Derkomai's Mask

Chapitre 32 : Ceux qui volent le vin devront boire la ciguë

4612 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/08/2024 00:00

Serena devait bien se rendre à l’évidence après avoir arpenté la ville en long, en large et en travers: Amélia était déjà partie.

- Toujours rien ? s’enquit-elle auprès du dragon qui venait tout juste de se poser.

- Dra, confirma-t-il ce qu’elle savait déjà. Caufeudra caufeu ?

- Je préfèrerais quand même voir l’agent Jenny pour lui demander, au cas où.

Sacha échangea un regard avec la renarde, elle aussi dépêchée pour mener les recherches, lui demandant silencieusement si cela valait encore le coup de continuer. La renarde haussa les épaules : plus que de retrouver Amélia, l’important était de rassurer Serena. Chose qu'il savait bien, mais Joëlle ne s’était pas inquiétée, et Sacha était plutôt de son avis. Enfin, il ne cacherait pas non plus qu’il n’avait pas très envie de revoir la fille en mauve, mais qu’y avait-il de si inquiétant au fait qu’elle ne soit pas passée au centre pokémon après le concours ?

Serena se présenta à l’accueil du poste de police et le reptile fut immédiatement prié d’attendre dehors. Pas de pokémons de plus de 90 kg dans l’enceinte, et c’était aux 500g près. Il soupirait d’ennui assis sur les marches, certain que si Amélia était là, elle rirait de les voir ainsi la chercher quand elle était déjà en route pour le prochain concours.

D’agacement, il gratta sa joue et fut surpris de voir accrochée à ses griffes de minuscules éclats noirs. A croire qu’on lui avait pailleté le visage. Mais cet aspect d’obsidienne n’était pas sans lui rappeler le masque qui lui avait volé son visage et sa vie de dresseur.

- Ah…

Mos refoula un cri en même temps qu’il garrottait le poignet d’Anne dans sa main. Pendant un instant il avait cru… Il sentit sa femme s’agripper à son manteau, prise d’un léger tournis, son visage délavé de toutes couleurs. Le dragon se leva pour les aider, geste charitable que Mos s’empressa de repousser.

- On y va, Anne.

Sacha se retenait de fixer l’homme désormais assis à l’intérieur du poste. L’impression intime de le connaître tout en étant certain que ce n’était pas le cas. J’espère que je ne suis pas en train de faire mon regard de dracaufeu, s’inquiéta le faux pokémon. A son grand soulagement, Serena ne tarda pas à revenir et il n’hésita pas à la tirer un peu pour qu’ils quittent les lieux au plus vite.

- Dra ? demanda-t-il après qu’ils se soient suffisamment éloignés.

La jeune fille secoua négativement la tête. Comme l’avait dit Joëlle, les concours allaient se faire de plus en plus rares au fur et à mesure que le Grand Festival approcherait, de quoi motiver les coordinateurs à ne pas s’arrêter trop longtemps dans une même ville. Tout de même, Mentali a affronté Dracaufeu, ses blessures ne devaient pas être légères au point de pouvoir les soigner avec quelques potions.

"Nous aussi on ne devrait pas trop tarder," remarqua Sacha.

Serena acquiesça et vérifia sur sa tablette les différents lieux de concours dont l’infirmière lui avait parlé. Elle appuya sur les différents points pour juger des distances sans se préoccuper des fenêtres touristiques qui popaient à chaque fois, jusqu’à ce que l’une d’elle attire son attention. L’île Elsevier, près de la pointe Ouest de la région, cet endroit lui sembla être un bref instant le lieu le plus attirant du monde. Mais Amélia y serait-elle aussi ? Ce lieu de concours faisait partie des plus proches, mais pas forcément des plus accessibles. De quoi leur rajouter une journée ou deux de plus au trajet et dans leur situation…

- Beaucoup de coordinateurs vont bientôt obtenir leur quatrième voir cinquième ruban selon Joëlle. On a vraiment pris beaucoup de retard à Vermilava…

"On a essayés de se reposer à Vermilava," la corrigea-t-il gentiment. "Et ne t’inquiète pas : arriver à la dernière minute ce n’est pas être en retard, crois en mon expérience."

Il ne lui en voudrait pas si elle privilégiait ses chances d’accéder au Grand Festival et elle aurait d’autres occasions de visiter cette île. Serena le savait, mais ce n’était pas pour autant qu’elle n’aurait pas honte à l’égard de Dracaufeu si elle loupait l’occasion et puis… Il te ment Serena. Elle chassa la voix d’Amélia en même temps qu’elle enregistrait leur destination, sa décision prise.

A peine de retour au centre que l’infirmière les prévenait qu’ils avaient reçu un appel et que la personne à l’autre bout du fil tenait à ce que Serena la recontacte le plus vite possible. Si la coordinatrice pensa d’abord à Flora, elle se rendit vite compte de son erreur en lisant le numéro.

La jeune fille blêmit, une sensation d’oppression dans la poitrine et sa conscience qui la prévenait : tu vas passer un sale quart d’heure. Super, merci pour ces encouragements, de quoi se sentir totalement et parfaitement rassurée pendant qu’elle allumait le visiophone.

Cependant, si la femme à l’écran semblait plus qu’en colère et prête à hurler, ce fut Serena qui, sans doute shootée d’un bon gramme d’adrénaline, prit l’initiative de crier :

- Qu’est-ce qui t’es arrivée ?!

Le plâtre blanc enroulé autour de son bras, les pansements qui parsemaient son visage, qui lui avait fait ça ? La Team Aqua ? Seraient-ils allés jusqu’à Kalos pour… Et Clem, Lem, Sacha ?!

- Rhinocorne s’est montré un peu trop enjoué durant un entrainement, expliqua Grace en contemplant son bras. Le pauvre ne mange plus depuis plusieurs jours tellement il s’en veut.

- Ce n’était que ça, soupira Serena dans un réel soulagement.

- Le « que ça » était quand même douloureux, se vexa la femme. Et puis d’abord, ce serait plutôt à toi de me dire ce qui t’es arrivée. Déjà tu oublies de me contacter après ta victoire à Vergazon puis ensuite je n’entends plus parler de toi jusqu’à ce que tu réapparaisses à Autéquia, avec un dracaufeu en plus. Depuis quand ce genre de pokémons évoluent à la vitesse d’un lépidonille ?

- On s’est entrainés, baragouina la coordinatrice peu sûre d’elle.

- Au point de ne pas passer un seul coup de fil ? gronda Grace. J’étais morte d’inquiétude Serena, je n’avais aucune idée d’où tu étais ou de ce que tu faisais et… Ecoute, Sacha et les autres ne sont plus avec toi et même si j’ai confiance en tes pokémons, ça me rassurerait que tu me tiennes un peu mieux au courant, d’autant plus quand tu prévois de faire des pauses entre tes compétitions.

Sacha ne ratait pas une miette de la conversation et Roussil n’était pas mieux que lui, peut-être même pire vu comment ses oreilles s’agitaient.

"Tu penses qu’elle va lui en parler ?" s’inquiéta l’ancien humain.

"Essaye d’imaginer que c’est toi qui dois expliquer que tu t’es fait arracher l’épaule et tu auras ta réponse," rétorqua la renarde.

Sacha grimaça, lui-même n’avait pas essayé de contacter sa mère. C’était rare de toute façon qu’il lui conte les dangers croisés sur la route, y compris quand il s’agissait d’une catastrophe distordant le temps et l’espace. Mais lui avait la chance de ne conserver aucune cicatrice de ces mauvaises rencontres alors que Serena…

"Qu’est-ce que tu fais ?" l’arrêta Roussil en le voyant s’approcher du visiophone.

"J’avais promis que je veillerai sur elle."

"Tu vas juste réussir à… Stop !"

La tête inclinée, Sacha était déjà prêt à s’excuser. C’était sans compter sur la vitesse de Serena pour lui bloquer la gueule. Elle fit un geste nerveux de tête, le suppliant de ne rien dire. Grace les regardait se battre en silence, le faux pokémon finissant par s’échapper des mains qui le retenaient.

- Je n’avais pas eu l’occasion de te parler en Reptincel, mais je suis ravie de voir que même après avoir évolué tu t’entends toujours bien avec ma fille.

Serena déglutit, sa main glissant jusqu’au ruban à son poignet.

- Ce n’était pas qu’un entrainement, je me trompe ? devina Grace.

La coordinatrice considéra un moment son dragon avant de répondre :

- Pas tout à fait.

Grace fit un rapide signe à Passerouge de ne pas venir l’interrompre. Le petit pokémon piailla son mécontentement et sa maîtresse lui promit double ration de nourriture en échange de son silence. A nouveau tranquille, la mère emprunta sa voix la plus douce, celle qu’elle utilisait pour rassurer sa fille quand elle pleurait de peur à l’idée de monter Rhinocorne.

- C’est ton premier voyage seule, dans une nouvelle région et c’est bien normal que des fois tu te sentes bloquée, surtout que les évolutions des salamèches ne sont pas réputées pour être les plus simples à élever.

- Il fait pourtant beaucoup d’efforts pour m’aider, avoua la jeune fille.

- Evidemment, sinon il sait ce qui l’attend, fit-elle mine de menacer le type feu. Cependant, je pense que ça lui arrive d’être maladroit, que toi tu ne sais pas toujours comment réagir et que c’est d’autant plus difficile quand deux évolutions presque coup sur coup viennent s’ajouter à tout cela.

Serena croisa les bras non sans vérifier d’un rapide coup d’œil que ses vêtements cachaient toujours bien son épaule.

- Serena, tu ne dois pas hésiter à m’appeler quand quelque chose ne va pas, reprit-elle. Je sais que ce sera toujours au moment où tu en auras le plus besoin que tu te diras que je ne peux pas t’aider ou que ça va juste empirer les choses, mais… Tente le tout pour le tout, parce que qui sait, peut-être que ta mère qui n’y comprend pas grand-chose te sera plus utile que tu ne le crois.

La jeune fille sembla méditer ces dernières paroles, comme si une lutte intérieure se jouait en elle.

- Est-ce que… se lança-t-elle finalement. Est-ce que tu connaitrais quelqu’un du nom d’Arthur ?

Sacha releva vivement la tête et Roussil se rapprocha d’un bond, tous les deux avides d’entendre la réponse au grand désarroi de la jeune fille. Serena secoua la tête, elle savait déjà que ni elle ni sa mère ne connaissait de près ou de loin cet homme. Donc tant mieux s’ils restaient, comme ça tout le monde serait rassuré sur le sujet.

- Maman ?

Le visage de Grace s’était décomposé d’un coup. Elle bredouillait quelques mots incompréhensibles et jetait des regards paniqués autour d’elle.

- Que… Comment es-tu au courant ?

On la refait ! aurait voulu crier Serena. Mais elle était trop stupéfaite pour que le moindre son ne sorte de sa bouche. Et son dragon de feu qui grognait juste à côté histoire de bien lui rappeler dans quel enfer elle s’était elle-même jetée.

"Sacha…" gronda Roussil lui faisant bien comprendre que leur dresseuse n’avait pas besoin de ça.

"Tu avais dit qu’on pouvait lui faire confiance quand elle disait…"

"Et elle a l’air aussi surprise que nous !"

"C’est d’autant plus grave ! Si Serena n’était pas au courant alors… combien d’autres choses elle ignore ? Et pourquoi elle les ignore au juste ?!"

- Ça suffi vous deux ! les arrêta la jeune fille.

Ils grognèrent encore quelques secondes puis finalement s’approchèrent du visiophone pour être certains de ne rien manquer.

- Ils s’énervent assez facilement, remarqua Grace.

Et toi comment peux-tu rester si calme ?!

- S’il te plait maman, j’ai… j’ai besoin que tu m’expliques.

- Je ne voulais pas te le cacher, se défendit la femme. Mais tu étais injoignable et c’était une excellente offre donc…

- Une offre ? s’étrangla Serena. Comment tu as pu accepter une offre de ce type ?

Grace joignit les mains pour signer ses plus plates excuses.

- Oui, je sais, je sais, c’est ta chambre, mais si c’est pour que tu ne l’utilises qu’une fois l’an il vaut mieux…

- Comment ça ma chambre ? Ne me dis pas qu’il est entré dans ma chambre ! s’offusqua la jeune fille.

Les deux pokémons n’en revenaient pas eux aussi. Et pour cause, comment imaginer l’homme qui avait tant fait souffrir leur dresseuse se balader librement dans sa maison, sa chambre… alors qu’eux n’avaient pas encore eu ce privilège !

"On ne s’énerve pas pour la bonne chose," remarqua la renarde.

"Je sais," gronda Sacha les écailles rouges. "Mais ça reste un truc de plus pour lequel il doit payer."

"Là, je te suis," concéda la renarde.

- Ils se réconcilient vite aussi, ponctua Grace.

Et Serena avait l’impression d’être de retour sur le volcan, voire pire tant la chaleur était devenue étouffante.

- Maman, ne change pas de sujet.

Petit rire crispé de la femme qui commençait à trouver sa fille très territoriale, au point de se demander si elle n’avait pas pris quelques traits de caractères d’un dracaufeu.

- Si ça peut te rassurer, il n’a rien touché…

- Encore heureux !

…Pour l’instant, étouffa le jockey de rhinocornes qui ne comprenait vraiment plus rien aux réactions de sa fille.

- Il serait peut-être temps de te calmer jeune fille. Je veux bien que tu n’apprécies pas l’idée, mais ce n’est pas une raison de crier pour un malheureux décorateur d’intérieur.

Serena cligna plusieurs fois des yeux, la mâchoire bloquée avant de finalement réussir à articuler :

- Un décorateur… d’intérieur ?

- Et je pense que j’ai tout à fait le droit de rêver d’une pièce à moi où je pourrais me détendre, avec une musique apaisante, un fauteuil relaxant…

- Attends un peu, attends ! Ce… décorateur d’intérieur à quoi il ressemblait ?

- Eh bien…

- Est-ce qu’il était grand, brun, le teint bronzé ?

- Pas vraiment brun, et puis il faisait à peu près la même taille que moi, réfléchissait-elle tout haut. Quand tu dis bronzé, tu veux dire comme quelqu’un qui a trop utilisé l’attaque Zénith ou…

- Comme quelqu’un souvent en mer. Un marin par exemple.

Grace éclata de rire en se souvenant du bonhomme qui était venu faire le devis.

- Arthur ? Lui qui ne peut pas entrer dans mon jardin sans faire une crise cardiaque en voyant Rhinocorne ? Où tu vas inventer ça ?

Serena entendit ses pokémons trébucher derrière elle et pour cause, Arthur le décorateur d’intérieur ce n’était pas tout à fait la même chose qu’Arthur le leader de la Team Aqua.

- Et tu ne connaitrais personne qui correspondrait ?

- A part les pratiquants de Surf Démanta, je ne connais pas grand-monde dans le domaine maritime.

Grace pensait décevoir sa fille, elle fut donc surprise de voir un large sourire, le premier depuis le début de cet appel.

- Une dernière chose maman, murmura la dresseuse.

- Oui ?

- Ne touche pas à ma chambre.

- Que… Attends Serena tu n’as même pas vu les plans et je peux t’assurer qu’il y aura un clic-clac rien que pour toi !


***


On ne rentrait pas dans le bureau du chef de la Team Magma et cette règle s’appliquait aussi à Courtney, la plupart du temps. La femme assouplissait ses épaules, craquait ses vertèbres, petit échauffement avant le grand saut.

- Tu voulais me voir ?

Elle retira sa capuche d’une main sans s’offusquer que Max l’accueille le nez dans les dossiers.

- Je voulais ton avis là-dessus, indiqua-t-il du doigt le grand écran au mur.

Direct Concours résumait la compétition d’Autéquia et n’oubliait pas au passage de présenter la photo de la grande gagnante et de ses pokémons. Courtney dandina de la tête, les doigts en crochet sur son menton.

- Entre Mew qui les suit et la vision limitée de Xatu les concernant, c’est plus qu’il n’en faut pour s’inquiéter.

- Tu enfonces des portes ouvertes, remarqua Max en tournant une page de son dossier. Mais j’ai de quoi t’aider.

L’émission populaire céda sa place à une vidéo de basse qualité, sursaturée de lumières, dont le champ s’amputait au fur et à mesure que les minutes défilaient. Pause, rembobiner, pause, Max ne l’aiderait pas plus, à Courtney d’exercer ses yeux à présent.

La femme mémorisa la seconde où elle se trouvait et d’un glissement de doigt sur l’écran rembobina de quelques minutes le film, aussi bien pour comprendre ce que son chef souhaitait lui montrer que pour le plaisir de découvrir ce qu’il s’était passé à ce moment.

- Tu es encore plus folle de lui que je ne le pensais, se moqua-t-elle.

La dresseuse qui se jetait devant son pokémon sans la moindre hésitation, s’en était presque effrayant. Presque autant que la dévotion avec laquelle Courtney avait suivi le leader de la Team Magma alors que… Pourquoi se mettait-elle à éprouver du regret ? La femme tituba, l’impression de son crâne serré dans un étau et la voix au loin de Max, du Max qu’elle admirait.

- Tout va bien ?

Il avait posé sa paperasse sur la table. Son visage restait stoïque, mais ses yeux étaient avides qu’elle lui réponde. Courtney se tourna soudain vers lui, à la fois perdue et effrayée avant de retrouver son calme.

- Je t’ai fait peur ? nargua-t-elle.

Elle craqua ses vertèbres, à la limite de se briser le cou.

- J’aurais juste reporté notre discussion à plus tard.

L’Admin sourit puis replongea son nez dans la vidéo. Zoomer, changer les contrastes pour affadir les éclairs, rehausser l’évolution du salamèche et… Courtney fronça les sourcils.

- Intriguée ? demanda son chef.

- C’est peut-être juste un artéfact, rétorqua-t-elle. Vu la qualité de la vidéo…

Max retira ses lunettes d’un geste agacé, palpant du bout du doigt la gemme qui y était incrustée.

- Je vais simplifier ma question de tout à l’heure, proposa-t-il.

Courtney vint s’assoir sur le bureau, son dos exposé à l’homme pendant qu’elle continuait de fixer l’écran. Elle passa un doigt sur ses propres lèvres, s’amusant de leurs douceurs en attendant que son chef parle.

- Drivers ou passengers ?

Les yeux écarquillés, son corps tomba vers l’avant de telle sorte qu’elle se retrouva à moitié allongée sur le bureau.

- Tu ne vas pas un peu trop vite ?

Il la fit reculer de deux doigts sur le front. Courtney remit ses mèches, zieuta les papiers en désordre avant d’en prendre un et de se mettre à le plier de ses doigts maladroits.

- Tu as encore du mal à t’y habituer ? questionna Max.

- Je ne l’utilise pas aussi souvent que vous, donc il faut bien que je m’entraine un peu quand l’occasion se présente en attendant que…

Elle reposa d’un geste ennuyé la feuille aux pliages grossiers, dégoûtée par son manque de talent.

- Ton avis ? réitéra l’homme.

Courtney fit un geste de tête agacée et haussa les épaules.

- Les drivers restent rares, même si on n’a pas eu beaucoup de chances sur ce sujet la dernière fois.

Elle retourna vers l’écran mural, glissant son doigt sur les pixels noirs accolés au reptile, bien différents de la lueur bleue qui accompagnait habituellement l’évolution.

- Ce n’était pas qu’une histoire de chance, dit Max.

Il tourna son ordinateur vers elle, lui dévoilant les photos prises à Crolmach’ et des vues aériennes de Galar, de quoi raviver de mauvais souvenirs.

- Notre ami le capitaine avait déjà des doutes à l’époque et je suis de plus en plus enclin à suivre son idée.

- Je ne m’attendais pas à ce revirement, siffla Courtney. Toi qui l’as toujours traité d’imbécile.

- Il lui arrive d’avoir des coups de génie de temps à autre. Et son idée de LINE… ça expliquerait pourquoi les choses persistent.

Courtney claqua des mâchoires, peu ravie de la nouvelle.

- Ce n’est pas une raison pour avoir autant de drivers, grinça-t-elle.

Max eut un léger sourire, comme s’il s’attendait à ce qu’elle dise ça.

- Et s’il avait trouvé le moyen d’en créer le prototype, ici, et qu’ensuite…

Elle observa avec plus de minutie le nuage de carrés grossiers sans cacher une grimace de dégoût.

- Et ça, dit-elle en appuyant sur l’écran comme pour écraser la tête du reptile, ce serait la manière dont il s’y prend ?

- Peut-être juste ce pokémon, peut-être faut-il aussi la gamine, difficile à dire sans connaître le mécanisme exact.

- Finalement, ça nous aurait bien arrangé qu’il l’achève, regretta-t-elle.

- Mew n’avait pas l’air très déterminé à l’arrêter, fit remarquer Max.

Courtney leva les mains en l’air. D’accord, peut-être que se précipiter sans connaître le sens de l’effet n’était pas la meilleure des idées.

- Qu’est-ce qu’on est censé faire alors ?

- Tu peux disposer.

Courtney n’avait pas apprécié le ton cassant qu’il venait d’employer. C’était lui le leader, mais qu’il n’en abuse pas trop non plus.

- Oh… comprit-elle.

Les dents serrées, les mains crispées, le visage rougi par l’effort, un bref éclair de rage dans les yeux, mais la voix toujours calme quand il répéta :

- Tu peux disposer.

Courtney préféra se glisser à ses côtés, si souple et légère que le mot « léviter » n’aurait pas été incongru.

- Ne t’énerve pas comme ça Max.

Il déchira le papier et la femme claqua un rire avant de se pencher vers lui.

- Je reste encore un peu qu’on finisse cette discussion et ensuite promis, je m’en vais, le rassura-t-elle.

Les mains se détendaient, le visage s’apaisait, la vie dans son regard s’embrumait. Il réajusta ses lunettes, à peine troublé par son petit accès fiévreux.

- Désolé pour ça.

- Ce ne sera pas pour aujourd’hui non plus, déplora Courtney. Enfin, revenons-en à notre problème : qu’est-ce que tu veux faire les concernant ?

- Nos sbires les surveillent toujours ?

Elle se redressa et expliqua toute fière :

- On ne les a pas lâchés depuis la Route 111, et je t’ai déjà transféré toutes les informations recueillies par les Aqua à Vermilava, ajouta-t-elle en tapotant l’ordinateur.

- Très bien, alors tu vas pouvoir leur dire qu’ils peuvent s’arrêter là.

Courtney arracha les lunettes de son chef pour mieux voir ses yeux et s’assurer qu’il n’avait pas perdu l’esprit.

- Là, j’ai du mal à te comprendre, avoua-t-elle.

Il tendit la main et elle lui rendit docilement son bien.

- Je ne veux pas qu’on devienne délétère en voulant trop en faire.

- Ce n’est pas trop en faire, c’est faire preuve de prudence, gronda Courtney.

- Je peux me tromper, sourit Max. A toi de me convaincre que les bénéfices seront supérieurs aux risques encourus.

- Au hasard : contrer Mew quand il passera à l’action, railla-t-elle.

- Bien sûr, je suis certain que nos cinq sbires armés de leurs médhyénas et carvanhas l’arrêteront sur le champ.

Courtney grinça des dents et croisa les bras tout en grommelant :

- Au moins on sera informés.

- Mais à quel prix ? J’y ai déjà bien réfléchi et tout ce qu’on va gagner c’est attirer la curiosité de notre petit ami. Et si tu n’es pas convaincue, peut-être veux-tu que je te rappelle ce qu’il s’est passé à Lavandia ?

- Ce n’était peut-être pas…

- Un reptincel capable de disparaitre en moins d’une seconde ?

Et dont la simple présence suffisait à la faire paniquer. D’accord, elle l’avait peut-être bel et bien échappé belle à ce moment.

- On ne reste pas sans rien faire, reprit Max. On a déjà eu ce qu’on voulait aux Ruines Désert, maintenant on doit éviter de se disperser et minimiser les risques en attendant que ce soit prêt.

- Mais il faudra bien qu’on décide de ce qu’on fait d’eux à un moment ou à un autre.

Il emmêla ses doigts, et s’enfonça un peu plus dans son siège.

- Faisons les choses dans l’ordre. Tu verras qu’en réglant notre premier problème, nous aurons beaucoup plus de libertés pour résoudre le suivant.

Courtney resta encore un temps dans le bureau sans dire si elle acceptait ou pas le plan. Elle bailla soudain, signe qu’elle n’allait plus pouvoir retarder sa réponse.

- Personne ne viendra nous aider, j’espère que tu ne l’as pas oublié.

Elle frottait ses yeux, de plus en plus somnolente.

- C’est bien pour ça que je choisis l’option qui me parait la plus prudente.

- J’aurais voulu plus de certitudes, grimaça-t-elle, mais de toute façon si Xatu ignorait la suite alors… Très bien, tu as mon accord, mais vois quand même avec l’autre ce qu’il en pense.

- Je ne vais pas pouvoir y couper ? plaisanta Max.

Courtney l’avait déjà salué. Max compta les sonneries : une, deux, trois avant que son interlocuteur ne décroche. Voyons, voyons, comment vais-je te convaincre que le moment est mal choisi pour déchiqueter la gamine ?

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