Derkomai's Mask

Chapitre 39 : Pas facile de manier la Belle-de-Nuit

7757 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 22/09/2024 08:00

Son fils s’embarquait toujours dans des histoires abracadabrantes. Il rencontrait des pokémons légendaires quand elle s’occupait de son jardin, sauvait le monde pendant qu’elle s’affairait au restaurant, affrontait des dresseurs de renoms au moment où elle prenait le thé et remportait – parfois – des tournois dont les trophées lui serviraient pour ses exercices d’aérobics. C’était ainsi, deux mondes séparés qui ne se croisaient que lorsqu’un Entei créé par des lettres d’alphabets venant d’un espace inter-dimensionnel décidait de l’enlever, ou encore quand une certaine Serena l’appelait pour prendre des nouvelles du dresseur au Pikachu… De quoi vous faire regretter la relative tranquillité de la tour de cristal (si on omettait les zarbis au rez-de-chaussée en train de réécrire les lois du temps et de l’espace).

Mais bon, ce n’était pas en pleurnichant qu’on faisait avancer les choses. Et si l’affrontement partait en sa défaveur, Délia n’avait qu’à utiliser son ingéniosité et son instinct pour renverser la situation. Et justement, il se trouvait que ce terrifiant instinct qui l’avait fait monter dans la hiérarchie des femmes du Bourg Palette allait définitivement sceller le résultat de cette rencontre. Dommage Serena, il ne fallait pas rougir d’entrée de jeu. Pas devant cette femme qui pouvait d’une simple syllabe mal articulée tirer milles conjectures avant d’atteindre la conclusion en moins d’un centième de seconde.

- Ecoutez-moi s'il vous plait, gémit Serena. Je ne vous appelle pas pour savoir son signe astrologique ou sa couleur favorite, ni pour voir son album photo de quand il était petit - pas tout de suite. Ce que j'essaye de vous de demander depuis tout à l'heure c'est...

- Une idée de sortie ? Hum~ malheureusement je n’ai rien de très romantique à te proposer, tu connais Sacha, pouffa la femme.

- R-Romantique ? bégaya la kalosienne (elle avait mal entendu, pas vrai !? Elle avait forcément mal entendu ou compris de travers ce que Délia voulait lui dire !) Ah ! Non ce n’était pas… enfin, si, peut-être… Non ! Non ce n’est pas la question !

- Vraiment ? Moi qui croyais… Oh ! Suis-je bête, en fait tu veux savoir quel est son plat préféré, frappa-t-elle ses mains l’une contre l’autre. Tu as bien raison, mieux vaut procéder par étape, acquiesça la femme.

- Quelles étapes ?

- Eh bien, Serena, désolé de te l’apprendre mais… elle se rapprocha un peu plus du visiophone, comme pour murmurer à l’oreille de la jeune fille. Tu rougis trop pour que ce ne soit pas évident.

Serena crut imploser sur place. Qui ? Où ? Quand ? Comment ? Cet appel ne devait pas se passer comme ça ! Elle voulait juste prendre des nouvelles de Sacha, juste ça et rien de plus. Délia n'était pas censée... Ce qu'elle ressentait pour le garçon était vraiment aussi visible que cela ?!

- Oui.

La kalosienne faillit s'étouffer tandis que le sourire de la mère du garçon qu'elle aimait - la mère qui était au courant avant le premier intéressé ! - souriait plus largement. La jeune fille se ratatina sur elle même, mue par l'envie soudaine d'éteindre le visiophone ici et maintenant. Mais ce geste signifierait aussi abandonner ses chances d'avoir enfin des nouvelles du dresseur, et cela c'était hors de question. Elle planta ses ongles dans ses paumes, essayant de reprendre un peu d'aplomb, une mission quasi impossible quand votre interlocutrice était prise de logorrhée et vous assénait des « Sacha n’arrêtait pas de me parler de toi » et des « Je me demande quel genre de sort tu lui as lancé » agrémentés d’un petit clin d’œil donnant l’envie à Serena de s’enfoncer dans le sol... ou sauter de joie ? Elle ne savait plus vraiment quoi penser de toutes ces révélations qui lui réchauffaient le cœur autant qu'elles la mettaient mal à l'aise.

Délia eut une petite moue coupable. Sans aller jusqu'à dire qu'elle mentait à la jeune fille, on pourrait toutefois lui reprocher de quelque peu, disons... exagérer les détails. Parce que si Sacha avait en effet un peu plus parlé de Serena que de ses autres compagnons de Kalos, voir même que de la plupart des autres amis qu’il s’était fait à travers les différentes régions, il n’en demeurait pas moins que le sujet Serena se faisait vite supplanter par « je vais voir mes pokémons au laboratoire » ou « on va s’entrainer avec Pikachu ». Pokemon primum omnium, devait être le fronton de cœur de son fils, tout comme il avait été celui de son mari, de son père et de son beau-père. Serena s’en rendrait compte plus tard, et elle lui souhaitait d’avoir le temps de s’y habituer d’ici là.

- Je voulais juste savoir où était Sacha.

Delia tressaillit, se rendant compte de l’ouverture qu’elle avait laissé et dont Serena s’était immédiatement saisie. Et maintenant ? Ce n’était pas comme si elle pouvait dire qu’elle l’ignorait parce que justement, en zieutant par-dessus l’épaule de la jeune fille, elle avait une très bonne idée d’où se trouvait son fils. Sauf que, c’était bien évidemment quelque chose qu’elle ne pouvait révéler à la coordinatrice, pas avec le faux-pokémon joignant ses mains en signe d’excuse et la suppliant de continuer à jouer la comédie.

- Tiens, tiens, on dirait que quelqu’un s’inquiète pour… roucoula la femme avant de s’arrêter.

Le visage de Serena était blême et ses traits crispés. Bien sûr qu’elle s’inquiétait, parce qu’actuellement Sacha, le Sacha que tout le monde connaissait, ne participait plus aux combats d’arènes ni à la moindre compétition. Et, elle n’en doutait pas, Serena était prête à se perdre dans les méandres du site de l’association des dresseurs, qui mettait toujours cinq à dix bonnes minutes pour charger une pauvre page contenant une photo et six lignes de texte, afin de prendre des nouvelles et du même coup se rendre compte de la disparition. Elle coula un regard vers son fils, celui qui continuait de dissimuler la vérité malgré toutes les inquiétudes qu’il provoquait tout comme son père refusait de revenir leur faire face après son échec manifeste.

- C’est rare qu’il donne des nouvelles, avoua Mme Ketchum.

Son regard pesait lourd sur le reptile, lui rappelant que ce qu’elle disait n’était en rien un mensonge et que puisqu’on en parlait, elle voudrait bien qu’il la tienne au courant des évènements avant que les journaux ou la télévision ne s’en chargent.

- Ce… ce n’est pas forcément des nouvelles, c’est juste… Je voudrais au moins savoir dans quelle région il est parti, et s’il va bien, acheva-t-elle d’une petite voix.

Delia déglutit, prise au piège. Elle n’était pas obligée de savoir exactement où était son fils, par contre elle devrait au moins en avoir une idée, d’autant plus si on lui demandait « juste » la région où il se trouvait.

- Très bien. Il va très bien, emphasa-t-elle bien chaque mot espérant que Serena oublierait l’autre partie de la question ou du moins lui laisserait assez de temps pour faire la liste de quelle région était dépourvue d’arène ou de compétition susceptibles d’apparaitre sur la carte dresseur de son fils.

- Dra ! Dracau !

Sacha avait réussi l’exploit de glisser son gros corps dans l’interstice qui séparait les genoux de Serena du visiophone, étendant bien les ailes pour masquer l’écran.

- Dracaufeu, dit-elle une fois l’effet de surprise passé, tu veux bien attendre dehors.

Le faux pokémon frissonna, sachant pertinemment que ce ton diplomate cachait en réalité une injonction n’autorisant aucune désobéissance. Toutefois, il avait décidé de se lancer dans ce match en double et il ne pouvait botter en touche dès la première seconde.

- Dra… gémit-il en faisant signe qu’il avait envie de tester le nouveau régime de Joëlle.

- Je te prendrai des glaces après.

Sacha perçut un murmure mécontent dans son dos. Mais avant de s’en occuper, il devait d’abord expliquer avec de grands mouvements à quel point il était affamé et ne pouvait plus attendre.

- Tu es impossible, soupira la jeune fille qui comprenait bien le nouveau stratagème de son dragon. Et ne t’avise pas de casser ce visiophone, ajouta-t-elle en voyant les grands coups de queue qu’il donnait.

En plus, il semblait que l’intrusion du dragon avait énervé Mme Ketchum vu comment elle semblait s’agiter et les quelques grommellements qu’elle lançait sans que Serena ne puisse les distinguer clairement, contrairement au pauvre métamorphosé qui était aux premières loges pour entendre :

- Des glaces ? Alors comme ça on grignote entre les repas.

Prescription médicale maman, je te le jure ! voulait-il hurler sentant bien que sa coéquipière se liguait contre lui.

- Dracaufeu, insista Serena, je dois vraiment parler à Mme Ketchum maintenant.

Elle croisa les bras et fronça les sourcils, un signe clair sur le fait qu’il avait intérêt à s’écarter très, très rapidement. Ce qu’il fit, parce que dans ce monde il y avait des choses dont il valait mieux éviter de provoquer le courroux : Arceus et Serena en tête de liste.

- Je suis désolée. Dracaufeu n’a pas eu une journée facile et c’est pour ça qu’il se montre un peu…

- Une indigestion à cause des glaces peut-être ? dit la femme en fusillant du regard le monstre.

Il avait dit Arceus ? Excusez-le pour l’erreur, c’était bien sa mère et Serena en tête de liste. Et maintenant, allez expliquer à la coordinatrice pourquoi Mme Ketchum semblait aussi remontée contre un dracaufeu qu’elle rencontrait pour la première fois.

- Pas… pas tout à fait, expliqua Serena après un temps de latence.

Delia fit silence, détaillant avec attention les écailles du dragon sans trouver la moindre trace de blessure apparente. Elle releva la tête vers la coordinatrice, une pointe d’inquiétude dans la voix quand elle demanda :

- Rien de grave ?

Serena était de plus en plus surprise par les réactions de Mme Ketchum. Même s’il était vrai qu’elle était la mère de Sacha et qu’il n’y avait donc rien d’étonnant à ce que, comme son fils, elle s’inquiète facilement pour un pokémon, là c’était vraiment… Elle semblait plus concernée par la santé du reptile que par la mystérieuse disparition de son fils.

- Selon Joëlle, il devrait guérir assez vite. A condition qu’il respecte ce qu’on lui dit, insista bien Serena tout en se tournant vers le monstre.

- Oh, je n’en doute pas, il a intérêt même, gronda Délia.

Beaucoup trop d’éclairs à supporter pour le pauvre Sacha qui se réfugia derrière ses ailes.

- Où en étions-nous déjà ? soupira Delia avant de se mordre la lèvre en se souvenant parfaitement d’où elle avait laissé la conversation. Et elle sentait que Serena était déjà prête à lui reposer la fameuse question, à moins qu’un certain professeur décide de revenir dans le salon à ce moment, une théière dans une main, un paquet de petit gâteau dans l’autre, et demande de sa voix guillerette :

- Qui appelle ?

Trop occupé à se servir une tasse de thé, il ne perçut pas la mine effarée de Délia alors qu’elle se tournait vers lui, ni le visage de la jeune fille à l’écran dont il avait pourtant suivi tous les concours depuis qu’elle participait avec un certain Sachamèche.

- Serena.

- Serena… répéta-t-il ses doigts avides tendus au-dessus des pâtisseries. Ça faisait longtemps que… Serena !?

La jeune fille ne s’attendait pas à ce que son prénom génère une telle surprise, ni à ce que le vieil homme se jette sur le visiophone et la dévisage comme s’il était impossible que ce soit bel et bien la coordinatrice à l’autre bout du fil.

- Se… rena, répéta-t-il encore une fois pour s’en convaincre. Alors ça y est, il…

Le respect des anciens ne lui épargna pas un violent coup de coude dans l’estomac. Chen crachota sa douleur, le corps plié en deux pendant que Délia reprenait :

- Alors elle voulait des nouvelles de Sacha et… Le thé va refroidir.

Chen tira sur le col de sa chemise. Entre la coordinatrice qui le fixait et Délia qui pourrait bien lui verser ce qui restait d’eau chaude sur la tête, cela faisait beaucoup d’éclairs à supporter pour un seul professeur, et lui n'avait pas le luxe de pouvoir se cacher derrière sa blouse.

- O-oui, oui ! Ce cher Sacha… Toujours sur les routes, on ne l’arrête pas !

- Justement… articula-t-elle faiblement. C’est… c’est comme s’il s’était arrêté.

Elle mordit sa lèvre, dévisageant tour à tour le vieillard qui semblait plus gêné qu’autre chose pendant que la femme goûtait tranquillement son thé, comme s'il n'y avait aucun problème et que Serena s’inquiétait pour rien alors que…

- Il n’a participé à aucune compétition ou combat d’arène récent et j’espérais… J’espérais qu’en vous contactant…

- Tenez professeur, dit Délia.

L’homme se brûla les doigts sur la tasse mais ne s’en rendit pas vraiment compte, tout juste sentit-il une chaleur diffuse picoter sa peau. Pourquoi était-ce forcément à lui de trouver une solution ? Parce que c’était lui le scientifique dans cette pièce, et que c’était donc à lui d’apporter une explication logique sur Sacha boudant soudainement les badges ? Oui, bien sûr, c’était bien évidemment à cela que lui servaient ses quatre années de thèse.

- C’est parce que… articula-t-il la bouche sèche.

Le pokéscientifique se sentait comme un politicien se retrouvant face à la question qu’il ne voulait pas. Sauf que s’il s’en débarrassait sur Délia, c’était le peloton d’exécution, quant à Sacha… Pourquoi fallait-il qu’il aime bien ce gamin malgré tous les problèmes qu’il lui causait ?

- Vois-tu, c’est une question intéressante. Je dirais même très intéressante et je suis content que tu me l’aies posé. Parce que, effectivement, Sacha qui ne combat pas dans des arènes soulève bien des questions qui en réalité, peuvent s’expliquer d’une manière tout à fait simple et évidente. Donc, cette raison pour laquelle il n’y a presque plus…

- Aucune.

- Aucune nouvelle sur Sacha, tutafeh. Tutafeh… Certain que c’est parce qu’il se trouve à Alola. Et qu’il n’y a aucune arène à Alola, évidement.

Serena haussa un sourcil pendant que Chen frottait l’arrière de la tête – s’arrachait les cheveux du crane en réalité, mais cela elle ne pouvait le voir d’où elle était.

- Il m’a expliqué qu’il voulait s’éloigner un peu des combats pour découvrir d’autres aspects du monde pokémon et c’est là que je lui ai proposé de visiter ces îles. Ce ne sont pas seulement d’incroyables destinations de vacances, elles regorgent aussi de mystères, de pokémons, sans oublier le Tour des Iles. Tu as déjà entendu parler du Tour des Iles ?

- Non, pas vraiment, mais…

- Une tradition formidable auquel notre cher Sacha participe en ce moment même. N’est-ce pas Délia ?

Il se mordit très fort la joue d’avoir, par reflexe, sollicité l’aide de Délia. Surtout que…

- O-Oui… Et il est doit être si occupé à faire toutes ces… choses des Iles.

- Epreuves, toussota le professeur.

Serena frotta son bras, gênée à l’idée d’avouer aux deux adultes qu’elle avait la désagréable sensation qu’ils n’étaient pas tout à fait honnêtes avec elle. Oh, bien sûr, c’était loin d’être inconcevable que le dresseur s’essaye à de nouvelles choses, après tout il était le premier à dire qu’aucune expérience n’était inutile, mais ce qui la gênait était plus que cela survienne après… sa défaite à la ligue ? Non, elle imaginait mal Sacha s’en vouloir pour… De toute façon, il lui en aurait parlé, pas vrai ?

- Vous êtes sûr qu’il allait bien, demanda-t-elle d’une petite voix. Je veux dire, c’est un peu étrange qu’il arrête les combats, explicita la jeune fille.

A ces derniers mots, un sentiment d’inconfort comprima la poitrine de Delia et un goût amer s’immisça dans sa gorge. Oui, Sacha s’était arrêté, parce qu’il était devenu un pokémon, et qu’il continuait de l’être parce qu’il devait trouver cela amusant d’en être un, de pouvoir interagir librement avec ces créatures qu’il aimait tant. Et si en prime il pouvait aider une amie, alors il n’était pas étonnant qu’il s’arrête, temporairement, de courir après son rêve. Il s’est arrêté pour elle.

- Oh mais il combat toujours, c’est juste que les tournois d’Alola n’ont pas de statut officiel, expliquait Chen quand Délia reprit le fil de la conversation. C’est ce qui explique pourquoi la fiche dresseur ne s’actualise plus dernièrement.

Délia agrippa sa veste comme si ce simple geste suffirait à arracher sa gêne. Mais elle restait là, bien tapie sous les vêtements, sous la peau, sous les muscles, dans le sang. Ça vivait dans le sang, dans son sang. C’est juste que Sacha aime aider ses amis, tu le sais bien.

Elle remarqua une grimace chez la dresseuse, quelque chose qu’elle essaya de cacher mais dont la femme devina aisément les pensées. Pourquoi n’a-t-il pas pris le temps de te passer un simple et ridicule coup de fil ? Bonne question Serena, très bonne question.

Sa pensée s’enraya quand elle vit le reptile approcher de la dresseuse, son regard teinté d’inquiétude pour… juste une phrase, le souffle fugace d’une tristesse, l’altération discrète de quelques traits. Comment ? Comment son fils pouvait le remarquer ?

- Je t’ai déjà dit que ce n’était pas à toi de supporter ça, murmura la dresseuse.

Elle guida pourtant le visage du monstre de ses caresses jusqu’à ce que leurs joues s’effleurent. Et Délia à moitié hébétée dans sa tête répétait : Il pense à toi. Il est avec toi. Il reste pour toi et… Ce thé est vraiment amer.

Elle posa la tasse et au même moment, le dragon se recula et jeta un coup d’œil nerveux vers sa mère comme s’il venait de faire une bêtise et qu’il s’attendait à ce qu’on le réprimande. Le petit Sacha, l’enfant qu’elle taquinait quand il saluait Gabriella ou Martine à la sortie de l’école, le petit Sacha qui jamais ne se rendrait compte des petits béguins qu’il susciterait. Oh… Oh ! se réveilla-t-elle soudain. Elle sourit, sa bonne humeur retrouvée grâce à ce petit mot qui sonnait si bien : léger, enfantin, mignon et sans conséquence. Un petit mot qui jamais ne changerait, que jamais Sacha ne ferait changer. Le reptile se recroquevilla davantage sur lui-même.

- Pour l’instant on doit prendre notre mal en patiente, reprit la femme. Mais je te promets que quand il rappellera, je lui dirai que tu attends impatiemment de ses nouvelles, finit-elle avec un clin d’œil.

- Pas impatiemment ! s’empressa-t-elle de corriger. Il… Il peut prendre son temps… Et peut-être qu’il ne voudra pas tout de suite… Et il n’y a pas que moi, Lem et Clem ont hâte de… s’emmêlait-elle.

- Hum… Moi je suis sûre que tu seras la première qu’il rappellera, surtout vu la manière dont il parlait de toi. Serena, il n’avait que ce mot là à la bouche à son retour et…

- Dra ! hurla le métamorphosé.

- Ah ! Je suis désolée Mme Ketchum, mais Dracaufeu commence vraiment, vraiment à s’impatienter et quand il est impatient, il devient intenable donc…

- Je comprends, pouffa la femme. Alors aurevoir, passe une bonne journée, lui dit-elle avec un signe de main amical et un sourire sous-entendant beaucoup de choses, beaucoup trop pour le cœur de Serena face à la mère du garçon qu’elle aimait.

- Encore désolée ! s’écria la jeune fille en éteignant le visiophone.

Elle souffla de soulagement. Heureusement que son dragon lui avait offert une bonne diversion. Mais au fait, pourquoi avait-il crié au juste ? Et pourquoi ce « Dra ! » semblait destiné à la femme à l’écran ? C’était comme s’il… Serena était fatiguée, épuisée même, sans compter qu’au final elle n’avait toujours pas pu discuter directement avec le garçon.

- Comme quoi tu n’avais vraiment pas à t’inquiéter.

Son air maussade n’échappa pas au métamorphosé, mais quoi de mieux que votre bouillote géante pour vous remonter le moral ! Il lui donna un petit coup de museau dans le dos, avant de se dire qu’il aurait pu trouver un peu mieux… et un peu plus humain aussi. Mais heureusement, il n’en fallut pas beaucoup plus pour redonner le sourire à la jeune fille… et se prendre un coup de coude au passage en guise de revanche, mais c’était de bonne guerre.

- Allons voir ce qu’on peut te trouver à manger.

Au moins cet appel ne serait pas un échec complet : elle se sentait déjà mieux par rapport à Dracaufeu, comme si savoir que Sacha était à Alola la rassurait sur le fait… Eh bien qu’il ne pouvait pas être ici, évidemment.


***


L’averse glaçait ses écailles, les bourrasques déchiraient les ailes, le tonnerre martyrisait ses ouïes et les éclairs fendaient sa rétine. Comment vivre, comment survivre dans cette tempête, échapper aux vagues qui gonflaient et menaçaient de l’engloutir.

- Ça devient ridicule !

Sacha claquait des dents, respirait péniblement, les crampes tordaient ses muscles alors qu’il cherchait désespérément un endroit où se poser. Mais rien, absolument rien à part la pluie et l’océan dissolvant ses espoirs.

- Pose-toi !

Les cris de Serena paraissaient si lointains, une sorte de doux rêve quand… Si seulement, si seulement c’était si simple.

- Drrra, supplia-t-il d’une voix rauque.

Peut-être qu’en entendant ce râle d’agonie, le ciel consentirait à l’épargner. De la pitié, le métamorphosé ne demandait qu’un peu de pitié pendant qu’il retenait son souffle en attendant la réponse du destin. Et, par miracle, celle-ci lui parvint, hachée par le fracas des éléments mais encore perceptible :

- Je vais le noyer s’il s’en sort.

Seule sur le pont, un simple imperméable pour la protéger, Serena fulminait contre le reptile qui préférait affronter la tempête plutôt qu’une ou deux heures de mal de mer.

- Oh, je vais vraiment… Dracaufeu ! Ne m’oblige pas à venir te chercher ! l’avertit-elle pour la dernière fois.

Comment dire que voir son pokémon s’éloigner encore plus du navire, quitte à s’approcher des nuages bouffis d’éclairs, détruisit les dernières brides de tolérance et de compréhension de la jeune fille envers son dragon.

- Très bien, tu l’auras voulu.

Serena chancela vers le bord du bateau, manquant plusieurs fois de glisser sur les planches alors que le nez de l’embarcation se soulevait puis retombait sous la force des vagues. Elle souffla longuement, les mains agrippées à la rambarde, le cœur claquant comme le ferait une voile contre le vent. Oh, qu’est-ce que son dragon la forçait à faire ? Avec précaution, elle saisit la languette à son col et la fit descendre le long des glissières, la toile de son ciré gonflant à chaque nouveau cran qu’elle franchissait. Et si au dernier moment la tempête l’emportait ? Et s’il disparaissait au milieu des flots ? Non, elle ne pouvait pas perdre son imper, pas maintenant ! Heureusement, la vareuse resta docilement (et un certain pokémon devrait en prendre exemple) près de la dresseuse alors que les mains tremblantes, elle enroulait une des manches autour de son bras et vérifiait sa solidité.

Parfait, le piège était prêt, et Serena était certaine de son succès. Après tout, si les suicunes s’attrapaient avec des filets à dix pokédollars, alors quatre-vingt-dix kilos de muscles pouvaient bien se faire avoir par un peu de coton ciré.

La jeune fille escalada la barrière et passa la moitié de son corps par-dessus bord. Ses bras hurlaient sous la chaleur de l’effort et la morsure de la pluie pendant qu’elle observait en contrebas les vagues se briser contre la coque du navire. Ses paumes coulaient contre l’acier, sa tête penchait dangereusement vers le bas et ses vêtements s’alourdissaient à chaque seconde qui passait.

- Nympha ! entendit-elle hurler derrière elle.

Elle devinait déjà ses deux amies se précipiter vers elle, toutes griffes et rubans dehors. Non, non, non, elles ne devaient pas approcher sinon il ne… Un claquement d’aile. Le bruit si caractéristique que Serena réagit d’instinct, jetant son filet improvisé vers l’avant sans penser un seul instant à maintenir ses appuis. La jeune fille bascula et Sacha glapit de terreur en la voyant sombrer… vers l’arrière ?

- Dra !?

Qu’est-ce qui affola le plus le dragon ? La toile jaune qui pesa soudain sur sa nuque et le força à suivre la dresseuse dans sa chute ou bien l’idée qu’il entendrait bientôt un horrible bruit de craquement quand les cervicales de Serena amortiraient le choc contre les planches ! Dopées par la terreur, ses ailes flambèrent d’un dernier battement salvateur avant de se rabattre sur la jeune fille.

Sacha s’écrasa, son flanc vibra contre le bois ramollis et il eut juste le temps de pousser un gémissement de douleur que déjà les roulis du navire lui donnaient la nausée. Le métamorphosé releva péniblement le museau, s’assurant d’un coup d’œil qu’elle était bien saine et sauve – du moins autant qu’on le pouvait quand on se retrouvait à moitié écrasée sous un gros reptile de feu qui menaçait de rendre son petit déjeuner.

- Gagné, murmura-t-elle d’un sourire vorace.

Son corps drainé de toute énergie, les haut-le-cœur qui soulevaient son estomac et les quelques remous des muscles impuissants à le libérer. Serena n’eut pas beaucoup d’efforts à faire pour le retenir, pour amener cette tête épuisée à se poser contre son épaule et qu’elle puisse enfin souffler de soulagement en entendant les gargouillements plaintifs.

Elle se dégagea aisément de l’aile et de la queue qui pesaient sur elle, ayant tout de même plus de difficulté avec les bras qui, malgré l’abandon général, continuaient de la serrer avec force.

- Un petit coup de main, se tourna-t-elle vers ses deux amies.

L’oreille de Roussil se spasma d’irritation, la pluie ne suffisant absolument pas à refroidir sa colère.

"Cinq. MINUTES !" hurla-t-elle si fort que même l’orage se tût. "On te laisse seule cinq petites, ridicules minutes avec cet idiot et la première chose que tu te dis c’est : et si je pêchais du dracaufeu en jouant les équilibristes en pleine tempête et… Sacha ! Depuis quand tes bras sont des pinces de gamblast !?"

"C’est daaanreux," geignit-il.

"A qui la faute ?" gronda-t-elle. "Et puis il n’y a plus de danger là, donc tu peux…"

"Daaaanrrrreux," répéta-t-il en serrant encore plus la jeune fille, son œil effrayé reflétant la renarde.

Roussil ramena ses pattes contre son museau, respirant profondément pour essayer d’atteindre le contrôle complet d’elle-même sous la pluie diluvienne. Et elle y parvient, son esprit éclairé, libérée de toute colère, elle se tourna vers Nymphali et de sa sagesse nouvellement acquise proposa :

"Jetons-le par-dessus bord."

Nymphali couina de peur en voyant son amie si sérieuse et elle se dépêcha de rappeler :

"Mais il est toujours accroché à Serena et…"

"Tu as raison," convint la renarde. "Jetons les par-dessus bord."

"Roussil !" pleurait Nymphali.

Une vague plus puissante que les autres heurta la coque et fit vaciller les deux amies pendant que le dragon glissait sur les planches humides, ses nausées redoublants, les joues gonflées dans un ultime effort pour contenir les relents âcres dans sa gueule.

- Non Dracaufeu, par pitié ! Roussil, Nymphali, à l’aide !

Les deux pokémons délivrèrent leur dresseuse juste à temps, mais celle-ci ne se montra pas rassurée pour autant. Ce fut même le contraire lorsqu’elle remarqua la flamme caudale qui rapetissait et la porte qui se révélait plus éloignée que prévu quand vous deviez y pousser un gros monstre vidé de ses forces. Serena dégagea ses cheveux trempés de ses yeux et posa l’impair sur les épaules du dragon.

- On va essayer de le pousser vers les cabines.

- Rou.

- En un seul morceau, précisa la jeune fille.

Allons-bon, Serena ne savait-elle donc pas que la notion d’intégrité physique était surfaite. Et c’était d’autant plus vrai quand, tenaillé par la faim et grelotant de froid, vous aviez pour objectif de faire glisser sur le bois humide une créature faisant le double de votre poids.

Des considérations évidentes qui ne démotivèrent pas la jeune dresseuse dans son plan malgré les oscillations qui la ramenaient avec le dragon vers le bastingage. Et dire qu’il suffirait de lui mettre une bâche sur la tête et de rejoindre Pandespiègle au buffet. Mais bien sûr, Serena s’entêtait, gonflant les joues et contractant le peu d’abdos qu’elle avait avant de chuter sur le dragon.

- Silrou, rou, maugréa la renarde.

Roussil se mit à la tâche sans grand espoir, certaine que tous leurs efforts seraient vains. Toutefois, c’était sans compter sur Nymphali qui fit la preuve devant tous – en particulier le malheureux dragon qui fut projeté en un vol plané mal maitrisé – de la force de ses rubans.

Enfin à l’abri, Serena haletait, son cœur battant à toute vitesse, ses doigts engourdis par le froid et ses pieds trempés.

"Tu devrais aller te réchauffer dans la cabine," remarqua la renarde.

- Je peux…

"On va le surveiller, mais s’il te plait va te changer, tu vas attraper froid sinon," soupira Roussil.

Serena constata un temps la moquette à ses pieds qui s’assombrissait. Ce n’est plus un Salamèche et les autres veillent sur lui. Alors je n’ai vraiment, mais vraiment aucune raison de m’inquié…

- Je préfère rester ici jusqu’à… Atchoum !

Elle ramena ses bras contre elle tout en reniflant péniblement sous le regard désabusé de la renarde. Oui, oui elle savait ce que son amie allait dire, mais c’était plus fort qu’elle ! Déjà parce que peu importe qu’il soit Salamèche, Reptincel ou même Dracaufeu, il avait toujours cette propension à s’attirer des ennuis et ensuite… Eh bien ça l’inquiétait, point.

- Rrrrou, gronda la renarde.

- Tu as vu son état, je ne peux pas…

- Sil, dit-elle en levant les yeux au ciel. Rou, rou, roussil ? ajouta-t-elle d’un sourire malicieux.

- Ce n’est pas une question d’être au petit soin avec lui, déglutit la dresseuse. Mais, là, il a besoin qu’on le réchauffe donc…

- Rou ? Siiiiil, rourou, pouffa-t-elle.

Nymphali cligna des yeux sans comprendre où voulait en venir son ainée, alors que sa dresseuse semblait avoir plus que bien saisi le message.

- Je reviens vite, précisa-t-elle.

Ses cheveux trempés dégoulinaient le long de ses joues, ses vêtements pendaient tel des bouts de peau distendue et de sa bouche suintaient d’étranges sortilèges. Une forme lugubre qui se mouvait à travers les couloirs pourtant chaleureux du Marina et qui provoquait surprise, peur et fascination chez les coordinateurs qui croisaient sa route.

Roussil n’avait fait que la taquiner, la pousser à l’abandon par ses calembours sans fondements. Mais… la renarde aussi avait joué sur ça, exactement comme Brice. Et s’ils étaient déjà deux à l’avoir remarqué, cela voulait-il dire que d’autres s’en rendraient compte, à commencer par le premier intéressé.

Serena claqua la porte et se jeta sur le lit, réfugiant son visage dans les coussins pour étouffer un cri sans se préoccuper de l’humidité qui se diffusait aux draps. N’était-elle pas censée être guérie ? Sacha d’un côté, Dracaufeu de l’autre. En fait, il n’y avait même pas à les opposer puisque c’était complètement différent tout comme ce sentiment qu’elle avait cru reconnaitre…

Serena se retourna, une main sur son front pour vérifier que Roussil n’avait pas raison et qu’elle n’était pas en train de développer une sorte de fièvre ou quelque chose du genre. Et si elle avait raison pour autre chose ? La jeune fille tourna la tête, sa poitrine soulevée par un soupir alors qu’elle repensait aux provocations de la renarde qui justement n’étaient que ça : des provocations.

- Et tu as bien plus important à penser.

La pluie avait cessé et dehors, à travers le hublot, ne restait que la brume. Serena se releva avec précaution pour mieux observer au loin la forme nébuleuse. L’île d’Elsevier, encore minuscule à cette distance, et pourtant la dresseuse croyait discerner la forme d’une tour et de la muraille qui l’entourait. Peut-être serait-ce l’endroit où Dracaufeu retrouverait sa famille… ou à défaut en fonderait une. Sa lèvre trembla et elle s’empressa de changer ses vêtements pour calmer la vague de froid qui l’avait saisie.

Et s’ils y étaient vraiment ? Si elle rencontrait les parents de Dracaufeu et devait leur expliquer pourquoi leur tout petit était déjà devenu un grand reptile ? Un petit coup de foudre dans une centrale électrique, une belle morsure par un énorme Sharpedo (un Méga-Sharpedo s’il vous plait) et hop, le tour est joué, vous avez un Dracaufeu. Oh et n’oublions pas cette fois où il failli se faire ensevelir vivant aux Ruines Désert. Sinon à part ça vous n’avez pas à vous inquiéter, je me suis très bien, parfaitement occupée de lui.

- Ta-dam, dit-elle d’une petite voix.

Elle allait se faire brûler vive, et vu l’avant-goût que lui avait donné la mère de Sacha pour un pokémon qu’elle venait à peine de rencontrer, et juste en entendant qu’il était passé entre les mains de l’infirmière Joëlle, elle n’osait imaginer quel sort lui réserveraient les parents du dragon.

- Rou…

Serena ne s’était pas rendue compte qu’elle était déjà revenue auprès du reptile, et qu’elle avait oublié de se sécher les cheveux. Elle s’excusa d’un léger sourire sans pour autant renoncer à s’assoir auprès du dragon.

- Silrourou ? nargua la renarde.

Une petite moue vint tordre les lèvres de la jeune fille avant qu’elle ne se reprenne et amène la tête du faux-pokémon sur ses genoux.

- Siiiiil, feula le pokémon.

Mais elle avait déjà compris que sa dresseuse ne bougerait pas, et de toute façon elle-même devrait avouer qu’elle n’avait plus vraiment la force de veiller sur le dragon. D’autant plus quand vous saviez qu’un certain panda et ses deux acolytes ne se gênaient pas pour se remplir la panse au buffet pendant qu’elle s’esquintait sur le pont à ramener un stupide reptile et devait en plus le surveiller pour éviter qu’il ne refasse la décoration du ferry.

- Sisil rou.

- Nym… Nymphapha.

- Rouuuusil, supplia la renarde, silrourou, sil.

- Nympha, s’entêtait le type fée.

Roussil se massa les tempes avant d’ouvrir en grand les bras en montrant la jeune fille collée au pokémon comme si elle présentait un tableau de collection.

- Rrrrrrou.

Nymphali rougit brutalement avant de finalement suivre la renarde. Serena préférait ne pas trop penser à ce que son pokémon avait pu dire (une autre blague piquée à Brice sans doute, et par tous les pokémons fabuleux pourvu qu’elle arrête vite de s’en inspirer), et de toute façon elle avait déjà bien trop à faire avec le dragon pour vraiment s’en soucier.

- Il faut que tu t’accroches, murmura-t-elle.

Elle sortit un mouchoir et commença à essuyer les écailles, le monstre continuant de respirer bruyamment, ses joues rougies de sang, comme touché par la fièvre, comme un certain garçon ayant passé sa soirée à s’entrainer dans l’eau glacée… Serena secoua la tête. On ne pouvait pas dire que les choses s’étaient dégradées, s’était même plutôt le contraire, en particulier au niveau de toutes les bizarreries qu’elle ressentait : son cœur qui accélérait sans raison, ses joues qui flambaient sans prévenir, l’impression de revoir un certain dresseur... Oui, voilà, il y avait encore quelques soubresauts mais rien de bien gênant, parce qu’au fond ces bizarreries n’étaient que des phénomènes importuns qui s’atténuaient au fil des jours et qui finiraient par disparaitre complètement. C’est juste une question de jours.

- Non Dracaufeu, non ! J’ai déjà suffisamment de lessive comme ça !

Finalement, ça pourrait être une question de minutes.


***


La brume succédait à la pluie et nimbait l’île d’Elsevier de son manteau blanchâtre. Serena fit ses premiers pas sur le quai, à la traîne comparée aux autres dresseurs à cause de son Dracaufeu qui reprenait péniblement ses esprits.

- Dra ? demanda le pokémon.

La grande tour qui surplombait l’île l’intriguait lui aussi, à moins qu’il ne reconnaisse l’endroit… Serena effleura le ruban noué dans ses cheveux, sentant une petite hésitation poindre à l’idée que le dragon retrouve les siens. Elle s’en voulut pour cela, d’autant plus qu’elle se pensait incapable de comprendre la souffrance de son pokémon. Après tout, elle avait grandi avec une mère aimante et un père… Qu’elle connaissait. C’était le terme quand les seuls contacts que vous aviez étaient des cartes de vœux les jours de fêtes et d’anniversaires. Enfin, si elle le voulait, sans doute pourrait-elle le voir plus souvent. Il l’accueillerait avec le sourire, lui demanderait comment se passait l’entrainement de Rhinocorne (elle lui expliquerait qu’elle avait arrêté au profit des performances et il acquiescerait en débarrassant la table), et puis ils se diraient au revoir avant même que l’horloge ait sonné l’heure du diner. Cela ne vendait pas du rêve quand elle y repensait, mais au moins elle était capable de se souvenir du visage de ses deux parents, chose dont peu de jeunes de son village pouvaient se vanter – que voulez-vous, les rêves de carrière en tant que dresseur de pokémon ne touchait pas que les hommes de Kanto.

- Tu veux qu’on aille tout de suite visiter ? lui proposa-t-elle.

- Cau ? ne comprit pas le métamorphosé. Caudradracau, cau.

- Le concours ne commence qu’en fin d’après-midi, on a le temps.

Sacha trouvait le timing quand même très limite et n’hésita pas à le dire. La jeune fille ne le contredit pas, mais il devinait qu’elle n’avait pas la tête au concours. Sauf qu’il ne voyait pas à quoi elle pouvait penser à part… La blague de Brice. La blague de Brice qu’elle avait pris au sérieux ! C’est vrai qu’elle lui avait parlé d’une réserve de dracaufeus et c’était sans doute cela qu’elle voulait visiter pour qu’il…

Il attrapa le bras de Serena et lui fit signe qu’il voulait s’entrainer tout de suite. Il ne fallait pas oublier qu’il ne pouvait plus utiliser ses flammes pour l’instant et il comptait donc sur elle pour lui donner deux-trois idées pré-concours pour s’en sortir (espérant au passage qu’elle oublie toute cette histoire de partenaire, de mue et de chaleur).

- Dra ! Dracau !

- D’accord, d’accord, essaya-t-elle de le calmer. Mais on ne peut pas s’entrainer en plein milieu du passage.

Sacha ne mit pas longtemps à trouver un terrain d’entrainement (son sixième sens de dresseur était toujours aussi efficace) et Serena n’eut d’autres choix que d’appeler un pokémon au risque sinon de voir le pokémon feu imploser d’impatience.

- Posipi je compte sur toi ! Posipi ?

Les couleurs du pokémon imitaient dangereusement celle du reptile quand il subissait son mal des transports. Et il n’y avait pas que le lapin rouge, son frère aussi, sans oublier Nymphali, Pandespiègle et même Roussil.

- Dracaufeu ! Le centre pokémon, vite !

Il n’avait pas attendu son ordre et s’était déjà mis au travail. Il ne tarda pas à le repérer, et en vérité Serena aussi, il n’y avait qu’à suivre les dresseurs qui courraient vers le lieu de soin complètement paniqués. Une malédiction ! réfléchissait Serena en courant. C’est forcément la malédiction de l’île ou quelque chose du genre. Et pour la briser Dracaufeu doit monter au sommet de l’île, puis au sommet de la tour et là trouver son âme-sœur et…

- Une TIAC, le jour où je dois aussi être jurée au concours, une TIAC, grommelait l’infirmière en plaçant les pokémons de Serena sur un brancard.

- Comment ?

- Je suppose que tu étais dans le dernier ferry, devina-t-elle avec justesse. Tu es la dixième de ce maudit bateau à venir me voir… Je ne sais pas où l’association des dresseurs a engagé leur cuistot, mais ils vont m’entendre !

L’infirmière était énervée, mais pas inquiète, de quoi rassurer Serena quant au sort de ses amis. Toutefois, il paraissait évident que ses pokémons ne seraient pas en état pour le concours, un sort auquel s’était déjà résolus d’autres coordinateurs assis çà et là dans le centre.

- Roooouuu, se releva la renarde avant d’avoir pu être brancardée.

- Je ne peux pas participer sans vous et je préfère…

- Rou, la coupa-t-elle avant de montrer du doigt le reptile. Roussil, rou !

- Je ne suis pas sûre…

- Dra ! confirma Sacha. Dracaudra, caufeudra.

Il bombait le torse, enchainer les combats ne lui faisait pas peur. Mais étrangement, il sentait quand même une certaine appréhension à son égard.

"Je ne pensais pas qu’on devrait un jour en arriver là," articula Roussil entre deux hoquets nauséeux. "Sacha, tout repose sur toi sur ce coup. Je sais que c’est dur mais… Tu as vu nos entrainements, tu t’en es imprégné et aujourd’hui c’est à ton tour de monter sur scène."

Euh… Il avait déjà participé à des concours. Roussil était malade au point de l’oublier ?

"Puise au fond de toi. Tu peux y arriver, non, tu vas y arriver !" décréta la renarde les yeux pleins d’espoirs.

"Tu sais Roussil, trois combats c’est dur mais ce n’est pas non plus impossible."

Roussil plongea la tête dans l’oreiller à cause d’un violent mal de tête, difficile de dire par contre si cela était juste lié à l’intoxication alimentaire.

"Sacha," dit-elle. "Il n’y a pas que les combats dans un concours."

Les écailles du faux-pokémon blanchirent d’un coup.

"Oui Sacha, la performance. La performance que tu vas devoir accomplir."

Sans attaque feu et avec une formation en danse de trois heures maximum…

"Roussil ?"

"Oui ?"

"Tu n’aurais pas gardé des restes du buffet par hasard ?"

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