Derkomai's Mask

Chapitre 42 : Phlox bleu ou blanc ? Choisis ton camp

5881 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 14/10/2024 16:09

Sacha n’était pas vraiment à son aise assis en tailleur, sa flamme caudale recroquevillée contre son ventre pour être certain qu’elle ne touche ni la toile de sol, ni le velum qui les abritait.

- Eh bien, je n’aurais jamais cru que tu l’avais réellement suivie pour ça.

- Cau ?

Edivo ne l’avait pas entendu, trop occupé à farfouiller dans son bric à brac.

- Dracau ? recommença-t-il plus fort.

- Ta petite amie. Pourquoi tu ne m’as pas dit chez Seko que c’était du sérieux entre vous, j’aurais mieux compris pourquoi tu étais si hésitant.

Le faux-pokémon bafouilla, pas certain de comprendre, mais le visage vexé de son ami de toujours lui permit finalement d’assez vite deviner de quoi il était question.

"Je… enfin… ce n’est pas… pas tout à fait…" bafouillait-il.

"Pas tout à fait ?" répéta Pikachu abasourdi. "Qu’est-ce que tu veux dire par : pas tout à fait ?"

Eh bien, dans la liste il y avait notamment qu’elle cherchait à le caser avec une dracaufeu, donc son « pas tout à fait » était parfaitement valide et surtout :

"La question ne se posera pas tant que je n’aurais pas retrouvé mon corps," trancha-t-il. "Et j’ai l’impression que c’est bien parti pour durer."

"Peut-être pas autant que tu le penses," répliqua Pikachu.

Il venait de sauter sur l’épaule d’Edivo et pointait du bout de la queue un des tiroirs poussiéreux.

- Oui, c’est vrai qu’on aurait dû commencer par là. Sacha, tu veux bien nous donner un coup de main ?

- Dra ?

- On a encore du temps pour installer le matériel avant le coucher de soleil et… Je ne veux pas me montrer trop optimiste vu le peu de données qu’on avait, mais j’ai bon espoir que ce soir, tu redeviennes toi-même.

Sacha écarquilla les yeux. La nouvelle qu’il espérait plus que tout, qui aurait dû le réjouir mille fois ne lui donna qu’un frisson d’effroi. Ce soir, il retrouvait son corps, ce soir la pokéball se brisait, ce soir son voyage avec Serena…

"Sacha ?"

"Je vais bien ! Je veux dire, c’est… C’est génial, vraiment."

Chose dont il essaya de se persuader lorsqu’il chariat les lourds panneaux remplis de circuits électroniques et les appareils de mesure dans l’ancien théâtre. Pikachu lui souriait et lui glissait deux-trois mots d’encouragement, il prenait sans doute les légers oscillements des écailles comme un signe d’excitation ou d’impatience. Une croyance que Sacha n’avait pas à cœur de corriger dans l’immédiat.

Tu ne t’abaisses pas à mentir, tu ne fais qu’omettre.

Et s’il y avait autre chose que le fait d’être humain qu’il omettait. Si, en devenant un pokémon, son pokémon, il avait oublié qui était Sacha. Et s’il s’en souvenait, s’il se rendait compte qu’au fond, tout ce qu’il avait voulu faire pour elle n’étaient que de faux-sentiments pour un faux-pokémon.

Les panneaux s’allumèrent l’un après l’autre dans les gradins accompagnés du vrombissement des câbles électriques. Sacha au centre de la scène, Edivo sur le podium et Pikachu à la caméra dans la fosse de l’orchestre. Le mur qui fermait autrefois l’hémi cercle s’était presque totalement effondré, autorisant une vue dégagée vers la mer et le soleil dont les tons or déclinaient en carmin.

A genou, Edivo enfila ses gants, déplia le mouchoir de soie tandis que Sacha et Pikachu retenaient leur souffle, poursuivant leur apnée alors que l’homme levait l’éclat de météorite entre ses deux doigts, se décalant avec lenteur jusqu’à ce que la pierre reflète les rayons du crépuscule.

La brûlure contre son visage, la gêne dans sa gorge, la joie qui apparut soudain quand il dit d’une voix rauque :

- Draaaa Darch. Rrra Marrrch.

Où était Serena ? Il était heureux. Je ne le savais pas. Il était quand même heureux. Je ne le savais pas et ce n’était pas grave. Sacha était heureux. Est-ce qu’elle allait bien ? Est-ce qu’au moins elle allait bien ? Bien sûr, évidemment, puisqu’il lui faisait confiance, puisqu’il…

"NON !"

Sacha haletait, ses écailles continuaient de frémir, ses ailes lui pesaient toujours dans le dos et le soleil disparaissait définitivement sous l’horizon.

- Oh… souffla Edivo.

Il remonta ses lunettes, sa vue trouble rivée sur la poussière pailletée qui salissait le bout de ses gants.

- Je suis mort, dit-il alors que la brise venait disperser le peu qu’il tenait encore entre ses doigts. Tout ce qu’il y a de plus mort, s’écroula-t-il.

Sacha ne savait pas ce qui le faisait sentir le plus coupable : le teint livide du professeur ou le regard désespéré de son pokémon.

- Pi… Pika ? demanda la souris.

- Beaucoup de choses. La taille ou la pureté du fragment, la lumière, à moins que ce ne soit un mélange des deux.

Le métamorphosé déglutit. Il comprenait leur frustration, mais s’ils avaient amené tout ce matériel, c’était bien pour analyser ce qu’il se passait pour pouvoir mieux le corriger.

- Dracau, déglutit Sacha. Dracaudra, caufeu ?

- Les mimes s’il te plait, répondit machinalement le professeur.

Sacha grimaça. Avec Serena qui le comprenait de mieux en mieux, il commençait à perdre l’habitude.

- Dracaudra… Caufeu ?

- Tu ne comprends pas ! s’emporta le professeur. Les analyses c’est bien à condition de pouvoir les tester ensuite.

- Dra…

- Mais bien sûr ! Comme s’il suffisait de se baisser pour en trouver, ragea Edivo en jetant ses gants par terre. J’ai fait des pieds et des mains juste pour me procurer ce petit morceau et… Ah, comment je vais expliquer ça à son propriétaire !

"Désolé," murmura Sacha.

Pikachu s’était approché de son ancien dresseur et lui tapotait le genou en signe de réconfort.

"Il est plus énervé contre lui que contre toi," le rassura-t-il. "Laisse le se calmer."

"Je voudrais vous aider."

"Ça devrait pouvoir s’arranger," pouffa Pikachu. "Une chasse au trésor, ça te tente ?"

Quelque chose que l’ancien dresseur aurait accepté sans hésiter s’il n’y avait pas…

"Serena," souffla le métamorphosé.

"Hu ?"

"Je peux pas la laisser seule."

"Mais…" articula péniblement Pikachu. "Elle a l’air d’avoir repris en confiance en elle alors tu n’as plus à…"

"Ce n’est plus ça le problème !" cria Sacha. Il se mit à tourner en rond, battant de la queue tel un métronome. "Il y a cette histoire avec Arthur, sauf que je sais pas s’il y a vraiment quelque chose mais je peux pas non plus partir en me disant qu’il n’y a rien."

"Quand tu dis Arthur, tu veux dire…"

"Celui de la Team Aqua, le chef de la Team Aqua ! Et il disait la connaître mais Serena non alors au final…" Il attrapa sa tête comme pour l’empêcher d’exploser. "Je sais toujours pas quoi en penser et… Pikachu ?"

Les oreilles abaissées vers l’arrière, les yeux révulsés, il ne fallut pas longtemps à la souris pour crier :

"Pourquoi tu ne m’as pas appelé plus tôt ?!"

Pikachu avait chipé le mouchoir de soie et y embaluchonnait une bouteille de ketchup trouvée on ne savait où.

"Attends ! Attends un peu !"

"Je viens avec vous," décréta le pokémon.

Le métamorphosé se figea. Il n’était pas contre l’aide de la souris, par contre allez expliquer cela à Serena sans tout dévoiler sur sa véritable identité.

"Tu vas juste compliquer les choses !"

"Elles le sont déjà, non ?" grogna Pikachu. "Et puis j’en ai assez que tu te comportes comme si… comme si…"

Une explosion le stoppa net. Quelque chose que Pikachu avait entendu une bonne partie de sa vie et qui avait été d’autant plus agaçant ces derniers temps, tout comme l’épais nuage de fumée qui s’élevait et le : « Oh non, pas encore ! » d’un professeur Edivo désabusé. Ajoutez à cela des rires tonitruants ainsi qu’un ballon en forme de Miaouss et la boucle était bouclée à un détail près : le contenu du filet.

- Le morveux transformé en pokémon ! reconnut Miaouss.

- Ce n’est pas si mal, constata une Jessie pragmatique.

En soit, peu importe qu’il ait pu avoir des cheveux à un moment de sa vie ou qu’il conserve un poil en zigzag sur ses joues, un dracaufeu restait un dracaufeu, même quand ses écailles viraient au vert nauséeux. Et ils n’avaient pas intérêt à faire les difficiles quand une certaine souris les menaçait d’une Boule Elek..

- Pikapi, chupi !

- Ah non ! renâcla Edivo. J’ai déjà cassé la météorite, je vais pas me casser le dos en plus à leur courir après.

S’il lui restait des cheveux, ils se seraient tous dressés sur sa tête vu les vagues d’électricités qui envahissaient l’atmosphère.

- PiKA !

- D’accord, d’accord, on y va, maugréa le chercheur qui ne se doutait pas qu’il se jetait vers une colère bien plus terrible que les foudres du pokémon.

En effet, Serena avait fouillé la ville de fond en comble, et elle était à deux doigts de devenir la seconde catastrophe qui ravagerait Atellanes. La faute à qui aussi ? C’était tout à l’honneur du Professeur de veiller à la bonne santé de Dracaufeu, sauf que ce n’était pas censé prendre une après-midi complète ! A moins que les choses soient en réalité plus graves et qu’il ait dû appeler en urgence le centre pokémon qui l’avait rapatrié en hélicoptère ce qui avait directement propulsé le reptile dans la tombe vu son mal des transports… Pourquoi elle ne les avait pas suivis ?!

- Je crois que tu pars un peu loin, remarqua le garçon.

Voilà pourquoi : Brice et sa stupide infirmerie dont elle n’avait absolument aucune idée d’où elle se trouvait ! Et puis d’abord, quel genre de personne civilisée oubliait d’indiquer à un dresseur où il emmenait son pokémon ? A croire qu’Edivo l’avait fait exprès, sauf qu’elle ne voyait pas quel genre de bénéfice il pourrait en tirer à moins d’être… Les pavés frémirent sous ses pieds.

- Un tremblement de terre ? déglutit le garçon.

Pas avec la colonne de fumée qu’elle discernait au loin. Ce cher Edivo s’était peut-être enfin décidé à lui donner un indice d’où elle devait se rendre, mais quelque chose lui disait que l’homme de science n’était pas animé de si nobles intentions.

- Qu’est-ce qu’ils fichent à la fin ? siffla Brice. Hey ! Serena, attends, si ça se trouve c’est pas…

Bien sûr que c’était eux ! Et elle ne comprenait pas que le dresseur puisse en douter, c’était comme s’il faisait tout pour éviter qu’elle rejoigne son pokémon.

- Aïe !

La dalle n’avait pas été tendre et elle fut obligée de sautiller à cloche pieds pendant une bonne dizaine de secondes. Si peu, diriez-vous, mais quand vous aviez les nerfs à fleur de peau c’était déjà trop. Serena pesta, elle s’en voulait de ne pas avoir compris plus tôt le manège du garçon. La soi-disant visite « entre ami » était bel et bien un rendez-vous déguisé, raison pour laquelle il avait tant tenu à ce que Dracaufeu s’éloigne. Et il avait beau lui assurer que ce n’était que des taquineries, Serena allait vraiment finir par croire que Brice était bien plus sérieux dans ces histoires de « devenir son petit ami » que ce qu’il prétendait.

Et ensuite on s’étonnait qu’elle préfère Sacha. Au moins, quand il lui proposait une sortie, elle pouvait être assurée qu’il n’avait aucune idée derrière la tête, encore moins sur le fait que cela puisse être un rendez-vous. Ah ça, Serena était tranquille de ce côté-là, peut-être un peu trop d’ailleurs. Mais au moins je n’avais pas de mauvaises surprises, pas comme avec…

- Dracaufeu ?!

Le forum était un vaste espace dégagé dont on avait défini les limites par des petits luminaires au sol, lui donnant un aspect de piste d’atterrissage. Sauf que la montgolfière n’était pas prête à se poser, surtout avec le butin qu’elle transportait appendu à sa nacelle. Et Edivo, à l’autre bout de la place qui faisait de grands gestes de bras, comme s’il parlait aux colonnes, à moins que ce ne soit un code pour guider l’enlèvement de Dracaufeu.

Que… ?

Un bref instant, elle avait cru discerner un bout de fourrure jaune au sommet d’un des piliers, mais à peine le temps de cligner des yeux qu’il avait disparu. Elle secoua la tête, ce n’était pas le moment de se laisser déconcentrer par un reflet quelconque.

- Roussil ! Déflagration !

Mais la Team Rocket réussit à contrer l’attaque, rappelant à Serena qu’ils n’étaient pas aussi faibles qu’on pouvait le penser, surtout quand il n’y avait pas Pikachu et Sacha.

- Dra !

L’alerte de son pokémon lui permit d’éviter juste à temps une Ball’Ombre, puis celles qui suivirent puis… ça commençait à devenir critique.

- Serena ! Par ici ! l’appela le professeur depuis l’un des temples qui jouxtait le forum.

Elle hésita une demie seconde, le temps de sentir le souffle d’une Rafale Psy près de son oreille, avant de se décider à le rejoindre.

- Vous ! hurla-t-elle malgré le peu de souffle qu’il lui restait. Comment vous expliquez ça ! pointa-t-elle du doigt la montgolfière qui s’éloignait.

- Ils se sont trouvés un meilleur fournisseur de filet ?

- Non, pas ça. Ça !

- Oh… Je suppose qu’ils ne doivent pas avoir grand-chose à faire de leurs journées.

- Et vous ?

- Comment ça moi ?

- Je ne sais pas : attirer le pokémon d’un dresseur à l’écart et le livrer à des bandits, c’est une bonne occupation quand on s’ennuie, non ?

Edivo écarquilla les yeux tandis que Serena tirait une pokéball de sa poche, cherchant la meilleure opportunité pour attaquer.

- Vous ne croyez quand même pas que je suis avec eux ? s’offusqua-t-il.

- Alors qu’est-ce qui vous a pris autant de temps ?! Vous deviez juste vérifier qu’il allait bien et…

Il la tira vers l’arrière, évitant de peu à la jeune fille de se faire éborgner.

- C’est compliqué, grinça-t-il.

- Pour moi aussi, ironisa-t-elle, ce n’est pas pour autant que je le piège dans mes filets.

- C’est vous qui le dites, marmonna le vieil homme.

Serena haussa un sourcil en même temps qu’Edivo osait glisser le bout du nez dehors.

- Peut-être que si vous lui promettez une ou deux caresses, voir un câlin, il réussira à sortir tout seul de leur piège.

Elle pencha la tête sur le côté, sans comprendre ce que sous entendait le vieil homme jusqu’à ce qu’il ajoute :

- Ce n’est pas comme ça que vous l’avez motivé à évoluer ?

- Non ! s’étouffa-t-elle.

Ils s’étaient tous donnés le mot ou quoi ? Ils avaient beau être proches, ce n’était pas pour autant qu’elle et lui c’était… Aimer et Aimer étaient deux choses très différentes, et elle aimerait bien justement qu’on arrête de se moquer d’elle à ce sujet !

- Peu importe, secoua-t-elle la tête. Pandespiègle, viens nous aider !

Le pokémon fit émerger des roches bleutées du sol, couvrant à la fois Roussil tout en lui créant un escalier directement vers la tête géante de Miaouss.

- Déflagration !

D’un mouvement parfait, la renarde détruisit le bas de la nacelle, laissant les bandits avec un trou béant dans leur embarcation et le métamorphosé libre de s’envoler à présent que le haut de la toile était grande ouverte et que le filet ne tanguait plus comme un bateau en pleine tempête.

- Rou… gronda la renarde de retour au sol.

Elle tenait son bras comme si elle s’était faite une mauvaise blessure, se tournant de côté pour être sûre que sa dresseuse ne le remarque pas.

- Pandes ? s’inquiéta son ami.

- Rou, souffla-t-elle en relâchant son membre comme si de rien n’était.

Et de toute façon, sa dresseuse ne risquait pas de remarquer grand-chose, trop occupée à assaillir un Sacha qui venait à peine de se poser à coup de :

- Tu vas bien ? Tu n’es pas blessé ? l’inspectait-elle sous tous les angles.

Brice les avait finalement rejoints et reprenait difficilement son souffle, étonné que contrairement à lui la jeune fille semble avoir encore l’énergie de courir un marathon.

- Serena ? haleta-t-il. Tu peux m’expliquer ce qu’il se passe… et qui sont ces gens, pointa-t-il les malheureux qui paniquaient dans ce qu’il leur restait de montgolfière.

- Une bande de bandits qui passent leurs temps à voler les pokémons des autres, répondit-elle. Je ne compte plus le nombre de fois où ils nous ont attaqués pour capturer…

Elle se stoppa net, la bouche figée, vérifia encore une fois le ballon avant de bégayer :

- La Team Rocket ?

Attendez un peu ! Que faisaient-ils ici ? Elle voulait dire : le but du trio était de s’emparer de Pikachu, sauf qu’aux dernières nouvelles ce dernier était sur une île paradisiaque avec son dresseur, donc ces trois-là devraient aussi y être !

- Vous… s’humecta-t-elle les lèvres. Vous n’êtes pas à Alola ?

- Alola ? ne comprit pas James.

- Alola ! A la poursuite de Sacha et Pikachu !

- Sacha ? marmonna Brice.

Les trois amis s’échangèrent des regards, mais ce fut finalement la femme qui décida de lui répondre :

- Le morveux ne t’a pas dit qu’il était…

Jessie releva la tête, alertée par le bruit que ferait une baudruche en se dégonflant. La fameuse baudruche se révélant être la tête de Miaouss qui s’amincissait très rapidement et qui, vous savez bien :

- Une fois de plus la Team Rocket s’envole vers d’autres cieuuuuux !

Serena en resta bouche bée alors que le dragon redescendait tout fier vers elle (du soulagement en réalité, mais elle était trop énervée pour y faire attention).

- Qu’est-ce qui t’as pris ?

- Dra ?

- Pourquoi tu les as attaqués ?!

- Peut-être parque c’est eux qui ont commencé, remarqua le garçon.

Serena pressa ses paumes contre ses tempes, sachant pertinemment que le dresseur avait raison.

- Mais dis-moi, reprit Brice, quand tu disais qu’ils devaient poursuivre Sacha, tu parlais de…

- Mon ami.

- Sacha.

- Oui.

- Ton ami s’appelle Sacha.

- Euh… oui.

- Ketchum ?

Une minute de silence. Et si on se demandait pour qui elle était la plus malaisante, il suffisait de voir le reptile de feu figé avec le reste du paysage.

- Tu le connais ? fronça-t-elle les sourcils.

- En quelque sorte, toussota-t-il bruyamment.

- En quelque sorte ?

- Oui, c’est à dire, pour progresser c’est bien de regarder les tactiques utilisées en ligue et j’ai regardé celle de Kalos donc…

La jeune fille se détendit un peu.

- C’est vrai que son style de combat attire l’attention, il est assez particulier, sourit-elle.

- Inimitable… appuya le garçon en zieutant le reptile.

Elle leva à nouveau la tête vers les cieux où avaient disparus les bandits et soupira :

- Je ne comprends pas ce qu’ils font ici. Normalement, si on les voit c’est que Pikachu n’est pas très loin, et s’il y a Pikachu alors Sacha est forcément là sauf que… Il est à Alola, et on est à Hoenn.

- Ils se sont peut-être lassés, surtout pour un pikachu.

Sacha grogna. Brice apprendrait que son Pikachu valait largement le coup qu’on s’acharne à essayer de le capturer.

- Pas eux, tu peux me croire.

Elle mordit sa lèvre, son inquiétude clairement marquée sur ses traits alors que les goélises criaient de plus en plus fort, donnant un mal de tête carabiné au métamorphosé. Il ne pouvait pas simplement ignorer les angoisses de sa dresseuse. Imaginez qu’elle se remette à moins bien dormir ou pire, que cela la déconcentre durant ses concours.

- Goé !

Ses yeux s’agrandirent soudain. Mais bien sûr ! Il existait bel et bien un moyen pour qu’il lui dise que tout allait bien sans se compromettre.

- Dra, sourit-il.

Plus qu’à attendre tranquillement que Serena s’endorme pour agir.


***


Papier : check. Crayon : check. Coin tranquille dans les gradins du petit théâtre : check. Bougie (pas très compliqué à trouver celle-là) : check ! Maintenant, il ne lui restait plus qu’à utiliser sa plus belle écriture.

Pour cette dernière, les essais au brouillon ne s’avérèrent pas très concluant. Mais avec un peu de persévérance, surtout pour réussir à manier le stylo avec seulement trois doigts, Sacha finit par obtenir un résultat plus que décent. Il pourrait même se vanter qu’il n’avait jamais écrit de manière aussi lisible, y compris à l’époque où il était humain.

Il ne restait qu’à rédiger le contenu de la lettre. Rien de très compliqué : il suffisait d’imaginer un appel téléphonique puis de le retranscrire et ainsi… Je commence par bonjour, salut ou coucou ? « Bonjour » faisait un peu froid et « coucou » lui donnait l’impression d’être un roucool piaillant du haut de sa vieille horloge. « Salut » était donc la meilleure option ? Mais le mot sonna faux dès qu’il fut écrit, obligeant Sacha à le rayer de deux barres parallèles. Chère Serena. Ce n’était pas mieux. Tu me manques ? De pire en pire !

Sacha froissa le papier d’agacement. Au diable les formules de politesse, il commencerait par Serena avec une simple virgule pour l’accompagner. Joli, simple et la chaleur diffusait dans ses écailles rien qu’en l’écrivant. Euh… C’était peut-être trop quand le papier brûlait au bout de vos griffes.

Bon, tant pis pour l’introduction il y reviendrait plus tard (ou jamais), ce qui intéressait la jeune fille de toute façon c’était de savoir ce qu’il faisait.

J’ai rencontré pleins de nouveaux pokémons, j’ai hâte de te les présenter.

Hey, pas si mal. C’était typique de Sacha tout en restant suffisamment évasif pour ne pas trahir le fait qu’il ne connaissait aucun des monstres d’Alola. Ensuite, il ne pouvait pas s’arrêter là, il devait aussi parler de tous les dresseurs qu’il avait combattu (beaucoup trop pour tous les citer – donc il n’en cita aucun), de ses nouveaux amis dont il ne prononça pas une seule fois le nom et de tous les plats savoureux qu’il avait pu goûter (là aussi ne faisons pas de jaloux – nous n’en parlerons donc pas en détail).

L’ancien humain constata la lettre une fois achevé, fier d’avoir recréé à la perfection les pensées de Sacha… Ce qui en soit était normal. Il reposa la feuille sur ses genoux et la relut entièrement, découvrant que pas une seule fois il ne mentionnait Serena ou même lui demandait comment elle allait. Ses aventures, ses découvertes qui ne laissaient aucune place à une réponse. Hey, c’était bien connu que tout se passait toujours parfaitement bien du côté de la jeune fille, pas comme si elle pouvait se faire attaquer par le chef de la Team Aqua où être foudroyée par une intelligente artificielle qui avait perdu un ou deux boulons.

Comme ça tu es certain qu’elle ne te donnera aucune raison pour revenir la voir… Il jeta la feuille au loin avec un geste de dégoût. Pourtant, ce genre de lettre qui mettrait vite un terme à la correspondance était pile ce dont il avait besoin, mais il voulait essayer de trouver quelque chose de plus… chaleureux ? Sans aller forcément jusqu’à la température d’un dracaufeu, au moins pourrait-il atteindre celle d’un petit Salamèche. Cependant, cette fois, la page restait blanche à part les bords noircissant d’un début de combustion.

- Dra ?

On venait d’allumer un projecteur derrière lui. Sacha se dépêcha de cacher la lettre dans son poing, plissant les yeux tandis que le dresseur au bonnet descendait les escaliers du petit théâtre. Il s’arrêta cependant deux rangées avant celle du dragon, parlant d’une voix forte comme si le public l’entourait :

- Et dans le rôle de Sacha le Dracaufeu nous avons, attention, roulement de tambour… Sacha !

Il franchit les dernières marches presque en sautant et s’assit à côté du reptile, les mains croisées entre ses genoux.

- Au cas où ça t’aurait échappé, c’est toi qu’elle…

- Dra.

- De mieux en mieux, exhala Brice. Et donc, qu’est-ce qui est passé dans ta cervelle flambée pour te dire que tu gagnerais quelque chose à ne rien lui dire ? Outre le fait de pouvoir la regarder quand elle se déshab…

- Caufeu, lui rappela-t-il.

- Mais tu peux tout avoir, absolument tout ! C’est toi qu’elle cherche, c’est toi qu’elle veut revoir, et pourtant, tu t’obstines à cacher qui tu es vraiment comme si tu n’avais aucune chance sous ta vraie forme.

"Et si c’était le cas." La lettre encore vierge brûla, ne laissant qu’un tas de cendre dans son poing. "Je me suis mis à ressentir de nouvelles choses avec elle. Enfin, c’est encore un peu confus et je ne suis pas vraiment sûr de savoir exactement quoi en faire mais…" Il s’arrêta, son petit sourire s’était fané tandis qu’il observait la scène avec une sorte d’abnégation. "Et si ce n’était pas moi, si toutes ces choses nouvelles étaient… Je suis devenu un pokémon, ça s’est allumé au moment où je suis devenu un pokémon et elle ma dresseuse. Ma dresseuse, tu entends ? C’est dans ces moments-là que je me dis que la pokéball est quand même incroyable."

- Je comprends pas grand-chose à ton charabia, soupira Brice d’un air ennuyé.

"Qu’est-ce que je ferais si ça s’éteint d’un coup ? Si Sacha n’en a rien à faire de cuisiner, danser ou coudre ? Si je me rendais compte que ça n’a jamais été ce que je voulais ?"

- En vrai tant mieux, je crois que je n’aurais jamais supporter de t’entendre te chercher des excuses.

- Dr…

Brice avait traversé la scène pour grimper sur le muret, en équilibre alors qu’il contemplait le vide.

- Ça m’énerve. Ça m’énerve tellement ! Mais c’est toi, que tu le veuilles ou non, t’es le type qui lui a fait rater ses concours, qui a passé des journées entières à préparer du poison…

"Cuisiner."

- C’est pareil. Tu vois, t’arrêtes pas de te louper et t’es même pas capable de voir l’énorme bêtise que tu fais en ne lui disant rien. Mais, tu la regardes, tu vois Serena, tu essayes de comprendre les choses à travers elle et c’est un échec. Bien sûr que c’est un échec parce que c’est compliqué et fatiguant et puis ce serait plus simple si tu pouvais dire une phrase et tout régler : « Je suis Sacha », ouais, ça sonne bien, la phrase magique parfaite sauf que... en vérité c’est une saleté, une fichue saleté.

Son corps tangua légèrement, avant d’à nouveau se stabiliser. Lentement, il se tourna vers le dragon.

- Moi, je suis coincé là, incapable de bouger ou de changer. Je reste figé là quand toi tu te persuades que ce que tu es ne peut pas devenir.

Brice remontait les marches du théâtre, il ne reviendrait pas s’assoir à côté du dragon.

- Maintenant, à toi de voir. Mais si je peux te donner un conseil : ne tarde pas trop.

Le projecteur éteint, sa flamme comme seule compagne, Sacha agrippa entre ses griffes une autre feuille blanche. Comment vas-tu ? y glissa-t-il les premiers mots. C’était comme une transe, un moment de lâcher prise où ses pensées coulaient à travers sa plume et s’encraient sur le papier blanc. Il avait vu chacun de ses concours comme s’il y était et continuerait de l’encourager jusqu’au Grand Festival. Plus que tout, même s’il la savait forte, elle ne devait pas hésiter à lui dire si les choses devenaient difficiles, il était là pour ça. Vraiment là, pensa-t-il alors qu’il hésitait à apposer les dernières lettres. Tu me manques, acheva-t-il dans un soupir d’abandon.

Il cligna des yeux, comme s’il se réveillait d’un long rêve, découvrant avec stupeur les traces que quelqu’un d’autre avait laissé. La pokéball Sacha. Peut-être, peut-être bien. Il serra la lettre contre lui, comme si l’encre pouvait traverser les écailles et tâcher son cœur. Il se recroquevilla dessus tant et si bien que la flamme au bout de sa queue effleura les rebords du papier et… Tout était à refaire. C’est une blague. se lamenta Sacha. Il essaya de se souvenir de ce qu’il avait écrit à peine une seconde plus tôt, sans succès. Les phrases s’étaient envolées de son esprit, irrécupérables, la seule chose qui aurait pu les retenir étant la lettre désormais réduite en poussière.

Epuisé, il réalisa sa troisième mouture, fade et insipide, mais qui au moins avait le mérite d’être plus prudente que celle guidée par, il ne trouvait pas d’autres mots pour le nommer, un coup de folie. Voilà, il ne restait plus qu’à trouver un Poste de Goélise et la lettre serait livrée en quelques jours. C’était leur crédo après tout et la raison pour laquelle ce système survivait malgré la téléphonie : « Peu importe où vous vadrouillez, la Poste Goélise saura vous retrouver ». Un slogan un peu exagéré vu le nombre de raté qu’il y avait (d’ailleurs beaucoup se demandaient toujours comment ces petits facteurs parvenaient à trouver les destinataires avec pour seul information le numéro dresseur), mais qui avaient cet avantage de ne pas demander l’adresse de départ. En revanche, il était de bon ton d’accoler un timbre de la région où on se trouvait…

Edivo fut donc réveillé en bonne et due forme – deux fois. En même temps, quand vous sortiez : « Grand fou, je ne pensais pas que tu la tromperais si vite » au saut du lit, vous ne pouviez pas vous attendre à mieux qu’une grosse bosse sur la tête.

- Et celui-ci ? lui proposa le chercheur.

- Caufeu, refusa le reptile.

Le vieil homme ne comprenait rien à la demande du faux pokémon et de toute façon il ne voulait pas en savoir plus, pas à trois heures du matin. Il frotta ses yeux rougis de fatigues. Pourquoi l’ancien humain devait-il avoir une crise de philatélie en pleine nuit ? Et puis il pourrait l’aider un peu au lieu de blablater avec la souris électrique !

"Tu ne veux toujours pas que je vienne ?"

Pikachu et Serena s’étaient toujours bien entendus, elle était même la seule parmi tous leurs compagnons de voyage qu’il n’ait jamais électrocuté. Et Sacha comprenait parfaitement que lui aussi souhaite veiller sur elle mais…

"Elle comprendra tout de suite si elle te voit."

La souris baissa les oreilles, hésitant à avouer l’autre pensée qui l’animait, mais dont il commençait à craindre la réponse depuis qu’il avait revu son dresseur.

"Tu reviendras ?"

Sacha déglutit, une brève seconde de doute qui n’échappa pas au pokémon électrique.

"B- Bien sûr !" s’écria le faux pokémon. "Je veux… Je veux toujours être Maître Pokémon avec toi comme partenaire et je te promets que l’on reprendra notre aventure mais… juste… patiente encore un peu."

- Je te préviens, que ça te convienne ou pas, moi je vais me coucher, rouspéta le professeur.

Il tenait entre ses doigts un timbre avec une sorte de Raichu semblant faire du surf avec sa queue en guise de planche. Les grands cocotiers et la plage derrière firent espérer à Sacha qu’il avait enfin trouvé ce qu’il lui fallait.

- Dracau ?

- Je crois que ça date de mon voyage à Alola. Que… ça te convient ? Ah… Enfin ! Oui, tiens, je te le donnes, ça me fera des vacances.

A peine un mot pour remercier le chercheur et Sacha quittait la tente, certain qu’il trouverait une cabane à Goélise s’il survolait un peu la zone. Il n’avait pas le choix de toute façon, à moins de cacher la lettre dans sa gueule, il devait la poster cette nuit même.

"Attends-moi…" croassa Pikachu en voyant son ami s’éloigner.

La dernière fois qu’ils se voyaient avant une longue période de séparation et pourtant son dresseur ne pensait qu’à son voyage avec la jeune fille. Pikachu serra les dents avant de cracher au ciel où avait disparu son ami :

"J’ai hâte de te revoir, Sacha."

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