! se lamenta la renarde qui déjà répondait à l'étreinte de sa dresseuse, les sanglots s'échappant de sa bouche ouverte et les larmes s'empêtrant dans ses poils.
"On dirait qu'on s'est inquiété pour rien finalement," avoua le panda à son compagnon de filature.
"Tu serais resté au centre si tu avais su ?"
"Certainement pas," s'esclaffa Pandespiègle.
Agenouillée, son visage n'avait pas changé, mais une robe rouge ornait désormais le corps de la renarde, les longues manches flottant contre le vent cachant en partie la dresseuse. Et les deux affreux continuaient de les regarder avec ces sourires emplis de tendresses dont eux-mêmes n'avaient pas conscience. Et ils n'auraient pas non plus le temps de le montrer à qui que ce soit vu comment leur visage fut écrasé contre le bitume.
"Vous ne m'échapperez plus maintenant !" haleta Nymphali ses rubans plaqués sur la tête des deux malheureux. "Maintenant vous venez avec moi et vous les laissez !"
Elle les traîna au sol, le petit panda et le gros dragon, sans le moindre effort.
"Serena ! Rou- Goupelin !" hurlaient-ils de terreur.
Elles se tournèrent l'une vers l'autre, un petit rire complice quand elles dirent :
"Ils sont vraiment irrécupérables."
- On ne fait pas pire. Mais... On rentre ensemble ? tendit-elle la main à son pokémon.
"Ça me paraît bien."
Jusqu’au moment où Serena s’écroula. Abasourdie, Goupelin observa la dresseuse à genou, respirant péniblement.
"Serena ?!" entendit-elle les autres crier.
Elle se baissa, apposa sa patte contre le front de sa dresseuse avant de relever le museau vers ses comparses qui accouraient.
"Elle a de la fièvre," siffla-t-elle. "Et ce n’est pas le moment de paniquer !"
"Qui panique ? Serena est juste en train de faire une sieste au milieu de la rue, donc qui panique !?" s’écria Pandespiègle.
La renarde leva les yeux au ciel. Il n’y aurait que Sacha, cet humain qui avait si longtemps voyagé, pour l’aider à…
"Serena ! Serena répond ! Hey ! Tu m’entends ! Serena !" la secouait-il dans tous les sens.
"Sacha… Je crois qu’on va demander un peu d’aide à Voltère," soupira la renarde.
"Tu crois que c’est grave ?" s’inquiéta le métamorphosé.
"Entre tes griffes, ça pourrait bien le devenir."
Au moins le métamorphosé amena la jeune fille chez le champion sans retard, de quoi faire pâlir certaines entreprises de transport. Mais Serena n’était pas encore tirée d’affaire vu comment elle accusait mal son mauvais rhume, les médicaments donnés par Voltère semblant à peine la soulager.
- Essaye de lui donner ça, proposa Voltère.
Le dragon refusait de quitter le chevet de la malade et les autres pokémons n’étaient de toute façon pas bien loin. Reconnaissant, le faux-pokémon prit le bol de soupe, faisant un peu tourner la cuillère pour la refroidir.
"Allez Serena," l’encouragea-t-il en passant une main dans le dos de la jeune fille pour l’aider à s’assoir. "Rien de tel qu’un bon repas pour reprendre des forces."
Serena ouvrit péniblement un œil, la fièvre remontant subtilement quand elle sentit la patte du reptile sur son épaule.
- Manger seule… articula-t-elle faiblement.
"Je ne crois pas," lui avoua-t-il d’un sourire désolé.
- Dracaufeu… Tu… Tu ne dis pas que parfois… ah… c’est bizarre entre nous ?
Il pencha la tête sur le côté. C’est vrai que par rapport à ses autres accompagnatrices, avec Serena ça avait toujours été… Oui, bizarre, effectivement.
"Mais je l’aime bien ce bizarre."
***
Recroquevillé sur le parquet, Sacha somnolait plus qu'il ne dormait. Ses yeux clos, ses sens engourdis, les gémissements de plus en plus intenses.
"J'arrive," entendit-il grommeler Négapi.
Dans tes rêves, peut-être, constata le métamorphosé alors qu'il enjambait le lapin endormi, bien décidé à le remplacer au chevet de sa dresseuse. Sacha grogna, la fièvre empirait, au point que même lui percevait la sensation brûlante contre sa main.
- Dracaufeu, murmura-t-elle les lèvres sèches. Je me sens mal. Vraiment mal.
Elle frissonna, claqua des dents comme prise par une décharge glaciale.
"Hey ! Ça va aller, c'est juste un mauvais moment à passer," assura Sacha.
Il lui caressait la joue comme elle-même le faisait quand il avait besoin de réconfort. Cependant, cela n'empêcha pas les larmes d'affluer ni les mains de se tordre sur la couverture.
"Je vais rafraîchir ce gant, te ramener un verre d'eau, comme ça tu pourras te rendormir et battre ce mauvais rhume, d'accord ?"
Il attrapa la bassine au pied du lit pour illustrer ses dires, mais celle-ci était déjà vide.
"Il aurait pu la remplir," bougonna un Sacha passablement énervé.
Bien qu'il devait se rendre à la cuisine quoiqu'il arrive, il aurait voulu soulager de suite la jeune fille au lieu de la faire attendre, même quelques minutes.
"Sacha ?" bailla Nymphali. "Pourquoi tu es encore debout ?"
"Négapi n'avait pas l'air de se réveiller alors..."
Le type fée s'étira, ses rubans traînaient sur le sol signe qu'elle était à peine réveillée.
"Sacha," commença-t-elle en frottant son œil d'une patte, "c'est très gentil de ta part de remplacer Négapi, mais on a convenu qu'on se relayait pour veiller Serena. Et tu as déjà largement fait ta part."
"Je lui tirerai les oreilles quitte à me prendre un coup de jus, mais laisse-moi d'abord finir ça."
Il montra la bassine vide et Nymphali secoua la tête en signe d'abandon. Elle l'accompagna tout de même à la cuisine, silencieuse jusqu'au moment où le dragon fit couler l'eau.
"Tu ne peux pas t'en empêcher en fait," comprit le type fée. "A ce compte-là, tu aurais mieux fait de t'allonger avec elle comme tu le fais d'habitude au lieu de sans cesse te lever pour vérifier."
"La dernière chose dont Serena a besoin en ce moment, c'est bien d'un radiateur collé à elle."
"Sauf que le radiateur n'a pas l'air décidé à rester dans son coin de chambre," ironisa-t-elle. "Pourtant, il devra bien apprendre à nous faire confiance, surtout s'il a l'intention de partir."
Sacha coupa l'eau, les écailles de ses joues rosies, une flamme ratatinée au bout de sa queue dressée.
"A ce sujet," déglutit-il, "j'y ai pas mal réfléchit et je me disais que, peut-être, eh bien... Les champions d'arènes ont l'air bien plus fort que lorsque je les ai affrontés la première fois alors pourquoi pas retenter la ligue d'Hoenn."
Les oreilles du pokémon de Kalos se dressèrent, ses yeux clairs rivés sur le dragon.
"Tu veux dire rester avec Serena, même après être redevenu humain ?"
Sacha ne répondit pas tout de suite, s'éclipsant dans la salle de bain pour farfouiller dans la pharmacie du champion. Périndopril ? Sildenafil ? Ça fait baisser la fièvre ces trucs ?
Nymphali attendait toujours ses explications lorsqu'il revint avec la classique boîte de Paracétamol, ayant eu la bonne idée de ne pas utiliser Serena comme cobaye pour tester les effets de médicaments inconnus.
"Autant en profiter si nous sommes dans la même région. Et puis, avec ce qu'il se passe à Hoenn, voyager à plusieurs n'est pas une mauvaise idée."
Un large sourire étira les lèvres de Nymphali alors qu'elle pouffait :
"Je connais quelqu'un qui sera ravie de la nouvelle. A condition qu'un certain Dracaufeu ne disparaisse pas sans rien lui dire."
Il le savait et de toute façon il ne voulait pas qu'elle souffre de la perte de son reptile orange. Alors il lui dirait, une fois redevenu humain, que même s'il ne pouvait plus participer aux concours avec elle, Dracaufeu serait toujours là pour l'encourager, Sacha serait là pour l'encourager.
"Et tu comptes aussi nous accompagner quand nous retournerons à Kalos ?"
"Je n'avais pas pu m'essayer à la Méga-évolution la dernière fois, ce serait l'occasion."
Nymphali baissa les oreilles, plus que déçue que Sacha en bon dresseur qu'il était, ne les accompagne que pour cela.
"Les combats. C'est toujours les combats avec toi et jamais Serena," bougonna-t-elle.
Sacha faillit lâcher le baquet. Quand il disait qu'il venait pour les gemmes, ce n'était pas pour qu'elle le croit, enfin pas vraiment, plutôt dans le sens qu'elle le croit sans trop le croire et devine... Argh, il voulait bien que Nymphali ne soit pas très douée en sous-entendu, mais elle pourrait faire un effort.
"De l'eau, de l'eau, de l'eau !" entendit-il soudain crier.
Négapi venait de débouler dans la cuisine le poil ébouriffé d'étincelles nerveuses.
"Si c'est un verre d'eau qu'il lui faut je suis en train de..."
"Pas juste un verre ! La bassine, on a besoin de la bassine de toute urgence," couina-t-il.
Il sauta sur l'épaule du dragon, vérifia d'un bref coup d’œil les réserves d'eau et fit signe de charger vers la chambre. Sacha obéit, le cœur battant, les mains crispées, se demandant dans quel guet à pans son chef le jetait.
Il n'était pas prêt, oh non il n'était pas prêt. A peine entré que l'horreur lui sautait au nez, puante et ignoble. Il alluma la lumière d'une main tremblante, les yeux exorbités face au cataclysme qui n'avait épargné ni le lit, ni les draps, ni le tapis.
Serena était censée avoir un rhume. Un petit coup de froid qui colorait son visage de rouge, faisait couler son nez et la rendait presque mignonne lorsque prise de faiblesse elle reposait sa tête contre lui. Sauf qu'à présent, le soi-disant rhume trempait les draps d'aliments à moitié digérés et Goupelin avait fort à faire pour relever la tête de sa dresseuse hors de la vomissure.
Une gastro, pas très glamour pour la princesse de Kalos, mais c'était bel et bien une gastro.
"Sacha !" couina la renarde.
"Je suis là !"
Il posa d'une main la bassine dans un coin à peu près épargné pendant que de l'autre il forçait Serena à s'asseoir et l'entourait de son aile pour éviter qu'elle ne retombe et se noie dans le contenu de son propre estomac.
"Qu'est-ce que tu nous fais," s'effraya-t-il.
Il dégagea les mèches poisseuses et entreprit de lui nettoyer le visage, mais les hoquets nauséeux s'intensifiaient et bien vite arriva ce qu'il devait arriver.
- Lumière... gémit-elle dans un gargouillement.
Sacha constata un instant ses écailles désormais imbibés de sucs gastriques et d'autres choses dont la provenance restait franchement douteuse. Ce n'était pas de lumière qu'elle avait besoin mais d'eau. De beaucoup, beaucoup d'eau !
"On n’y arrivera pas comme ça. Goupelin, on va essayer de la porter à la salle de bain et ensuite..."
La jeune fille le coupa d'un nouveau râle. Pandespiègle avait baissé les oreilles, son pelage en aussi mauvais état que ses autres compères.
"Tu crois qu'elle va aller mieux ?" trembla-t-il.
Sacha lui caressa la tête avec un sourire qu'il espérait rassurant, aussi bien pour le panda que pour lui-même.
"Elle est suffisamment forte pour ne pas se laisser faire par un virus."
"Tu en es sûr ?"
Eh bien, il faudrait bien. Ce n'était pas un ennemi qu'il pouvait brûler ou déchirer de ses crocs, et c'était à Serena que revenait la majorité du travail pour s'en débarrasser. L'ancien humain fixa sa partenaire qu'il peinait à porter dans ses bras. Elle gigotait, articulait difficilement une plainte au sujet de sa tête et bon sang qu'avait bien pu lui faire cette fichue lumière pour qu'elle n'arrête pas d'en parler !?
"Elle est juste malade. Je l'ai été des tas de fois et on finit toujours par s'en remettre."
"Mais tu ne la trouves pas trop malade ?" couina Pandespiègle.
"Arrêtez de papoter les pijakos, la priorité est de débarrasser Serena de ce truc immonde," rappela la renarde. "Et Posipi, Négapi, si vous pouvez réveiller Voltère..."
"Oulà, tu es un peu trop optimiste là," la coupa Posipi.
"Au moins fouillez les tiroirs pour qu'on puisse lui mettre d'autres vêtement que ce pyjama."
"Tu es gentille d'appeler encore ça un pyjama," remarqua Pandespiègle.
Il avait vidé la bassine, de toute façon le tapis n'était plus à ça prêt, et l'avait placée sous le visage de la jeune fille.
"Qu'on épargne au moins le couloir," expliqua-t-il.
Il avait eu du flair puisque trois nouveaux haut le cœur prirent la jeune fille sur le chemin au point que la bassine aurait débordée s'ils n'avaient pas atteint les toilettes à temps.
"Comment un si petit corps peut produire tout ça," siffla Goupelin.
"Je ne sais pas, je ne sais vraiment pas," balbutiait Sacha en tenant les cheveux de sa partenaire.
"Comment ça tu ne sais pas !? Tu es humain, c'est une maladie d'humain, alors tu vas remuer tes neurones d'humains et trouver comment arrêter ce désastre !"
- Ma tête...
"Tu en as de bonne ! Déjà, on m'a jamais prévenu que les filles gagnaient trois estomacs quand elles tombaient malade et... Serena ! T'essayer à la plongée là, maintenant, c'est tout sauf une bonne idée ! Écoute Goupelin, ce truc ce n'est plus une gastro, c'est un mélange d'attaque Cradovague et Eructation. Et qui de mieux qu'un pokémon pour comprendre une attaque pokémon, donc désolé, mais là c'est de ton ressort."
Il frictionnait le dos gluant de sa partenaire dont les larmes se mélangeaient aux débris qui coulaient de son nez. La jeune fille toussa, maigre défense bronchique face au déluge causti-toxique.
- Fait mal. La lumière, éteignez la lumière.
"Arrêtez ! Maintenant, arrêtez," se hérissa Nymphali. "Serena a déjà suffisamment à supporter sans que vous en rajoutiez."
Les deux pokémons grognèrent de concert mais ne répondirent pas, cherchant dans le regard l'un de l'autre un terrain d'entente.
"La soupe," commença Goupelin.
"La soupe de Voltère," continua le métamorphosé.
Quelques flammes sortirent de leur museau et vinrent se mélanger tel un pacte diabolique. Nymphali leva les yeux au ciel, si cela pouvait les calmer parfait, mais leur trêve devait-elle vraiment se faire dans les cendres du papy électrique ?
"On dirait qu'elle se calme," remarqua le type fée.
Sacha grimaça, c'était surtout qu'elle n'avait plus que de la bile à vomir.
"Si c'est bon de votre côté, on va pouvoir revenir au plan initial," rappela Pandespiègle.
Le petit pokémon les attendait dans la baignoire, le pommeau de douche à la patte. Sacha lui amena la dresseuse qui s'allongea et se recroquevilla sur l'acrylique dès qu'il la lâcha.
"Vous allez vous en sortir ?" demanda-t-il.
"Il faudra bien. A moins que tu ne veuilles nous aider à la déshabiller," se moqua-t-elle.
Ses écailles rougir mais il répliqua :
"Si je ferme les yeux et qu'on lui laisse ses sous-vêtements... Ils n'ont peut-être pas été touché."
"Tu as de l'espoir," grommela Pandespiègle.
Sacha et ses bonnes intentions : il devrait les mettre au placard, les enchaîner, les jeter dans un lac sans fond. « Il suffisait de fermer les yeux », mais bien sûr, pas comme s'il devait tenir entre ses bras le corps nu de Serena. Complètement nu, sans vêtement, sans sous-vêtement, rien, nada, juste la peau de Serena contre... les écailles comptaient comme des vêtements ou comme sa peau ?
"Vous avez fini ?" siffla-t-il.
Le jet d'eau frappa son museau en une tentative de noyade non dissimulée.
"Sacha, si c'était pour nous poser la question toutes les deux minutes, on se serait franchement passé de ton aide," gronda la renarde, "et tiens la mieux que ça tu veux."
Passé de son aide, passé de son aide, de base il n'aurait même pas dû tenir la jeune fille de manière aussi serrée. Mais Serena n'avait pas l'air consciente que mettre son nez dans l'eau n'était pas le meilleur moyen pour respirer et elle se débattait tellement qu'il était finalement le seul à pouvoir la contenir.
"Ne t'en fais pas, dès qu'elle ira mieux je suis sûre qu'elle te remerciera," ajouta Nymphali.
"Pas quand elle saura que je ne suis pas un pokémon ! Je suis un garçon, tu entends, un garçon qui tient Serena alors qu'elle est... Comment j'ai pu en arriver là ?"
"Tu exagères, elle n'a pas ses vêtements mais quelque part, qu'est-ce que ça change ?"
"Tout ! Absolument tout !" s'étouffa-t-il.
Nymphali ne comprenait toujours pas ce qui gênait tant l'ancien dresseur quand Posipi et Négapi arrivèrent en traînant derrière eux les vêtements de rechange.
Sacha souffla quand le poids lui fut enlevé des bras. Tout de même, le temps qu'il la tenait il avait trouvé que la nuque de Serena était vraiment raide, et puis les vomissements, sa phobie de la lumière, sa diction sommaire. Elle allait mal. Beaucoup trop mal pour un rhume, une gastro, ou même une grippe. Et cela lui parut encore plus flagrant lorsqu'il rouvrit les yeux et vit que le visage de la jeune fille était presque plus inquiétant nettoyé que sale.
D'accord, peut-être qu'il avait tendance à se monter trop la tête dès qu'il s'agissait de Serena, et que ce qu'il s'apprêtait à faire était stupide, inutile, et qu'il allait faire perte leurs temps à ces gens dont le numéro était enregistré d'office sur le visiophone. Mais il avait vu ce que cela donnait d'attendre en s'imaginant que de toute façon les choses iraient forcément vers le mieux, et l'épaule de Serena en avait fait les frais.
- SAMU Lavandia bonjour.
- Dra, dracaucau dracaudra !
- Comment vous épelez ça ?
Sacha raccrocha. Visiophone ! Visio ! Et ne lui dites pas que c'était trop compliqué d'activer la caméra. Bon, Serena agonisait dans la salle de bain et le métamorphosé n'avait personne à qui demander conseil à part Voltère qui ronflait à tue-tête, imperturbable malgré tout le remue-ménage. Allez Sacha, souffle un grand coup, il suffit de ne pas la laisser seule cette nuit et attendre...
"Sacha ? Qu'est-ce que tu fais ?"
La voix de la renarde l'avait tiré de sa transe. Il se rendit compte qu’il était dans le couloir de la résidence, la dresseuse dans ses bras, Goupelin toute pantelante dans son dos.
"Je sors."
"Serena n'est pas en état," grogna-t-elle.
"Je sais pas quoi faire, d'accord ? Je ne l'ai jamais vu aussi malade, je n'ai jamais vu personne d'aussi malade alors... Je l'emmène à l'hôpital."
"C'est si..." entendit-il siffler de peur la renarde.
"Non ! Tu sais ces derniers temps dès qu'il s'agit de Serena j'ai tendance à paniquer, trop, beaucoup trop, c'est super bizarre, hein ? Donc là, j'ai juste besoin que quelqu'un qui s'y connaît me dise que j'ai recommencé, que j'ai paniqué pour rien et qu'elle ira mieux demain."
Le regard de Goupelin coula sur la jeune fille recroquevillée contre le dragon.
"Enfin pas forcément demain, elle aura peut-être besoin de quelques jours pour..."
"Fonce !"