Derkomai's Mask

Chapitre 46 : Gentiane perdue dans les ténèbres

5357 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/11/2024 07:48

« Chaque fois qu’Absol apparait devant les gens, une catastrophe… »

Ouvrir les yeux était interdit, Serena le comprit avant même que la pellicule se débobine. L’émulsion crépita, latente, encore invisible, lui laissant le temps de la jeter ici et maintenant si elle le désirait.

Le négatif révéla le fantôme de la falaise, la clarté des ombres immenses qui s’abattaient et le ciel devenu terre. Elle eut envie de crier, mais une peur indicible s’insinua en elle, l’idée que l’argentique pourrait soudain fondre et dégouliner dans sa gorge (un poids sur sa poitrine) jusqu’à ce qu’elle étouffe.

« … tristement célèbre sous l’appellation de pokémon désastreux. »

De fines larmes s’échappaient de ses paupières (Le poids s’enfonçait, il continuait de s’enfoncer !), mais pas de gros sanglots, parce que cela signifiait bouger, et elle ne savait pas ce qu’il se passerait si elle bougeait.

Une vague de fraicheur éclaboussa soudain son visage, comme un disjoncteur ayant sauté, Serena ne réfléchit pas plus et se releva, passant une main sur ses yeux et le bout de son nez trempé. Je bouge, je peux bouger ! exulta-t-elle. Mais elle fut déçue en découvrant qu’ouvrir les yeux n’apportait pas une grande différence à ce qu’elle voyait avant. Un corridor obscur s’étalait devant elle et sa seule source de lumière se résumait à l’écran de son pokédex.

Elle frissonna en remarquant trois griffes noires à côté de ce qui devait être l’image du pokémon à qui elles appartenaient.

- Je… Je m’appelle Serena.

En même temps, elle glissa sa main vers sa cheville et se rassura immédiatement en sentant qu’elle ne formait aucun angle bizarre avec le tibia. L’autre bonne nouvelle était que l’élancement de douleur qu’elle ressentait et s’intensifiait sous l’effleurement des doigts devait plus être lié à une éraflure qu’à un tendon ou un os rompu. Certes, elle ne s’était pas encore appuyée dessus pour bien tester que toute la machinerie était en place, mais en l’état actuel, elle avait bon espoir de pouvoir courir s’il le fallait. Le fallait étant bien entendu assujetti à comment se passerait les prochaines minutes avec son nouvel ami.

Le pokémon s’était penché suffisamment pour que son visage soit visible dans le minuscule halo lumineux, scrutant la version miniature de lui-même, ses crocs serrés sur ce que Serena reconnut comme sa gourde. Il releva un peu la tête, ses yeux rouges en amande désormais rivés sur la jeune fille. Ce n’est pas moi qui ai dit que tu apportais des catastrophes, c’est lui ! vendit-elle sans remord l’objet. Mais il se contenta d’un coup de patte qui renvoya le pokédex à portée de main de sa propriétaire et rendit à nouveau le pokémon invisible. Refusant de baisser les yeux, Serena tâtonna le sol jusqu’à saisir son bien et lever la lampe torche improvisée devant elle, bien qu’elle ne gagnerait que quelques centimètres de visibilité, ce qui se révéla au final suffisant.

Le métal de la gourde crissait entre ses crocs, mais ce qui inquiétait le plus la jeune fille était cette corne dont elle ne voyait que la base mais devinait parfaitement la forme.

- Bsol, grogna-t-il.

Il se détourna après avoir posé la gourde aux genoux de la jeune fille, sa forme blanche se fondant à nouveau dans les ombres.

- Attends ! s’écria-t-elle.

Elle voulut se mettre debout mais sa cheville déclara vite forfait et elle retomba vers l’arrière. Son dos cogna contre un mur dont elle sentit chaque rebord mal taillé avant que les graviers lui tombent sur la tête, un maigre échantillon de ce qu’elle aurait pu subir si…

- Tu… comprit-elle soudain. Merci, ajouta-t-elle d’une petite voix bien qu’elle ignorât ce que le pokémon lui réservait.

Il resta silencieux et Serena crut un instant qu’il était parti. Mais la corne se mit à briller d’un délicat ton violet, lui permettant d’enfin discerner les murs de la grotte bien que le fond demeure invisible.

- Ab, absol, fit-il signe de le suivre.

Cela la rassura et lui donna de l’entrain pour se relever. Le pokémon avait l’air de connaître l’endroit, plus que tout il semblait savoir comment en sortir. Cependant, le premier élancement dans sa jambe lui fit se demander s’il aurait la patience de l’attendre.

Ce fut le cas, Absol eut même la gentillesse de ralentir, autorisant la jeune fille à s’appuyer de temps à autre sur son dos quand il la sentait trop essoufflée.

- Bsol, lui proposa-t-il une pause.

Serena ne refusa pas, ayant bien remarqué que son boitillement ne faisait qu’empirer. Elle retira ses bottines avec difficulté à cause de sa cheville gonflée, cherchant dans son sac quelque chose de froid à poser dessus. Hein ? Une douleur familière lui vrilla le bas-ventre et elle avait beau se repasser son petit calendrier mental, elle était certaine que c’était beaucoup trop tôt. Elle se plia en deux et prit de grandes inspirations pour atténuer les spasmes.

- J’ai quelque chose sur le visage ? joua-t-elle les innocentes en sentant le pokémon qui la fixait. Je veux dire, à part les écorchures et la poussière.

Le pokémon eut un petit sourire avant de s’assoir en face d’elle, continuant de la couvrir de cet étrange regard… Tu es du genre à t’attirer des ennuis ? en comprit-elle soudain la signification.

- Ce n’était pas ma faute ! s’écria-t-elle.

- Ab ? Bsolab…

- Dracaufeu, énonça-t-elle l’évidence. A chaque fois qu’il fait la tête, je le prends trop à cœur et ça me retombe dessus, aujourd’hui plus littéralement que d’habitude.

Absol pouffa cette fois et Serena ne savait pas trop s’il se moquait d’elle ou de sa remarque pleine d’esprit.

- Bsol, a-ab ?

- Je ne sais pas… J’y réfléchirais s’il s’excuse.

Mais plus que tout, elle aimerait bien qu’il lui explique pourquoi il s’était énervé sans raison. Et non, elle ne pensait pas que la fierté d’un dracaufeu était suffisante pour le faire crier à cause d’une malheureuse couronne de fleurs. Pas quand celui-ci la mettait allègrement de côté pour cuisiner, coudre… Chose qu’il faisait moins souvent à présent. Lui qui était si assidu au début, il semblait s’être lassé au final. Non, pas vraiment lassé…

- Est-ce que tu aimes les concours ? demanda-t-elle.

Elle crut avoir fait une erreur en le voyant reculer la tête, mais le pokémon répondit finalement avec un certain entrain :

- Absol, ab.

En même temps, il s’était approché pour offrir à la jeune fille un appui pour se relever. Elle sentit la souplesse des muscles sous sa main, ce port de tête digne, l’élégance de cette attaque qui illuminait leur chemin.

- Tu y as déjà participé ?

Le pokémon fit signe que non, mais elle eut le pressentiment qu’il ne refuserait pas si quelqu’un lui proposait l’expérience. Et, Serena ne doutait pas que la discipline plairait vite au pokémon, peut-être même se mettrait-il à l’adorer en découvrant à quel point il était doué pour, pas comme... Elle déglutit en repensant au reptile pour qui chaque mouvement de concours semblait être une torture. Il n’y avait que FlamCoeur qu’il maîtrisait bien dans le style, sauf qu’elle ne se dirigeait pas vers l’adversaire et était donc plus taillée pour la première partie de la compétition. Une première partie qu’il était encore très loin de pouvoir faire s’il n’avait pas déjà abandonné l’idée d’y participer. Refville semblait lui avoir suffi.

Le pokémon s’accroupit et Serena comprit vite pourquoi en remarquant la large faille qui traversait le sol.

- Tu ne veux quand même pas… écarquilla-t-elle les yeux.

- Bsol.

Sur ce coup, elle préférait attendre que ses amis la retrouvent, histoire d’avoir quelques cordes de sauvetages comme les lianes de Florizarre ou les ailes de Dracaufeu. Mais dans combien de temps la trouveraient-ils ? S’ils étaient occupés à déblayer les gravats, elle était bonne pour rester ici plusieurs jours sans eau ni nourriture et sa cheville qui risquait bien d’atteindre la taille et la rougeur d’une baie Tamato.

- Bsol ! répéta-t-il plus fort.

Elle se cala sur le dos du pokémon et eut à peine le temps de crier qu’elle se retrouvait de l’autre côté. Un superbe bond et un atterrissage parfait, s’il le refaisait durant un concours, nul doute qu’il surprendrait plus d’un adversaire, y compris au Grand Festival. Plus elle l’imaginait, plus elle se disait que oui, ça pourrait marcher, ça pourrait totalement et complètement marcher.

La gorge qu’ils venaient de passer pépia soudain comme un oisillon blessé. Les deux pieds à terre, Serena se figea, sa main encore accrochée au pelage du pokémon en un grasping reflexe. Tu entends ? Tu entends ou bien c’est moi qui me suis cognée la tête sans m’en rendre compte ? suppliait-elle en silence son sauveur.

Absol hérissa le poil, les picotements parcoururent la main de la jeune fille lui redonnant un peu de lien avec ce qui était en train de se passer. Tous ces flap flap flap et ces cris stridents gonflaient dans la faille, remontaient comme une bouteille de gaz depuis trop longtemps comprimée. La nuée émergea de l’abîme et s’écrasa contre le plafond dans le même temps. Serena vit avec horreurs la forme se comprimer, battre, puis s’écrouler. Oh elle y crut, elle espéra de tout son cœur que cette chose tombe et s’éteigne au sol… Sauf que le nuage d’aile était vivace et loin de s’arrêter, son centre compact se disloqua.

De ce nuage qui déferlait vers eux, Serena ne discerna en premier que les dents pointues émergeant d’un visage atrophié, des milliers de visages atrophiés. Des nosferaptis, elle n’y crut pas jusqu’à ce que la lueur sur la corne d’Absol se mue en un violent Flash et scinde en deux la nuée, comme s’il venait de la trancher. Elle se boucha les oreilles, incapable de supporter les hurlements de souffrance, distinguant dans la lumière les corps se tordre et se contorsionner, leur peau briller et rougir de douleur comme si en réalité elle n’était que la cornée de leurs yeux atrophiés.

- AAAaaab !

Elle savait très bien ce que cela signifiait : court ! Court avant que Dracula ne se relève et plante ses crocs !

Sauf que Serena ne courrait pas, elle clopinait tandis que les nosféraptis se rassemblaient. On est à la fois la personne qui est entrée dans leur chambre en ouvrant les rideaux et ce petit rayon de soleil agaçant dont ils veulent vite se débarrasser. Quelque part elle les comprenait, on était prêt à se jeter sur n’importe qui quand on se levait du pied gauche. Et Dracaufeu ? S’était-il levé de l’aile gauche ce matin ? Etait-ce à cause de cela qu’il l’avait mordue de ses grognements ? Ce n’est pas le moment ! Ce n’est pas le moment d’y repenser !

Elle atteignit finalement la galerie saine et sauve, mais Absol restait à l’arrière pour tenir les nosféraptis à distance. Serena serra sa main, la ramena contre sa poitrine en se souvenant vaguement que le ruban ne s’y trouvait plus, mais tant mieux parce qu’en ce moment… elle n’avait pas envie d’y toucher.

- Allez Absol, s’il te plait, dépêche-toi, murmura-t-elle.

Ses yeux s’éclairèrent en même qu’elle les sentit souffrir, mais peu importait. Il arrivait, beigné de lumière, l’ange dans les ténèbres, un aperçu de ce qu’il serait si un jour l’énergie de la méga-evolution le touchait.

- Tu n’es pas blessé ?

- Ab, la rassura-t-il d’un petit sourire.

Mais le pokémon semblait préoccupé et ce n’était pas uniquement lié à la bande de nosferapti de tout à l’heure. Serena sentait qu’il la fixait, capable de voir quelque chose qu’elle était bien incapable de percevoir. Serena massa son ventre douloureux et constata avec amertume son pied qui raclait le sol. Vu le nombre d’ennuis qui lui était tombé dessus en moins de vingt-quatre heures, l’inquiétude du pokémon était tout à fait légitime.

Cependant, si Absol ne doutait pas de la capacité de la jeune fille à s’attirer des problèmes, il y avait bien autre chose qui le perturbait. Ce marasme qu’il avait senti de loin, celui qui provenait de la falaise et qui aurait dû disparaitre une fois la catastrophe terminée. Mais les retombées persistaient sur la jeune fille comme la poussière le ferait sur quelqu’un sortant des décombres. Peut-être fallait-il juste du temps pour qu’elle disparaisse, que cela finirait par partir en marchant, mais Absol avait fini par se rendre à l’évidence : cette aura, la même qu’il palpait dans l’air lorsqu’une tempête se profilait ou dans la terre quand un séisme menaçait, émanait bel et bien de la jeune humaine. Alors oui, elle semblait du genre à s’attirer les problèmes, mais il y avait quand même un monde avec le fait d’en produire, ou plus exactement d’en être un.

Tu n’as pas la tête d’un incendie ou d’un tsunami et pourtant ce qui t’entoure est plus lourd que tout ce que j’ai vu jusqu’à présent, pensa-t-il la bouche sèche.

- Attention !

La honte de ne pas avoir remarqué le nosferalto plus tôt lui traversa l’esprit quelques secondes tandis qu’ils roulaient à terre et esquivaient les Lame d’Air grâce à Serena. Il se reprit vite toutefois, projetant une Coupe Psycho au moment où il se rétablissait sur ses pattes.

- Bsol, remercia-t-il la dresseuse une fois le pokémon parti.

Les larmes aux yeux à cause des griffes qui appuyaient sur son épaule et de tout le roulé boulé qu’ils venaient d’effectuer, elle ne put s’empêcher de lui sourire.

- Je commence à avoir quelques réflexes, et je ne sais pas si c’est bon signe, pouffa-t-elle.

- Aaaab ? se moqua-t-il. Bsolab, absol, ab.

Il se permit de plaisanter, certain d’avoir coupé toute envie à la nuée de les poursuivre, et ce ne serait pas le nosferalto qu’il venait de faire fuir qui le contredirait.

- Ab…

Il fut balayé contre la paroi, le choc lui rappelant que d’autres créatures hantaient ces galeries, et pas de chance, la pire d’entre elle venait de les trouver. Toi au moins, je sais pourquoi tu empestes la catastrophe !

Il esquiva les Draco-griffes.


***


Serena se releva d’un bond, prête à aider son nouvel ami contre le monstre. Elle pouvait le ralentir, ce ne serait pas parfait, mais si elle parvenait à créer une ouverture le temps qu’il contre-attaque, à détourner l’attention de l’assaillant…

Pour détourner l’attention elle la détourna, elle en devint même le centre alors que des soupirs de soulagements coulaient dans son cou, qu’une main lui caressait les cheveux et que deux ailes l’enlaçaient. Elle mit un peu de temps à balayer la forme entière de celui qui lui faisait face, à comprendre ce qu’il faisait quand il se recula et se tourna à nouveau vers Absol en grondant de plus belle.

Dracaufeu… C’est MON Dracaufeu qui est en train de l’attaquer ! Pourquoi ? Pourquoi tu fais ça ?! Un objet non identifié la percuta soudain de côté et elle perdit l’équilibre.

- Tu es blessée ? Tu as mal quelque part ? Comment tu te sens ? Tu nous as fait tellement peur ! débitait à toute vitesse Flora.

Serena était heureuse de revoir son amie, même si à présent elle se sentait un peu coupable en la voyant pleurer à chaude larme. Adèle aussi était là et bien qu’elle ne se soit pas lancée dans un grand élan d’émotivité, elle ne cachait pas non plus son soulagement.

Petite explosion. Il fallait bien rappeler à Serena qu’elle n’avait ni le droit de se détendre ni de profiter des retrouvailles. Elle repoussa gentiment Flora dont les nerfs avaient dû être mis à rude épreuve.

- Je vais bien, mais je ne peux pas en dire autant de ces deux-là.

- Tu veux dire de Dracaufeu ? Parce qu’Absol a l’air de plus que bien s’en sortir, remarqua Adèle avec admiration. A se demander qui est le pokémon de concours ici.

Sacha était trop occupé par sa petite guéguerre pour entendre les remarques, mais peut-être n’en aurait-il pas besoin. Pataud et lourd face au pokémon qui dansait autour de lui, courbant ses attaques à sa guise et se servant des flammes pour embellir ses mouvements. Il lui rappelait Mentali, sauf que très clairement, ce pokémon ne s’effondrerait pas avec une seule attaque.

"Qu’est-ce que tu cherchais ?" haleta le faux pokémon. "C’était quoi ton intérêt en faisant tout s’écrouler sur elle ?"

Sacha s’immobilisa, la mine surprise de son ennemi n’était pas feinte. Il se remit toutefois en garde et cracha :

"Tu vas pas me faire croire que c’est le hasard qui…"

Il s’était fait plaquer au sol, la pointe de la corne sous le menton.

"Et pourquoi pas ?" le toisa Absol.

Sacha se débattit un peu, puis se rendit compte qu’il était réellement bloqué.

"Ça ne se peut pas. Non, ça ne se peut pas," répétait-il la voix tremblante. "C’est forcément toi qui… "

"Ou bien c’est ton cri qui a fait la fissure de trop, qu’est-ce que tu en penses ?"

Le reptile montra les dents, prêt à se relever quitte à s’embrocher la mâchoire. Mais il fut retenu par l’épaule, et pas à cause des griffes cette fois.

- Ça suffit maintenant, tu en as déjà assez fait.

Absol s’était reculé et Sacha inspectait avec minutie la jeune fille, se rendant compte qu’elle ne présentait aucune grosse blessure. Mais cette odeur de sang, d’où ça vient ? Oh ! écarquilla-t-il les yeux.

"Tu as…"

Elle lui posa les mains sur la bouche, lui faisant bien comprendre qu’il n’avait pas besoin de le dire à voix haute.

- Désolée Absol, s’inclina-t-elle. Allez Dracaufeu, toi aussi, lui tira-t-elle la corne.

Le reptile renâcla, pas encore complètement convaincu.

"Il n’empêche que je t’ai vu là-haut, juste avant l’éboulement."

"Je sens quand ce genre de choses va arriver," soupira Absol, "donc j’ai l’habitude de vérifier qu’il n’y a pas de pokémons dans les parages… ou d’humains en l’occurrence."

Sacha se tourna vers Serena pour lui demander si c’était bien vrai. Elle gonfla les joues et répondit d’un ton agacé :

- Il m’a sauvé la vie, je suis désolée que ça te déçoive.

- Serena, tu vas peut-être un peu loin, remarqua Flora.

La dresseuse de Kalos voyait bien les yeux rougis de son pokémon et des traces d’humidités encore fraiches sur ses joues. Mais elle était fatiguée et les courbatures n’arrangeaient rien, sans compter le fait qu’elle lui en voulait toujours pour ce qu’il s’était passé. Maintenant, tout ce qu’elle voulait était sortir de cette grotte, et mettre quelque chose sur cette cheville.

- Dra… écarquilla-t-il les yeux en la voyant boiter.

La jeune fille grimaça. Elle avait mal, mais Dracaufeu ne pourrait rien y changer et…

- Que… Attends Dracaufeu, je peux marcher ! se débattit-elle.

Sacha verrouilla plus fermement ses mains sur les mollets de la jeune fille pour être sûr qu’elle ne tombe pas. Il s’en voulait, mais ce n’était pas une raison pour ne rien faire alors qu’elle souffrait. Serena lui frappa encore les épaules avant de finalement abandonner et de passer ses bras autour du cou du reptile.

- Ça n’excuse rien, précisa-t-elle d’un ton boudeur.


***



Pour Serena, c’était repos, c’est-à-dire pas d’installation de tente ni cuisine mais camomille au coin du feu avec un peu de glace matérialisée par Givrali pour soulager sa cheville. La jeune fille réchauffait ses mains sur la tasse en repensant à Absol. Il n’avait pas voulu manger avec eux et était reparti de son côté en leur conseillant de pousser un peu plus loin pour installer leur camp.

- Dr… dracau, se renfrogna-t-il encore une fois.

Serena soupira. Il l’avait portée tout le long du trajet qui contournait le Tunnel Merazon, en pleine nuit, ce qui lui faisait dire qu’il ne s’était pas mis à la détester sans raison. Alors d’où venait ce coup de sang de tout à l’heure ?

- Pourquoi tu compliques tout ? se lamenta-t-elle.

- Dra ? se vexa-t-il. Dracaudra, caudra ! la pointa-t-il du doigt.

- C’était juste une couronne de fleur ! rétorqua-t-elle excédée.

Ses yeux la piquaient. En ce moment, elle avait l’impression que tout ce qu’elle lui proposait était source de souffrance.

- Si tu ne veux pas faire quelque chose, tu n’as qu’à me le dire. Je ne t’oblige à rien.

Les traits du reptile se creusèrent et il baissa la tête comme si elle venait de l’assommer. Elle haussa un sourcil, pas certaine de bien comprendre ce qui pouvait le mettre dans un tel état. Et puis zut, Dracaufeu n’avait qu’à être plus clair aussi !

- On dit qu’Absol est le pokémon Désastre, mais j’en connais un autre qui pourrait réclamer le titre.

La plaisanterie n’amusa pas le pokémon, faisant redoubler les tremblements de sa lèvre alors qu’il se mettait un peu à l’écart.

- Compliqué ? remarqua Adèle en s’asseyant à côté de la jeune fille.

- Comme d’habitude. Et j’aimerais bien qu’on m’explique pourquoi, ajouta-t-elle plus fort.

- Il n’est pas simplement jaloux ? remarqua la femme. Toi et cet Absol on aurait dit que vous aviez toujours combattu ensemble, et vu sa manière de bouger, il devrait…

- Être excellent en concours, compléta Flora. Elle s’étira, ne pouvant s’empêcher de grimacer au mauvais souvenir que ce pokémon lui inspirait. Tu comptes le capturer ? demanda-t-elle finalement.

- Je ne sais pas si…

Elle aurait juré voir les ailes du dragon se dresser de crispation. Et pour cause, Sacha n’en revenait pas qu’on puisse croire cet Absol. C’était forcément lui le coupable, lui qui avait frappé la roche pour jouer les héros et s’attirer tous les honneurs. Mais contrairement aux dresseuses, le métamorphosé ne se ferait pas avoir.

- On n’est pas encore trop loin du champ de fleur, si on part tôt on y sera de retour avant midi, remarqua Adèle.

Ses deux amies étaient prêtes à faire le chemin inverse alors qu’elle les avait forcées à marcher plusieurs heures dans la nuit pour vite s’éloigner des falaises. Au moins, elle pouvait se consoler en se disant que ce n’était pas de sa faute si elles n’avaient pas pris le Tunnel Merazon, ce dernier n’étant toujours pas terminé – ne le serait jamais selon les dires de Flora – bien qu’elle n’ait pas caché son soulagement en apprenant la nouvelle.

- L’idée n’a pas l’air de t’enchanter, remarqua la mécanicienne.

A cause d’un certain dragon qui avait relevé la tête et semblait encore plus perdu qu’à son habitude.

- Il faut que j’y réfléchisse.

Sacha blêmit. Pourquoi voudrait-elle… Il bougeait beaucoup mieux que moi.

- Je ne te pensais pas si radine en pokéball, railla son ainée. Je t’en prête une de bon cœur si tu veux.

- Ce n’est pas le problème, répondit-elle d’une petite voix.

- Alors quoi ? Tu as besoin de l’autorisation d’Absol pour le capturer ?

- Entre autres.

Adèle leva les yeux au ciel, il était rare que les dresseurs fassent tant de cérémonies pour leurs captures.

- De toute façon, la première chose à faire est de retourner le voir.

Serena continuait de fixer son dragon, prêtant une oreille distraite à ce que lui disait la femme.

- Et si on ne le retrouve pas ? demanda la kalosienne.

- Tu seras fixée.

Adèle s’était penchée pour couper le champ de vision de la jeune fille, bien déterminée à ce qu’elle se concentre sur leur affaire.

- Elle va capturer un absol, comme l’autre, grommelait Flora.

- Qu’est-ce que tu marmonnes encore ? rouspéta Adèle.

- Rien ! sursauta la coordinatrice. Un absol c’est très bien comme pokémon, c’est très, très bien parce que ça peut…

Détruire votre stratégie ? Lancer des attaques dévastatrices ? Vous faire perdre en finale à deux points d’écarts ? Et pire que tout : amener un sourire suffisant chez votre agaçant et horripilant rival !

- Méga-évoluer ? demanda innocemment Adèle.

- Oui, c’est ça, Méga-évol- Hein ? s’étouffa Flora. Tu es sérieuse ?!

- C’est ce que j’ai entendu, oui, répondit-elle tandis qu’une coordinatrice hystérique lui broyait le bras.

- Serena… implora-t-elle.

La jeune fille eut un sourire crispé, elle pouvait difficilement lui cacher que :

- J’en ai déjà vu un.

Vidée de ses forces, Flora relâcha sa prise, le dos vouté alors qu’elle faisait la terrible réalisation que son club privé n’était plus si privé que ça. Et tel qu’elle le connaissait, il devait déjà y être entré depuis longtemps et ce serait elle la petite dernière et…

- C’est une catastrophe !

Adèle haussa les épaules, peu sensible à la détresse de sa camarade et n’ayant même pas envie de comprendre ce qu’il lui prenait.

- Donc… Qu’est-ce qu’on fait pour ton Méga Absol ?

- Ce n’est pas encore…

Le faux-pokémon s’était relevé, les ailes repliées et se frottant les bras de gêne.

- Dra… Dracau, articula-t-il faiblement.

Serena mordilla sa lèvre en le voyant s’éloigner.

- Tu ne lui suis pas ? s’étonna Flora.

- Je veux qu’il comprenne. Il s’est mal comporté et…

- Et il a été largement puni. Serena, on a tous eu peur que...

- Peur ? Comment il pourrait avoir peur alors que… c’était une couronne de fleurs. C’était juste une couronne de fleur ! Et lui… Il pouvait me le dire, il pouvait me dire qu’il n’avait pas envie d’en faire mais il a préféré… Et ensuite il s’inquièterait pour moi, vraiment ?

- Parce qu’il ne peut pas se mettre en colère et tenir à toi ?

- Personne ne fait ça !

- Ah, alors tu ne lui en veux pas finalement, nargua Flora.

- Pas comme ça ! Lui, il s’est mis en colère pour se mettre en colère, mais moi je suis en colère parce qu’il fait tout pour me mettre en colère ! Tu comprends la différence, non ?

- Que tu as une raison pour t'énerver.

- Exactement !

- Et que lui n'en a pas.

- Oui !

- Tu es vraiment sûre de ça ?

Qu'est-ce que Flora sous-entendait à la fin ? Que c'était de sa faute, qu'elle avait fait quelque chose qui méritait que son pokémon lui crie dessus ? Très bien, voyons si les autres pensaient pareils. Tiens, si elle commençait par demander à Pandespiègle... qui s’agitait mal à l’aise à côté de Roussil.

Qu’est-ce que vous avez tous ce soir ? se désespéra Serena en voyant la renarde s'éloigner soudain du camps. Elle suivit son amie, repoussant les branches pour la retrouver mais finalement, ce fut sur le reptile qu’elle tomba en premier. Serena essaya de reculer sans qu’il la remarque, mais quelqu’un la poussa vers l’avant.

- Roussil ! gémit-elle.

"Un peu de courage. Il s’est comporté comme le dernier des idiots et il a besoin de l’entendre."

Serena gonfla les joues, en réalité le dragon ne l’avait pas encore remarquée, plongé dans ses pensées. Et puis…

- Tu vas me crier dessus si je te demande ce qu’il se passe ?

- Dra, gargouilla-t-il.

- Bien, soupira-t-elle. Parce que je n’ai pas aimé ce que tu as fait.

- …

- Ce n’est pas vraiment la couronne de fleur qui t’a énervé.

Il détourna la tête et se mordit la lèvre. Ni la couronne de fleur, ni Serena en vérité, et pourtant c’était cette dernière qui avait servi de défouloir.

- Tu ne nous as pas aidées à cuisiner ?

"Tant mieux, non ?"

Il mit sa main devant sa bouche en se rendant compte qu’il était à deux doigts de recommencer. Serena fronça les sourcils. Elle, elle n’avait pas du tout l’air de se dire « tant mieux », alors qu’il était certain qu’elle devait en avoir assez des plats empoisonnés.

- Tu n’es pas si loin…

"Ah ? Moi pourtant, j’ai l’impression d’être trèèès loin de tout."

- Tu as fini ?

Sacha baissa la tête. Oui, peut-être devrait-il en finir avec les mensonges de « je veux rester avec Serena, je veux cuisiner pour Serena, je veux coudre pour Serena, j’aime… » Tout ce que la pokéball lui avait fait dire et croire, sans duper suffisamment son vrai lui pour lui permettre de réussir.

- Maintenant tu vas respirer un grand coup, venir te coucher, et demain c’est toi qui t’occuperas du petit déjeuner.

"A quoi ça sert ?"

- C’est simple : tu es démoralisé, triste et en colère contre toi-même, donc demain tu n’y coupes pas.

Il eut un petit sourire, mais pas le genre qui plaisait à Serena. Au moins, il ne rechigna pas à la suivre, bien qu’au final il refusa de venir dormir dans la tente. Il ne voulait pas que la dresseuse remarque les larmes qui commençaient à monter et sa gorge qui se comprimait sous la pression des sanglots. C’était la faute d’Absol, tout était la faute d’Absol.

Il ne s'en tirera pas comme ça.

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