Derkomai's Mask

Chapitre 43 : Les géraniums ne portent pas toujours bien leurs noms

7952 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 20/10/2024 12:05

Habituellement réputée pour son dynamisme, Mérouville se complaisait depuis quelques jours dans une torpeur grisonnante. Les nuages s’amoncelaient en nappe au-dessus de la citée et une chaleur moite alourdissait l’atmosphère.

Penchée à la fenêtre de sa chambre d’hôtel, Courtney profitait de la fin de nuit, le sol purifié de sa chaleur et les gouttelettes sommeillant sur les pavés. Ce répit bienvenu ne parvenait pourtant pas à dérider les commerçants affairés à décharger leurs arrivages. Pas la moindre blague ou un seul sourire, juste les sourcils froncés et les bouches crispées, leur malaise palpable quand ils levaient le nez en direction de la Devon Sarl.

Courtney se recula, la main pressée contre son front pour en atténuer la douleur. Beaucoup de travails ces derniers temps, et pas des plus reposants, il n’y avait donc rien d’étonnant à ce que ses maux de tête aient empirés. Elle souffla, une fois, deux fois, trois fois, puis traina des pieds vers le miroir, guettant les cernes qui creusaient les couches de maquillage.

Ce n’était pas qu’elle dormait mal.

Ni qu’elle faisait des cauchemars.

Mais il y avait les absences.

Le terme usité par ses collègues, celui qui effectivement se rapprochait le plus de ce qu’elle ressentait sans pouvoir l’englober entièrement et à défaut de trouver mieux…

Répondeur.

Elle craqua les articulations de ses doigts, surprise de ce mot qui s’était présenté avec justesse. Ce n’était pas une absence puisqu’elle était là, mais… elle écoutait à travers un répondeur. Une bande enregistrée, son roulement régulier entrecoupé de quelques tressautements et c’était pour ces derniers qu’elle tendait le plus l’oreille.

Max lui demandait de décrocher.

Il le faisait de cette voix frémissante d’inquiétude, celle qu’il employait à chaque fois qu’un de ses subordonnés était en danger et où son stoïcisme se fendait. Le léger sourire de Courtney se tordit.

Les brides d’appels de son chef se faisaient de plus en plus rares, remplacées par des rires rêches, des mots incompréhensibles, des claquements et puis… La lumière. Comme si la machine explosait et que le souffle diffusait le long des nerfs pour venir grignoter sa cervelle, se lovant au sein des hémisphères.

Cela lui était encore arrivé la dernière fois qu’elle avait parlé à son chef. Qu’à travers le répondeur, il lui avait demandé de retrouver cette fille qu’elle avait rencontré à la centrale. Courtney fit tourner le Pass Concours entre ses doigts, la désagréable impression qu’il manquait quelque chose à leur discussion, comme si on avait réenregistré par-dessus le message laissé. Elle rejeta le Pass sur la coiffeuse, une nouvelle migraine se propageait dans son crâne.

- Une dernière danse avant le grand saut ? interrogea-t-elle le miroir et ce qui s’y reflétait.

Elle revint vers la fenêtre, hésitante à suivre les quelques dresseurs qu’elle voyait dans la ruelle – des coordinateurs pour être exact, et ils étaient particulièrement matinaux. Peut-être devrait-elle participer à leur petit évènement mais… Le week-end.


***


Une dernière fois, Serena vérifia l’affiche dans sa main pour s’assurer qu’elle était au bon endroit. Il faut dire qu’elle ne s’attendait pas à voir tant de monde massé devant le portail de l’école, à croire que les étudiants et écoliers de Mérouville étaient des modèles de studiosité. Cependant, Serena penchait plus pour l’idée que tous ces gens étaient des coordinateurs, surtout à sept heures du matin (six heures quarante-cinq, elle était venue avec quinze bonnes minutes d’avances en pensant naïvement qu’elle arriverait dans les premières) et le week-end.

Elle frictionna ses bras et commença à se dandiner d’un pied sur l’autre. Le froid de la nuit serait balayé par les premiers rayons du soleil, mais pour l’instant il régnait en maître et forçait les dresseurs à se rapprocher les uns des autres, à moins que ce ne soit la crainte de ne pas avoir leur place à l’intérieur qui les incitait à serrer les rangs.

Cette dernière idée accéléra légèrement le pouls de Serena. Joëlle l’avait prévenue que si le stage avait bel et bien été maintenu, on pouvait s’attendre à ce qu’ils fixent une limite au nombre de participants. Combien exactement ? Malheureusement, les organisateurs n’avaient pas jugé bon de les en informer.

Serena tendit le cou et se mit sur la pointe des pieds pour mieux estimer le nombre de dresseurs : une bonne centaine de son humble avis et mieux valait qu’elle le croie pour ne pas avoir tout de suite l’envie de tourner les talons.

Une lumière s’alluma soudain à l’intérieur de l’école, provoquant un murmure et réduisant un peu plus l’espace entre les coordinateurs. Serena les avait imités sans s’en rendre compte, et s’étonnait de découvrir qu’à présent, il y avait presque autant de gens derrière – les retardataires pourrait-on dire – que devant elle. Peut-être ne pourrait-elle vraiment pas entrer au train où allait les choses. Une prédiction qui, si elle se révélait exact, ferait la joie d’un certain pokémon.

- Dra…

On venait de lui marcher sur la queue, et tout ce que le dragon avait trouvé à dire était ce grognement sans conviction. Serena agrippa le bord de son manteau, se demandant si c’était vraiment une bonne idée vu le degré d’abattement et d’apathie dans lequel il était depuis ce matin, ou plutôt depuis le moment où elle lui avait annoncé qu’ils participeraient à ce stage. Et même la nouvelle que Flora serait aussi présente ne l’avait pas plus motivé, lui qui s’égayait toujours quand on parlait de la coordinatrice d’Hoenn.

Nouveau murmure, un souffle unique qui parcourut la foule et sembla donner l’ordre à tous d’avancer et de se rapprocher, quitte à écraser les premiers arrivants contre les grilles. Le gardien s’apprêtait à ouvrir les portes, mais il prenait son temps pour savoir quel battant il déverrouillerait en premier. Il se dirigea à droite et tous, y compris ceux qui étaient incapables de voir l’homme, suivirent son mouvement, le souffle coupé. Il sorti la clef de sa poche, mais sembla soudain pris d’une intense réflexion avant de, sadisme ultime, repartir de l’autre côté provoquant des hululements de sidération et de supplications. Il attendit, laissant la pression s’intensifier sur les pauvres gens à l’avant, jusqu’au moment où il jugea s’être assez amusé.

A peine la grille entrebâillée que les dresseurs se faufilaient, se hâtant vers le grand bâtiment. Serena avait saisi la main de son dragon pour être sûre de ne pas le perdre, mais celui-ci s’était étrangement crispé à son contact, hésitant sans doute à le rompre ici et maintenant (elle le devinait à la grimace qu’il faisait) avant de finalement se raviser. Et pour cause, de sa hauteur, il avait vu certains dresseurs se coincer la main entre les barreaux et leurs gestes paniqués pour se dégager tandis que la marée humaine continuait d’avancer. Tous s’en étaient heureusement sortis, mais il craignait que tôt ou tard l’un d’eux n’en réchappe pas et se brise le poignet, ses hurlements à peine suffisant pour ralentir l’inexorable progression, et si ce fameux « l’un d’eux » se révélait être Serena… Les cris ne les arrêteraient pas, les flammes en revanches les feraient réfléchir.

- On ne pourra peut-être pas entrer, murmura Serena avec appréhension.

Sacha ne se croyait pas suffisamment chanceux pour cela. Ils avançaient à bonne allure et ne tarderaient pas à franchir le portail, quant au gardien… il n’était pas assez fou pour s’essayer à fermer les portes, sachant pertinemment que le courant l’emporterait avant qu’il ait pu poser la main sur les grilles.

Ils passèrent finalement sans encombre, les rangs s’effilochant dès le goulot d’étranglement franchi avant de vite se reformer à l’approche du bâtiment. Sacha et Serena n’avaient aucune idée de la direction à prendre, personne ici en vérité ne devait le savoir, mais on continuait de marcher, suivant la direction collective sans plus réfléchir.

Ils avaient toujours les mains liées quand ils atteignirent le gymnase. L’endroit paraissait suffisamment grand pour les accueillir sans qu’ils n’aient à s’entasser les uns sur les autres, et pourtant c’était bel et bien ce qui était en train de se produire. Jetez la faute à cette grande estrade au fond de la salle et à la Top coordinatrice juchée dessus qui attirait ses semblables.

- Bienvenue ! Je ne m’attendais pas à vous voir aussi nombreux mais… On va laisser les derniers arriver avant de commencer !

Liseron se tenait aussi sur l’estrade, un peu en retrait et les mains dans les poches, peu intéressé par ce qu’il se passait autour. Cependant, comme s’il les avait sentis par on ne savait quel sixième sens, il releva la tête et balaya du regard la foule devant lui jusqu’à les trouver. Il releva légèrement le menton, un signe que le métamorphosé pris d’abord comme du dédain avant de se rendre compte qu’il se trompait. Alors quoi ? C’était du dégoût, c’est ça, le dégoût du richard face au reptile qui n’avait rien à faire ici, qui… Sacha se souvint soudain de ses griffes toujours accrochées à la main de la dresseuse. Il s’empressa de les retirer et presque au même moment le garçon cessa de les fixer.

- Bien ! J’ai l’impression que tout le monde est là donc… C’est l’heure du stage de Danse Magique d’Atalante ! Ça sonne bien, vous ne trouvez pas ?

Non. Et qu’est-ce qu’il y avait de magique à imiter les effets de Confusion et à tomber face contre terre ! Sacha souffla, il devait se calmer, ce n’était que deux petites journées et après tout pourquoi prenait-il autant les choses à cœur ? Comme l’avait dit un jour Serena : il avait son propre rythme. Alors tant pis s’il n’était pas bon en pirouette, en valse, ou autres choses du genre, ce n’était juste pas fait pour lui et il était parfaitement capable de l’accepter, en fait il l’avait déjà accepté depuis l’époque où il était humain.

- Vous serez dispatchez dans les différentes classes pour travailler vos performances et je passerai régulièrement pour vous aider et voir ce que vous faites. Oh, bien sûr je ne serai pas seule, Liseron vous donnera aussi de précieux conseils. Et si jamais il joue les frimeurs, n’hésitez pas à me le dire, je m’occuperai de lui tirer les oreilles, ajouta-t-elle sur le ton de la confidence bien qu’elle gardât le micro tout près de sa bouche.

Liseron ne sembla pas s’en formaliser et haussa simplement les épaules, feignant de ne pas comprendre de quoi elle parlait.

- Et ce n’est pas tout ! ajouta Atalante après avoir repris son souffle. Flora aussi nous a rejoint pour cette toute première session de Danse Magique. Elle s’est surtout portée volontaire pour la période combats rythmiques de demain, mais vous pourrez aussi compter sur elle aujourd’hui.

Il y eut une acclamation et des applaudissements auquel Serena se prêta de bon cœur, donnant un petit coup de coude à son reptile dont l’esprit semblait encore aux abonnés absents. Heureusement, il se réveilla lorsque Flora se montra. Elle faisait des signes de mains timides à la foule, peu habituée à être le centre de l’attention malgré la popularité dont elle jouissait parmi les coordinateurs.

- Et enfin, même si elle refuse de monter sur scène, appuya bien Atalante sur un ton de reproche amusé, mention spéciale à Roxanne qui a eu la gentillesse d’accepter que nous utilisions les locaux de son école et aux professeurs qui nous ont aidés à tout installer, y compris le petit déjeuner que vous voyez sur les tables.

- La clef du succès, ajouta Flora en lorgnant les pains au chocolat.

- Donc, mangez bien et on se retrouve rapidement pour le début de l’entrainement !

Il retrouvait son amie Flora, le petit déjeuner était offert, et Serena ne le forcerait sans doute pas à danser. Donc, vraiment, absolument aucune raison pour Sacha de se sentir mal sur le fait qu’il resterait en retrait, à la regarder, parce qu’il n’y avait que ça qu’il pouvait faire… Il goba un croissant et s’étouffa dans la seconde.

"Les croissants, l’une des espèces les plus dangereuses de notre planète, capables de terrasser un Dracaufeu en moins de dix secondes… Ah non, cinq visiblement," commenta Négapi tandis que Pandespiègle utilisait la version « j’ai les bras trop courts » de la manœuvre d’Heimlich, c'est-à-dire Cogne de toute ses forces pile sous le sternum du monstre.

"Heureusement que tu étais là," ironisa Roussil à l’attention du lapin bleu.

"Sacha peut attendre. Les chouquettes par contre…" se défendit-il.

- Etouffé avec un croissant… Il a failli s’étouffer avec un croissant, répétait Serena complètement ahurie.

Toute l’énergie de la jeune fille se concentrait sur le dragon, mais difficile de faire autrement avec lui, Roussil le savait bien. Elle agita un peu sa patte en sentant les fourmillements la parcourir, elle ne voulait pas embêter Serena avec cela. Surtout que c’était juste un petit doute passager, un état d’âme importun qui finirait bien par passer.

Serena continuait de frotter le dos du reptile pour l’aider à apaiser la quinte de toux, priant pour qu’il n’enflamme pas la nappe au passage.

- Drrraaa, inspira-t-il tout l’air qu’il put. Feuuuuu.

Un peu calmé, elle préféra l’emmener hors du gymnase pour qu’il reprenne ses esprits dans un endroit moins bondé. Elle n’eut pas à aller bien loin, le hall de l’école était désert à part deux dresseurs qui jouaient au babyfoot. La balle qui claquait entre les pieds des mini-joueurs n’était qu’un maigre dérangement comparé au brouhaha de tout à l’heure.

- Tiens, lui tendit-elle un verre d’eau. Et s’il te plait, vas-y doucement.

Elle s’assit à côté de lui, veillant à ce qu’il applique bien ses conseils. Le dragon trempa le bout des lèvres non sans émettre un grognement ronchon qui la fit sourire.

Clac.

Il se tourna vers elle et Serena fit mine qu’il n’avait jamais été son centre d’attention, ses yeux dérivant vers la TV au mur, les pupilles s’accommodant avec un léger retard aux images.

Chtalc !

Et c’était un but ! Le dresseur poussa une exclamation de joie sans réussir à déconcentrer la jeune fille. Muets sur l’écran, les présentateurs hochaient la tête, effleuraient leurs précieuses fiches, leur mine circonstanciée avec la miniature de la Devon Sarl affichée à leur gauche. En bas, un bandeau bleu titrait l’information, une nouvelle déjà connue par tous les habitants de Mérouville depuis plusieurs jours.

Clac, tchac.

Serena agrippa machinalement son épaule, incapable de détourner le regard malgré la nausée qui montait.

Clac, clac, tchac, clac.

« Les Teams Aqua et Magma, principales suspectes de l’attaque de la Devon Sarl. » « Recherches toujours en cours. » « Aucun membre n’a pu être interpellé. »

Claclaclaclaclaclac…

Une aile s’interposa, coupant net les images qui grouillaient dans les yeux de la jeune fille.

- Ça va, articula-t-elle faiblement.

La membrane s’incurva, enlaçant la dresseuse, une douce chaleur qui repoussait les mauvais souvenirs. Elle se pencha, posant distraitement sa tête sur l’épaule du reptile et emmêlant sa main dans les griffes du monstre. Il n’y avait rien de mal à se laisser réconforter par son pokémon.

- Est-ce que c’est vraiment le petit Salamèche que j’ai connu chez Seko ? plaisanta Flora.

Une viennoiserie dans chaque main, elle avait dû s’éloigner de la réception pour pouvoir tranquillement les déguster. Vous vous rendez compte ! Elle n’avait pas pu prendre une seule bouchée tant elle avait été interrompue, avec tous ces dresseurs qui lui demandaient des conseils sur comment elle avait fait ça ou ça en concours, chose auquel elle mourait d’envie de répondre par un : « Aucune idée ! »

Dans tous les cas, leurs questions et son désir de s’empiffrer avaient au moins eu le bénéfice de l’aider à retrouver celui qui était toujours à ses yeux le jeune Salamèche. Elle aimait bien le pokémon, s’étant sentie proche de lui à la seconde où elle l’avait rencontré. Et si c’était elle que le pokémon avait voulu suivre au lieu de l’artiste pokémon, Flora aurait tout de suite… Au fait, où était Serena ? Elle fit un pas de côté en se disant que la jeune fille ne devait pas être loin du pokémon, et effectivement, elle n’était pas du tout loin, elle était même très proche, presque comme si… Serena se dégagea vivement, recoiffant rapidement ses cheveux du plat de la main, les rougeurs sur ses joues encore visibles.

- Toujours aussi câlin avec sa dresseuse préférée à ce que je vois, plaisanta Flora pour calmer le léger malaise qu’elle ressentait d’avoir interrompu quelque chose. Tu n’as pas tant changé que ça finalement.

Comment ça toujours câlin ? Son amie devait se tromper de pokémon ou s’être imaginée des choses, parce que le dragon ne s’accordait ce genre de contact que depuis récemment… Si on omettait toutes les fois où il s’était collait à elle dans leur sommeil.

- Au fait Flora, toussota Serena qui essayait de faire comme si rien ne s’était passé. Je n’ai pas pu te le dire plus tôt mais… Félicitation pour ton cinquième ruban !

- Dra ! Dracaudra ! renchéri le type feu.

- Vous avez regardé ? s’étonna Flora.

- On essaye de suivre, pouffa la jeune fille. Dracaufeu saute de joie à chaque fois que tu l’emportes.

La coordinatrice eut un petit sourire, heureuse d’apprendre que le reptile ne l’oubliait pas malgré les évolutions. S’en était même étonnant vu le peu de temps qu’ils avaient passé ensemble.

- Et en soit, je crois qu’aucun coordinateur n’aurait voulu louper ce combat.

Les yeux de la jeune coordinatrice brillaient, et Flora se sentit quelque peu coupable de ne pas être aussi fier qu’elle le devrait.

- Tu ne devrais pas prendre ce combat trop au sérieux, ne put-elle s’empêcher de dire.

- Tu plaisantes ? Tu as quand même vaincu…

- Elle avait déjà ses cinq rubans, précisa rapidement Flora. On ne s’était jamais affronté jusque-là, et elle était justement de passage dans la ville où je participais et c’est là… Elle devait avoir envie de se divertir.

- Mais tu as gagné. Tu as gagné contre Atalante, balbutia Serena.

Flora eut un petit rire nerveux avant de finalement avouer :

- Elle n’a pas utilisé ce truc lors de notre affrontement.

- Ce truc ? répéta Serena sans comprendre.

- Oui, ce truc qui fait zziiiii et piouf puis le pokémon change de forme.

- La Méga-Evolution ? sourit Serena qui à cet instant ne doutait pas que Flora avait un jour accompagné Sacha dans ses voyages.

- C’est ça ! claqua-t-elle des doigts. Si elle l’avait utilisé sur Alty, la fin du match aurait été très différente.

- Elle devait vouloir t’affronter à arme égale.

Flora croisa les bras. Elle comprenait le principe, mais cela n’empêchait pas qu’Atalante n’avait pas utilisé tous ses atouts contre elle. Et puis ce n’était pas à la Top Coordinatrice de se mettre à son niveau, mais bien à Flora de la rattraper.

- Si seulement moi aussi je pouvais…

- Ça devrait être possible.

- Dracau, confirma Sacha provoquant à nouveau la surprise chez sa dresseuse.

- Hum… reprit Serena après que son pokémon se soit muselé de lui-même le museau. Il n’y a qu’un nombre limité de pokémons capables de Méga-Evoluer, mais je sais que Braségali en fait partie. Si tu arrives à trouver les gemmes qui correspondent, et bien… ça fera zziii et piouf comme tu le dis si bien.

Flora se gratta la joue de gêne, mais ne put cacher qu’elle était reconnaissante à la kalosienne pour cette précieuse information. En plus, elle pourrait montrer à Drew cette nouvelle technique et elle ne doutait pas que le garçon en serait très jaloux. Sauf que dommage, lui il n’avait pas de Braségali ou d’Altaria, et il pleurerait en se retrouvant éjecté de ce club très sélecte qu’était la Méga-Evolution !

- On fait moins le malin maintenant, jubila-t-elle.

- Flora ? déglutit Serena en percevant une aura malsaine autour de son ami.

Flora mordit les viennoiseries, les meilleures qu’elle ait mangées dans sa vie.

- Tu as bien fait de venir, très bien fait même.

- On a eu de la chance que le concours se déroule à Mérouville, soupira la jeune fille. Même si lui aussi a failli être annulé.

La coordinatrice d’Hoenn se tendit, qu’on ne lui reparle pas de cette affaire de Devon Sarl, elle s’était déjà suffisamment prise la tête dessus avec Roxanne (qui en remerciement les avait appuyées pour que le stage ait bien lieu).

- Ils disent que c’est les membres de la Team Aqua qui ont fait le coup, tu penses que c’est vrai ? déglutit la jeune fille ayant toutes les peines du monde à cacher ses tremblements.

- Magma, mais tu n’étais pas loin, soupira Flora.

Serena la dévisagea, surprise qu’elle soit si bien informée alors que les chaines médiatiques étaient encore dans le flou. Une erreur dont Flora ne se rendit compte que trop tard et que la kalosienne n’était pas près de laisser passer.

- C'est-à-dire que… C’est juste que je les ai déjà affrontés et je connais bien Roxanne donc… On a mené notre enquête ensemble.

Sans oublier qu’elle avait déjà beaucoup parlé des deux Teams quand son père l’avait emmené à Cimetronelle. Les champions voulaient son avis, et peut-être espérait-ils qu’elle les aide à deviner les plans des leaders Aqua et Magma. Chose dont elle était bien incapable, surtout qu’elle était loin de bien les connaître.

Serena entortilla ses doigts, avant de finalement se décider à proposer :

- Je pourrais t’aider moi aussi, après tout…

Le chef de la Team Aqua me connaissait. Il était persuadé de me connaître. C’était quelque chose qu’elle ne pouvait pas dire à son amie et c’était de bonne guerre : Flora ne lui aurait jamais rien révélé si sa langue n’avait pas fourché. Alors Serena, elle, saurait la tenir.

- Crois-moi, il vaut mieux que tu restes éloignée de toutes ces histoires, conseilla Flora sans se douter que Serena y était déjà bien empêtrée. Et puis, si on est ici, c’est avant tout pour s’entrainer, danser, s’amuser sans oublier que, baie ceriz sur le gâteau, on aura le droit au traiteur pour nos pauses repas, et j’ai veillé personnellement au menu. Bref, tu as intérêt de profiter de ce week-end, et c’est aussi valable pour toi Dracaufeu.

- Dra… dénia le faux pokémon. Dracau, dracaudra ajouta-t-il plus bas.

Flora eut une petite moue d’excuse. Elle avait vu la performance à Refville et elle comprenait que le reptile ne veuille pas retenter l’expérience. D’ailleurs, elle-même l’avait dit lorsque Serena avait décidé de le capturer : il avait plus un style de combattant d’arènes que de concours. A ce compte-là, c’était déjà bien que Serena soit arrivée aussi loin avec lui.

Toutefois, son amie n’avait pas l’air de s’en contenter si bien que ça, et Flora se demandait si elle n’allait pas demander ici et maintenant à son dragon de valser avec elle.

- Tu ne veux pas faire au moins…

La sonnerie venait de retentit.


***


La piste de danse improvisée n’avait rien pour elle : les tables repoussées contre les murs servaient de bancs, les projecteurs n’étaient que les néons dégoûtants d’une salle de cours, et les enceintes se résumaient au son de l’ordinateur monté au maximum.

Pourtant, l’ambiance dans la classe n’avait actuellement rien à envier aux plus grands dancefloors. Sacha déglutit, assis dans son coin, incapable de détourner le regard malgré le mantra qu’il ne cessait de se répéter : c’est juste la pokéball, juste la pokéball, juste la pokéball. Serena sautillait, tournait, lançait ses mains en l’air, encouragée par les dresseurs autour d’elle qui tapait des mains en un rythme chaotique mais terriblement entrainant. Et ces sourires, ceux qui invitaient les dresseurs et pokémons les plus timides à se joindre à elle, ceux qui lui donnaient envie… Sacha secoua la tête.

- Tu veux essayer ?

Le métamorphosé sursauta. A quel moment s’était-elle approchée ? A moins qu’elle se soit tout simplement téléportée en face de lui…

- Serena appelle Dracaufeu, vous me recevez ? se moqua-t-elle gentiment.

- Dra.

- Alors ?

Tout le monde s’amusait et il restait dans son coin, lui, le dragon plein d’énergie qui ne pouvait pas rester sans bouger plus de dix minutes. Donc, qu’il ne lui fasse pas croire que la situation lui convenait.

- Allez, juste une fois, l’encouragea-t-elle.

Il hésita, et cela rendit son refus encore plus insupportable pour Serena. D’accord, il avait parfaitement le droit de ne pas aimer la danse, c’était quelque chose qu’elle respectait, qu’elle avait toujours respecté depuis l’époque où il était un Salamèche soufflant de soulagement à l’idée d’éviter la première partie des concours. Toutefois, ce n’était plus tout à fait la même chose aujourd’hui, la différence se résumant à une chose simple mais fondamentale : Dracaufeu avait envie de danser, et elle avait bien l’intention de le lui faire comprendre.

Elle lui saisit les poignets et le tira vers elle, mais dans la panique, le faux pokémon manqua de peu de lui marcher sur les pieds. Déjà ? Et ils n’avaient même pas commencé à danser. Il sentit une vague de déception l’envahir, incapable de suivre la jeune fille dans ce qu’elle aimait le plus. Non, ce n’est pas moi qui suis déçu, c’était la pokéball qui me fait ressentir ça.

Il profita que Serena avait légèrement relâché ses mains pour se reculer, grogner de mécontentement et bien lui faire comprendre qu’il ne l’accompagnerait pas et qu’il valait mieux qu’elle se trouve un autre partenaire pour aujourd’hui.

Serena pesta, si elle avait attendu un peu plus qu’il vienne de lui-même, elle aurait pu éviter de le braquer pour le reste de la journée. Elle secoua la tête, ce serait sous-estimer le côté têtu de son pokémon. Et puis, rien ne lui interdisait de réessayer plus tard.

Elle alla se prendre un peu d’eau, pendant qu’elle vérifiait comment se débrouillait le reste de ses pokémons. Négapi et Posipi faisaient sensation avec leurs mouvements comparables à du breakdance, on sentait la patte de Pandespiègle, et un autre dresseur s’était joint à eux au grand amusement des deux petits pokémons. Serena applaudit en même temps que les autres quand ils achevèrent leur chorégraphie, bras croisés dans un air de défi.

D’ailleurs, pourquoi Pandespiègle n’était pas avec eux ? Elle trouva vite la réponse en le voyant poursuivre Roussil, cette dernière faisant tout pour qu’il reste à au moins trois pas de distance, y compris grogner quand elle se retrouvait bloquée contre un mur. Allons bon, qu’est-ce que Pandespiègle avait encore bien pu faire pour irriter la renarde ?

- Pandes ? se tourna-t-il vers la jeune fille comme s’il avait deviné les reproches.

Roussil arriva par derrière et lui empoigna la peau du cou, le tirant avec elle à l’écart. Finalement la distance de sécurité s’était vite dissipée et elle espérait que le petit pokémon ne passerait pas un trop mauvais moment. Elle ne pourrait pas le vérifier en tous cas, puisque les frères électriques la monopolisaient déjà pour qu’elle rencontre leur nouvel ami.

Du breakdance et Serena… pas forcément le mélange qu’on imaginait fonctionner et Sacha s’attendait déjà à ce qu’elle refuse. Mais, elle le surprit quand elle posa une main au sol et commença à imiter maladroitement les mouvements que lui montraient le garçon. Une jambe tendue, puis l’autre, switcher avec les mains… outch ! Sacha commençait à se relever, mais la jeune fille était déjà repartie pour un nouvel essai et finalement il sentit qu’il n’aurait pas à vérifier que tout allait bien.

Serena s’amusait, beaucoup, encore plus quand après une bonne heure de répétition, ils lancèrent la musique, alternant entre un style puis l’autre, se mélangeant avant de brutalement se rompre. C’était incertain, parfois brouillon, mais ça avait ce petit il ne savait quoi d’envoutant. Sacha battait désormais la cadence, retenant son souffle quand Serena testait une figure, étouffant une exclamation de joie quand elle réussissait ou réfrénant un petit rire quand cela se terminait par un léger déséquilibre. Danser avec Serena… le tapotement de sa queue s’arrêta.

- Je vais te dire un secret.

Sacha sursauta. Depuis quand Atalante s’était-elle assise à côté de lui ? Elle n’avait pas l’air consciente de la peur qu’elle venait de faire au métamorphosé, le pointant du goulot de sa bouteille.

- Je crois que ce qui m’a le plus marqué quand on s’est rencontrés, c’est que malgré ton jeune âge ton style était déjà bien défini, comme si tu avais appartenu à un autre dresseur avant Serena.

Plus que d’appartenir, il avait été le dresseur. Donc, forcément, il continuait d’utiliser ce qu’il avait appris à l’époque même sous sa nouvelle forme.

- Et l’autre chose étonnante… Tu aurais imaginé Machopette danser avec Liseron ? Moi, je suis forcée d’avouer que je n’y croyais pas, mais j’ai vite dû revoir mon jugement, pouffa-t-elle. Ces deux-là ont appris à s’adapter l’un à l’autre, et si pris séparés leurs mouvements semblent mal assortis, une fois ensembles tout s’accorde parfaitement.

Tant mieux pour eux, mais la vie de Liseron ne l’intéressait pas particulièrement.

- Plus proche de toi, reprit-elle, tu en as aussi un bon exemple avec Pandespiègle. Mais quelque part, tous les pokémons finissent plus ou moins influencés par leurs dresseurs… Presque tous.

Atalante pressa du doigt la joue du dragon au moment où il essayait de se détourner. Sacha hoqueta, se dégageant rapidement et faisant les yeux ronds à la Top coordinatrice.

- Peu importe à qui tu appartenais avant, c’est Serena ta partenaire.

Le métamorphosé ronfla son ennui et détourna la tête, refusant de plus écouter. Amusée, la Top Coordinatrice se releva, s’étirant un peu tout en expliquant :

- Dire qu’avec cette histoire de Devon Sarl, j’étais à deux doigts de tout annuler. Heureusement qu’un certain pokémon m’a motivée à le maintenir.

- Dra ?

- Toi… Et ta performance à Refville, partit-elle dans un fou rire qui fit blêmir Sacha.

Il était meilleur pour combattre avec elle que pour danser, et quelque part on avait tous nos forces et faiblesses alors…

- Non, non, non, pas de ça avec moi, l’arrêta Atalante. Si j’ai encouragé l’intégration des performances dans les concours, ce n’est pas pour rien.

C’était donc à elle qu’il devait tous ses problèmes, parce que la Top Coordinatrice n’avait pas pensé qu’il pouvait tout simplement y avoir des gens mauvais en danse. Il préférait largement le format initial où l’objectif était avant tout de mettre en valeur son pokémon à travers ses attaques ou en montrant leurs habiletés naturelle, Pierre en avait d’ailleurs fait une belle démonstration avec son Manzai. Pas besoin de se lancer dans des chorégraphies tarabiscotées, vous pouviez vous en sortir avec trois balles et un peu de jonglage.

- Tu n’as pas l’air convaincu du côté indispensable de la discipline.

- Cau ? ironisa-t-il. Feuuuu dracau.

Pouvait-on arrêter de rechercher les explications métaphysiques à son incapacité chronique à aligner deux pas de danse sans tomber ? Il était mauvais, et c’était tout, pas la peine de chercher plus loin et… et…

- Ah, Dracaufeu, Dracaufeu. Tu l’as aidée à s’améliorer à ses débuts, et je t’en suis très reconnaissante. Mais à présent, si tu ne te reprends pas, tu risques de la gêner plus qu’autre chose.

Sacha grogna. Il n’avait pas oublié la manière dont la Top Coordinatrice s’était adressée à Serena lors de leur premier et unique combat. Et si la kalosienne lui avait rapidement pardonné, le faux-pokémon n’était pas encore prêt à la considérer comme une amie.

Atalante s’était relevée, battant la mesure du pied, concentrée sur la kalosienne. Elle souhaitait que Serena soit grandiose, incroyable, exceptionnelle et…

- Et si je te montrais un peu ce que ça donne quand on la laisse s’exprimer ? pouffa-t-elle.

La nervosité de Sacha grimpa en flèche. Pourtant, qu’allait lui montrer cette fille à part qu’elle était meilleure en danse que lui et… Un souffle ébahi lui échappa. La manière dont Atalante se mouvait, comme si elle devinait à l’avance les prochains mouvements de Serena, calant ses pas de telle manière à tirer tout le potentiel de la jeune fille. Elle la sublimait, et Sacha sentit dans le même temps une note de désespoir face à quelque chose qu’il ne pourrait jamais atteindre

La pokéball n’est pas assez forte pour ça.


***


Ce qui aurait dû être l’heure préférée de Sacha se transformait en un véritable calvaire. Attablés autour d’un bon repas, les dresseurs de leur classe complimentaient Serena et sa superbe performance avec Atalante, au point que certains demandaient, en plaisantant mais pas complètement, si elle ne voudrait pas monter un duo avec la Top coordinatrice.

Ce n’était pas comme si Sacha n’était pas heureux que sa dresseuse reçoive autant d’éloges, non, certainement pas. Surtout qu’il ne se souvenait pas qu’elle en ait beaucoup reçu depuis qu’il était avec elle. Il tordit ses mains sous la table. Des moqueries, on s’était tellement moqué d’elle depuis qu’elle faisait équipe avec lui, parce que c’était tellement bizarre d’utiliser un dracaufeu en concours, un dracaufeu dont on pourrait se demander s’il faisait ces compétitions uniquement parce qu’il était son pokémon. Et s’il était resté sauvage ? S’il était resté humain ? S’il était resté lui ? Le « lui » dont elle avait reçu la lettre l’autre jour.

Sacha renifla bruyamment. Il pensait qu’en lisant son petit mot, elle serait un peu plus… Un commentaire, une réaction, quelque chose quoi ! Alors oui, le pli se limitait à du babillage sur les joies d’être à Alola, prenant grand soin de ne laisser aucun indice sur le fait qu’il suivait de (très) près son voyage, mais il s’attendait à un peu plus qu’un haussement de sourcil.

Bon sang, Serena trépignait d’impatience juste en tenant l’enveloppe et une fois son contenu révélé, pouf, plus rien, terminé, le carton était rangé dans le sac sans savoir ce qu’elle en pensait. Et ce n’était pas faute de le lui demander par des « Dracau ? » et « Dracaucau ? » les plus innocents et détachés possibles. A croire que ce qu’il avait écrit, ce que le Sacha n’ayant jamais vécu sa mésaventure avec le masque aurait pu écrire était affreusement… décevant ? Egoïste ? A peine une formule de politesse pour souhaiter qu’elle passe un bon voyage (qui lui avait coûté cher tant les souvenir du volcan brûlait sa plume – ou le stylo en l’occurrence, dommage pour les fournitures d’Edivo que ce ne soit pas une figure de style).

Sacha tourna vaguement la tête lorsqu’un jeune dresseur éternua juste en face de Serena. On devinait encore le nuage de gouttelettes en suspension qui ne tarderait pas à disparaitre comme s’il n’avait jamais existé. Aucune des personnes présentes ne se doutant que Serena, ses défenses s’étant amenuies durant les évènements du volcan, était déjà condamnée à avoir un bon rhume (un très gros rhume) d’ici quelques semaines. Mais pas maintenant.

Maintenant, ce qui l’occupait était de ne pas voir Amélia après avoir inspecté minutieusement tous les visages du réfectoire. L’ancienne artiste avait beau dire que les coordinateurs d’Hoenn n’étaient pas au niveau, Serena était certaine qu’elle serait quand même venue, au moins pour leur montrer ce qu’était une vraie performance. Mais non, sa consœur de Kalos s’était comme volatilisée, à croire que c’était la mode en ce moment (suivez ses pensées vers un certain dresseur du Bourg Palette). Quoiqu’elle devrait s’estimer heureuse puisque le garçon avait enfin donné signe de vie. Enfin, on ne pouvait pas dire non plus qu’elle était rassurée, c’était même tout le contraire.

Elle repoussa son assiette, l’appétit coupé. Sa visite d’Atellanes n’avait rien arrangé non plus : le Derkomaï qui n’était pas exposé et ne le serait pas avant un moment d’après les dires des archéologues, Brice dont elle avait vaguement entendu le Pokénav sonner au petit matin sans se douter qu’il quitterait le site de fouille sans même lui dire aurevoir (ils avaient dit que leur réunion devait être courte, pas qu’il devait la fuir) et enfin Edivo, le chercheur dont elle se méfiait toujours bien que Dracaufeu lui ait assuré qu’il était digne de confiance. Il est beaucoup trop naïf parfois, grimaça-t-elle, oubliant toutes les fois où elle s’était faite berner par les déguisements de la Team Rocket – et en l’occurrence par un pokémon pas si pokémon que ça.

Un soupir à côté d’elle. Dracaufeu filait un mauvais cotovol depuis le début de ce stage, refusant obstinément de participer alors qu’il n’y avait strictement aucun enjeu. Tout ce qu’il avait à faire était d’essayer et tant pis si ça ne fonctionnait pas, tout comme la couture, la cuisine… bien qu’il fût moins assidu ces derniers temps.

- Hu-hum, racla-t-elle sa gorge.

Un premier signal que le reptile ne remarqua pas, trop occupé à faire rouler les croquettes dans son assiette.

- Hu-hum ! recommença-t-elle plus fort en l’assortissant d’un coup de pied sous la table.

Il avait baissé la tête cette fois, son attention enfin captée, elle lui montra d’une brève saccade la porte de sortie. Sacha se crispa, entortillant ses griffes et jetant des coups d’œil peu assurés vers la table où se trouvait Atalante. Serena lui donna un léger coup d’épaule, lui offrant un doux sourire d’encouragement au passage.

- Dra, abandonna-t-il.

- Je savais que tu changerais d’avis, pouffa-t-elle.

Vu comment elle le manipulait aussi. Ou bien ça aussi c’est la poké… Il se frappa les joues, secouant la tête pour se remettre les idées en place. Il était sincère quand il disait vouloir aider Serena, il était vraiment sincère, et il allait le prouver !

Ils s’éclipsèrent de la cantine, abandonnant leur dessert, sacrifice qu’une certaine coordinatrice d’Hoenn n’était pas tout à fait prête à accomplir, bien qu’elle mourrait d’envie de les suivre et elle n’était pas la seule.

Un grand sourire satisfait sur les lèvres, Atalante couvait du regard la kalosienne, impatiente de savoir à quel point elle progresserait durant ce petit stage. C’était ainsi que fonctionnait la Top Coordinatrice : être une étoile que tous rêvaient d’atteindre tout en étant celle qui souhaitait le plus qu’on la surpasse. Flora l’avait compris quand Atalante, pas le moins du monde affecté par le résultat du combat, avait salué avec gratitude la victoire de sa rivale.

- Je croyais qu’on devait éviter les traitements de faveur, taquina Flora.

C’était aussi une manière de rouspéter sur le fait qu’elle n’avait pas pu inviter son amie à leur table à cause de cette stupide règle.

- Je sais être discrète contrairement à certaines.

Et une attaque directe, une ! Toutefois, c’était dur d’en vouloir à celle qui vous avait si chaleureusement invité. Et puis, si Atalante avait atteint le titre de Top Coordinatrice avant Flora, il n’en demeurait pas moins que cette dernière était son ainée en concours, et l’une de ses sources d’inspiration ce qu’elle ne s’était pas privée d’expliquer, flattant quelque peu l’égo de la dresseuse de Braségali.

- En tous cas, je n’imaginais pas que vous étiez proches toutes les deux.

La Top Coordinatrice eut une brève seconde d’absence, peut-être même un peu tristesse quand elle avoua :

- Je ne sais pas si on peut vraiment dire ça. Mais c’est vrai que j’ai hâte de voir ce que Serena va devenir, et peut-être qu’ensuite…

Liseron toussa violemment, renversant son verre au passage. La poitrine encore douloureuse, il crispa la main sur sa serviette, refusant de se taire.

- Je te rappelle qu’elle est toujours avec l’autre monstre, donc tu ne devrais pas en attendre trop.

- Un monstre ? répéta Flora.

- Dracaufeu, explicita Atalante. Mais ne t’en fais pas, j’ai veillé à lui expliquer deux-trois choses pour l’aider à être à la hauteur.

- Toujours est-il… reprit Liseron.

- Toujours est-il que tu n’avais pas à les dévisager pendant tout le repas, fit-elle en s’essuyant les lèvres. C’est toi qui as insisté pour venir, mais je t’ai bien dit que si ça devenait trop difficile tu…

- C’est bon, se renfrogna-t-il.

Il semblait que Flora n’aurait pas à remettre le garçon à sa place pour avoir médit sur le type feu, en revanche…

- Je ne crois pas que ce soit une bonne idée de forcer Dracaufeu à faire des performances.

- Vraiment ? dit Atalante la cuillère plantée dans un fondant au chocolat.

- Ce n’est pas pour rien si Serena ne lui fait faire que les deuxièmes parties. Mieux vaut qu’il travaille ce qu’il aime plutôt que de lui miner le moral à…

- Pourtant, elle est venue à ce petit stage avec lui.

- Parce que Dracaufeu n’est pas du genre à attendre sagement au centre pokémon qu’elle revienne, soupira Flora. Ni dans sa pokéball d’ailleurs.

Atalante ne répondit pas tout de suite, préférant goûter d’abord la pâtisserie. Savoureux, presque exactement comme elle l’espérait, mais presque ce n’était pas suffisant.

- Tu sais aussi bien que moi qu’il finira aussi par stagner dans les combats.

Flora se crispa, ne pouvant nier que s’il avait fait de nets progrès, il utilisait encore beaucoup sa puissance pour combler ses lacunes. Quelque chose encore peu visible sur les concours de bas niveau mais qui deviendrait plus flagrant au fur et à mesure de l’intensification de la compétition.

- D’accord, peut-être que certaines choses sont à revoir… admit-elle finalement.

Atalante sourit amplement, sa bonne humeur retrouvée jusqu’à ce que Liseron commence à se dandiner sur sa chaise pour remettre les plis de son pantalon à plat.

- Il y a quelque chose qui te gêne ? devina Atalante.

- Que tu ne voies pas l’évidence, grommela-t-il.

- C’est un monstre, je le sais, tu me l’as suffisamment répété, roula-t-elle des yeux pas le moins du monde convaincue.

- Atalante… fit-il la mâchoire serrée. Ils mangent à la même table.

La dresseuse d'Alty se redressa légèrement sur sa chaise, courbant le dos vers l’arrière comme si les mots du blond avaient bondi sur elle.

- C’est grave qu’ils mangent ensemble ? s’étonna Flora.

Liseron se tourna lentement vers elle, comme choqué qu’elle n’ait pas compris l'évidence :

- Pas ensembles, mais à la même table.

Cette fois, Flora ne put s’empêcher de ressentir un léger malaise. S’il voulait dire qu’ils étaient proches… Serena l’avait élevé depuis qu’il était un jeune Salamèche, donc forcément, leur relation était légèrement différente de ce qui existait entre un pokémon et un dresseur. Quelque chose de plus filial ou…

- Il y a une différence? osa-t-elle finalement demander.

Le garçon ne se tourna pas vers celle qui lui avait posé la question mais bien vers Atalante. Il devinait qu’elle aussi lui demandait d’être plus clair, d’exprimer le fond de sa pensée, mais…

- Tu ne le supporterais pas.

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