Derkomai's Mask

Chapitre 41 : Début de saison pour les Cyclamens

5427 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/10/2024 08:36

Dracaufeu était-il vraiment décidé à lui faire croire que tout allait bien ? Pas comme s’il venait de se faire rejeter par ses pairs en bonne partie à cause de sa dresseuse… Mais qu’est-ce qui m’a pris à la fin ? s’écroula-t-elle sur la table.

- Dracau ?

- Tu peux mettre le sucre. Par contre n’en vide pas deux sacs comme la dernière fois…

- Caufeufeu ! fit-il signe qu’elle pouvait lui faire confiance.

En tous cas, le reptile se montrait très doué pour cacher sa frustration : à peine une moue après son vol plané et il avait vite foncé en cuisine et recommencé à lui sourire. Mais certains signes ne trompaient pas, comme le fait qu’elle avait dû vite échanger le sel contre le sucre avant qu’il ne ruine son gâteau. Le genre d’erreur que le dragon n’aurait jamais fait dans son état norm… Bon, d’accord, ce n’était pas le meilleur exemple.

- Sala ?

Serena se pencha. Cachées sous la table, deux petites salamandres la dévisageaient avec un mélange de crainte et de curiosité. La jeune fille tendit la main, mais cela ne provoqua qu’un mouvement de recul chez les reptiles avant de les voir définitivement s’enfuir, rejoignant le comte qui attendait à l’entrée de la cuisine, les épaules parfaitement alignées et les mains croisées derrière le dos.

Elle qui pensait avoir un don pour s’attirer la sympathie de ces reptiles, il se révélait finalement que cela ne fonctionnait qu’avec le sien. Et encore, son Salamèche ne s’était jamais frotté à sa jambe comme le faisait en ce moment le petit pokémon avec Orium, quant à lui léchouiller le visage quand elle le prenait dans ses bras…

- Pourquoi tu n’as jamais fait ça ?

Sacha renversa le sel – il s’était dit que deux cuillères de sucres valaient mieux qu’une pendant que Serena se faisait distraire – et étouffa un glapissement. Elle voulait savoir pourquoi il n’avait jamais collé sa langue sur son visage ? Eh bien pour sa gouverne, elle ne lui avait jamais demandé une telle chose étant humain et il ne voyait pas pourquoi cela changerait !

- Dra ! Dracaudra, caudra !

Et il se remit aux fourneaux pour couper court à la discussion, provoquant un sourire mi-amusé mi-surpris du comte. En même temps, ce n’était pas tous les jours qu’on voyait un dracaufeu cuisiner, il se pourrait même que ce soit une première et exclusivité mondiale.

Orium reposa le pokémon, retrouvant ses manières qui rappelaient plus celles d’un majordome que d’un comte, et c’était peut-être tant mieux quand on connaissait l’aristocratie kalosienne : les mensonges du seigneur du Fort Vanitas, l’attaque du comte Pitrou et pire que tout la princesse Alice dont ils n’avaient réchappé que grâce au courageux sacrifice de Lem (pas vraiment consenti).

- Puis-je vous demander votre aide pour servir le repas à ces petits ?

La jeune fille acquiesça, suivant le vieil homme jusqu’à l’ancienne salle de réception du château où étaient alignés les gamelles et une vingtaine de jeunes reptiles qui levaient le museau et piaillaient de faim.

- Il y en aura pour tout le monde, les rassurait-elle.

- Ça vous rappelle des souvenirs ? s’amusa Orium.

- Pas tant que ça, avoua-t-elle. Déjà, il n’aimait pas les croquettes.

- Et il ne se jetait pas sur la nourriture ?

- Sur ce point-là, il leur ressemble bien, pouffa-t-elle.

Un des salamèches fit un pas en arrière, dévisageant avec appréhension l’inconnue. Il se méfiait d’elle, alors que son Salamèche lui avait accordé presque immédiatement sa confiance comme s’il l’avait toujours connue. A moins que ce ne soit parce qu’elle était la seule à qui il pouvait se raccrocher après avoir été séparé de sa famille.

- Au fait, au sujet de ce que vous m’aviez demandé, dit soudain Orium.

- Vous avez trouvé ? demanda-t-elle les yeux brillants.

- Eh bien… toussota-t-il. Il y a effectivement quelques éleveurs qui ont rapporté la disparition de leurs salamèches. Cependant, appuya-t-il avant que la jeune fille ait pu demander la moindre précision, cela ne veut pas forcément dire qu’il s’agit du votre.

- Mais s’il y a la moindre chance…

- Il y aura plus d’une chance, et c’est bien le problème, soupira Orium. Certains éleveurs ne sont pas très… professionnels dirons-nous. Voilà pourquoi je préfèrerais vérifier ces fameuses « disparitions » avant de vous envoyer sur une quelconque piste.

Serena hocha timidement la tête sans pour autant réussir à cacher son impatience.

- Ça vous convient vraiment ? demanda Orium. Je veux dire : du peu que j’en ai vu, je vous vois mal vous séparer de lui.

Serena grimaça. La dragonne s’approchant de son pokémon lui revenait trop vite en mémoire à son goût.

- Je veux lui laisser le choix, expliqua-t-elle. Même si dans le fond j’espère qu’il restera avec moi, c’est quelque chose qu’il doit décider par lui-même.

Le comte gratta ses mèches grisonnantes avant de jeter un coup d’œil en direction de la cuisine.

- Etrangement, j’ai déjà une assez bonne idée de ce qu’il décidera. Après tout, quelque part, sa famille c’est…

- Non.

Orium haussa un sourcil face à la réponse froide de la jeune fille. Celle-ci le remarquant s’empressa d’ajouter :

- Je tiens beaucoup à lui, énormément même, agita-t-elle les mains devant elle. Sauf que je sais aussi qu’il aurait dû passer plus de temps avec les siens, apprendre d’eux, et ensuite peut-être qu’on se serait rencontré et qu’il aurait décidé de me suivre. Je suis humaine Mr Orium, je l’ai élevée en tant qu’humaine et c’est peut-être à cause de ça qu’il est si différent des autres, qu’il a autant de mal quand il se retrouve face à eux. Je ne peux pas être sa famille. Je ne peux pas l’être sans risquer de l’éloigner de ce qu’il est vraiment ! Et je sais bien qu’un jour, il se rendra compte de ce qu’il a perdu, le regrettera et… Qu’est-ce que je lui dirais à ce moment ? Que ce n’est pas grave s’il n’a plus sa place parmi les siens parce que c’est moi sa famille, sa seule et vraie famille ? Je ne peux pas lui faire ça, je ne veux pas lui faire ça.

Le comte avait placé une main sur l’épaule de la jeune fille, ses manières guindées soudain plus souples.

- Je vous contacterai dès que j’aurais plus d’informations, je vous le promets. Alors, en attendant, profitez de votre temps avec lui. Les choses viendront quand elles viendront même si…

Il s’écarta de la jeune fille et croisa ses bras derrière son dos, semblant avoir soudain rajeuni de plusieurs années.

- Avez-vous remarqué ce qu’il y a dans son regard ?

Serena ne comprenait pas vraiment la question. Dracaufeu avait le regard de Dracaufeu… du moins quand elle ne pensait pas à un certain dresseur.

- C’est de la douceur, mademoiselle, l’éclaira-t-il d’un petit sourire.

La jeune fille déglutit avant de balbutier :

- Je ne suis pas la seule… Vos dracaufeus aussi sont…

- Ils me respectent et m’apprécient, certains me sont même reconnaissants. Mais vous c’est différent … Et je pense que vous devriez le conserver précieusement.

- Ce n’est pas à moi…

- Je me demande ce qu’il vous a fait pour que vous teniez tant à vous séparer de lui, plaisanta-t-il d’une voix faussement désolée.

Justement, le reptile arrivait tout fier avec la cocotte encore brûlant dans les mains, ayant hâte que la jeune fille goûte à sa dernière création.

- Dra-Dra ! s’exclama-t-il en arrivant face à la jeune fille.

Il souleva le couvercle, sûr de lui avant de remarquer la mine apeurée d’Orium et celle résignée de Serena.

- Dracau ?

- Je comprends mieux, s’horrifia le comte.

Et il fallut un long moment à Serena pour expliquer que non, son pokémon n’avait pas des projets de meurtre à son encontre.

Pauvre Sacha à côté, il avait encore échoué à cuisiner quelque chose de décent. Tout comme il était toujours incapable de coudre, de faire le ménage sans renverser une table, ou de danser sans trébucher tous les deux temps. En fait, à chaque fois qu’il essayait de faire quelque chose pour aider Serena c’était comme si… Il se tourna vers la jeune fille en train de gratter les fonds de plat carbonisés. La pokéball Sacha. Et si c’était vraiment le cas, si cet objet l’avait vraiment influencé alors qu’au fond il restait toujours lui.

- Je pense qu’on va attendre demain pour réessayer, soupira-t-elle.

Serait-il meilleur à ce moment-là ? Sans doute pas, et peut-être devrait-il arrêter de s’entêter à faire quelque chose qui ne donnait rien malgré tous ses efforts. En fait, cherchait-il seulement à ce que ses efforts payent ? Est-ce que c’était vraiment ce qu’il voulait ? Du vrai, de la part d’un faux-pokémon, d’un faux-lui, c’était bien tout le problème.

"Toujours pas décidé à lui dire qui tu voudrais vraiment comme partenaire ?" le nargua Négapi alors qu’il sortait de la cuisine.

Sacha rougit puis vérifia que sa dresseuse n’avait rien entendu, ou plutôt compris - entendre ne posait pas tant de problème que ça.

"On n’est même pas sûr que ce soit vraiment le cas," gronda-t-il tout bas.

"Donc… Ce n’est pas un rejet pur et dur ?" pouffa Négapi.

Je l’aime trop pour ça ! s’entendit-il crier malgré les deux pattes qu’il venait de mettre devant son museau pour l’étouffer, et il n’y avait pas que sa voix qu’il voudrait étouffer en ce moment.

"Je suis fatigué," soupira-t-il.


***


Les vagues avançaient et reculaient, suivaient la respiration de la mer, dessinaient des crêtes et des creux qui avec la descente du soleil, rappelaient au métamorphosé les dunes ensablées. L’immense désert où il avait cru que plus jamais elle ne l’entendrait, que plus jamais… Elle ? Une vague s’écrasa contre la falaise, incapable de traverser la roche, obligée de battre en retraite.

Ce n’était pas Flora. J’ai voyagé avec Flora, j’ai traversé le désert avec Flora, mais ce n’était pas elle, ce n’était pas elle cette fois… Cette fois ? Comment ça « cette fois » ? Lui qui n’avait réalisé qu’une seule et unique traversée des étendues de sable d’Hoenn.

La falaise trembla, son visage brûla, et Sacha eut l’effrayante sensation d’être attiré par le vide, comme si les vagues l’avaient finalement atteint (Viens, viens, viens !).

- Je n’ai pas l’habitude de te voir plongé dans tes pensées.

C’était le ton doux et amusé d’un ami proche, ce qu’Edivo était devenu après toutes ces recherches pour retrouver son corps, sans oublier l’aide précieuse qu’il avait apporté pour repousser le Trio Rocket. Oui, Sacha avait été bien occupé, beaucoup trop pour… Serena ?

Son œil fut à nouveau attiré par les vagues et l’écume rageuse qu’elles crachaient. Ils étaient dans la même région, et pourtant Sacha n’avait aucune idée de ce qu’elle devenait, il n’avait même pas regardé un seul de ses concours à la TV… Le faux-pokémon secoua la tête, il n’avait pas besoin de la voir pour savoir que tout allait bien, il lui faisait confiance pour ça.

Les écailles sur sa joue s’embrasèrent comme une gifle bouillante. Abasourdi, incapable de comprendre pourquoi il repensait à elle maintenant, si longtemps après qu’il ait choisi de rejoindre Rosyère, de poursuivre sa véritable forme.

- Sala ? murmura-t-il.

Edivo s’accroupit, posant une main réconfortante sur la tête du monstre.

- Je sais que c’est long, mais tu ne dois pas perdre espoir. Surtout pas quand j’ai peut-être enfin la solution.

Les lèvres poussiéreuses de l’archéologue formaient un sourire fatigué mais bien réel.

- Sa…

- Oui.

Le satin dormait au creux de sa main, sa jolie couleur dorée bercée par les lueurs mourantes d’une fin de journée. Avec précaution, Edivo en déplia les rebords, révélant la minuscule pierre grisâtre qu’il contenait.

- Je suis désolé pour tous les problèmes que je t’ai causés… Mais c’est bientôt fini, avec ça, bientôt, enfin…

Les rayons solaires irisèrent la surface, s’y reflétèrent avant d’embrasser le faux-pokémon. Sacha ne bougea pas, les vagues continuaient de gronder, mais lui ne percevait plus que les craquements de sa propre ouïe tandis que les écailles dégringolaient le long de son visage. Il redevenait humain, il redevenait Sacha et à l’horizon Pikachu l’attendait, lui faisait signe de le rejoindre, de courir vers son rêve. Il n’entendait plus les vagues. Le dresseur pleura, des larmes de joies, des larmes…

Des larmes. La nausée le chahutait, une partie liée au bateau et l’autre… Serena dormait contre son épaule, ayant abandonné depuis longtemps l’idée de l’amener jusqu’aux cabines. Sacha agrippa la main de la jeune fille comme si elle était une ancre, quelque chose qu’il le retiendrait alors qu’à travers le hublot, dans les limbes de la nuit, il discernerait les falaises. Le masque brisé, redevenu lui-même, de la joie, il avait ressenti tant de joie… Et c’était là que le rêve s’arrêtait.


***


Parmi les lieux réputés d’Hoenn, on pouvait compter le site Météore avec ses cratères d’une blancheur d’ossement et les râles d’agonies de ses cascades. Sans aller jusqu’à parler de destination touristique, il restait un Top 10 des lieux à visiter quand on était dresseur, d’autant plus que l’endroit recelait quelques raretés en matière de pokémon.

Comprenez-vous maintenant pourquoi si peu de personnes longeaient les côtes par ici, et pourquoi les ruines d’Atellanes ne recevaient presque aucune visite des non-initiés, au point que la seule protection dont elles bénéficiaient se résumait à un long ruban bariolé.

"On dirait que ce n’est pas le bon jour pour les visites," remarqua Sacha.

Serena avait attendu le trajet du retour, une fois son mal des transports bien installé, pour lui apprendre qu’ils se dirigeaient vers la cité antique. Un mauvais coup que le métamorphosé avait très peu apprécié, surtout qu'il avait découvert en arrivant que Brice aussi était de la partie.

- Tu comptes bouder encore longtemps ? se désespéra la jeune fille.

- Dra !

- Je sais, je sais, mais si je t’avais dit qu’on allait le revoir, on n’aurait jamais quitté Elsevier.

- Dra-CAU !

- Tu vois, soupira Serena. Je sais que vous avez eu vos différends et je veillerai à ce qu’il ne t’embête pas. Tu sais quoi, tu ne seras même pas obligé de nous suivre, il doit bien y avoir une cafétaria ou quelque chose du genre où tu pourras nous attendre pendant qu’on regardera l’exposition.

- Feu, s’étouffa le reptile.

- Hum ?

- Caudradra, caufeu.

- J’ai un peu de mal à te suivre…

C’était très simple : revoir Brice était suffisamment horrible sans qu’en plus il doive laisser Serena seule avec lui.

"Ça jamais," gronda-t-il.

- Eh ben, j’espère qu’il était plus calme avec ton ami qu’avec moi, nargua Brice.

La jeune fille grimaça. Pour le savoir encore faudrait-il qu’ils se rencontrent, et son petit doigt lui disait qu’elle devrait encore patienter un long moment avant de le savoir.

- Il était intenable ? devina le garçon.

- Un peu au début, avoua-t-elle en se souvenant tout le mal qu’elle avait eu à discuter avec Délia.

- Seulement au début ? s’exclama Brice faussement épaté. Tu veux dire qu’il s’est retenu de brûler le visiophone ?

- Pourquoi il…

Les joues de Serena explosèrent de rouge. Déjà que c’était compliqué avec Brice alors que voilà, c’était Brice, mais comment réagirait Dracaufeu et sa jalousie dévorante quand on parlait de sa mère adoptive face au garçon qu’elle…

- Je n’ai pas pu le contacter directement, rectifia-t-elle. Et je crois que de toute façon il va rester injoignable un bon moment.

- Oh… Rien de grave j’espère.

Serena agita vivement les mains pour le rassurer et lui expliqua :

- Il est en vacances, c’est tout.

- Il pourrait quand même te donner des nouvelles.

- Je pense qu’il est trop occupé à capturer de nouveaux pokémons. Et, pour l’instant, c’est toujours eux qui gagnent quand il s’agit d’occuper ses pensées.

- Partie remise pour le baptême du feu alors, dit Brice d’un sourire désolé.

Serena jeta un coup d’œil à son dragon avant de secouer la tête. Sacha savait toujours s’attirer la sympathie des pokémons, donc elle espérait que ce serait la même chose pour le reptile ailé.

- Au moins je peux me dire qu’il va bien.

- Mais tu aurais voulu lui parler directement.

La jeune fille frotta son bras, c’était si visible que ça ?

- Sa mère a dit qu’il allait bien et je lui fais confiance mais… Je voudrais l’entendre de sa part.

Sacha déglutit. Il savait bien qu’elle s’inquiétait pour lui, surtout après avoir vu tous les efforts qu’elle avait faits pour le contacter et qui s’étaient soldés par un échec, le faisant se sentir encore plus mal. Le problème, c’est que si les mots de sa mère ne suffisaient pas à la rassurer, il ne voyait pas quoi faire d’autre. Rah ! Il était le mieux placé pour savoir que tout allait bien – aussi bien qu’on pouvait l’être lorsqu’on était un humain transformé en gros lézard de feu – et il ne pouvait même pas le lui dire !

- Et c’est reparti, soupira Serena en voyant son dragon trépigner sans raison. Des fois j’aimerais bien pouvoir lire dans ses pensées.

- Histoire de savoir ce qu’il lui a pris au dernier concours ? taquina Brice.

Sacha fusilla du regard le dresseur qui enjambait la rubalise.

- Tu m’avais promis d’éviter ce genre de remarque, lui rappela la coordinatrice.

- Je disais juste que c’était impossible qu’il ne l’ait pas fait exprès, s’esclaffa le garçon.

De la fumée lui sortit des naseaux. Comment Brice pouvait croire qu’il avait sciemment saboté la performance ? C’était juste qu’il n’était pas doué en danse… Enfin, c’est vrai qu’il ne se montrait jamais très brillant quand il s’agissait de faire quelque chose pour Serena, mais au moins, contrairement à Brice, il évitait de lui attirer des problèmes. Si, si, Serena pouvait bien froncer les sourcils comme si c’était la plus grosse bêtise qu’elle n’ait jamais deviné dans la tête de son dragon, ce n'était pas lui qui venait d’attirer ces deux bonhommes au teint bronzé.

- On est venu voir l’exposition, s’exclama le garçon tout confiant.

- C’est dans une semaine que ça ouvre, rétorqua l’un des gardes les bras croisés.

- Oh… P’tite visite en prime time alors ?

Serena se frotta les yeux d’épuisement tandis que le reptile de feu ricanait à côté d’elle, il n’y en avait pas un pour rattraper l’autre.

- C’est un lieu de recherche ici. Le tourisme ce sera la semaine prochaine, reprit le deuxième homme.

- Mais mon amie a son concours dans pas longtemps, plaida-t-il. Et elle est déjà tellement en retard que…

- Merci de me le rappeler Brice, grimaça la coordinatrice.

- Ne casse pas mon effet, chuchota-t-il.

- Quel effet ?

- Dra caudra ? reprit en cœur le faux-pokémon.

- Pas la peine d’en rajouter, le gronda sa dresseuse.

- Drrrraaa, accusa-t-il le garçon.

Les surveillants s’échangeaient de brefs regards, pas seulement à cause de la dispute qui se déroulait sous leurs yeux, mais aussi et surtout à cause de la dresseuse au dracaufeu.

- C’est elle, non ? glissa l’un des hommes à son comparse.

- La coordinatrice dont Edivo regarde tous les concours… Ouaip, pas de doute.

Leur patron était sans aucun doute un fan incontesté de la jeune dresseuse, il suffisait de voir comment il conjecturait à quel concours elle avait le plus de chance d’apparaitre et comment il abandonnait les fouilles quand le Pikachu qu’il avait ramené de Kanto l’appelait parce que la compétition débutait.

- Excusez-moi, reprit l’homme d’un ton doucereux. Est-ce que vous pourriez attendre un peu, on va voir avec le chef des fouilles si vous pouvez avoir une dérogation.

- Ah ! Je savais que vous comprendriez les gars.

Serena n’était pas tout à fait aussi enjouée que son camarade. Elle voulait bien que Brice puisse se montrer persuasif, voir agaçant, mais les gardiens avaient cédé beaucoup trop vites. Et c’était d’autant plus suspect quand le professeur, la personne la plus importante de ce site de fouille et dont la dernière préoccupation devait être les touristes, venait pour les accueillir, et avec le sourire en prime.

- Serena, Serena, Serena ! s’exclama Edivo. Je suis ravi d’enfin pouvoir vous rencontrer.

- Oh, euh… Merci, déglutit-elle mal à l’aise de l’attention qu’on lui portait. Mais vous êtes sûr que c’est moi que vous vouliez voir ?

- Il va falloir t’y faire, pouffa le dresseur, tu es une vraie star des concours maintenant.

Une star des concours avec seulement deux rubans et qui était loin d’arriver à la cheville d’Atalante ou Flora. A moins que ce soit le sketch de sa dernière performance qui ait fait monter en flèche sa popularité. Enfin, au moins avec ça ils allaient pouvoir visiter la fameuse cité avec Edivo lui-même en tant que guide.

- Et à votre droite vous pouvez admirer… A gauche ! empoigna-t-il les dresseurs par les épaules. Regardez plutôt à gauche ce superbe… Passage clouté !

- Ah oui, très beau passage clouté, confirma Brice. Et les masques ?

- Et Dracaufeu ? s’inquiéta Serena.

Le métamorphosé avait subitement disparu, bien qu’en vérité il ne soit pas parti bien loin. Serena avait juste à se retourner pour le voir, chose plus difficile que prévu quand Edivo la poussait vers l’avant pour qu’elle puisse mieux détailler l’alignement de quatre cailloux et surtout pas le faux-pokémon qui cherchait une cachette avec son Pikachu dans les bras.

- Le génie de cette construction se révèle par temps de pluie, ça devient un excellent passage à gué.

- Oui, mais Dracaufeu…

- Dracau ! s’époumona le reptile.

Serena fut rassurée une demi-seconde, juste le temps de voir son dragon se prendre les pieds dans le premier interstice du passage piéton et de se fracasser la tête contre la troisième bande en pierre.

- Construction géniale, je l’avais dit, se réjouit entre ses dents Edivo.

Il s’accroupit à côté du pokémon et lui ouvrit les yeux pour examiner ses pupilles avant de placer sa main contre les naseaux tout en vérifiant sa montre.

- Plus de peur que de mal, constata le professeur.

- D-Dra ? s’étonna le reptile dont le crâne bourdonnait affreusement.

- Mais il vaudrait mieux le garder en observation quelques heures, histoire que ses pupilles se remettent bien symétriques.

- Quoi ? s’étrangla la jeune fille.

- Allez Serena, les asymétries pupillaires ça passe tout seul, faut juste attendre un peu.

Attendez, ce n’était pas censé être super grave ? Les gens ou pokémons ne faisaient pas : tiens et si je contractais plus ma pupille droite que la gauche aujourd’hui, trop tendance !

- Mais… mais… Vous vous y connaissez en pokémon au moins ? se tourna-t-elle vers l’archéologue.

- J’ai fait ma formation de premier secours, répondit-il d’un air outré.

- En quelle année ?

- Oh, vous savez, ce genre de chose n’évolue pas en trente ans… à moins que ce soit quarante ? Enfin peu importe, je m’occupe de lui. Vous, profitez de la visite.

- Yes sir ! acquiesça Brice. Et pour les masques ?

- A droite à la troisième intersection. Vous tournez à gauche lorsque vous passez devant la maison des pots et vous y êtes.

- J’espère qu’on aura du p-

- Non, Brice.

Le garçon eut un léger sourire avant d’attraper la jeune fille par le bras et de la forcer à le suivre.

- Mais, Dracaufeu…

- Est un grand garçon. Il peut se rendre à l’infirmerie sans sa maman.

Serena bougonna mais accepta finalement de le suivre, se méfiant des autres remarques que Brice pourrait faire et qui la mettraient bien plus dans l’embarras que les répliques d’échauffement.

- Pi ? sortit le pokémon de sa cachette une fois certain que son amie de Kalos était bien partie. Pikapi, pikachu ?

- Mais oui qu’il va bien, il est juste inconsc- Euh… Sacha ? Sacha, ouvre les yeux ! Me dis pas que c’était un intervalle libre, surtout pas un intervalle libre !

Libre. Passage. Ouvrir les yeux.

La ruine avait retrouvé sa forme d’antan, la belle Atellanes flambante de vie, le bruissement des conversations glissait hors des foyers et venait se noyer dans les ruelles. Sacha releva la tête, une fine barrière rose le protégeait de l’averse, les gouttes de pluies s’y amoncelaient, se réunissaient avant de serpenter vers la route devenue torrent.

"Tu entends ?"

Il ressemblait à un mirage assis sur les hautes pierres du passage, son pelage délicat trémulant à chaque vibration du voile qui les entourait, les vaguelettes frémissant à ses pieds.

"Entendre quoi ?" murmura Sacha.

Le pokémon pressa ses pattes contre ses oreilles, expirant avec lenteur tandis qu’il continuait de fixer le courant. Le métamorphosé l’imita, brimant le grondement des vagues jusqu’à ce qu’il n’entende plus que le battement de ses tympans.

Tchac, tchac, tchac.

Sacha tressauta, vérifia à droite et à gauche que rien ne venait de derrière le déluge : une ombre, un œil doré, un sifflement, quoique ce soit qui lui hurlerait de se jeter hors du passage. Il attendit plusieurs minutes, la gorge sèche et le cœur battant à tout rompre, sachant pertinemment à quel point sa peur était infondée.

Ça, ce n’était pas le vent dans les arbres, ni l’éclatement des gouttes de pluie, ou encore les grattements de la roche se fissurant. C’était un son fabriqué, un bruit auquel Sacha était familier mais qui ne pouvait être ici, pas quand les bougies projetaient les ombres des habitants d’Atellanes, des habitants bien vivants d’Atellanes. Sacha remit ses mains contre ses ouïes et à nouveau il les entendit :

Tchactchactchac.

Les roues d’une locomotive. Elles martelaient les rails, menaçaient de déchiqueter tout ce qui dépasserait.

"Elle approche. Chaque jour, de plus en plus fort, elle approche," murmura le pokémon à ses côtés.

Les épaules de la créature rose tremblaient. Terrifié, il était terrifié et pourtant il s’interdisait de bouger, coincé sur les barres de pierre jusqu’au moment où la machine le faucherait.

Terminus. Tout le monde descend.

"Tu le diras, pas vrai," marmonna le pokémon. "Tu le diras que tu regrettes, que je n’aurais jamais dû faire ça, qu’il vaut mieux que tout redevienne comme avant et qu’on oublie, qu’on excise, que ça disparaisse. Parce que c’est ce que doivent faire les erreurs : disparaître."

Le pokémon lévitait désormais devant lui, son visage tout près du sien, ses grands yeux enfantins troublés par les larmes.

"Tu le diras Anastis, hein que tu le diras ?"

Réveille-toi.

Sa main dérapa sur la roche détrempée et Sacha tomba vers l’arrière, voyant les limites de la barrière rosée qui reculaient, encore, elles reculaient, encore, les maisons, encore, les gens, encore, les cris, encore, la ruine. Il boucha ses oreilles.

Tchac, tchac, tchac…

C’était passé. La locomotive était passée, elle était passée parce que… Les trois minuscules doigts de cette main embryonnaire effleurèrent son visage, en attrapèrent le rebord, lui provoquant une horrible décharge de douleur.

Réveille-toi !

Et il le regardait, et il lui disait qu’ils étaient les rails, qu’ils étaient devenus les rails, voilà pourquoi elles ne pouvaient plus les atteindre, voilà pourquoi…

"Jamais plus elles ne le pourront."

- Sacha !

Le métamorphosé ouvrit un œil groggy sur le ciel bleu et les façades écorchées. Edivo et Pikachu accroupis à côté soufflèrent de soulagement en le voyant reprendre ses esprits.

"Toujours besoin d’un Tonnerre pour te réveiller, toi," soupira la souris.

Sacha se rassit avec lenteur, une main sur la tempe, les couleurs de son rêve déjà délavées sans qu’il puisse le sauver.

"Serena ?" demanda-t-il la bouche pâteuse.

Edivo se tourna vers le pokémon électrique qui mima sans grande difficulté la jeune fille. On appréciait l’effort sur les oreilles pour imiter le chapeau.

- Ah, oui, Serena. Ne t’inquiète pas, ton ami fait diversion.

Son ami ? Quel ami ? Il n’y avait que Brice et… Oh, non, non, non ! Ne lui dites pas que Brice était parti avec Serena. Qu’il était seul avec Serena !

- Draaaaaa ! hurla-t-il.

Edivo saisit la queue du reptile pour l’arrêter avant qu’il parte en courant à la poursuite des dresseurs.

- Qu’est-ce que tu me fais là ? On a enfin l’occasion de discuter et toi…

- Caudra ! Dracaudra, caudra feu !

- Ne me dis pas…

Le pokémon jaune agita les oreilles, lui ne comprenait absolument rien à l’agitation de son dresseur.

- Tu es jaloux ? s’étonna le chercheur.

La mâchoire du faux pokémon lui tomba. Il bafouilla quelques excuses incompréhensibles qui rendirent le pokémon jaune encore plus confus tandis qu’Edivo se retenait de pouffer.

- Viens, on sera mieux dans ma tente pour discuter.

- Dra ?

- De ta transformation… Et plus si affinité, ajouta-t-il d’un clin d’œil.

Le sang de Sacha ne fit qu’un tour, gonflant de sang les écailles en une fraction de seconde, le surplus de chaleur s’échappant sous forme de vapeur.

- Pi…couina la souris.

Les oreilles de Pikachu s’étaient dressées et emmêlées au-dessus de la tête, les pattes posées sur ses bajoues rouges pendant qu’une ligne rosée lui bariolait le museau.

"Ce n’est pas…" crachota Sacha.

- Piiii KA ?

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