Derkomai's Mask
Chapitre 31 : Chut ! Ne réveille pas les crocus
6176 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 27/07/2024 22:00
- Tout est en ordre de mon côté. Je te laisse attendre dans le hall pendant que j’appelle ta dresseuse, indiqua Joëlle.
Sacha refusa poliment, il pouvait quand même retrouver sa chambre tout seul. Et puis, il ne voulait pas trop ennuyer Serena vu comment elle était tendue depuis leur affrontement contre l’autre fille.
- Je te laisse te débrouiller alors. Mais je compte sur toi pour ne pas me faire le même coup que tes autres amis pokémons.
Sacha n’avait pas besoin de voir les tables brisées empilées dans un coin pour savoir de quoi elle parlait.
- Caufeu, la rassura-t-il.
- Et tu rappelleras bien à ta dresseuse qu’elle devra m’aider à tout remettre en place demain. Je l’attends à 7h30, donc ne faites pas trop la fête ce soir, finit-elle avec un clin d’œil.
Il ne pensait pas que son amie aurait l’énergie pour cela. Par contre, rien n’interdisait qu’il lui ramène un petit quelque chose. Il avait vu une pâtisserie pas très loin et… C’est vrai que je n’ai pas mon pokédex sur moi, soupira-t-il.
Sa déception laissa vite place à la surprise. Lui ? Prêt à faire les courses pour un gâteau qu’il ne mangerait même pas (quoique si Serena lui en proposait un petit bout il ne dirait pas non, et il savait que sur ce coup il ne faisait pas un pari très risqué). Qu’on ne se méprenne pas, il était du genre à partager, mais… Une fois, Serena et Clem avaient fait plusieurs heures de queue pour récupérer une minuscule part de gâteau – oui, oui, une seule part pour quatre personnes, et lui s’était jeté dessus comme si elles avaient fait tous ces efforts dans l’unique but de satisfaire son seul estomac. Chose que Serena s’était empressée de corriger d’une claque sur la main. Désolé, ne put s’empêcher de penser Sacha au souvenir.
"Serena ?"
La chambre était déserte bien qu'il perçoive l'odeur de sa dresseuse. Son cœur accéléra de quelques battements avant qu’il ne remarque que la porte menant à la terrasse était ouverte. Intrigué, il contourna l’amas de coussin disposé à côté du lit et glissa sa tête dehors. Accoudée à la rambarde, elle observait les lumières de la ville colorer le début de nuit, suffisamment absorbée dans ses pensées pour ne pas remarquer la flamme qui approchait.
- Je n’y suis pas arrivée, murmura-t-elle en serrant le ruban rouge dans sa main.
- Dra ?
La jeune fille sursauta, elle ne s’attendait pas à le revoir si tôt.
- Joëlle a déjà fini ?
Il acquiesça, lui demandant du regard s’il pouvait se joindre à elle. Serena hésita quelques secondes, après tout elle n’avait pas encore digéré tout ce qu’il s’était passé avec Amélia, y compris ce qui concernait son dragon. Cependant, elle n’avait aucune envie de le rejeter.
Elle se poussa, mais la rambarde n’était pas si longue quand c’était un dracaufeu à côté de vous si bien que seul un maigre interstice persistait entre eux. Le faux-pokémon essaya bien de se recroqueviller sur lui-même pour lui laisser plus d’espace, sans succès.
- Cau, se désespéra-t-il.
Il se contrariait pour si peu ? Elle ne se moquerait pas, mais difficile de retenir un sourire.
- Tu te donnes toujours tellement de mal pour m’aider.
- Caufeu, nia le faux-pokémon.
La manière dont il frotta le bout de son museau. C’était de la gêne ? De la joie ? Elle ne l’avait jamais compris chez Sacha, et maintenant que Dracaufeu l’imitait… Elle secoua la tête, il y avait bien ces histoires de jumeau maléfique, alors pourquoi pas un pokémon avec quelques similitudes ? Pas de quoi s’en étonner outre mesure.
- C’était ça que tu faisais quand tu disparaissais des journées entières à Vermilava ? reprit-elle. Tes attaques, tes mouvements, en vérité tu as toujours eu l’intention de participer avec moi.
Les mains de la jeune fille se crispèrent. Si seulement elle l’avait compris plus tôt, si elle ne s’était pas mise à croire qu’accepter d’être blessée pour le protéger était la preuve qu’il pouvait lui faire confiance…
- J’aurais voulu être là. J’aurais tant voulu être là, avoua-t-elle. Mais j’étais tellement persuadée que tu ne voulais plus de moi comme dresseuse, si j’étais venue te voir au lieu de m’obstiner peut-être…
"Je ne l’aurais pas supporté."
Les mots éreintés étaient sortis tout seul, sans qu’il puisse les contrôler. Et quand il s’en rendit compte, quand il sentit le regard surpris de la jeune fille, toutes ses écailles se hérissèrent.
"Ça ne veut pas dire que je te détestais ou que je ne voulais plus de toi ! C’est juste…"
Il mordit ses lèvres et essaya de calmer les vibrations de ses écailles. Il avait oublié que ce n’était pas parce qu’il parlait tout haut qu’elle comprenait forcément. Sauf que vu la manière dont il avait réagi, Serena devait au moins se douter qu’il ne se contentait pas de demander ce qu’ils mangeraient demain.
Allez ! Il ne devait pas perdre son calme, il pouvait encore faire comme si ce n’était pas important et vite retourner sur un ton plus joyeux… Ses ailes s’affaissèrent.
"Je ne savais pas quoi faire," avoua-t-il d’une voix éteinte. "Jusque-là, il me suffisait de pardonner ou bien de proposer un combat pokémon et tout rentrait dans l’ordre. Mais… c’était différent avec toi. C’était, je ne sais pas exactement ce que c’était, mais en revanche c’est sûr que ce n’était pas une dispute. J’étais tellement en colère et j’avais tellement peur que tu recommences que je ne pouvais pas faire… ce que je faisais d’habitude."
Il fit une longue pause, ses mains crispées sur la rambarde, essayant de calmer le magma qui s’éveillait.
"J’étais gentil, le gentil Sacha qui croyait en ses amis, c’était pratique pour éviter qu’ils m’en veuillent, qu’ils me détestent. Ah ! En fait je suis vraiment… Tu le crois ça ? J’ai toujours combattu, mais en fait je n’ai jamais affronté personne."
Ses griffes s’insinuaient dans l’acier, tordait les barreaux chauffés par ses paumes.
"Je ne pouvais plus me cacher derrière mes pokémons, parce que j’étais le pokémon, j’étais celui qui devait t’affronter directement et… Tu refusais d’écouter, le temps ne faisait que t’affaiblir, et il y avait ce truc en moi qui menaçait d’exploser. Je n’avais aucune solution, aucune idée de ce que j’étais censé faire ou dire, et finalement j’allais revenir à ce dont j’avais l’habitude, ce pourquoi j’étais le meilleur : te sourire, te dire que ce n’était pas grave et que le mieux était d’avancer. Autant te jeter moi-même dans la gueule de Sharpedo !"
Le métamorphosé avait rejeté sa tête en arrière sans réussir à voir le ciel, un sourire tordu blessait son visage. Sacha n’avait jamais menti ? C’était juste qu’il s’en fichait si ses mots étaient faux ou vrais, parce que les choses finissaient toujours par s’arranger, parce que ce n’était toujours que de simples histoires de combats, de dressage, de concours, de performances… Des histoires liées aux pokémons qui se règleraient avec les pokémons, sans qu’il ait plus besoin d’intervenir.
"Sauf que cette fois c’était toi et uniquement toi. Alors je me suis mis à t’éviter, à essayer de compenser ce que je ne pouvais résoudre en m’entrainant, et même si je savais que ça te blessait… C’est si minable, mais c’était le mieux que je pouvais faire."
Il s’arrêta, se rendant soudain compte qu’il avait oublié de mimer tout ce qu’il venait de dire. Et Serena qui le regardait avec de grands yeux, peinée d’avoir effleuré l’importance de ce qu’il venait de confier sans réussir à le saisir pleinement.
- Tu ne répèteras pas ?
Le cœur de Sacha se serra, de toute façon s’il s’était ouvert si librement, c’était parce qu’il savait que ses mots resteraient inaccessibles. Mais demandez-lui de vraiment lui parler et il se dégonflait aussi vite que le ballon de la Team Rocket. Pourquoi c’était si compliqué ? Pourquoi tout était toujours compliqué quand il s’agissait de Serena !?
- Hum… Dracaufeu ?
La rambarde ! Pris dans ses pensées il n’avait pas remarqué qu’il venait d’ajouter une chose de plus à la liste des dégâts infligés au centre par l’Equipe Serena.
"Je fais n’importe quoi."
- Il n’y a pas que ça, ajouta-t-elle d’une voix suraigüe.
Pas que ça ? Comment ça pas que ça ? Son pouvoir de destruction ne pouvait pas être aussi… Ah ! comprit-il enfin. Plaquée contre son flanc, fermement retenue par son aile, Serena pouvait aisément sentir le frémissement des écailles contre sa joue. Vraiment n’importe quoi ! Il s’empressa de la relâcher, des flammes d’excuses s’échappaient de sa gueule pendant que Serena arrangeait ses mèches en désordre.
- Tu ne me laisses pas les toucher, par contre l’inverse…
Il n’était pas maître de tout ce que faisaient ses ailes ! Enfin, si, quand même un peu, mais quand vous aviez toujours eu deux bras et deux jambes, intégrer dans son schéma deux membres supplémentaires n’était pas si simple.
- Il y a pleins de choses que j’ai du mal à comprendre chez toi, déplora Serena dans un soupir. Même quand tu essayes de me dire ce que tu as sur le cœur je ne suis pas capable… C’est peut-être pour ça qu’Amélia a cru…
- Dra ? s’inquiéta le dragon, surpris que le nom de la rivale revienne.
Elle a dit que tu mentais, qu’est-ce que tu en penses ? Ce n’était pas quelque chose que Serena pouvait lui dire directement. Et de toute façon, elle n’arrivait pas à imaginer comment et pourquoi il ferait une telle chose. Du mal à se confier, pourquoi pas, qu’elle ne puisse pas toujours entendre ce qu’il voulait exprimer, sans doute, mais qu’il ruse pour la tromper, c’était juste impossible.
- En fait, je n’ai pas compris ce que Mentali faisait pour arrêter tes attaques, même en Reptincel tu ne te laissais pas si facilement troubler.
Sacha saisit son museau au douloureux souvenir. Pour être tout à fait honnête, il en était le premier surpris.
- Tu n’en as aucune idée ?
- Cau.
- C’est moi où tu es vraiment très mauvais quand il s’agit de ton corps ?
Sacha se crispa. Les autres pokémons semblaient savoir d’instinct comment ils fonctionnaient quand ses instincts à lui se chargeaient juste de le faire passer pour un monstre sanguinaire.
- Ah ! C’est vrai qu’on ne s’est pas entrainés aujourd’hui ! se souvint-elle soudain.
Il pensait que le concours de la journée lui aurait suffi, mais si elle tenait à travailler de nouveaux enchainements avant qu’ils n’aillent se coucher alors…
"Non !" comprit-il soudain. Elle lui présentait sa main, laissant peu de doute sur ce qu’elle voulait. "Ça a été une grosse journée et je suis fatigué, trèèèès fatigué. Donc si on remettait cet entrainement à demain ou après-demain ou, tiens, pourquoi pas la semaine prochaine pour être parfaitement reposés !"
- Dracaufeu.
A contre cœur, il étendit son aile. Un effleurement et déjà les décharges électriques se propageaient dans ses nerfs jusqu’à sa moelle.
- Dis Dracaufeu, tu te souviens de ce que je t’avais dit ? De mon objectif en venant ici à Hoenn, ce que j’essayais d’apprendre… Je crois que je vais le mettre en pause quelques temps.
- Caudra ?
Son cri de stupeur s’étouffa en même temps qu’il se cambrait vers l’avant. Elle intensifiait son toucher pour qu’il ne puisse pas la contredire, c’était de la triche.
- Si je ne peux rien apporter à mes propres pokémons, comment je peux réussir à atteindre les autres ? C’est pour ça, je veux d’abord et avant tout me concentrer sur vous, le reste viendra après.
Moins fort Serena, supplia Sacha qui avait perdu le fil de ce qu’elle disait. Il se recroquevilla jusqu’à trouver une position qui l’autorisait à supporter le va-et-vient des doigts. Heureusement, la jeune fille s’arrêta, lui permettant de reprendre son souffle.
"Je persiste à croire que ce n’est pas une bonne idée," gémit-il tout pantelant.
Il ne s’attendait pas à voir les yeux bleus de si près lorsqu’il rouvrit les siens. A force de se tortiller, il avait fini par poser son front contre celui de sa dresseuse tout en agrippant sa robe de ses griffes, c’était donc ça la position confortable… Serena se recula d’un coup, comme si elle s’était brûlée contre les écailles. Pourtant, et il le vérifia, son front ne battait pas des records de température.
- Dra ?
Et puis pourquoi paraissait-elle si nerveuse ? Elle gardait ses mains serrées contre sa poitrine, une délicate teinte rouge imprégnait ses joues… Sacha déglutit quand la jeune fille détourna la tête.
"Serena ? Tout va bien ?" essaya-t-il.
Elle se crispa. Oui, tout allait bien, à part son cœur qui battait beaucoup trop vite ! Elle secoua la tête. Bon sang, qu’est-ce qu’il lui prenait ces derniers temps ?
- J’aimerais qu’on essaye de retrouver Amélia demain, tu voudras bien m’aider ? changea-t-elle de sujet.
Sacha baissa la tête, il avait cru… Il observa un long moment ses écailles orange, ses griffes. Un dracaufeu, pour elle il était un dracaufeu. Serena recula quand il la regarda d’un œil morne, elle avait l’impression qu’il était... Déçu de ce qu’il est ?
- Dra, acquiesça-t-il enfin.
Je ne le connais pas. C’est avant tout parce que je ne le connais pas et qu’il me reste beaucoup à apprendre sur lui que j’ai l’impression… Oh allez Serena, peu importe ce que dit Amélia (en plus elle ne l’a vu que quelques secondes !), Dracaufeu reste Dracaufeu et puis… qu’est-ce que tu voudrais qu’il soit d’autre au juste ?
Voulant vite se débarrasser de ses pensées, elle lança à la va vite des coups d’œil autour d’elle, jusqu’à tomber sur l’empilement de coussins. C’est vrai qu’elle devait aussi lui parler de ce détail.
- Dracaufeu, au sujet du fait qu’on dorme ensemble… Je crois que ça ne va plus être possible.
- Caufeu ?! cria Sacha plus fort qu’il ne s’y attendait.
- Tu es plus lourd qu’avant et j’ai peur que les lattes ne tiennent pas, sans oublier qu’avec ta nouvelle taille tu dois te sentir à l’étroit, expliqua la jeune fille. C’est pour ça que j’ai emprunté des coussins, comme ça tu pourras t’étendre comme tu veux et ça restera confortable.
Ne plus dormir dans le même lit, c’était ce que Sacha avait toujours demandé, alors pourquoi maintenant qu’elle lui proposait se sentait-il si mal ?
- Cau, gargouilla-t-il son acceptation.
Serena grimaça. Elle savait qu’il ne sauterait pas de joie, mais elle ne s’attendait pas à voir les écailles pâlir autant. Il ne simplifiait pas les choses, mais elle ne pouvait pas, vraiment pas… De quoi tu as peur au juste ?
- Oublie ce que je viens de dire, soupira-t-elle.
De toute façon elle n’était plus à un ou deux traumatismes crâniens près. Et puis ce n’était pas parce que le lit craquait à chaque mouvement qu’il faisait que cela signifiait qu’il allait forcément se rompre. C’était juste une forte probabilité, et tout le monde savait qu’on ne pouvait jamais se fier aux probabilités.
- Cau… Caufeu, feu, feu !
- Tu n’as pas besoin de te forcer à jouer les grands, lui rappela-t-elle.
Il ne jouait pas ! Cela lui allait, vraiment ! D’ailleurs, il allait se coucher, là, maintenant, et mieux dormir que jamais, loin de la chaleur de Serena… Beaucoup, beaucoup mieux, se persuada-t-il la tête dans les coussins, son cou allongé à l’extrême pour prendre toute la place qu’il pouvait.
- Si ça te convient, tant mieux, finit par se laisser convaincre Serena.
Et tant pis pour l’amertume que crachait son cœur, elle s’y ferait, elle n’aurait pas le choix de s’y faire. C’est bien pour ça que j’ai pris une bouillote.
***
Une erreur. La voie qu’elle avait choisie était une erreur et il était temps de disparaitre.
Assise à la terrasse d’un café, Amélia ne pouvait empêcher ses mains de trembler. Elle qui avait échoué au concours, sacrifiée pour que Serena réussisse.
- Mademoiselle, tout va bien ? s’inquiéta le serveur. Si vous avez besoin de vous allonger, on a quelques fauteuils à l’intérieur et…
- J’ai si mauvaise mine ?
Le garçon posa un café sur la table d’un air soucieux.
- Cadeau de la maison, dit-il simplement.
Elle le goûta, se laissa envahir par l’amertume, cela ne suffirait pas.
Une erreur. La voie qu’il avait choisie était une erreur où il pouvait vivre.
La tasse s’était brisée au sol et Amélia observait la noirceur envahir les pavés. Elle était une ombre au milieu des rues, il était un éclair vert zigzagant sur les murs, un simple Arcko qui pendant une seconde croisa son regard. Son esprit résonna puis fondit pour ne plus être totalement le sien.
Il attendait que tout se corrige.
Son corps implosait, se désagrégeait jusqu’à ce qu’il ne reste rien d’elle. L’artisan suppliait, s’excusait, injustice ? C’était bien une idée d’humain. Alors pourquoi résonnait-elle maintenant si fort en lui ?
Déchirée. Les yeux la fixaient, plein de rage qu’elle ait ainsi violé leurs secrets. Mais ses sens étaient trop confus pour lui dire d’avoir peur, et elle se laissait balloter, oubliant qui elle était jusqu’à ce que les fins phosphènes sous ses paupières la réveillent.
Amélia s’écorcha les doigts sur les débris de porcelaines, même ainsi elle ne parvenait pas à faire disparaitre le rêve qui s’élevait devant elle et il fallait bien se rendre à l’évidence : c’était la Tour Prismatique, la vraie Tour Prismatique. Elle inspira longuement l’air frais de Kalos, le désir impérieux de rentrer dans sa ville natale, en sécurité. Néanmoins son regard se porta plus loin, vers ce qu’au plus profond d'elle-même elle devinait être la citée de Crolmach’. Elle connaissait cet endroit, elle y avait déjà été… une odeur de cendre et d’encens.
Azoth.
***
La première chose que Serena chercha dans son état semi-conscient fut la chaleur écailleuse. Un réconfort qu’elle ne trouva pas, sa main n’effleurant que la tiédeur des coussins. Pourquoi s’était-il levé si tôt ? Elle bailla et s’enfonça un peu plus dans l’amas d’oreillers.
La bouillote n’avait pas fonctionné. Elle avait enchainé cauchemars sur cauchemars jusqu’à ce qu’exténuée, elle se glisse auprès du pokémon. Un geste à ses risques et périls vu comment elle l’avait entendu s’agiter au cours de la nuit et elle était déjà prête à se prendre quelques coups de queue et d’ailes… qui n’arrivèrent jamais. Le dragon préféra enrouler son long cou autour d’elle et la serrer aussi bien dans ses bras que dans ses ailes, comme s’il la retrouvait après une longue absence.
Le cœur de Serena avait bondi de plaisir à cette chaleur retrouvée, un peu trop d’ailleurs. Mais pouvait-on vraiment la blâmer ? Ils s’étaient réconciliés et elle sentait bien toute la valeur qu’il lui accordait en tant que dresseuse, plus qu’il ne fallait pour la gêner.
Serena étouffa un nouveau bâillement. Tout de même, il était vraiment parti tôt et… Joëlle ! A moitié coiffée, Serena préparait déjà ses excuses quand elle se présenta à l’infirmière.
- Nous avons déjà fini.
- Nous ?
- Dracaufeu est plus matinal que toi, taquina la soignante. Et tu pourras le remercier de m’avoir empêchée de venir te réveiller.
- Vous n’auriez pas dû l’écouter !
- Malheureusement, il avait déjà jeté le seau d’eau par la fenêtre. Un peu trop fort d’ailleurs, je l’ai ajouté à la liste.
Serena pâlit aussi bien face au réveil matin glacial qu’elle avait évité que pour ses subventions de dresseuse qui risquaient d’être très maigres le mois prochain. Encore heureuse qu’elle ait gagné ce concours pour un peu compenser.
- Au fait, où est Dracaufeu ? demanda la jeune fille qui ne le voyait nulle part.
- Je lui ai permis d’utiliser la cuisine après qu’il m’ait aidé, je suppose qu’il doit toujours y être.
Serena ouvrit grand la bouche de stupeur. La cuisine ? Comment ça la cuisine ?
- Il n’a pas trop la tête de l’emploi donc ça m’a surprise qu’il sache cuisiner…
Attendez, attendez ! Dracaufeu ? Cuisiner ? Depuis quand ?! Déjà qu’il avait du mal quand elle lui demandait quelques tâches simples pendant qu’elle confectionnait la majeure partie de leurs repas, alors qu’il s’y essaye seul… Serena le sentait mal, d’autant plus mal avec cette odeur de brûlé en s’approchant de la pièce que lui avait indiqué l’infirmière.
Faites que la cuisine ne soit pas en feu. Par pitié, faites que la cuisine ne soit pas en feu !
Sa prière fut entendue. Aucune flamme ne dévorait les lieux et la cendre blanche qui couvrait les meubles n’était que simple farine. Rien qui ne partira pas avec un bon nettoyage, se rassura la jeune fille en comptant les flaques gluantes au sol.
- Dracaufeu ?
Il sursauta et sa poêle en fit de même avant qu’il ne la rattrape, les deux mains sur le téflon. Il était bon pour repartir en urgence voir Joëlle… à moins qu’il ne repose tranquillement l’ustensile et ne dévisage la jeune fille sans comprendre la raison de sa panique.
- Tu ne t’es pas brûlé ? voulut-elle quand même s’assurer.
Il tiqua à la remarque et vérifia ses mains, se surprenant lui-même de les voir intactes. Il faudrait quand même qu’il évite de prendre de mauvaises habitudes, sinon il risquait de le payer cher une fois redevenu humain.
- Tu aimes le charbon, maintenant ? demanda la jeune fille en toute sincérité.
- Dra ? ne comprit pas le métamorphosé.
Elle pointa les morceaux noirâtres au fond de la poêle dont le récurage risquait d’être difficile. Sacha grimaça et s’empressa de saisir le livre où il avait pris sa recette.
- Dracau ! ronronna-t-il tout fier de sa trouvaille.
La jeune fille écarta les pages qu’il collait sous son nez et soupira :
- Pourquoi tu ne m’as pas réveillée si tu avais faim ? Tu sais bien que je refuse rarement de te préparer quelque chose.
Il jeta un bref coup d’œil à l’épaule blessée, mais pas assez rapide pour que la jeune fille ne le remarque pas. Serena pâlit, c’est vrai qu’elle avait besoin de plus de temps qu’avant, mais…
- Dracaufeu, tu ne vas pas mourir de faim pour trente minutes de plus à attendre.
"Ce n’est pas le problème !" s’offusqua le dragon. "Tu t’occupes toujours de cuisiner quand moi… Je voudrais juste pouvoir te dire de temps en temps que tu peux te reposer, faire autre chose, parce que je suis là et que je m’occupe de tout."
La jeune fille cligna des yeux de surprise avant de repousser quelques mèches de cheveux derrière son oreille, la mine pensive.
"Ah ! Désolé, j’ai oublié de mimer et…"
- Des crêpes, c’est ça ?
Il hésita à acquiescer pendant qu’elle lui prenait le livre des mains et éteignait le feu.
- C’est une bonne idée de commencer par quelque chose de simple. Mais il n’y a pas suffisamment d’images pour que tu t’en sortes seul, et de toute façon c’est voué à l’échec si tu ne peux pas lire les quantités qu’il te faut.
Sur ce coup, Sacha se vexa. Elle ne l’avait pas dit méchamment et il ne pouvait nier le fait qu’il avait arrêté l’école à ses dix ans, mais il n’en était pas non plus au stade de ne pas pouvoir lire une simple recette et ça le peinait qu’elle pense le contraire, comme s’il était… Stupide ? Inculte ?
Il se plaça à côté de la jeune fille et de sa griffe souligna la phrase « Prenez 50 cl de lait » tout en lisant à voix haute :
- Feudra, dracau.
Voilà comment il ne prouva absolument rien à sa dresseuse. De toute façon, à part les chiffres, Serena était bien incapable de déchiffrer les caractères des régions orientales et n’aurait pas pu vérifier ce qu’il lui citait. Un détail auquel Sacha ne pensait plus en prenant un verre doseur dans une main et une brique de lait dans l’autre, bien décidé à lui prouver ce dont il était capable. Mais traitrise, les graduations ne comportaient que 1/8, ½, ¼ et aucun 50 cl. Il tourna plusieurs fois le verre et dû rapidement se rabattre sur le plan B : 50 cl ça doit être à peu près la même chose que 50g de farines.
- Bien essayé Dracaufeu, mais ça ne s’improvise pas, pouffa-t-elle.
Alors déjà, il pouvait assurer que l’improvisation l’avait aidé à remporter de nombreuses victoires. Et ensuite, rien n’interdisait de faire quelques ajustements pour améliorer la recette.
- Ce ne sera pas simple si tu veux vraiment tout cuisiner seul, mais je peux peut-être t’apprendre quelques recettes et t’aider à repérer certains chiffres ou au moins que tu aies une bonne idée des quantités nécessaires pour tes préparations.
Sacha avait toujours la désagréable impression d’être un parfait illettré. Pire que ça, c’était comme si elle insinuait que plus que de ne pas savoir, il ne pourrait pas lire.
- On va d’abord commencer par tout nettoyer pour repartir dans de bonnes conditions, tu veux bien m’aider ? lui proposa-t-elle avec un clin d’œil.
Sacha regarda tout autour. Effectivement un bon nettoyage s’imposait et vu l’ampleur de la tâche, il pouvait difficilement se passer de l’aide de sa dresseuse.
- Dracau, s’excusa-t-il.
Serena sourit doucement. Il n’hésitait pas à plonger ses mains dans l’eau, chose peu agréable pour un type feu, et faisait de son mieux pour finir le plus vite possible sa partie de cuisine pour pouvoir ensuite aider la jeune fille. Chose qui finalement se faisait plus souvent dans le sens inverse puisque dans la précipitation, les battements de sa queue renversaient une fois sur deux le seau ou tout autre objet qui avait le malheur de croiser son chemin. Avec tout ça, Serena n’était pas sûre de pouvoir se lancer à la recherche d’Amélia dès ce matin. Je viens de me trouver une bonne excuse pour l’éviter, se désespéra-t-elle.
- Caudra ? s’inquiéta le faux pokémon qui avait bien remarqué que la jeune fille zieutait de plus en plus souvent l’horloge murale.
- Pourquoi je n’irais pas bien ? se défendit-elle immédiatement. On a gagné le concours après tout… Remue plus doucement, dit-elle en effleurant la main du faux-pokémon, sinon il y aura plus de pâte sur la table que dans le saladier.
Sacha fit une pause pour détendre son poignet. Il ne pensait pas forcément au concours, et pourtant c’était la première chose dont elle lui parlait. « Je n’y suis pas arrivée,» c’était ce qu’elle avait dit hier soir avant qu’il ne l’interrompe. Que voulait-elle dire par là ? Pourquoi avait-elle un regard si triste malgré le ruban qu’elle tenait ? Et pourquoi il n’y réfléchissait que maintenant ?!
- Drr… s’arrêta-t-il au dernier moment.
Est-ce qu’elle lui en voudrait s’il se mêlait de ce qu’il ne le regardait pas ?
- Tu peux commencer à faire chauffer la poêle si tu veux, moi je vais finir de mélanger la pâte.
- Dracaudra ?
- Je te l’ai déjà dit, mon épaule va beaucoup mieux et tu m’as déjà bien avancé le travail, le rassura-t-elle.
Peut-être devrait-il la laisser tranquille et… Il alluma le feu d’un geste sec. Non, non et non ! Ce n’était pas le moment de revenir à ses vieilles habitudes ! Il avait beau ne pas être le plus doué pour comprendre ce qui se passait dans la tête des gens, avec Serena il avait envie d’essayer, peu importe à quel point cela pouvait être compliqué.
- Dra, insista le dragon en s’approchant de la jeune fille.
Elle posa sa main sur le museau de son ami pour l’empêcher d’aller plus loin.
- Puisque je te dis que tout va bien, soupira-t-elle.
"Désolé, mais je ne vais pas me contenter de sourire et de dire d’accord, pas cette fois."
Serena mordit sa lèvre. Elle sentait bien que le dragon n’abandonnerait pas si facilement, et qu’elle ne ferait que l’inquiéter en gardant le silence.
- Bon d’accord, peut-être que tout ne va pas si bien que ça, mais ne va pas croire que c’est grave non plus, c’est juste… On a un peu discuté avec Amélia.
Il le savait bien, c’était même pour ça qu’il avait attendu sur le terrain que Serena revienne le chercher.
- Dracau ?
- Non, pas vraiment, avoua la coordinatrice. Et c’est uniquement ma faute.
- Dra, dracaudra ! voulut-il la contredire.
- Tu ne comprends pas Dracaufeu ! J’ai cru que je pouvais comprendre ce qu’elle ressentait, mais au final… Je ne l’ai pas écoutée. Je lui ai parlé avant même d’avoir écouté. Exactement ce que j’ai fait avec toi, exactement ce qui t’a fait souffrir.
Il n’osa pas répondre, son ventre le brûlait à nouveau.
- Je n’arrive pas à faire sourire ceux que je rencontre, encore moins les inspirer comme le faisait Aria. Je me sens si loin de ce que je voulais alors que…
Serena baissa la tête vers la pâte pleine de grumeaux. Ce n’était que maintenant qu’elle se rendait compte pourquoi elle avait tant besoin de parler à Amélia, de se faire pardonner.
- Quand nous nous sommes rencontrées à Kalos, peu après le salon j’ai… J’ai surpris sa conversation avec Mme Palermo.
- Cau ?
- Je ne voulais pas les espionner ! Je cherchais ma brosse et tu vois je suis passée à côté et…
Sacha sentit une goutte de sueur glisser sur sa tempe. Il avait l’impression que Serena le comprenait beaucoup mieux ce matin, mais il y avait encore quelques ratés. Et puis qui était cette Palermo au juste ?
- C’est en les écoutants que j’ai commencé à réfléchir et à chercher ce qui me manquait. Et puis je suis arrivée en finale de l’Epreuve des Elues sans me soucier de ce qu’elle était devenue alors que… J’ai profité de sa défaite, je n’ai fait que profiter de sa défaite au moment même où je découvrais ce que signifiait être Reine de Kalos !
Elle avait crié ses derniers mots, la culpabilité, le dégoût d’elle-même perçait dans sa voix jusqu’à ce qu’une aile tremblante vienne se poser sur ses épaules. Sacha faisait de son mieux pour soutenir le regard de la coordinatrice. Il ne savait pas quoi lui dire, il ignorait quels étaient les bons mots ou au contraire ceux qui feraient du mal.
- Drrracau, gargouilla-t-il.
Elle effleura l’aile du doigt et sentit les frémissements redoubler sans pour autant qu’il la retire.
- Les dracaufeus sont plus prévenants qu’on ne le croit, se moqua-t-elle.
Serena écarta avec précaution la membrane pour avoir à nouveau la place de mélanger la pâte. Le métamorphosé baissa la tête, assumant avec douleur son échec.
- Tu vas pouvoir huiler la poêle.
Il exécuta sa mission tel un automate, trouvant un intérêt étrange dans ces gouttes de graisses qui sautillaient au rythme des flammes. Si concentré qu’il ne sentit pas les yeux qui le fixaient et réfléchissaient.
Plus prévenants. Plus gentils aussi, plus doux, toujours là pour aider leurs dresseurs, bien plus que ce que les gens croient… Mais en réalité, tout ça, c’est parce que c’est toi, n’est-ce pas ?
- Parce que tu n’as jamais été un pokémon comme les autres.
Il s’était retourné au murmure, sans comprendre ce qu’elle disait jusqu’à ce que sa respiration se bloque. Elle le sondait comme si elle cherchait à voir à travers les écailles, à travers le masque… Il recula d’un pas et posa sans s’en rendre compte sa paume contre la surface crépitante du téflon. Ce ne serait pas suffisant pour le brûler, pas encore, mais s’il attendait plus longtemps…
- Pourquoi Dracaufeu ? Pourquoi es-tu si différent ?
Il coupa le feu.
"On ferait mieux d’arrêter là," avoua-t-il. "Sinon je pense qu’Amélia aura remporté le Grand Festival avant que je n’aie réussi à te préparer des crêpes convenables."
A nouveau, Serena semblait avoir compris ses mots sans qu’il ait eu besoin de mimer. La dresseuse faisait ce qu’elle lui avait promis : mieux l’entendre, mieux le comprendre, mieux savoir qui il était. Ce qui aurait dû le réjouir, ce qui aurait dû être une victoire, ressemblait désormais à deux épées de Dimoclès au-dessus de sa tête comme ils aimaient dire à Kalos.
Le métamorphosé trembla. Elle ne devait pas le découvrir, pas avant qu’il ait retrouvé son corps humain pour être sûr qu’elle n’arrête pas les concours afin d’aider cet idiot coincé dans un corps de pokémon, qu’elle ne s’arrête pas pour lui… Comme maman. La graisse qui collait encore sa paume vint imprégner les écailles près de son cœur. Ça m’effraye toujours autant ? J’ai beau dire que je veux te faire confiance, j’ai beau essayer de me rapprocher, je ne suis toujours pas capable… Qu’est-ce que tu trouverais Serena ?
Une télévision pour tout étouffer.
Qu’est-ce que tu finirais par trouver en cherchant qui je suis ?
Un enfant qui aimait les pokémons.