Derkomai's Mask
Chapitre 40 : Pied de nez et Delphinium
6368 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 29/09/2024 12:47
DRIIiii ! DRIIiii !
L’alarme braillait dans tout le bâtiment au grand damne de ses occupants. Cinq fois, cinq fois en même pas deux heures, même la gardienne commençait à s’en lasser alors qu’elle trottinait dans les couloirs. Elle avait déjà suffisamment de travail comme ça sans qu’on vienne en rajouter, et sincèrement elle était à deux doigts d’abandonner et de laisser la main à l’agent Jenny même si cela signifiait pour sa chef – et heureusement ce ne serait pas à elle de s’y coller - appel téléphonique à la hiérarchie puis à la police, ensuite paperasse, paperasse, paperasse et enfin paperasse.
Leuphorie, fraichement nommée maton, secoua ses cheveux bouclés à la recherche du moindre indice qui l’aiderait dans sa quête. Mais rien, pas la moindre petite trace de tristesse, de désespoir, ou de peur. Elle continua de fouiller, plus par acquis de conscience que par réel espoir de trouver quelque chose avant de finalement se résoudre à revenir auprès de sa supérieure. Ce serait aux autorités compétentes de se débrouiller à présent, en espérant qu’ils soient plus efficaces que pour cette affaire de disparition en forêt (en même temps, comment comptaient-ils retrouver ce pauvre gars en restant à la lisière du bois !), parce que sinon les deux fugitifs risquaient de rester dans la nature un bon moment.
Il ne restait plus qu’une porte à franchir pour retourner dans son service et avouer son échec, une porte où on avait veillé à inscrire au feutre noir « Pa Pôbel » pour la distinguer de son homologue « Pôbel » placée juste à côté et qui avait déjà fait nombres de victimes, et qui devait encore en faire une de plus aujourd’hui.
Ou plutôt deux de plus alors qu’un étrange silence se mariait avec le crissement de la porte. Leuphorie cligna des yeux une fois, deux fois puis une troisième face aux deux demi-têtes qui dépassaient du rebord des « Pôbel ». Le dégoût, comprit-elle au moment où elle jetait son corps rondouillard dans les détritus et plaquaient ses mains sur la nuque des deux malheureux, ses froufrous soulevés par leur terreur.
"Les malades restent au lit," déclara-t-elle la sentence.
"Alors qu’est-ce que tu fais debout ?!" hurla le lapin bleu.
Elle se retint juste à temps de lui enfoncer le museau dans les sacs plastiques.
"Leuphie," supplia le rouge au bord des larmes, "je t’assure qu’on se sent mieux et qu’on fera attention à ne pas trop pousser, mais laisse nous y aller, laisse nous être présents."
"C’est pour votre bien," soupira-t-elle en sortant son œuf de sa poche ventrale.
"Je… je sais," renifla Posipi. "Mais, c’est vraiment impossible qu’on y aille ? Impossible qu’on soit… Présents, juste présents pour eux ?"
La lèvre du pokémon infirmier trembla un bref instant quand elle brisa la coquille, prête à administrer le calmant qu’elle contenait, peu importe le dépit ou la souffrance de la boule de poil. Depuis quand était-elle devenue un tel monstre ? Une créature insensible à la volonté de ceux qu’elle soignait, ceux dont elle voulait le bonheur ! Elle était une honte, une honte pour tous les…
"Tu ne comprends pas bon sang !" se débattit Négapi. "Sacha va danser. DANSER ! Danser AVEC Serena ! Tu te rends compte de ce que ça veut dire !?"
Elle eut un petit mouvement de recul. Jamais elle n’avait vu une équipe si soudée, si désireuse d’hurler leurs encouragements et elle… elle…
"Dix baies Orans si Sacha chute au bout de cinq secondes, vingt s’il écrase Serena, trente s’il brûle sa robe, et Roussil qui se prosterne s’ils s’embrassent par accident. Je veux voir ma victoire, je veux la voir de mes yeux !"
Et c’est un coup critique, commenta Posipi dans sa tête, un très beau coup critique à la sanité du pokémon œuf alors que j’étais à ça de l’avoir et… Plaquage ! Plaquage de Leuphorie !!!
Le pokémon œuf écrabouillait le lapin, le noyait dans les ordures tout en ballotant le rouge dans les airs tel un fanion. Les aventures de Négapi auraient pu s’arrêter ici si Nymphali ne s’était pas précipitée pour le… Bon, peut-être pas pour le sauver, mais le boucan qu’elle fit força Leuphorie à sortir de la pièce, découvrant Joëlle le ventre au sol tel un Quatermac ayant raté son plaquage. L’infirmière releva la tête, une expression presque aussi démente et résignée que celle de son pokémon alors qu’elle énonçait :
- Elle s’est jetée dans les escaliers.
Les marches, les pokémons électriques dans ses mains, les marches, l’infirmière Joëlle, les marches, le pokémon au ruban qui se relevait péniblement. La journée promettait d’être longue, très longue et ce ne serait pas Serena qui dirait le contraire.
En effet, cette dernière agrippait nerveusement sa robe, attendant dans les coulisses que Viviane lui fasse signe d’entrer sur scène. Et Dracaufeu n’avait pas l’air beaucoup plus assuré vu sa queue qui battait le carrelage et ses bras croisés qui ne suffisaient pourtant pas à dissimuler ses tremblements, rien d’étonnant quand on savait la catastrophe qu’avait été leur entrainement.
Serena grimaça, elle ne s’attendait pas à ce qu’il devienne soudainement un virtuose de la danse, mais après toutes les performances auquel il avait assisté, il y aurait quand même pu y avoir quelques progrès, non ?
La coordinatrice entendit son partenaire déglutir et elle se demandait s’il n’allait pas lui demander ici et maintenant de laisser tomber. Chose qu’elle préfèrerait en réalité… Mais n’allez pas croire qu’elle n’avait pas confiance en lui ou qu’elle considérait qu’il ferait mieux d’abandonner et de ne plus jamais s’y essayer ! Non, bien sûr que non, et Serena dans d’autres circonstances aurait été très heureuse que son reptile accepte enfin de s’essayer à cette partie du concours. Sauf que les faits actuels se résumaient à ceci : ils n’avaient eu en tout et pour tout que trois heures pour inventer une danse, l’apprendre, l’exercer et se rendre compte que c’était juste impossible.
- Dra ? bafouilla le dragon en sentant l’attention qui pesait sur lui.
- Ce n’est pas une bonne idée, murmura-t-elle.
Le type feu se recroquevilla sur lui-même. Elle savait qu’il attendait un petit mot d’encouragement, chose qu’elle ne pouvait lui apporter sans passer pour une hypocrite.
- Tu sais aussi bien que moi qu’on ne s’y est jamais entrainé depuis ton premier essai et… Ce n’est pas un reproche !
La coordinatrice se mordit la lèvre, sentant bien qu’elle l’avait blessé (et que Méridian risquait de lui jeter son micro à la figure si elle se remettait à crier). Dire qu’il y a peu, lorsqu’il était encore un salamèche, il avait presque sauté de joie en entendant qu’il n’aurait pas à participer à la partie chorégraphie de la compétition. Mais à présent, cela ne semblait plus le réjouir, bien au contraire.
- Aaah, soupira la jeune fille. Ecoute, je suis prête à t’aider pour apprendre à danser, on prendra même tout le temps qu’il faudra pour ça parce que c’est justement ce dont tu as besoin : du temps.
- Et moi de silence, rappela Viviane.
Serena préféra se reculer en voyant la tempe de la présentatrice pulser, peu désireuse d’être la cible du nouveau record de lancer de micro.
- Toujours pas décidé ? siffla la jeune fille entre ses dents.
- Cauuu, dracau, rouspéta le reptile.
Serena secoua la tête en signe d’abandon. Puisqu’il ne démordrait pas de son idée, autant lui rappeler les règles élémentaires de survie :
- Pas d’improvisation.
- Dra.
- Pas de flammes.
- Dracau, dracau.
- Et ce n’est pas grave si tu te trompes : concentre-toi juste sur tes mouvements sans t’occuper de moi, je me débrouillerai pour te rattraper.
Sacha gonfla les joues face à ce qui était l’antithèse même d’une performance ainsi que de la première partie d’un concours – ancienne ou nouvelle version. Et puis, ce n’était pas parce qu’il l’avait écrasée une ou deux fois au cours de l’entrainement qu’il…
- Cinquante-quatre, rappela-t-elle.
Le faux pokémon écarquilla les yeux et recompta rapidement sur ses griffes avant de réaliser que, déjà il n’en avait que six, et qu’ensuite même ses dix doigts n’auraient pas suffi.
- Draaaaa, se désespéra-t-il.
- Hum, hum, toussota Viviane. Si vous avez terminé votre dispute de couple, peut-être pourrions-nous continuer ce concours
- On ne se dispute pas !
La présentatrice eut un petit sourire en les voyant débouler sur scène, mais elle ne s’attendait pas à ce que la coordinatrice tire son pokémon par la main comme un enfant ou… La jeune fille lâcha précipitamment la patte de son pokémon, les joues rouges, agitant ces mains dont elle ne savait plus quoi faire.
- Et nous ne sommes pas un couple, pas-du-tout-du-tout ! finit-elle dans un rire nerveux.
- Très bien, alors accueillons notre couple de danseur qui n’en est pas vraiment un, ou plutôt pas-du-tout-du-tout-un.
Serena serra les dents et baissa la tête pour éviter qu’on ne remarque ses rougeurs. Viviane cherchait juste à galvaniser la salle, mais cela n’empêchait pas la jeune fille de se sentir mal à l’aise en entendant tous ces rires. Surtout que la machiavélique présentatrice n’était pas décidée à en rester là et se glissait près du dragon pour lui confier – bien que son micro ne quittât pas une seconde ses lèvres :
- Je sens bien que tu es déçu Dracaufeu.
- Que… s’étouffa Serena.
- Mais tu as encore une chance d’enflammer le cœur de ta dresseuse, reprit Viviane, et peut-être aussi celui du public.
Le faux-pokémon tressaillit, c’était comme si la présentatrice savait… Il n’était donc pas le premier pokémon à maîtriser Flamcoeur !
- Tu ne vas rien enflammer du tout parce que tu n’as pas le droit d’utiliser tes flammes, tu te souviens ? grinça Serena.
Elle fit un sourire poli à Viviane pour lui rappeler qu’elle n’était pas la seule coordinatrice à taquiner et que d’autres attendaient derrière.
- Il ne faut pas prendre trop au sérieux tout ce que je dis, bougonna Viviane bien qu’elle n’hésita pas à faire un petit signe d’excuse à la dresseuse. Ne te montre quand même pas trop froide avec lui par ma faute, pouffa-t-elle avant de rejoindre le banc des jurés.
Serena roula des yeux, elle avait déjà suffisamment à s’occuper sans que les jeux de mots de la présentatrice n’en rajoute une couche.
- D-Dra ? tenta le pokémon qui avait bien senti l’agacement de sa dresseuse.
Mais Serena s’inclinait déjà pour saluer le public et Sacha s’empressa de l’imiter tout en récitant dans sa tête les différents temps : d’abord s’envoler, puis une pirouette ensuite revenir vers Serena et… Et quoi déjà ? Oh non, il ne pouvait pas avoir déjà oublié ! Il couina un appel à l’aide, mais Serena se contenta de lui faire un signe de tête pour lui indiquer qu’il pouvait commencer. Sauf que non seulement il ne se souvenait pas de la suite, mais son cerveau devait s’être retourné sur son circuit de Papez pour que le début lui échappe si soudainement.
- Dracaufeu, murmura Serena comme si elle croyait que le dragon n’avait pas compris qu’il devait commencer.
Comme s’il pouvait ignorer la centaine de spectateurs qui le fixait et les murmures étonnés qui affluaient.
- Dracaufeu…
Il remarqua soudain la main que lui tendait la jeune fille, bien qu’il se demandât si elle n’allait pas la retirer dans la seconde qui suivait. Serena elle-même ne savait pas vraiment ce qu’il lui prenait, se répétant qu’une danse de salon avec un gros reptile de feu était bien la dernière chose à faire. De toute façon il ne la prendra jamais parce qu’un dracaufeu ne…
Elle frissonna en sentant les griffes contre son gant et le dragon qui semblait plus que ravi de l’échappatoire qu’elle lui offrait. Tu n’es pas censé accepter ! aurait-elle voulu hurler, mais à la place elle força le dragon à s’approcher un peu plus d’elle et à lui céder son autre main. Qu’est-ce que je fais, qu’est-ce que je fais, qu’est-ce que je fais !? Elle esquissa un mouvement, soufflant discrètement au dragon le rythme qu’il devait suivre.
- Un.
Elle était guérie, guérie ! Alors quel problème y avait-il à ce qu’elle danse avec lui, leurs mains liées, devant tout le monde ? Aucun, absolument aucun !
- Deux.
Mais c’est que l’air se réchauffait drôlement.
- TroOuaaaah !
Serena se retrouva à moitié sonnée sous le dragon, ne sachant plus où était le bas du haut, se disant que vu les grands éclats de rire qu’elle entendait mieux vaudrait rester par terre. Mais Dracaufeu n’était pas de cet avis, il se précipita pour relever la jeune fille et finalement s’emmêla à nouveau les pattes – ce n’était même pas danser, juste le geste le plus élémentaire qui consistait à se lever alors pourquoi ça devait tourner ainsi ?! Serena se sentit emporter, ayant juste le temps de se rendre compte du visage du dragon qui se rapprochait, et le truc des dracaufeus, c’est que la première chose de ce fameux visage qu’on rencontrait était…
Serena sentait encore son cœur battre la chamade allongée sur le torse du pokémon. Si le cou n’était pas parti vers l’arrière au dernier moment ils se seraient sans doute… Du moins, ils auraient évité que de l’autre côté de l’écran, un certain groupe de pokémon s’entredéchire sur le fait que c’était passé à ça mais que le à ça restait un hors-jeu pur et simple.
Bon, toujours est-il que si le public était plus que ravi de la performance comme le traduisait leurs grands éclats de rire, les jurés se montraient quelques peu sceptiques, pour ne pas dire affligés. Sacha se releva d’un bond, remettant sa dresseuse debout et cette fois prêt à repartir avec tout ce qu’il avait ! C’était toutefois sans compter sur Serena se jetant sur lui pour lui bloquer la gueule.
- On a dit pas de flammes ! hurla-t-elle.
- Rrrr, rrrrarrr.
- Pas. De. Flammes.
Et si Sacha aurait quand même pu se trouver un moment de bravoure pour la contredire, Viviane était revenue vers eux pour leur annoncer que leurs temps de passage était terminé et qu’il fallait laisser leur place au suivant.
Le faux pokémon suivait sa dresseuse les ailes basses et la queue trainante au sol, ses traits tirés en disait long sur ses remords alors qu’il repensait à son incapacité à faire le moindre pas en accord avec sa dresseuse. Comme si tout son corps, tout son être refusait d’aidait la jeune fille alors que… c’était ce qu’il voulait, pas vrai ?
- Ça ne te ressemble pas de bouder pour si peu, remarqua la jeune fille. Ah, au fait : cinquante-cinq, pouffa-t-elle avec un petit clin d’œil.
Elle savait qu’elle venait de signer son arrêt de mort : après avoir réchappé à l’empoisonnement et au bout pointu de l’aiguille, maintenant elle devrait aussi faire face au risque d’étouffement. Parce qu’elle savait que comme d’habitude, il lui demanderait des leçons supplémentaires et que cela risquait de devenir compliqué de caler tout cela sur leur emploi du temps mais… Dracaufeu resta silencieux. A vrai dire, il ne dit absolument rien sur le chemin du retour, sa queue trainant sur le sol. Et comme si Serena n’avait pas déjà suffisamment à s’inquiéter avec le début de déprime qu’il lui faisait, elle devait en plus découvrir Nymphali et Négapi couverts de bandages.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ? déglutit la jeune fille en se tournant vers l’infirmière.
- La fièvre a été mal tolérée, répondit-elle blasée.
- Et Négapi ?
- Il a été mal toléré.
***
Si Sacha n’était pas un grand fan des contes de fée, il pouvait à la rigueur - et il disait bien à la rigueur – accepter le jeu de la princesse, du prince charmant et du grand méchant dracaufeu. Le cadre s’y prêtait bien en tous cas, avec ce donjon dépouillé d’une bonne partie de ses pierres et dont on ne savait trop par quel miracle il tenait encore debout. Et si justement il ne tenait pas ? Et hop, cette simple pensée l’avait fait s’envoler au sommet de la tour (le deuxième étage de la tour, mais vous pouviez bien lui laisser imaginer un peu d’épic à toute cela), là où se trouvait la fameuse princesse qui ne savait décidément plus quoi faire de son pokémon.
- Je sais que c’est intimidant de te retrouver face à autant de dracaufeus, mais je ne peux pas venir avec toi.
Elle allait vraiment le laisser affronter seul le… non les grands méchants dracaufeus ? Princesse sans cœur capable de le sacrifier sans le moindre état d’âme !
- Au cas où ça t’aurait échappé, toi aussi tu es l’un d’eux.
Pourquoi devait-il y aller alors ?! Il n’était pas le prince donc il pouvait directement passer par la case : prendre Serena dans ses bras et s’envoler loin d’ici, chose qu’il était déjà prêt à faire si Posipi n’avait pas déchargé son Coup d’Jus au moment où il tendait les griffes.
- Dra ! se plaignit le métamorphosé.
- Pi… posi.
Serena leva les yeux au ciel, las du comportement de son pokémon alors qu’il pourrait enfin rencontrer d’autres membres de son espèce et apprendre à agir un peu plus comme eux.
- Neg, nega, ricana le lapin bleu.
Sans oublier trouver cette fameuse partenaire, chose qui semblait particulièrement tenir à cœur les deux frères, peut-être même plus que le principal concerné. Je ne le croyais pas si timide, se fit-elle la réflexion.
- Ecoute Dracaufeu essaye juste d’aller les voir et… Elles verront vite à quel point tu es génial.
- Gapi, pi, répéta le bleu en donnant un coup de coude moqueur au dragon. Néééégapi, Pi ?
Le reptile grata sa joue tout en jetant des coups d’œil discrets vers la dresseuse, espérant qu’elle ne le remarquerait pas.
- Caufeu, finit-il par céder.
Serena suivit sa descente vers la cour centrale du château, un grand carré de terre entouré de remparts, le lieu privilégié de rencontre de tous ces reptiles que le comte Orium avait accueilli et recueilli. Les lèvres de la jeune fille se tordirent légèrement alors qu’elle s’appuyait sur la balustrade. Aucun des reptiles ne se tournaient ou ne volaient les larmes aux yeux vers ce fils, ce frère disparu puisque, comme l’avait affirmé Orium, la réserve n’avait souffert d’aucune disparition, pas même de celle d’un quelconque nouveau-né malencontreusement caché sous le foin d’une des vieilles étables.
- Vous n’avez pas l’impression de vous impliquer un peu trop ? demanda Serena qui venait de remarquer les deux lapins en train de jouer les pom-pom pokémons.
- Pi ? Piiii, répondirent-ils en cœur.
Elle grimaça avant de reporter son attention vers son ami qui n’avait toujours pas initié le premier contact avec ses congénères.
- Allez Dracaufeu, pria-t-elle les mains jointes contre son cœur.
Sacha, de son côté, attendait juste que les fameux congénères le repoussent à grand renfort de Lance-Flammes et qu’il puisse dire à Serena cette fameuse phrase qu’il préparait dans sa tête depuis quelques minutes : ooooh, c’est tellement, tellement dommage… Bon, on y va maintenant ? D’ailleurs, voilà qu’un des pokémons feus s’approchait de lui, faisant bourdonner un grondement rauque depuis le fond de sa gorge. Quoi de plus normal quand un petit jeunot rentrait sur votre territoire en quête d’une partenaire avec qui avoir une douzaine d’œufs comme l’avait si bien expliqué Posipi.
Le métamorphosé voulait vite en finir, certes, mais il ne s’attendait à ce qu’on lui jette tout de suite les griffes au visage. Il ne devrait pas y avoir une partie rabrouement verbal, Lance-Flammes de sommation, croche patte pas sympa ? Toutes ces petites étapes avant d’en arriver au Fracass’Tête ou à… l’accolade amicale ?
"Tiens, tiens, un petit nouveau, quoique pas si petit que ça… C’est plutôt rare d’arriver ici après avoir atteint sa forme finale."
"Je suis juste de passage, c’est Serena qui voulait…"
"Serena ?" répéta le pokémon qui levait un museau circonspect vers la jeune fille.
"C’est ma dresseuse. Enfin une amie, une amie qui est aussi ma dresseuse en ce moment, quoique c’est plus aussi simple qu’amie ou pas amie, mais c’est…" s’embrouillait le métamorphosé.
"Serena."
"Oui, voilà, Serena," termina Sacha les bras croisés, ravi d’avoir été compris si vite.
Le dracaufeu que Sacha surnommait déjà Drac dans sa tête pencha la tête sur le côté, un sourire amusé au coin des babines.
"Et donc, que voulait cette amie-dresseuse-c’est-plus-compliqué-que-ça ?"
"Une partenaire."
Le sourire de Drac s’affaissa.
"Pour moi !" se rattrapa le faux-pokémon. "Une partenaire pour moi," grommela-t-il plus bas.
Pas sûr que cela rassurait son homologue de feu qui dévisageait de plus en plus la dresseuse au sommet de sa tour (deuxième étage).
"Non, non, non, elle ne m’oblige à rien, pas vraiment, en fait elle est pas au courant qu’elle m’oblige parce qu’elle croit que c’est ce que je veux donc voilà…"
"C’est compliqué."
"Exactement !"
Drac frotta ses cornes, bien content de ne pas avoir de dresseurs, parce qu’il était hors de question d’avoir ce genre de mal de tête tous les jours.
"Et donc, en définitive, ton idée c’était…"
"Venir, voir et être vaincu."
Le dracaufeu soupira longuement avant de demander :
"Et tu ne t’es pas dit que tu pourrais vraiment trouver une dracaufeu qui te plait ?"
Drac ne s’attendait pas à ce que le nouveau venu le regarde avec de grands yeux comme s’il venait d’énoncer l’idée la plus horrible du monde.
"Bon, en vrai tu ne devrais pas avoir trop de problèmes à te faire rejeter."
"Tu le penses vraiment ?"
"J’en suis sûr. Mais le truc c’est que tu veux faire croire à ta dresseuse que tu es quand même un minimum sérieux donc… Oui, tiens, commence par me dire c’est quoi ton type ?"
"Feu ?"
"… Je sens que ça va être long."
Drac attrapa les épaules du faux-pokémon et les malaxa avec force comme un coach préparant son jeune champion avant d’entrer sur le ring.
"Regarde bien et essaye de réfléchir," lui intima-t-il d’un mouvement du museau vers un des groupes de reptile. "La fermeté des écailles, la forme des ailes, la taille des cornes, la température, tu ne vas pas me dire que tu y es complètement indifférent."
Oh que si, mille fois si, mais Sacha avait besoin de l’aide de Drac et donc de jouer un minimum le jeu.
"Eh bien, déglutit Sacha, si je devais vraiment choisir je dirais…"
Qu’il avait déjà du mal quand on lui demandait ce qu’il pensait des filles – si tant est qu’on soit assez fou pour lui poser la question – sans qu’on vienne en plus l’interroger sur les canons de beauté d’une autre espèce. Donc sa réponse, aussi décevante soit-elle, serait bien évidemment :
"Des yeux bleus."
Le métamorphosé sentit son cœur se serrer, à la fois surpris et apaisé tandis que malgré lui il continuait de raconter :
"Oui, des yeux bleus et… un sourire. Je ne sais pas vraiment comment le décrire, mais ce genre de sourire qui vous recharge en énergie et où vous vous sentez capable de tout faire."
Un rire fila entre ses crocs.
"Il y a aussi ce moment quand elle se réveille, ce demi-réveil avec les yeux fermés et la trace d’oreiller sur sa joue, et elle s’étonne après que je n’arrive plus à m’arrêter de rire bêtement."
Il frotta son bras, sa langue le brûlait d’en dire plus, d’en raconter plus tandis que les mots coulaient de sa gueule.
"Le pire, c’est que je crois que ses cheveux sont encore plus en bataille que les miens le matin."
"Cheveux ?"
"Oui, confirma-t-il d’un grand sourire, et elle s’en plaint à chaque fois alors que moi j’aime bien les voir comme ça, surtout qu’avec l’aube ils prennent une jolie couleur miel."
Sacha s’arrêta net avant de se retourner vers Drac qui faisait les yeux ronds tandis que là-haut, les deux lapins se bidonnaient et qu’une Serena paniquée criait :
- Qu’est-ce qu’il a dit ? Dites-moi tout de suite ce qu’il a dit ?!
- Pi, pipipi, posiiiiii !
- Je ne comprends rien ! Evidemment que je ne comprends rien, se sermonna-t-elle de petits coups de poings contre le font.
Sacha en était plus que ravi et il espérait secrètement que Drac aussi n’ait pas saisi le sens de tout ce qu’il venait de dire. Sauf que, manque de pot, Drac le dracaufeu avait une maîtrise plus que bonne de ce qui était, n’ayons pas peur d’employer les termes, sa langue maternelle. C’était peut-être d’ailleurs pour cela qu’il s’était un peu écarté du nouveau venu et raclait sa gorge comme si cela pouvait éclaircir le timbre de sa voix naturellement rauque.
"Je ne doute pas que ta dresseuse est très gentille, et que, voilà, il est normal de ressentir, disons, une forme d’admiration pour elle."
"Oui… de l’admiration, c’est juste…"
"Il craque pour Serena ! Il craque complètement pour Serena !" explosa Négapi.
"Non !" hurla Sacha.
"Ah si, si," renchérit Posipi. "Je dirais même que plus que craquer, il fond complètement."
- Qu’est-ce que vous racontez encore vous deux, se désespéra la dresseuse.
Elle remarqua soudain tous les museaux qui s’étaient levés vers elle et se dépêcha de s’accroupir derrière la rambarde, embarquant les deux frères au passage.
- Il a déjà suffisamment de mal comme ça sans que vous en rajoutiez, les rabroua-t-elle.
D’ailleurs, même à distance, elle devinait le regard suspicieux que lui lançait le nouvel ami de Dracaufeu. Compréhensible vu ce que lui avait raconté Orium : une bonne partie avait été abandonné par leur dresseur alors qu’ils n’étaient que des salamèches. Rien de bien étonnant donc qu’à part pour leur sauveur, ils ne portent pas vraiment les humains dans leur cœur. Oh non, qu’est-ce que je vais lui dire s’il se fait rejeter par ma faute ? Et effectivement, en l’état actuel des choses, cela risquait bien d’arriver, mais pas pour les raisons qu’elle croyait.
Drac dévisagea Sacha, puis la dresseuse, retour sur Sacha, dernière petite vérification quand même sur la dresseuse puis profond soupir.
"Et si tu allais te présenter," proposa-t-il.
Le métamorphosé accepta non sans une grimace, semblant déjà épuisé avant même d’avoir commencé à parler à la moindre dragonne. Oh, bien sûr, Drac avait vu ce genre de comportement chez nombres de petits jeunes cramponnés aux ailes de leurs ainés – quoiqu’ici c’était plutôt à la robe de sa dresseuse – et il espérait donc que comme les fois précédentes, le nouveau venu changerait vite d’avis sur le sujet.
Ou pas.
La première dracaufeu qu’il croisa l’ignora avec une telle force que Drac sentit le vent soulever ses ailes. De quoi vous faire perdre toute confiance en vous jusqu’à la fin de vos jours… Ou faire onduler votre flamme de soulagement.
Mais qu’est-ce que c’est que ce dracaufeu ? se désespéra Drac à deux doigts de se frapper le museau pour vérifier qu’il ne rêvait pas.
Sacha, loin de se rendre compte des états d’âme de son nouvel ami, s’empressa de retourner auprès de sa dresseuse, ayant toutes les peines du monde à feindre la déception. Cependant, il devait être bien meilleur acteur que ce qu’il pensait vu la réaction de Serena :
- Ne te démoralise pas dès le premier échec, je sais que tu peux y arriver. Tiens, combien de dracaufeus peuvent se vanter de savoir cui…
Elle se mordit la langue juste à temps. Mieux valait ne pas s’avancer sur ce terrain au risque qu’il soit éliminé d’office pour empoisonnement.
- Tu as pleins de qualités, c’est le moment de leur montrer.
- Dracau… lui rappela-t-il avec amertume.
- C’est vrai que tout ne s’est pas passé au mieux au concours, mais ce n’est que partie remise. Je suis sûre que dans peu de temps tu seras un très bon danseur. Il te faut juste un peu plus d’entrainement, finit-elle avec un clin d’œil.
- Dracaudra.
- Ah, euh… oui, comme ta cuisine, se crispa-t-elle, mais garde leur cette surprise là pour plus tard.
- Caufeu ?
- La couture, c'est-à-dire que… disons que ce n’est pas encore parfait mais il y a certainement du progrès, un très net progrès même.
- Cau caudra ?
- Eh bien… Tu ne mets plus l’aiguille à l’envers.
- Draaaaaaa ! s’écroula-t-il.
Et les deux lapins à côté à deux doigts de rendre l’âme tant ils s’arrachaient les côtes.
- Vous me donnez mal à la tête, vraiment… Et je ne pense pas qu’être bon en cuisine ou en couture ou même en danse soit une chose importante pour les dracaufeus.
- Dra… dracaudra, bouda-t-il.
- Mais… Enfin Dracaufeu, je te signale que ce n’est pas moi que tu es censé séduire, hoqueta-t-elle.
- Po, posi, glissa narquoisement le lapin.
Vol vers d’autres cieux – Version Rouge.
- Retournes-y, intima-t-elle à son reptile lui faisant bien comprendre que refuser n’était pas une option.
Sacha écouta à contre-cœur, mais fit quand même un petit crochet auprès de Drac toujours à l’état statufié pour lui demander conseils.
"Je pense que tu peux toutes les voir sans trop de risque. Ah si, il y a quand même cette dracaufeu qui aime bien les pokémons qui se battent dans des arènes donc…"
"Je fais des concours. Serena est coordinatrice."
"Et j’ai été bête de m’inquiéter, désolé."
Sacha se tourna vers (Pourquoi pas Ondine ? Hum… non mauvaise idée, il voulait se faire jeter, pas frapper. Tiens, et pourquoi pas :) Dracéna. Bon, cette fois il fallait qu’il essaye de se montrer un peu plus convaincant et si cette dracaufeu aimait vraiment les matchs d’arènes, il devrait pouvoir donner le change au vu de son passif de dresseur.
"Bonjour ! Je suis Sacha…mèche. Un Sachamèche avec une tête de dracaufeu, Ah ah."
Déjà fichu ? Peut-être pas vu comment la dragonne s’approchait. Le faux-pokémon se crispa, pas vraiment habitué à ce qu’on lui tourne ainsi autour, ni à ce qu’on le renifle avec autant d’insistance. En fait, il n’avait pas l’habitude qu’on le renifle tout court !
- Pi ? s’étonna Négapi du succès apparent du métamorphosé. Neg, nega ? demanda-t-il en se tournant vers la dresseuse.
- Hum… répondit-elle vaguement.
Visiblement, son pokémon allait trouver une partenaire bien plus vite qu’elle ne l’espérait. Et, en soit, c’était parfait, absolument ce qu’elle voulait… Si on omettait la façon dont elle se collait à lui.
"Qu’est-ce que tu m’as encore envoyé ?" soupira la dragonne une fois son inspection terminée.
"Je n’en ai aucune idée," avoua Drac. "Mais tu ne voudrais pas au moins discuter un peu avec lui ? Je crois que ça lui fera du bien."
"Je passe mon tour," cracha-t-elle une gerbe de flamme.
"Je t’accorde qu’il a pas l’air d’être la braise la plus ardente du charbon, mais c’est pas non plus si…"
"De la cendre !" gronda-t-elle.
- Pour qui tu te prends ?!
Sacha ouvrit grand la gueule de stupeur. Il ne savait comment ni pourquoi, mais Serena semblait avoir plus que bien compris ce que venait de dire Dracéna, au point de se montrer bien plus irritée que le principal concerné.
"Pause, pause, pause !" paniqua Sacha en se postant face à la dragonne qui fusillait l’humaine du regard.
"Qu’elle vienne me le dire en face."
Ce qui n’était pas loin d’arriver vu comment Serena se penchait sur la barrière ! Sacha fit de grands gestes désespérés, mimant que ce n’était pas grave et qu’elle n’avait certainement pas à descendre affronter une dragonne contre laquelle elle ne ferait jamais le poids – littéralement !
- Vas-y je t’écoute, dis-moi ce que tu lui reproches ? Il n’est pas assez fort, c’est ça ? A moins qu’il ne soit pas aussi grand, beau et musclé que les dracaufeus que tu as l’habitude de côtoyer. C’est sûr, tout le monde préfère les grands, beaux, musclés dracaufeus bien violents et qui en fait se fichent de toi !
Sacha perçut un petit grondement d’irritation de la part de Drac, l’attaque avait beau être indirecte, elle était quand même là. Le pire, c’est que Serena n’avait pas l’air du tout prête à s’arrêter malgré le danger évident auquel elle s’exposait. Attention, n’allez pas croire qu’il n’était pas heureux qu’elle le défende mais… On ne les provoque pas sans risquer un retour de flamme ! hurlait intérieurement Sacha. Tu as un dracaufeu, bon sang, tu devrais le savoir ! (Ce qui n’était techniquement pas vraiment le cas, mais le métamorphosé se passerait des détails cette fois.)
"Très bien… Très bien, très bien," siffla Dracéna.
Serena tressaillit, sentant à nouveau ses joues chauffer en voyant la dragonne changer brusquement d’avis et approcher son museau de celui de son Dracaufeu.
- Enlève tes pattes… haleta la jeune fille malgré elle.
Dracéna s’arrêta dans son geste, un petit ricanement de défi à l’encontre de la dresseuse alors que Sacha ne savait plus où donner de la tête.
"Si tu l’aimes tant que ça," dit-elle au moment où elle attrapait le bras du métamorphosé. "Reprends-le !"
Sacha se retrouva en moins d’une demie seconde la tête en bas, ses ailes étrangement immobiles alors qu’il avait pourtant l’impression de s’être envolé.
- DRACAUFEU !
Il eut juste le temps de voir le visage terrifié de sa dresseuse et la manœuvre de plaquage-sauvetage parfaite de Négapi pour éviter qu’elle ne goûte avec lui les briques du donjon. Sacha resta un moment sans bouger, les bras écartés, se demandant comment Dracéna avait pu viser si bien et avec autant de force. Ondine, j’aurais vraiment dû l’appeler Ondine, se répétait-il ses tempes vrillées par les acouphènes.
- Je… Je suis désolée.
Accroupie près de lui, Serena mordait sa lèvre, tordant ses mains sur sa robe. Elle s’en voulait alors que Sacha lui était reconnaissant de lui avoir trouvé une bonne excuse pour pouvoir enfin se soustraire de toute cette histoire, quoiqu’il aurait préféré que cela se fasse de manière moins douloureuse. Enfin, maintenant tout ce qu’il avait à faire était de jouer la carte de la frustration et…
"La douzaine d’œufs, Sacha, c’est le moment !"
Vol vers d’autres cieux - Version Bleue.