Derkomai's Mask

Chapitre 48 : Se noyer dans la lumière d’une Gentiane

5445 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/12/2024 21:42

Dans la brume elles marchaient, rebroussaient chemin, exploraient les rainures qui ne menaient qu’à des culs de sacs puis retournaient sur leurs pas, dans la veine principale.

- Ils ne pouvaient pas faire une route droite ? gémit Flora le nez et la bouche couverts par son bandana.

Serena l’entendit à peine, concentrée à palper la paroi, à déceler la moindre dépression qui lui ferait découvrir une nouvelle voie, une nouvelle chance de retrouver son dragon.

- Ils l’ont fait, releva Adèle, mais cette montagne devait déjà avoir son propre réseau de galeries et cela bien avant qu’ils arrivent.

Serena perçut une petite niche dans la roche. Elle s’accroupit, vérifia que le fil de Charmillon était toujours enroulé à son poignet avant de s’y engouffrer. Elle fit à peine un mètre, deux à la rigueur en se contorsionnant avant de se souvenir que jamais son dragon n’aurait pu s’y engouffrer. Elle recula, mouvement qu’elle avait déjà fait des dizaines de fois, et se remit à marcher en sachant pertinemment qu’elle atteindrait bientôt la fin du tunnel, condamné depuis longtemps.

- Ils auraient pu finir de boucher les trous avant de partir, grinça Adèle.

Parce qu’ainsi, explorer l’ensemble du tunnel Merazon n’aurait pas relevé de l’impossible. Charmillon se mit à toussoter, de légers sifflements et un battement d’aile qui tressautait comme le ferait un disque rayé. La fumée n’était déjà pas simple à supporter pour les dresseuses, mais pour les pokémons cela se révélait être un véritable calvaire.

- Est-ce qu’on peut faire une pause ? demanda Flora.

Elle avait de toute façon déjà ramené son pokémon à l’abri dans la sphère. Serena pinça les lèvres, se retenant de crier que non, elle ne pouvait ni ne voulait attendre, pas tant qu’elle ignorait où était Dracaufeu. Elle continua d’inspecter la paroi avec son toucher comme seul allié, et celui-ci lui dégota une nouvelle route, une nouvelle veinule qui la mènerait peut-être à ce qu’elle cherchait.

- Je n’irai pas loin, promis Serena.

Flora ne desserra pas pour autant sa prise sur le poignet de la jeune fille, devinant ce que le pas-loin de son amie signifiait. Et c’était juste hors de question sans le fil de rappel que leur assurait Charmillon.

- Tu lui ressembles.

- Tu l’as déjà dit.

- Je le sais bien, et à nouveau je vais le dire : imiter n’est jamais bon.

Serena crispa sa main sur sa robe. Flora ne se rendait pas compte à quel point il était horrible de ne pas savoir, d’envisager mille scénarios en ignorant lequel se réaliserait.

- Ce n’était pas la même chose, se défendit Serena. Vous saviez où j’étais, vous aviez vu que…

- Non, Serena, non, corrigea Flora. Justement, on ne savait pas. C’est pour ça que Dracaufeu a couru et…

- Ce n’était pas une raison pour attaquer Absol.

- Ni pour foncer tête baissée dans une galerie sans savoir ce que tu vas y trouver.

Serena ferma sa main tremblante, le bout de ses doigts pulsant contre sa paume.

- J’ai peur, avoua-t-elle. Il a beau avoir évolué, ça ne l’empêche pas de s’attirer des ennuis.

Flora pencha doucement la tête sur le côté, un petit sourire complice quand elle dit :

- Ça ne m’étonne pas. Dans le fond, il reste ce petit Salamèche qui a couru à ton secours face à ce chasseur de pokémon.

- A notre secours.

- Mais c’est ton nom qu’il criait, gloussa Flora.

Serena rougit malgré elle avant de détourner la tête d’un petit « humpf » vexé. Elle savait bien que dans le fond, elle était importante pour lui, et que sa manière de réagir l’autre jour était juste…

- Il se comporte quand même bizarrement, et je n’arrive pas à saisir pourquoi, soupira Serena.

- Une peine de cœur ? proposa Flora.

La jeune fille déglutit, son ainée avait dit cela pour plaisanter mais…

- J’ai… j’ai peut-être contrarié une dracaufeu…

- Elle n’aimait pas les humains ?

- Pas tout à fait, grimaça Serena. Mais il se pourrait que je me sois quelque peu… énervée. Et ne me demande pas pourquoi ! Je n’en ai aucune idée ! Enfin, quoiqu’il en soit, c’est vrai que sur le moment ça n’avait pas l’air de le gêner, mais depuis…

Flora éclata de rire avant qu’une quinte de toux ne la punisse.

- Impossible, se tenait-elle toujours les côtes, on parle de Sach-

Flora se figea, le prénom lui était naturellement revenu en pensant au pokémon. Quand elle disait que son style se rapprochait trop du dresseur du Bourg Palette… Serena toussa à son tour, chassant la fumée de sa main sans succès avant de bredouiller :

- Dracaufeu. On parle de Dracaufeu.

Corriger l’erreur ne la fit pas se sentir mieux, bien au contraire. Ce qu’elle ressentait pour Sacha, ce qui ne devrait être que pour Sacha, elle le retrouvait un peu – un tout petit peu, minuscule – chez le pokémon. Ce n’était pas normal. Ce n’était absolument pas normal ! C’est parce que tous les deux sont doués pour me faire paniquer, se résonna-t-elle. Sacha m’envoie une lettre, Dracaufeu disparait, à croire qu’ils se sont donnés le mot.

- Vous entendez ? les interpella Adèle.

Des couinements paniqués s’amplifiaient dans le brouillard, et il ne fallut pas longtemps pour qu’émerge une multitude de formes troubles. La plupart se dispatchèrent dans les galeries adjacentes, mais une partie se glissa rapidement entre les jambes des dresseuses : des poils et des plumes, quelques coups de griffes, des cris stridents contre leurs oreilles et la marée venait de passer.

- D’accord, ça c’est pas normal, siffla Flora.

Serena ne dit rien, les yeux rivés sur une ombre plus grande que les autres qui tournait dans la brume.

- Dracaufeu ? espéra-t-elle.

Les grondements d’excuse de l’avoir inquiétée, sa mine coupable et la manière dont il l’apitoierait quand elle menacerait de le priver de profiteroles pour le goûter. Son sourire, elle aimait tant son sourire.

- Absol ? s’arrêta-t-elle net.

Le pokémon se tourna vers elle et sourit de soulagement – il n’avait pas son sourire. Sa fourrure était encrassée de boue et de taches violacées, ses jambes flageolaient d’épuisement et seul ses yeux semblaient garder encore un peu de vigueur. Serena sentit son cœur se tordre. Son pokémon était-il lui aussi dans cet état, souffrant quelque part dans les profondeurs de la montagne ?

Absol tituba, se calant contre un rocher pour ne pas définitivement tomber. La jeune dresseuse secoua la tête, se dépêchant de sortir potion et antidote de son sac – Dracaufeu ne lui laissait pas le choix d’avoir toujours sa trousse à pharmacie bien remplie.

Dracaufeu, pensait-elle en appliquant le spray. S’il te plait dis-moi que tu vas bien, peu importe comment, je veux juste que tu me dises que tu vas bien. Elle ravala un sanglot, ses épaules pliant sous la peur et la nervosité.

- Ab…

Le pokémon se secoua un peu, pas encore complètement rétabli mais suffisamment remis pour…

- Absol, ab, fit-il signe de le suivre.

Le type ténèbre était blessé, il était aussi sa seule chance de retrouver son partenaire. Et cela irait vite, elle en était certaine, il suffisait juste d’emprunter une galerie, puis une autre, encore une autre, plonger de plus en plus dans les souterrains… Comment son reptile avait-il pu se perdre aussi loin !?

Absol dû s’arrêter pour reprendre son souffle bien que l’air polluée par l’odeur du souffre le faisait grimacer à chaque inspiration. Mais le pokémon ne tarda pas plus, déjà prêt à repartir et Serena sentit bien que le temps pressait. Un frisson la parcourut, l’idée que son dragon ait été emmené par la force et ce qu’il lui arrivait en ce moment, pendant qu’elle était encore en train de courir à travers…

- Attention !

Flora la tira vers l’arrière une seconde avant qu’elle ne se retrouve piégée sous un éboulis. Serena écarquilla les yeux et vérifia rapidement qu’Absol était bien lui aussi sain et sauf.

- Ne cours pas sans réfléchir ! s’égosilla la dresseuse.

La fumée était redescendue, atteignant à peine leur cuisse, le visage de Flora tordu par l’anxiété.

- Pardon… baissa-t-elle la tête.

- Tu dois aussi des excuses à Roussil, et à Adèle et… Tu te rends compte que tu es pire que lui ! explosa-t-elle.

Serena savait bien qu’elle ne devait pas se précipiter, encore moins partir en courant dans son coin, mais Dracaufeu était toujours quelque part là-bas, et elle craignait que plus que jamais, il ait besoin d’elle.

- Bsooool, grogna soudain le pokémon.

- Tiens, tiens, qu’est-ce que nous avons là, siffla Adèle.

La femme n’aimait pas beaucoup qu’on se glisse dans son dos, d’autant plus quand on lui coupait sa seule et unique voie de retraite. Au moins avaient-ils la politesse de baisser masques et lunettes pour qu’elle puisse voir leur visage, à moins que ce soit tout simplement parce que l’air était devenu à peu près respirable.

- C’est bien elle. J’ai vu sa tête plein de fois dans les journaux, dit Don en pointant du doigt Flora.

Julian acquiesça, bien qu’il n’eût déjà que peu de doutes dessus. On les avait prévenus pour la petite princesse de Kalos, mais pas pour celle d’Hoenn, qui était autrement plus problématique.

- Tu crois qu’on peut…

Don craignait le défilé médiatique qui se presserait dans le Tunnel Merazon si l’une des favorites du Grand Festival y disparaissait. Grand dadais mais pas stupide ce Don.

- Ce que je crois, c’est qu’on va demander un petit service aux gars qui s’engraissent bien tranquillement pendant qu’on travaille.

Parmi les miniers, certains possédaient des hypnomades. Tout ce qu’ils avaient donc à faire était de leur amener les jeunes filles et leur rentrer dans le crâne qu’il n’y avait rien dans ces tunnels. Ensuite, elles feraient ce qu’elles voudraient : continuer de chercher vainement le reptile ou bien directement abandonner. Tiens, même les employés du restau-bar y trouveraient leurs comptes si ces filles décidaient de rester dormir chez eux. Tout le monde y gagnait – surtout qu’ils les payaient grassement comme le précisait toujours si bien Tony.

- Je suppose que vous n’êtes pas là pour nous porter secours, ricana Adèle sans grande conviction.

- Je crains bien que non, admit Julian d’un petit sourire complice, comme si la blague l’amusait. Mais si vous promettez de partir et de tout oublier de cet endroit, on pourrait peut-être y réfléchir.

- Pro-mis, détacha-t-elle bien chaque syllabe. Et puis, qu’est-ce qu’un dracaufeu pour une coordinatrice sinon une source d’ennui ?

- Pas que pour une coordinatrice, corrigea Julian d’un air maussade. Tu as mal dressé ton pokémon, gamine, se tourna-t-il vers Serena. Mais ne t’inquiètes pas, on va l’envoyer chez quelqu’un capable de le recadrer.

Les traits de la jeune fille se tordirent. Absol grognait à côté d’elle, le pelage gonflé, incapable cependant de dissimuler sa crainte que…

- Qu’est-ce que vous lui avait fait ?! s’affola Serena.

- Vendu et envoyé, dit Don en crissant des dents. Bon débarras.

Serena chancela, le sol semblait se mouvoir sous ses pieds, la moiteur emplir sa gorge tandis que de grosses gouttes de sueurs dégringolaient sur sa nuque.

- Vous mentez.

Il avait besoin de moi et je ne suis pas arrivée à temps. Si j’avais couru plus vite, si j’avais entendu ses appels, il ne serait pas… Dracaufeu, mon Dracaufeu…

- Vous mentez, vous mentez, vous mentez !

- Tu sais bien que ce genre de pokémon intéresse plus d’une personne, dit Julian.

Le regard embué de larmes, les mâchoires serrées, Serena croyait vaguement entendre ses camarades l’appeler. Mais il souriait, le voleur souriait, il souriait parce qu’il avait fait une bonne vente et que cette bonne vente était…

Serena se jeta vers l’avant. C’était ça : soit elle courait, soit elle s’effondrait pour ne plus jamais se relever. Dracaufeu ! Adèle l’intercepta, retenant la jeune fille par la taille. Est-ce que tu m’attendais ? Elle repoussa la femme d’une violente bourrade, un bout de son manteau s’arrachant au passage. Qu’est-ce que tu as ressenti ? Qu’est-ce que tu as ressenti quand tu as compris que je n’arriverai pas à temps ? Est-ce que…

- STOP !

Serena tomba brutalement vers l’arrière. Juste le temps de voir le plafond de la galerie qu’elle essayait de se relever, se débattant contre la force qui la retenait à terre.

- Ne les écoute pas ! Je t’en supplie, tu ne dois pas les écouter, entendit-elle trembler près de son oreille.

Elle continua de griffer les bras qui l’encerclaient, s’épuisant à chaque mouvement jusqu’à ce que ses mains retombent et que les lèvres tremblantes elle murmure :

- Ils me l’ont pris. Ils ont pris Dracaufeu.

- Et tu crois vraiment qu’il s’est laissé faire ? fulmina Flora. Elle avait forcé la jeune fille à se tourner vers elle, la secouant presque alors qu’elle criait : Il t’attend ! Je suis sûre qu’il t’attend !

Serena se releva lentement accompagnée de son amie, observant avec appréhension la voie que Braségali venait de dégager.

- On s’occupe d’eux. Serena, je compte sur toi pour nous le ramener.

La jeune fille acquiesça, les mains encore tremblantes avant qu’Absol ne s’approche et tire sur sa robe pour l’encourager à avancer.

- Et si je ne le trouve pas ? recula Serena.

- Alors je te laisserai lui tirer les cornes de ma part ! Pied Brûleur !

Je lui tirerai les cornes quoiqu’il arrive, pensait la jeune fille en dévalant la galerie, sa cheville en feu. Et je lui pincerai même le museau pour bien qu’il s’en souvienne.

La fumée atteignait à peine ses chevilles quand la veinule s’ouvrit sur une immense crypte. Serena haletait, goutant la fraicheur amenée par la rivière et balayant rapidement du regard les cages presque toutes grandes ouvertes.

- Dracaufeu !? appela-t-elle sans se soucier du bandit qui la dévisageait avec de grands yeux.

Son cœur la faisait souffrir tant il pulsait fort et qu’elle inventoriait dans sa tête le contenu vide des boîtes : pas là, pas là, pas là non plus…

- Bsol ! l’attira le pokémon.

Elle plissa les yeux, longeant la rivière jusqu’à remarquer ces deux cages isolées, l’une tout aussi vide que les autres mais la deuxième… Serena hoqueta de surprise. Elle ne pouvait pas bien le discerner à cause de l’homme qui se tenait devant, mais il y avait clairement quelque chose à l’intérieur.

- Dracaufeu ! appela-t-elle plein d’espoir.

Il n’y eut pas de réponse, mais cela ne l’empêcha pas de s’élancer vers la rivière. Elle contourna les tables qui gardaient le centre de la pièce, esquivant de justesse la main qui tenta de la saisir, ne se retournant pas lorsque l’homme chuta derrière elle ou que Roussil entama le combat contre un nosferalto à l’aile brûlée.

- DRACAUFEU ! DRACAU-

Serena tressaillit. Il était bien là. Il était bien là sauf qu’il ne bougeait pas, ratatiné sur lui-même, une lueur rouge vibrant autour de lui.

- Qu’est-ce que vous lui faites ?!

Elle sentit la terreur l’envahir lorsque le rayon se dissipa, laissant le reptile secoué de spasmes. Le tortionnaire se tourna vers elle, un appareil dans une main, une pokéball dans l’autre. Et Dracaufeu était derrière et il ne bougeait pas, il ne répondait pas quand elle l’appelait et…

- Ab SOL ! cria le pokémon.

Il contra le Poing Météore de Métang avant qu’il n’atteigne la dresseuse tout en forçant le bandit à libérer le passage d’une Coupe Psycho. Mais Serena restait figée, une main devant sa bouche ouverte de stupeur, tremblante de tous ses membres.

- Dracaufeu… Dracaufeu, s’il te plait réveille-toi. S’il te plait…

Elle tituba, saisit les barreaux de ses deux mains avant de les reculer brutalement quand une décharge lui déchira les paumes. Incrédule, elle observa le métal crachoter de fines étincelles et sa peau légèrement roussit.

- Dracaufeu… gémit-elle.

La détresse entachait ses traits alors qu’elle agrippait le col de sa robe comme si elle était sur le point de l’arracher. Elle devait se réveiller, elle ne pouvait pas juste rester là à le regarder !

- Négapi, Posipi ! Coup d’Main !

Elle retint son souffle, ce n’était pas une capacité de soin, mais si au moins cela pouvait lui redonner un peu d’énergie… Le pokémon toussota, une légère fumée violacée lui sortait de la gueule bien loin de sa blancheur habituelle. Serena s’agenouilla, essayant une nouvelle fois :

- Dracaufeu !

Il ouvrit péniblement un œil. Serena s’attendait à y déceler beaucoup d’émotions, mais celle que son dragon lui dévoila la prit au dépourvu. Elle crut au début qu’il était juste confus, ou qu’il la confondait avec l’un des kidnappeurs, mais ce n’était pas le cas, Dracaufeu avait parfaitement conscience de qui se tenait en face de lui quand… Il était déçu ?

- Je suis là, je suis venue pour toi, balbutia-t-elle.

Les lèvres du reptile se tordirent, comme s’il s’en voulait à lui-même, qu’il aurait préféré qu’elle ne le cherche pas. Mais… Elle croyait que depuis les évènements du Mont Chimnée, son envie de partir s’était dissipée et qu’il était résolu à rester avec elle. Il avait même commencé à apprendre à cuisiner, à coudre, il faisait des efforts pour les concours au point d’essayer de… C’était à ce moment que son comportement avait commencé à changer.

- Pi !

Soulevée dans les airs, Serena eut juste le temps de voir son reptile se relever, retournant se fracasser le crâne contre les barreaux électrifiés, criant sa terreur alors qu’à peine une seconde plus tôt elle aurait juré qu’il ne voulait plus la voir. Il tenait toujours autant à elle alors qu’est-ce qui avait changé ? Qu’est-ce qu’il le faisait se sentir si mal quand elle était là ?

L’attaque Psycho de Métang l’envoya rouler aux pieds de Tony. Elle se releva difficilement sur ses coudes, remarquant soudain la renarde agenouillée, tenant sa main comme si elle voulait l’enfoncer dans le sol alors que Nosferalto fonçait vers elle les ailes illuminées.

- C’est pas vrai ! Roussil ! Roussil, esquive ! Esquive !

Serena n’aurait pas le droit au dénouement. Saisie au col, son dos craqua violemment contre les tables, le bas de ses cuisses appuyant douloureusement contre les rebords.

- Qu’est-ce que tu croyais faire !? entendit-elle hurler proche de son visage.

Elle chercha frénétiquement à récupérer une capsule, mais celui qui la retenait le comprit bien assez vite, lui attrapant les poignets et les immobilisant aussi loin qu’il le pouvait.

- Hein ! Qu’est-ce que tu croyais faire ?! rugit-il.

Elle le sentit se déplacer au-dessus d’elle, enfoncer son genou dans son ventre en même temps qu’il appuyait son coude sur sa gorge. Serena s’arc bouta, essayant désespérément de libérer ses bras, ruant de coup de pied la veste du bandit sans qu’il ne bouge d’un iota. L’homme se pencha un peu plus sur elle, la salive écumant au coin de ses lèvres alors qu’il augmentait la pression. Elle allait perdre conscience ! Sacha. Si ça continuait elle allait vraiment… Dracaufeu. Elle n’arrivait plus à respirer, la langue gonflée, haletant sans parvenir à faire entre l’air dans ses poumons et bientôt, bientôt… Absol ?!

D’un coup d’épaule, le pokémon venait de faire culbuter la table avec tout ce qu’elle contenait : humains comme objet. A peine libre et le nez encore dans la fumée, Serena prit une grande goulée d’air, tenant son ventre en feu. La jeune fille rampa encore un peu par terre, s’éloignant de l’homme qui s’agitait et jurait à seulement quelques mètres d’elle. Elle se protégea la tête quand des Lames d’Air sifflèrent autour d’elle, Nosferalto ayant vite accouru vers son maître. Serena déglutit, relevant la tête pour voir Roussil qui boitait vers eux tandis que Posipi et Négapi faisaient de leur mieux pour la couvrir contre Métang.

- P-Pandespiègle, Nymphali, souffla-t-elle en les libérant de leur capsule. Allez les aider.

Ils hésitèrent devant le piètre état de leur dresseuse, mais le panda finit par se décider en entendant le râle de douleur de Roussil.

- Toi aussi, supplia-t-elle le type fée.

Ils devaient au moins tenir le temps que Flora et Adèle arrivent. Mais Dracaufeu, arriverait-il à le supporter ? Elle devait vite le soigner et chaque minute qui passait… Son coude heurta une mallette tombée avec le reste des ordinateurs et des fiches. Elle s’était ouverte et à l’intérieur brillait une pierre noire, incrustée dans un bracelet.

Serena s’en saisit, détaillant ce qui ressemblait à un œil avec le symbole déformé de la méga-évolution comme pupille. Nymphali se mit à grogner et la dresseuse en comprit parfaitement la raison pour l’avoir déjà vu à l’œuvre.

Elle ne s’en débarrassa cependant pas immédiatement, le serrant au creux de sa main. La grotte était devenue un champ de bataille, et visiblement ce n’était pas sa faction qui avait l’avantage. Nymphali fut finalement elle aussi obligée de quitter sa dresseuse quand Métang et son attaque Psycho revint à la charge, manquant de peu de piéger une nouvelle fois la dresseuse.

Désormais seule, Serena essayait tant bien que mal de se faufiler au milieu du déluge d’attaque, donnant un ordre ou deux quand elle le pouvait mais devant le plus souvent courir pour semer le bandit qui avait essayé de l’étouffer quelques minutes plus tôt.

Comment il peut être aussi rapide ? se lamentait-elle cachée derrière un rocher, le bout de ses bottines trempant dans le courant de la rivière. Et ses deux amies qui n’arrivaient toujours pas… Une nouvelle fois, elle considéra la pierre noire au creux de sa main, l’apport de puissance qu’elle pourrait offrir.

- Ab ?

Elle sursauta, le pokémon ténèbre l’avait rejointe et reniflait avec curiosité la gemme. Serena s’empressa de fermer son poing, et jeta un coup d’œil prudent aux combats. Pandespiègle apportait un soutien précieux à la renarde bien que tous les deux continuaient de se crier mutuellement dessus, se disputant en même temps qu’ils donnaient les coups. Ils s’en sortaient pour l’instant, mais elle devait vite trouver un moyen de libérer Dracaufeu pour qu’ils puissent tous s’enfuir.

- Absol, ab…

Il continuait de lorgner la main de la jeune fille, ayant probablement senti le potentiel de cette pierre.

- Je ne peux pas l’utiliser.

- Bsol ?

- Ce n’est pas une vraie Méga-Evolution ! C’est beaucoup trop douloureux et éprouvant et aucun pokémon ne devrait avoir à subir ça et…

- Aaaa, absol ?

Serena regarda à nouveau son poing fermé, se rendant compte qu’elle n’avait toujours pas jeté l’objet.

- Dracaufeu ne pourra jamais le supporter, pas dans son état.

- Bsol.

Elle releva la tête. Le pokémon avait posé sa patte sur le poing qui enserrait la gemme, son regard déterminé ne laissait aucun doute sur ses intentions.

- C’est hors de question ! cria-t-elle.

- Aaa, absol ?

- Pas encore, mais je vais trouver, rouspéta-t-elle. Il suffit de courir au bon moment et…

- Bsoooool ab ?

- Ou bien on pourrait essayer de les éblouir.

- Bsolbsol.

- Très bien, d’accord, je n’ai aucune idée de quoi faire !

- Aaaaa ?

- Parce que ce n’est pas… parce que…

Elle zieuta l’endroit où était Dracaufeu, l’idée qu’elle arrive trop tard la prenant à la gorge. Elle secoua la tête, elle ne pouvait pas utiliser la gemme sur le pokémon, elle ne pouvait pas le sacrifier lui pour aider… Ce n’était pas un choix qu’elle avait le droit de faire ! La jeune fille se recroquevilla sur elle-même, ses deux mains posées sur son cœur comme pour l’empêcher de s’enfuir.

- Tu nous connais à peine… articula-t-elle faiblement.

- Ab, confirma-t-il.

- Et Dracaufeu t’a attaqué.

- Aaaabsol, se remémora-t-il avec une grimace.

Vous avez peut-être le truc tous les deux, avait dit Flora. Il lui accordait si facilement sa confiance, comme Salamèche à l’époque. Non, pas tout à fait, le petit reptile avait beau la suivre dès le premier jour, il s’était longtemps montré distant, et elle avait eu du mal à le comprendre… Elle avait toujours du mal à le comprendre à vrai dire. Mais avec Absol, tout paraissait si simple, et elle sentait que peut-être, oui, peut-être…

- Je crois que j’adorerais voyager avec toi. Et faire des concours aussi, je suis certaine que tu serais génial.

- Ab, acquiesça-t-il doucement.

Serena frotta son visage. Absol restait assis devant elle, attendant sa réponse, parce que… Il me demande de choisir, comprit-elle. Elle rouvrit la main, le pokémon se pencha un peu plus, son museau à quelques centimètres de la gemme quand il leva les yeux vers elle. Moi ou lui Serena, tu dois choisir, et rapidement. Elle se mordit la lèvre puis inspira profondément, il y avait une question qu’elle devait lui poser avant de décider quoique ce soit, une seule et unique question dont elle-même ne comprenait pas encore le sens mais :

- Dis Absol. Dracaufeu, ce n’est pas pour te combattre qu’il est revenu, pas vrai ?

Le type ténèbre recula d’un pas, ne souhaitant pas briser la promesse qu’il avait faite au faux pokémon. Mais Serena avait-elle vraiment besoin qu’il lui réponde ? Visiblement non vu la manière dont elle effleura la gemme.

- Onde Méga, murmura-t-elle.

Elle n’avait pas menti, l’aura qui l’enveloppa était froide, nauséabonde et plus que tout elle était une douleur lancinante, un rongement permanent, une gangrène qui ne s’arrêterait pas avant d’avoir tout dévoré. Absol eut un petit sourire alors que la mèche sur son front lui recouvrait l’œil droit, inspirant à fond avant de se laisser complètement envahir. Je savais bien que je n’avais aucune chance.

Tony sut qu’il avait perdu au moment où une bourrasque entraina toute la fumée hors de la grotte et qu’un rugissement couvrit le grondement des flots. Perché sur son rocher, les ailes déployées, celui qu’ils tenaient encore dans leurs cages il y a quelques heures…

- Tu penses qu’on a une chance si on s’excuse ?

Était-ce purement rhétorique ou Rob se posait vraiment la question ? Tony aurait voulu lui dire de retourner à son Magicarp Jump ou son Unit ou peu importe sur quel jeu il était en ce moment. Oui, il aurait voulu se disputer et lui cracher ses quatre vérités au visage. Toutefois, en ce moment, il sentait que tout cela était étrangement futile.

- Emmène Jim, chuchota Tony.

Rob le dévisagea, ils n’avaient aucune chance à deux, alors s’il laissait son comparse seul c’était certain… Et ce n’était pas parce qu’il lui demandait s’ils allaient les laisser partir qu’il y croyait, il n’était pas bête à ce point contrairement à son chef qui visiblement pensait qu’ils pourraient leur échapper avec Jim shooté à la morphine !

- Ils vont nous laisser partir.

- C’était de l’ironie Tony ! De l’iro-

- Je vais les y forcer.

La vision de Serena ne fut qu’un tunnel. Un long et étroit tunnel quand Tony se mit à courir. Il ne se dirigeait pas vers Absol, il ne se dirigeait pas vers elle, il ne se dirigeait même pas vers l’issue juste derrière lui, non il se précipitait vers…

- Dracaufeu !

Elle laissa la Méga-Evolution encore figée par la surprise derrière elle, poursuivant l’homme dont la rapidité lui parut encore plus aberrante alors que sa graisse rebondissait à chaque impulsion qu’il donnait.

Sa gorge lui faisait encore mal à chacune de ses inspirations, mais Serena ne pouvait pas s’arrêter, pas avec l’horrible pressentiment qu’elle avait et le torrent affamé qui grondait, les vagues émergeant de sa surface comme des crocs. Plus vite, plus vite, plus vite ! se déchira-t-elle les jambes. Il l’avait atteint, et de tout son poids il s’appuya sur le rebord de la cage sans se soucier des éclairs qui diffusaient à la surface de son uniforme. Le visage congestionné, un dernier effort…

Serena sentit tous ses muscles brûler quand la cage commença à basculer. D’abord un angle léger qu’on aurait à peine remarqué avant de prendre de l’ampleur, Dracaufeu à l’intérieur qui releva sa tête ensanglantée en la voyant arriver, commençant à tendre ses griffes vers elle. C’est ça ! C’est ça Dracaufeu ! Serena poussa sa main aussi loin qu’elle le put, disloquant presque son épaule, elle n’atteindrait pas les barreaux mais s’il lui donnait sa main, si elle l’atteignait…

Il la replia, sous les yeux effarés de la jeune fille, il la ramena contre lui. Et la seule chose qu’il fit pour se justifier, croyant que ça le pardonnerait, fut de lui sourire avec dans son regard le reflet d’Absol la protégeant d’une des attaques de Nosferalto.

Loupé, à peine d’un centimètre, mais la chute s’accéléra et le cube frappa l’eau dans un bruit sourd. Serena demeura immobile, la cage dérivant sur à peine un mètre avant de s’enfoncer. Le pokémon à l’intérieur en retrouva de la vigueur, les saccades de ses muscles encouragés par les courts-circuits à répétition, ses gémissements qui se confondaient avec les gargouillis de l’eau s’engouffrant dans sa cage. Et si c’était lui qui l’avait voulu ?

Souffrir ? C’était cela qu’il voulait : souffrir ? Se noyer ? En quoi c’était mieux ! En quoi préférait-il cela à rester avec elle ! Mais elle ne pouvait s’empêcher de repenser à son sourire, à la manière dont il lui avait souri quand, retirant sa main, il semblait satisfait, rassuré même, parce qu’il voyait Absol.

Parce qu’il a choisi pour moi !

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