Derkomai's Mask
Chapitre 47 : L’irritation d’une hellébore noire
5163 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 24/11/2024 18:01
Le chantier Merazon avait beau avoir été abandonné depuis presque un an, le restaurant-cafétéria qui avait accueilli nombre d’ouvriers ne s’était pas effondré, loin de là. Un coin sympa à l’ombre de la montagne, un lieu de rendez-vous, une habitude qu’ils avaient gardée, la bicoque semblait avoir de beaux jours devant elle.
Serena prit une gorgée de jus de fruit, son manteau posé dans l’angle de la banquette, ses mains qui tremblaient sur le verre. L’odeur de sueur et de friture stagnait dans une chaleur étouffante, les tables collaient et les photos du serveur du mois grisonnaient sous la poussière. La jeune fille souffla et retourna vers le comptoir où un groupe d’affamés attendait avec impatience leur pitance.
- Excusez-moi.
Ils arrêtèrent de rire, dévisageant la jeune fille du haut de leur tabouret de bar. Serena déglutit, racla un peu le sol du pied avant de prendre une grande inspiration.
- On t’a déjà dit qu’on n’a pas vu ne serait-ce qu’une flamme d’un dracaufeu, la coupa l’un des hommes.
Serena grimaça. Elle avait beau ne pas vouloir y penser, elle savait pertinemment que le dernier stade d’évolution d’un salamèche pouvait faire des envieux.
- Et vous n’avez rien vu d’étrange ? Comme des gens qui n’étaient pas du coin ou…
- Ah si, si, j’en vois même trois en ce moment, ricana l’ouvrier.
La coordinatrice serra le poing, se retenant de crier. La matinée avait déjà été suffisamment difficile comme ça sans que ces types en rajoutent.
- S’il vous plait, reprit-elle, ce n’est pas… ce n’est plus son genre de disparaitre comme ça donc s’il y avait la moindre chose que vous aviez remarqué ou entendu, n’importe quoi pourrait être utile.
L’homme haussa les épaules tout en faisant signe au barman que son verre était vide.
- T’as pas pensé que p’têt qu’il avait envie d’être un peu tranquille et qu’il t’évitait.
Il posa un billet de cinquante pokédollars sur le comptoir, accordant à peine un regard au visage pincé de la dresseuse.
- Vous…
- Viens avec moi Serena, la rattrapa au dernier moment son amie coordinatrice. Il n’en vaut pas la peine, ajouta-t-elle plus bas.
Serena crispa ses mains sur sa robe. L’ignorer aurait été plus simple si la mode en ce moment n’était pas aux disparitions. D’abord Sacha, ensuite Amélia et maintenant…
- Serena…
- Je sais, je sais ! Mais toi au moins tu ne fais pas fuir tes pokémons et…
- On respire, lui rappela son ainée.
Elle avait posé les mains sur les épaules de la coordinatrice et lui montrait l’exemple. Serena essaya tant bien que mal de l’imiter sans réussir à rendre sa nervosité moins palpable.
- Tu crois sincèrement qu’il ferait exprès de disparaitre ?
- Non… Même si je ne sais plus trop quoi penser. Il s’est comporté tellement bizarrement ces dernières semaines et je l’ai peut-être trop poussé et…
- Et rappel moi ce qu’on a utilisé pour le pister ? demanda doucement Flora.
Serena sursauta. Goinfrex avait besoin de quelque chose avec l’odeur de Dracaufeu, sauf que le pokémon ne portait aucun accessoire donc… Serena fera très bien l’affaire, avait très justement remarqué Adèle.
- C’est juste que ton pokémon a un très bon odorat, déglutit la jeune fille.
Et ce n’était certainement pas lié au fait qu’elle dormait presque toutes les nuits dans les bras de son pokémon.
- Mais pas autant que je l’espérais, soupira Flora.
Difficile de lui jeter la pierre quand on voyait le brouillard qui effleurait les fenêtres et retenait la chaleur d’un soleil étrangement vivifié. Quoique brouillard n’était peut-être pas le bon terme vu l’odeur de soufre qu’il dégageait et le fait qu’au lieu de s’élever il préférait ramper au sol… alors qu’il n’y avait aucun volcan dans les parages et que le vent marin devait normalement protéger la route des émanations du Mont Chimnée. Dans tous les cas, le temps était idéal si vous vouliez vous enfuir sans que personne ne vous suive ou…
- On perd du temps, grinça Serena.
Flora grimaça, se souvenant parfaitement des traces de pneus fossilisées dans les coroles dégarnies. Et si leur ami avait vraiment eu affaire à des chasseurs de pokémon, pas la Team Rocket mais des vrais, elles n’étaient pas sûres de pouvoir le retrouver sans l’aide de Jenny. C’était d’autant plus vrai quand vous n’aviez pas assisté à l’enlèvement et que les voleurs avaient eu tout le temps qu’il leur fallait pour mettre de la distance. Sauf que pour mettre de la distance, mieux vaut éviter les culs de sac, pensa Flora. C’était le principal élément qui lui faisait douter de la théorie du kidnapping, du moins si Goinfrex avait bel et bien suivi la piste du pokémon et pas celle des bonnes odeurs de cuisine du café restaurant…
- Flora ?
- Non ! Je veux dire : si ça se trouve il est encore là-bas en train de se battre dans je ne sais quel coin, ou bien il était déjà évanoui quand on est passé et c’est pour ça qu’on ne l’a pas vu et…
- Mais on a suivi Goinfrex, remarqua Serena.
- Peut-être, siffla-t-elle, qu’on aurait dû lui proposer des pokéblocs ou des profiteroles pour être sûr qu’il ne, eh bien, qu’il ne dévie pas.
Serena écarquilla les yeux, se tournant vers la fenêtre où l’on pouvait deviner les formes nébuleuses des camions et leurs faux sourires rutilants.
- Tu veux dire…
Elle repartit en trombe vers l’ouvrier qui les avait initialement invitées à entrer. Il renifla, les mains dans les poches de son pantalon à la ceinture mal bouclée, agacée que la jeune dresseuse revienne l’ennuyer avec ses histoires de vérifier les cargaisons.
- Elle est sacrément énervée ton amie.
- Ça peut se comprendre, rétorqua Adèle.
L’homme qui venait de se marrer remit le nez dans son verre. La femme jusque-là s’était montrée agréable, dans le sens où elle ne lui avait posé aucune question sur le fameux reptile, préférant plaisanter avec lui et lui payer deux-trois verres au passage.
- Toi aussi tu t’inquiètes pour ce pokémon au final, grommela-t-il.
- Plus ou moins, dit-elle nonchalamment. Disons que j’aurais préféré rejoindre la prochaine ville au lieu de faire des allers retours toute la matinée.
- Dur.
- Je te le fais pas dire, Pat’, soupira-t-elle. Si au moins le Tunnel Merazon était utilisable… Entre nous, vous l’avez fini et vous le gardez pour vous ?
L’ouvrier s’esclaffa avant de reprendre d’un ton plus morne.
- Je voudrais bien, parce que ça voudrait dire que j’aurais pas perdu une partie de ma paye et passé des mois à galérer à trouver un nouveau chantier.
- Dommage, ça m’aurait arrangé, soupira la femme. J’espère qu’au moins tu me feras visiter pour te faire pardonner.
- Ah ? Parce que maintenant je dois me faire pardonner ? pouffa le travailleur.
- Peut-être, éluda-t-elle en faisant légèrement pencher son verre vers elle. Et puis pense au fait qu’on serait plus tranquille pour dis-cu-ter.
Et elle donna une pichenette sur le rebord du verre, le faisant vibrer sur une note unique.
- Malheureusement, les galeries ne sont pas très sûres. Tiens, pas plus tard que l’autre jour, celle où j’étais s’est effondrée et j’ai bien cru y…
- Tu vois que tu y travailles toujours.
Il toussa violemment, puis essuya d’un revers de manche la bave qui lui collait au menton.
- Non ! Mais j’ai vu des types y entrer et je voulais les prévenir…
- Hu~uh, acquiesça-t-elle d’un grand sourire.
Pat’ grimaça, jetant un coup d’œil nerveux vers la kalosienne.
- J’ai pas vu de dracaufeu avec eux, précisa-t-il. C’était juste des barges à cornes qui ont essayé de m’ensevelir vivant quand j’ai essayé d m’approcher.
- Des barges à cornes ? répéta Adèle en fronçant les sourcils.
- Exactement, mima-t-il deux cornes au sommet de sa tête. Des vrais petits diables avec leur cape rouge.
Il déglutit en remarquant l’air pensif de la femme.
- Mais t’es pas obligée d’en parler à tes amies, hein ? Tiens, vous vouliez voir l’intérieur de nos camions. Voilà ma clef, et je peux discuter avec les autres pour qu’ils vous laissent les leurs histoire de rassurez la petite. Par contre, vous me cassez rien, hein ?
- Evidemment, leva-t-elle la main en guise de promesse.
Pat’ s’engagea même à les accompagner, chose qu’il regretta assez vite avec ces dresseuses qui passaient au peigne fin chaque remorque – les deux jeunes du moins, l’ainée ne jetait qu’un bref coup d’œil pour la forme avant de passer au suivant. Il ne put cacher un soupir de soulagement quand elles eurent enfin fini de tout fouiller.
- Rien ? demanda-t-il.
- Rien, admit Serena. Je suis désolée, ajouta-t-elle d’une petite voix.
Il croisa les bras, sentant un peu de culpabilité poindre avant de donner un coup de pied dans la fumée.
- Bonne chance, dit-il simplement avant de repartir vers le restaurant.
Serena gardait la tête baissée, observant les mini-cyclones de poussière se condenser autour de ses chevilles.
- Il nous en cause des problèmes, se plaignit Adèle. S’il voulait prendre sa revanche, il aurait dû t’en parler au lieu de partir seul dans son coin.
La jeune fille s’accroupit, comme si elle cherchait à voir les traces du pokémon dans la brume. Elle mit sa main devant sa bouche et son nez, essayant de retenir le sanglot qui menaçait.
- Je me demande s’il voulait vraiment se battre, avoua-t-elle.
Adèle haussa un sourcil, tout le monde était plutôt d’accord avec l’idée pourtant, surtout que :
- Les dracaufeus ont leur fierté, rappela-t-elle.
- Mais Dracaufeu n’est pas…
- A trop croire en lui, ça risque de te jouer des tours.
Adèle n’avait pas pu cacher sa propre amertume à ce sujet. Elle pinça les lèvres tandis que Flora restait au milieu, dévisageant l’une et l’autre. Au vu du silence qui s’était installé, le timing serait parfait pour intervenir, mais la coordinatrice sentait qu’au contraire, c’était le pire moment qu’elle pourrait choisir.
- Ce n’est pas une question de croire ou pas, reprit Serena en se souvenant de la forêt d’Aufrac et de la bataille de boule de neige à sens unique qui s’y était déroulée. Et à vrai dire, j’aurais préféré que ce soit ça, qu’il soit retourné voir Absol pour montrer à quel point il était fort mais… Ce n’était pas un combat qu’il cherchait, j’en suis certaine, et c’est bien ce qui m’inquiète.
- Tu lui cherches juste des excuses, grinça la mécanicienne.
- J’essaye de l’aider !
Elle s’était relevée sous le coup de l’émotion, avant de se rendre compte que pour la première fois, Adèle semblait aussi désespérée qu’elle.
- C’est simple pour toi de dire ça, marmonna la femme.
- Et si on revenait sur nos pas ? intervint Flora. Peut-être que Goinfrex s’est trompé à un embranchement, ou qu’on va retrouver Dracaufeu là-bas au final.
- Attendant Serena pour lui offrir des fleurs ? ironisa Adèle.
La jeune fille se figea. Elle voyait mal son pokémon un bouquet à la main et le genou à terre lui disant qu’il… Oubliez ça !
- De toute façon, il était bien ici il y a peu, dit soudain la mécanicienne.
- Euh… Adèle, on a tout vérifié, balbutia Flora.
Adèle détourna la tête et se mit à tourner en rond, les bras croisés et la mine pensive avant de regarder une dernière fois les camions.
- Ils l’ont déjà déchargé, souffla Adèle.
- Déchargé ? répéta Serena. Comment ça déchargé ?
Elle suivit du regard la femme qui s’approchait de l’entrée du tunnel. Adèle effleura l’une des parois, faisant semblant de se pencher à l’intérieur comme si elle était capable de voir ce qui se terrait dans l’obscurité avant de se tourner vers ses deux camarades.
- Je peux vous assurer que ça, c’est une très belle zone de transit.
***
Absol est beau, Absol est fort, Absol l’énerve. Voilà pourquoi Sacha devait le retrouver : pour régler ses comptes et enfin décider… Mais il fallait qu’Absol se dégonfle.
"Il suffisait juste que tu dises d’accord," grommela Sacha en agrippant l’un des barreaux, luttant péniblement pour se remettre debout.
Sacha s’écroula, sa main accrochée à la barre ne suffit pas à empêcher sa tête de taper le sol. De quoi le réveiller un peu au milieu de la confusion et des délires infligés par Toxik. Il roula sur le flanc, l’étroitesse de la cage ne lui permettait pas plus, mais au moins il pouvait inspirer de grandes goulées d’air sans que celles-ci ne soient contaminées par le smog. Heureusement qu’ici, la fumée restait bien gentiment au sol, un changement bienvenue comparé au reste des galeries qu’ils avaient traversées. Un changement qui plaisait aussi à leurs ravisseurs étant donné qu’ils avaient établis leur base dans cette partie du tunnel Merazon.
"Pourquoi tu ne m’as pas écouté ?"
Absol, coincé dans la cage d’à côté, devait tenir à ce que le reptile l’entende. Sinon, il n’aurait pas fait l’effort d’élever la voix pour couvrir les grondements de la rivière souterraine qui passait juste derrière eux.
"Pourquoi…" Il se massa le front et la tempe dans l’espoir de faire passer un nouvel accès de migraine. "Pourquoi ne pas avoir accepté ?"
"Je n’ai pas oublié ton Poing-Eclair de l’autre jour."
Le métamorphosé esquissa un rictus. Combattre était la seule chose qu’il pouvait faire pour elle, la seule aide qu’il pouvait lui apporter à travers son mensonge, et finalement Absol le surpassait aussi sur ce point-là, Poing-Eclair ou pas.
Ses écailles vibrèrent, sensibles aux vaguelettes de brumes qui déferlaient à travers les barreaux et se surajoutaient aux quelques centimètres dans lequel il baignait déjà. Il releva la tête, examinant de sa vision floue les petites lumières qui surplombaient un alignement de cages. On les avait mis à part des zigzatons et nirondelles, et Sacha sentait que l’homme qui s’approchait allait se faire un plaisir de leur expliquer pourquoi.
- Dra… gronda-t-il sans grande vigueur.
Le chasseur s’immobilisa tout de même à un bon mètre de la cage, ses lourdes bottes soulevant une volute de fumée.
- Ça fait un moment que tu nous fais tourner en bourrique, se moqua-t-il en se penchant à la hauteur d’Absol, sa bedaine à deux doigts de toucher le sol. Mais au moins, tu as l’amabilité de nous offrir un joli bonus pour fêter ta capture.
Le sourire baveux qui adhérait à son visage rondouillard se dilapida au moment où il se tourna vers le reptile. Il gratta nerveusement ce qu’il lui restait de cheveux, la calvitie ayant étrangement commencé par les bords de son crâne, tandis qu’une grimace spasmait les traits de son visage.
- Tout va bien Tony ? entendit-il crier un de ses comparses.
- Ouais ! dit-il plus précipitamment qu’il ne l’aurait voulu. Un petit vertige, rien de bien méchant.
Rien de bien méchant et pourtant il avait l’impression de connaître… de reconnaître le pokémon feu. En soit, devait-il vraiment s’en inquiéter ? Il avait déjà croisé des dracaufeus et ces bestioles se ressemblaient toutes, donc il était normal qu’il ait ce sentiment de déjà-vu. N’empêche, il se sentait sacrément mal à l’aise.
Son oreillette vibra, chose que Tony n’aimait pas beaucoup à cette heure-ci, d’autant plus quand l’appel provenait de l’extérieur.
- Oui, j’écoute.
En vérité pas vraiment, la ligne était déjà sursaturée par les parasites et les grondements du torrent n’arrangeaient rien. Ainsi, il laissa son interlocuteur parler un peu dans le vide, le temps de se rapprocher de ses comparses en train de finaliser les dernières transactions de la journée.
- Attends, attends un peu. Tu es sûr que… Ouais. Ouais, c’est vrai que ça m’étonnait aussi mais comme y avait aucun dresseur dans les parages… Ecoute, panique pas, on va se débrouiller, on se débrouille toujours, tu le sais bien.
Tony appuya sur son oreillette pour mettre fin à la conversation et annoncer la nouvelle à ses camarades, et il savait déjà que ça n’allait pas leur plaire.
- Les gars, on va faire une vente finalement.
Rob leva un œil sans s’arrêter de taper à l’ordinateur. Il l’agaçait toujours un peu Rob, déjà parce que c’était impossible de le battre à Unit et ensuite parce qu’il n’avait pas la tronche du mauvais gars, il était même plutôt beau garçon avec sa tignasse noire, sauf que – et c’était un peu ce qui réconfortait Tony - tous ses dates se finissaient par une part de pizza et une partie de jeu vidéo qui faisait vite fuir ces dames. Allez Rob, un petit commentaire à la nouvelle, quelque chose qui montre que je t’intéresse.
- Ok.
- Tu joues à Café Remix là ? l’interpella Jim.
- Non.
- Shuffle ?
- Je travaille.
- Magicarpe Jump ? Sur PC, t’es sérieux ?
Rob ne la ramena pas et Tony avait presque envi d’applaudir ce bon vieux Jim. C’était pas son meilleur pote pour rien : il avait du goût en matière de restau, ne râlait pas (contrairement à certains) quand il était de plateforme de transfert et le meilleur : Jim était chauve. Et même s’il disait que Tony allait bientôt le rejoindre, pour l’instant il pouvait encore caresser les trois cheveux qu’il avait sur le crâne en se disant qu’il s’en sortait pas si mal.
- Laisse-moi deviner… s’avança Julian qui venait tout juste de finir le compte des pokémons qui n’avaient pas encore trouvé preneurs.
- Il avait bien un dresseur, avoua Tony. Une dresseuse même et d’après les gars là-haut, elle est bien décidée à le retrouver.
Julian se pinça l’arête du nez et soupira profondément. Tony s’était toujours dit qu’il lui ressemblait un peu : avec plus de cheveux, dix kilos en moins, un nez plus fin, un uniforme sans un pli et dont la veste était correctement zippée sur son torse… Bon, disons que Julian était un gars sérieux et ils avaient les mêmes sourcils, donc si, y avait des similitudes.
- Je te l’avais dit, on les trouve rarement à l’état sauvage, soupira Julian. Enfin, tout n’est pas complètement perdu, les dresseurs qui arrivent à élever leurs pokémons jusqu’à ce stade sont normalement…
- Coordinatrice. C’est le Dracaufeu de la petite princesse de Kalos si t’as suivi un peu les actus…
Les actualités comiques pour être exact, la jeune fille avait fait sensation lors de son concours à Refville, dommage que ce soit grâce à la maladresse de son pokémon.
- Le seul Dracaufeu appartenant à une coordinatrice et il est pour notre pomdrapi, je te jure, se désespéra Julian.
- Mais un Dracaufeu quand même, lui rappela Tony. On pourra en tirer un bon prix, bien meilleur que nos ningales ou chuchmurs,
Et pour tout dire, le braconnier se sentait soulagé de savoir qu’ils ne garderaient pas le pokémon. Le plan initial avait beau ne pas être respecté, ils étaient loin d’être perdant, d’autant plus s’ils respectaient la règle simple du : vante le dresseur auquel le pokémon a appartenu s’il est connu et tais-toi s’il ne l’est pas.
- Est-ce qu’on est vraiment sûr qu’il lui appartient ? s’exclama Don en train de chercher pourquoi la cage ne se déployait pas hors du cube qu’il tenait dans la paume de sa main.
Don était le plus grand de leur bande, le plus sensible aussi. Qu’est-ce qu’il avait pleuré quand ils étaient allés voir Méga-Monstres 4 ou Zhuman, le retour de la vengeance. En plus il pleurait et arrivait quand même à manger son pop-corn en même temps, le combo gagnant pour vous assurer les pires soirées cinéma. Mais malgré tous ces défauts, on aimait bien Don, surtout le jour de son anniversaire où on mettait un faux papillusion sur sa veste – la phobie des pokémons papillons, un grand moment.
- Tu veux essayer ? proposa Tony en lui lançant une pokéball. Le poison a dû suffisamment l’affaiblir maintenant.
Don trottina vers le cours d’eau, il devait avoir hâte de leur prouver qu’un dracaufeu ne pouvait accepter d’avoir une coordinatrice comme dresseuse, à moins que ce ne soit juste un moyen de faire le deuil de leur « deuxième Méga-évolution ». Tony glissa un coup d’œil vers la mallette posée sur la table, un écrin démesuré quand on connaissait la taille de l’accessoire qu’il contenait. Mais bon, vu le prix du bidule (prix qui selon les rumeurs avait permis à son concepteur de faire fortune malgré qu’il soit toujours prison), ce genre de protections était plus qu’appréciable.
Le phobique des papillusions revenait en trainant des pieds, la pokéball dans sa main sans doute vide vu la manière dont il la balança. Le bronzage habituel dont il était si fier avait viré au rouge colérique.
- Et si…
- Même en cassant la connexion, c’est fichu, le coupa Rob.
Tout comme le magicarpe virtuel qui venait de se faire prendre dans les griffes du roucoups. Tony eut envie de rire sur le moment, mais penser qu’ils ne pourraient pas utiliser l’Onde Méga le coupa dans son élan.
- C’est dommage, admit Julian. Au moins, faisons en sorte que cela reste rentable.
Jim se retroussa les manches, résolu à mettre rapidement le pokémon sur le marché. Quand il le voyait comme ça, Tony se sentait toujours revigoré, et puis tout n’était pas perdu : il leur restait Absol pour renforcer leur équipe – la ligue de Kalos, le catalogue officiel des Méga-Evolutions, leur avait donné un bon aperçu de ses pouvoirs. La vie deviendrait plus facile à partir de maintenant.
- C’est pas contre toi mon beau, ironisa Jim. On t’aurait bien gardé, mais la faute à pas de chance, tu vois.
Sacha bloqua sa respiration, reculant vers le fond de la cage sans perdre un seul instant du regard le petit appareil que le voleur tenait. Bip, boup, biboup, chantaient les touches tandis que son cœur galopait.
- D-Dra, haleta-t-il. Dracaudra, caudra dra ?
- Je te pleins, ça doit pas être facile d’être un dracaufeu et de devoir obéir à une coordinatrice.
Le métamorphosé fixa la loupiote qui pointait désormais vers lui. Qu’est-ce qu’il en savait ? Qu’est-ce qu’il en savait de si Sacha en souffrait ou pas ? De toute la déception qu’il ressentait à chaque fois qu’il échouait à l’aider !
Ce que la pokéball te fait ressentir, Sacha.
De sa jalousie quand Atalante avait dansé avec Serena, la sublimant alors que lui en était incapable.
C’est tout ce que peut faire une pokéball, Sacha.
De ne pas savoir ce qui était lui et ce qui relevait de l’artifice.
- On va te libérer, tu peux nous dire merci.
Le faux pokémon se contorsionna, noyé dans le rayon rouge, sa tête frappait aléatoirement l’un ou l’autre des murs de sa cage, sa queue s’enroulait et se spasmait contre ses jambes. Tu seras fixé, sans cette pokéball, tu seras enfin fixé, y compris sur ce que tu as cru ressentir pour elle.
Un nouveau choc contre les barreaux, la profonde coupure sur son front et le sang gluant qui lui coula dans les yeux. Dans la fumée, sa forme de reptile s’atténuait, ses bords flous, ses couleurs ternies, une illusion. Dracaufeu hurla.
Le rayon vira au bleu et céda brutalement, envoyant une décharge dans le bout des doigts de Jim au passage. Le dragon haletait, les larmes et la morve mêlée au sang dégoulinait le long de ses écailles, rouge comme la lumière d’une pokéball, comme le teint de la capsule. Il était toujours là, il était toujours son pokémon.
- Dra ! cria-t-il.
Il le tenait à nouveau en joue, le doigt sur le bouton de démarrage.
- Caufeu, dra ! Caufeu !
Il le suppliait, recroquevillé dans le fond de sa cage, ses mâchoires claquaient de terreur, ses écailles immobiles se délavant de leur chaleur.
- Tu te sentiras mieux.
Jim réactiva le système. Les nerfs attaqués, les muscles spasmés à l’extrême, la voix épuisée par ses propres cris. Sacha sera heureux, si heureux une fois à nouveau lui-même. On lui martelait la chair, les os, les entrailles. Briser, briser, absolument tout briser. Qu’allait-il rester ? Qu’allait-il rester après ?!
- Jim, ce serait bien qu’on ait envoyé ce pokémon avant que sa dresseuse n’arrive, se moqua gentiment Rob d’une tape dans le dos. Allez, passe-moi ça.
Vous reconnaissiez bien un joueur de Unite. Meilleur que vous et il était important de le rappeler. Jim gratta son crâne dégarni avant de finalement céder la télécommande à son comparse.
- C’est pas du Magicarpe Jump, lui rappela-t-il.
- Je travaillais.
Rob était le plus dégourdi en informatique du groupe. Dégourdi, débrouillard mais pas expert, et c’était bien ce pas expert qu’il avait tendance à oublier. Il tourna le curseur au maximum.
Blam !
Les deux hommes sursautèrent. Le reptile s’était jeté sur les barreaux la gueule grande ouverte, ses grondements informes mélangés au peu de flammes qu’il lui restait.
- Hey, hey, hey ! Calme-toi ! paniqua Jim.
Il s’écharpa les gencives contre le métal, quelques gouttes vermeils éclaboussèrent le rayon qui trémula puis commença à s’enduire de magenta. Jim déglutit et arracha l’appareil des mains de son comparse, coupant net le contact.
- Voilà pourquoi…
- C’est quoi ça, s’étouffa Rob.
De fins cristaux noirs fleurissaient le long des gencives du reptiles, suçant le sang qui coulait le long des plaies pour s’épanouir. Les yeux de Jim se révulsèrent. Les éclats s’agglutinaient sur l’acier et on l’entendait mastiquer… Ronger, ça rongeait le métal !
- JIM ! PUT-
Jim devait l’emmener dans ce nouveau restaurant : les merveilles de Paldea. Et puis il devait aussi lui montrer cette nouvelle lotion miracle contre la perte de cheveux, il l’avait lui-même testé et pouvait l’affirmer : pas un seul cheveu de perdu depuis qu’il la mettait, et en prime son crâne chauve était toujours brillant. Jim. Il aimait bien Jim. Ce fut ce que Tony pensa devant le vol plané de son camarade.
- Jim… hoqueta le grand Don.
Tony se rendit soudain compte qu’il retenait son souffle, incapable de détourner les yeux du corps. Ignorant si les gasps et les spasmes pouvaient être considérés comme un signe de vie.
Jim se redressa soudain, son inspiration si bruyante qu’on aurait pu croire à du théâtre. Mais l’angle étrange que faisait son bras au niveau du coude pouvait difficilement être feint, tout comme l’hululement de douleur quand il essaya par un hasardeux reflexe de remettre l’articulation sur le bon axe.
Tony déglutit, se souvenant soudain que c’était son ami à terre qui avait la commande.
Clac.
Celle qui contrôlait le système de verrouillage des cages.
Clac, clac, clac.
Et vu l’état du bras de Jim, le boitier ne devait pas être mieux.
Claclcaclaclac !
Le grondement de la rivière souterraine, le reptile qui titubait vers eux les crocs découverts, une traine de sang dans son sillage. Les flammes. Flammes, flammes, flammes ! Et Don qui courrait vers Jim sans le voir !
Tony ne réfléchit pas, il lança une pokéball, mue par ce reflexe qui lui avait valu d’intégrer les rangs de la chasseuse J malgré son corps peu agile. Elle l’avait jeté pourtant, et il ne doutait pas qu’elle le referait si elle le voyait en ce moment : à sacrifier l’aile de son pokémon – et possiblement la victoire – pour sauver l’un de ses camarades.
Le dragon se tourna vers lui, le sbire se retrouva à nouveau propulsé dans le container de l’avion, face à ce jeune dresseur qui voulait si désespérément récupérer son Pikachu. Et à nouveau, ce garçon se tenait face à lui, tout aussi désespéré qu’à l’époque… Non, plus, beaucoup plus, parce que cette fois il savait qu’il ne pourrait le sauver, et qu’ensuite…
La chute.