Derkomai's Mask
Chapitre 30 : Ce n’est pas une amaryllis, ça y ressemble juste
5049 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 13/07/2024 10:03
La perfection existait-elle ? En ce moment, Mos était convaincu que oui. Vautré dans le canapé, sa fidèle zapette sur l’accoudoir, quelques apéritifs sur la table basse et son fils occupé avec son nouvel ami Arcko. Ce gecko perdu en ville, loin de sa forêt natale, qui s’était vite rendu indispensable au sein de la famille. Bon pokémon, sourit intérieurement Mos pile au moment où les pubs se terminaient. C’était parti pour une après-midi de Matchs Extrêmes !
- Hey ! se vexa Mos.
A peine le temps de voir le bout de la queue du Reptile de Combat, et voilà qu’il se retrouvait sur ce fichu Direct Concours. Comme s’il n’en mangeait pas déjà assez le reste de l’année ! La nuque crispée, l’homme se tourna vers celle qui venait de s’emparer de la télécommande.
- Anne, ma chérie...
Elle s’assit à côté de lui sans décrocher un mot, sa posture guindée en disait suffisamment long. Mos déglutit, sachant pertinemment ce qu’elle lui reprochait : le concours d’Autéquia, littéralement à dix minutes de chez eux et pour lequel il n’avait pu avoir de place… n’était pas allé les chercher, mais cela elle n’était pas censée le savoir.
- Je sais que tu es déçue et crois moi je m’en veux de ne pas m’y être pris plus tôt. Mais cela fait depuis une semaine que je veux voir ces combats et…
- Et tu as la chance de te faire pardonner, ne la gâche pas.
Mos grinça des dents. Il allait vraiment louper le match de la Reine Venin pour un concours de beauté ? Mais s’il osait se plaindre, il imaginait déjà ce que sa femme lui dirait : « Attends la deuxième partie, tu les auras tes combats ». Super, des matchs au rabais quand il aurait pu voir la quintessence du combat. Une année, juste une année sans voir ce concours, c’était trop demander ?
La porte s’entrouvrit, Arcko rampa sur le mur, leur nouvel ami ne voulait-il pas l’aider ? C’est toi que ça touche, moi cela m’importe peu, crut-il deviner les paroles du monstre vert. Mos déglutit, un nouveau courage s’animait en lui, quelque chose qu’il devrait réprimer… Mais c’était les génies extrêmes quand même.
- Manquer un concours ne va pas te tuer.
Il laissa le silence planer, inquiet et en même temps curieux de savoir comment elle réagirait, ce même désir importun qui vous faisait tourner la tête pour mieux voir l’accident. Anne fit craquer un gâteau sous sa dent et Mos crut qu’elle se contenterait de l’ignorer.
- C’est la seule chose que je te demande, grinça Anne. La seule.
- La seule avec la vaisselle, le ménage, et quelques cadeaux en prime, nargua l’homme. Je ne suis pas un mari d’exception, mais tu ne peux pas dire que je ne fais pas ma part du travail.
Elle courba l’échine. Ses boucles brunes lui tombaient au milieu du dos, aussi brillantes et soyeuses que lors de leur première rencontre, quand Anne enchainait concours sur concours.
- Des fois je me demande si j’ai fait le bon choix.
Son murmure pendant qu’elle triturait son alliance fit pâlir Mos. Il s’attendait à ce qu’elle lui balance une pantoufle à la figure pour avoir joué au plus malin, pas qu’elle lui fasse son coming out pour une histoire de programme TV.
- Attends, attends, qu’est-ce que tu me fais là ?
- Des fois… j’ai l’impression que tout ce que j’ai fait c’est me sacrifier pour toi.
Il en resta bouche bée, Anne aimait leur famille, aimait Hector. Sa vie de coordinatrice, elle y avait renoncé. Pas avec le sourire bien sûr, c’était toujours comme ça au début, mais avec le temps elle avait fini… Par l’accepter ? De toute façon elle n’avait pas le choix. Pas avec votre erreur bien logée au fond du tiroir ! railla sa conscience. Arcko s’approchait, les yeux d’or rivés sur lui, sur Anne, sur eux, attendant… jugeant ?
- C’était peut-être une erreur, susurra sa femme, mais est-ce que cela te donnait le droit de me tuer ?
- Que… Qu’est-ce que tu racontes ? balbutia l’homme.
La télévision bourdonnait, à moins que ce ne soit ses propres tympans qui tremblaient sous la violence des mots qu’elle lui infligeait.
- Et moi je me suis laissée faire, j’ai vraiment été… stupide, si stupide.
Elle frappait mollement son front de son poing, ses fines rides tirées par l’amertume, le regret, la douleur. Arcko avait sauté sur les coussins, souriait, comme si la réponse d’Anne lui plaisait, désireux d’en entendre plus.
- Je n’aurais pas dû l’accepter. J’aurais dû changer, évoluer, continuer à vivre. Rejeter… c’était injuste.
La litanie trouva son chemin et Mos crut se souvenir que c’était lui qui l’avait chantée. Il crut le revoir, l’entendre ! Etre sans espoir, immobile, prostré, ayant déjà accepté. Insupportable, il devait agir, le changer, le métamorphoser ! L’Egoïsme, lui avait-il rétorqué. C’est bien la seule chose que je ne peux devenir.
La porte claqua, ricocha sur le mur. Sa fille brandissait sa création : un masque… et des gommettes. Hein, quoi, Sa fille ? Non… Son fils ! C’était son fils qui s’approchait du pokémon et lui offrait l’objet grotesque.
Plus vite. Il devait se dépêcher. Sa volonté. Sa volonté dont héritaient ses créations et leur permettait de vivre, de ne pas rester figées. Mais sans son aide, elle ne serait rien et sa fille… son fils… Oh…
Enfin, le pokémon (Arcko ! L’Arcko des villes !) se saisissait du masque. Il souriait, remerciait, réfléchissait, aimait, peut-être... Les tempes de l’homme pulsaient si fort. Il tomba de son siège, d’épaisses gouttes de sueur dégringolaient le long de son menton.
- Hector ! haleta-t-il
Il prit son enfant dans ses bras, chose qu’il ne se croyait plus capable de faire depuis qu’il avait senti son dos dangereusement plier sous le poids de l’enfant. Ton erreur !
- Papa ?
Les yeux d’or le fixaient. Son reflet dans les iris, mais c’était un autre que le pokémon voyait, même lorsqu’il s’écroula dans le couloir, les bras de son enfant (sa fille ? son fils ? un salamèche ?) enroulés autour de son cou.
- Anne, gémit-il.
La bouche sèche, il implorait son aide, mais captivée par les images du petit écran, elle ne daigna pas se tourner vers lui.
- Pas maintenant, se contenta-t-elle de répéter.
Le pokémon (Arcko ?) se glissa sur les genoux de la femme. Docile, adorable, inoffensif pendant qu’elle le caressait.
- Ce concours, je ne veux surtout pas le rater.
- Anne ! Je t’en prie, je t’en supplie !
- Bientôt.
Ils sourirent à l’unisson. Une jeune coordinatrice et son Dracaufeu se présentaient sur scène.
***
La fourrure de Mentali palpait l’air. Le calme avant que ne retentisse le glas, la chaleur paisible du dragon auprès de sa dresseuse, l’angoisse qu’Amélia s’évertuait à dissimuler.
- Je compte sur toi.
Mentali n’avait pas oublié : leur première défaite, incompréhension et frustration, les échecs qui suivirent. Le temps, l’affreux créancier ayant refusé le moindre sursis, qui les contraignit à être simples spectateurs du tournoi de leurs rêves.
Le son de la cloche, les deux pokémons furent lâchés sur le terrain. Mentali salua la foule d’une pirouette élégante quand le dragon se présenta d’un vol acrobatique. Des entrées en scènes maitrisées afin d’attirer tous les regards, dont celui surpris de Serena.
- Quand as-tu appris à faire ça ? bredouilla la jeune fille.
- Dra, lui rappela-t-il.
Ils n’avaient que cinq minutes, beaucoup trop court pour des explications sur le où, quand et pourquoi. Cependant, qu’il ne lui fasse pas croire que c’était sans importance, pas après tout le travail qu’il avait sans doute dû fournir… seul, sans sa dresseuse.
- Poing Eclair !
Il ne se précipita pas pour sauter sur son adversaire et laissa les éclairs glisser sur ses poings et se propager autour de lui, illuminant les écailles. Un mouvement digne d’un concours, mais pour lequel Serena n’avait aucunement contribué, elle qui, en même temps que le public, découvrait son pokémon.
Cependant, Mentali échappa sans peine aux griffes du monstre. Elle réitéra l’exploit une deuxième puis une troisième fois dans un rire, narguant ouvertement le monstre de feu.
- Dracaudra ! gronda Sacha.
L’extrémité fourchue de la queue de Mentali frémit : l’attaque viendrait de la droite. Elle continua ainsi d’esquiver sans peine, ses mouvements dictés par son pelage bien plus sensible que les écailles rudimentaires du reptile.
Sacha accéléra le rythme, de belles attaques c’était bien mais encore fallait-il toucher son adversaire avec. Il avait vu suffisamment de concours pour le savoir. Cependant, ses pattes étaient trop courtes et son corps trop lourd pour espérer rattraper l’agilité du pokémon qui commençait sérieusement à lui donner le tournis.
- Ne rentre pas dans son jeu ! le supplia Serena.
Le cercle lumineux s’était déjà bien noirci quand le faux pokémon leva la tête. Il n’allait pas pouvoir poursuivre beaucoup plus longtemps la stratégie Sachiesque du « continues jusqu’à ce que ça fonctionne ! » Réfléchis Sacha ! Tu peux penser à bien mieux que ça… Enfin, pense quand même en mode concours. Sa flamme caudale gonfla soudain, s’il ne pouvait toucher directement Mentali alors il ferait en sorte que son attaque soit inévitable.
- Feu ! indiqua-t-il son idée à sa dresseuse.
Serena cligna des yeux. Feu ? Feu comment ?
- Feufeu ! répéta l’ancien dresseur.
- Lance-Flammes ? s’essaya-t-elle.
Sacha acquiesça et prit une grande inspiration. Il avait son esprit humain pour contrôler ses instincts, un nouveau corps plus puissant, sans oublier son expérience auprès de Flora et Aurore. Il serait le pokémon qu’elle attendait, le pokémon dont elle avait besoin, le pokémon qu’elle n’abandonnerait pas !
Peu importe à quel point il était faux.
Les flammes se bloquèrent net dans sa gorge. Un simple coup de patte sur le bout du museau et il se retrouvait sans défense, à la merci du Psycho qui le jeta droit dans le mur. Il entendit Serena crier son nom au milieu de la poussière et des gravats qui pleuvaient sur sa tête.
- Dracau, répondit-il pour la rassurer.
Tout de même, comment avait-il pu se déconcentrer si facilement ? Il voulait bien que ce soit l’effet de surprise, mais d’habitude il avait plus tendance à relâcher ses flammes qu’à les retenir.
- Il arrive ! Dracaufeu, ne reste pas là !
Il sauta juste à temps sur le côté, mais ce n’était pas comme si Mentali espérait le toucher, du moins pas avec Météores.
- Flash !
Sacha gémit. En larme, les yeux rouges, son sens de la vue brisé et Serena complètement dépassée par la douleur de son pokémon. Reptincel était déjà sensible à l’époque mais maintenant en tant que Dracaufeu… Amélia l’avait déjà compris.
"Serena ?!" implora le faux pokémon.
- A ta droite ! Utilise Lance…
Ses flammes refluèrent vers son ventre en même temps que sa tête reculait sous l’effet de la douleur. Pourquoi ? C’était juste une pichenette, et Sacha n’avait jamais vu son Dracaufeu ni même aucun de ceux qu’il avait affronté reculer pour une pichenette !
- Drrrraaaa ! hurla-t-il.
Le mot spectacle ou concours n’était plus qu’un vague souvenir. La vue floue, sa gorge encore contractée, ses instincts débordant pour faire cesser la douleur et le mot humain qui se perdait au milieu de tout ce tumulte.
- Non… balbutia Serena. Dracaufeu, calme-toi ! Je sais que tu n’es pas…
Que savait-elle de lui au juste ? Elle qui avait assuré aussi bien à Adriane qu’à Amélia qu’il avait sa place auprès d’elle, auprès d’une coordinatrice. Elle le croyait, elle voulait y croire, même si la crainte de se tromper ne l’avait jamais vraiment quittée… pas quittée du tout en fait. Et le bilan ? Le résultat ? Il était là, sous ses yeux, la bête hors de contrôle dont on l’avait si souvent mise en garde. La théorie et les beaux espoirs rapidement laminés par la pratique.
Ses points dégringolaient à chaque fois que Mentali esquivait un coup drapé dans la lumière d’une Aurore qu’il venait d’invoquer. Inutile d’en faire autant. Amélia avait déjà gagné, pas besoin de plus montrer cette silhouette fine et élancée, le magnifique pelage mauve, l’orbe brillante. Mentali était beau, si beau aux yeux de Serena, du public, aux yeux d’Amélia…
La coordinatrice releva vivement la tête comme si une décharge venait de la frapper – et elle avait de l’expérience en décharge vu son passif à la centrale. C’est ça ! La manière dont tu vois Mentali, la manière dont tu me la fais voir ! Et ce n’est pas seulement ton pokémon, le mien aussi, tu arrives à… Tu es vraiment incroyable Amélia, mais je reprends la main !
Mentali venait de glisser entre les pattes du métamorphosé et avait sauté sur son dos pendant qu’il tentait de se retourner. Bingo, entre l’impulsion et ses pieds butant contre sa queue, le pauvre monstre ne garda pas plus longtemps son équilibre.
- Dracaufeu.
Le fin murmure ramena un peu de raison chez l’ancien humain. Raison qui se retrouva bien vite noyée au milieu de ses peurs.
"Je peux le faire, je vais le faire, je dois le faire !"
Ne m’abandonne pas. Je serais ce que tu veux, je ferais ce que tu veux, mais ne m’abandonne pas, je ne veux plus, je ne veux plus !
- D’accord, si tu n’as pas besoin de moi, fit-elle la moue.
Elle espérait une réaction, mais elle ne s’attendait pas à ce qu’il s’immobilise si vite, la gueule béante de stupéfaction. La jeune fille croisa les bras. Elle avait l’habitude de jouer les vexées quand sa mère lui faisait une remarque, et aujourd’hui il était temps de mettre à profit tout cet entrainement.
- Non, c’est bon, tu peux continuer. De toute façon, tu as appris pleins de choses sans moi, alors je suis un peu trop à la traine pour t’être utile, grinça Serena qui cette fois n’était plus tout à fait sûre de jouer la comédie.
Au moins, son petit coup de théâtre fonctionna. Un peu trop bien d’ailleurs puisque le dragon était déjà revenu vers elle et avait saisi ses épaules, les traits tirés par le remord.
- Dra ! Dracaudra, caufeu, dra, dra… Dracau !
Serena se sentait un peu coupable de le faire paniquer ainsi. Et elle ne doutait pas qu’en ce moment, il mettait tout en œuvre pour l’encourager, la rassurer. C’était Dracaufeu après tout, celui qui se fichait bien de comment un dracaufeu ou même un pokémon normal devait se comporter, celui que Serena avait appris à connaître.
- Alors ? Est-ce que j’ai ma place à tes côtés ? lui demanda-t-elle avec un léger sourire.
Bien sûr ! Bien sûr qu’elle avait sa place ! C’était plutôt lui qui… Et d’abord, pourquoi croyait-elle le contraire ? Ce n’était pas comme s’il avait… Oh… Oh ! Non, non, non ! Ne lui dites pas qu’il s’était encore emporté ?! Et face à cette fille en plus !
- Dracaufeu, viens-là, lui proposa la jeune fille la main tendue.
"Quoi ? Mais le chrono, tes points, tu vas te faire éliminer si…"
Un grondement malencontreux de plaisir lui échappa. Elle lui gratouillait l’arrière des cornes, là, en plein affrontement, alors qu’ils n’allaient pas tarder à perdre.
- Je ne sais pas ce qu’Amélia a pu te dire pour te mettre dans un tel état, mais tout va bien, d’accord ?
La mâchoire du faux pokémon se serra si fort qu’il sentit les muscles tirer ses tempes. Ce qu’Amélia lui avait dit ? En fait… rien de méchant, rien de vraiment dit et c’était peut-être lui qui en avait imaginé une bonne partie. Tu ne lui as vraiment jamais menti ? Même en pokémon, même… en humain ?
"Serena, si… Si je n’étais pas… Pas tout à fait, pas vraiment ce que tu croyais."
Elle vint caresser la joue de son autre main, faisant redoubler les grondements. Il se sentait bien, simplement et parfaitement bien dans cette promesse, une simple caresse, qu’il pourrait rester.
- Et si on leur montrait…
Ses doigts avaient glissés hors des écailles. A nouveau libre, le dragon ne bougeait pourtant pas, piégé dans ce charme qu’il n’avait aucune envie de briser. Mentali s’en chargea pour lui. Son joyau brillait, deux lunes violettes sans la moindre pitié et le désir d’en terminer ici et maintenant. Il ne toucherait pas que le reptile s’il relâchait sa puissance.
- Le Dracaufeu que j’ai vu, murmura la jeune fille.
Il se tenait devant elle, ses griffes drapées de vert, les écailles hérissées, tout son corps hurlant qu’il la protègerait pendant que Mentali au loin peinait à se relever, un élan de douleur prenant son flanc à chaque respiration.
- Qu’est-ce qui t’as pris ? s’horrifia Amélia.
- Menta… haleta le pokémon.
Il flagellait sur ses pattes, le souffle court, il s’était montré trop confiant et il venait d’en payer le prix.
- Il n’est pas fait pour les concours, mais c’est ce qui le rend dangereux ! Tu ne peux pas attaquer sur un coup de tête en te disant que tu pourras encaisser !
Mentali baissa les oreilles de honte. Le poing de sa dresseuse tremblait, un geste qu’il connaissait bien à présent, celui qui signait la peur d’Amélia.
- Men…
Il cracha sa douleur et Amélia se surpris à trouver étrange de ne voir qu’une flaque de salive. Ce n’était pas juste les dégâts qu’avaient subi son pokémon qui l’inquiétait, mais bien le reptile qui restait près de sa dresseuse malgré ses écailles qui vibraient de colère. Serena savait comment le calmer, c’était un fait incontestable, un exploit même vu la facilité avec laquelle elle y parvenait. Pour qu’il se montre si docile et protecteur envers elle, la dresseuse avait dû l’élever depuis son plus jeune âge, Amélia ne voyait pas d’autres explications.
- Je vais bien Dracaufeu ! Tu m’as protégée, tu m’as parfaitement protégée comme tu le fais à chaque fois !
Ce qu’elle avait mis tant de temps à voir, plus que jamais elle désirait le montrer, à commencer par ce pokémon qui n’hésitait jamais à la porter sur les vents et à la rassurer quand elle craignait de tomber. Elle se pencha contre son ouïe, et doucement lui murmura :
- Envole-toi.
Son ombre dominait désormais le terrain et Amélia avait déjà compris le danger. Sans perdre un instant, elle ordonna à son pokémon :
- Rejoins-le avec Psycho, on doit vite le mettre à terre.
Le pokémon bondit plus qu’il ne vola, mais Mentali ne l’atteindrait pas si facilement, Serena le savait. Elle qui se souvenait de la puissance des muscles se mouvant sous ses mains quand ils volaient ensembles.
- Tournoie puis Lance-Flammes !
C’était Sacha qui avait inventé cette manière d’esquiver à Sinnoh. Un secret de combat dont il avait fait la démonstration à sa dresseuse sans la moindre hésitation, au grand damne de cette dernière d’ailleurs qui aurait préféré qu’il attende qu’elle ne soit plus sur son dos. Sacha ne put s’empêcher de rire au souvenir, un rire paré de flammes quand Mentali juste au-dessus était paralysé par la surprise.
- Maintenant ! cria Serena.
- Météores ! hurla Amélia.
C’est ça Dracaufeu, ce qu’on a admiré ensemble, la beauté que je n’ai pu voir que parce que tu es resté avec moi. Les étoiles explosèrent contre les flammes et laissèrent retomber de fins flocons brillant sous la lumière de l’aurore aux yeux des spectateurs. Les cendres volcaniques sous la lune, admira Sacha.
- Sublime.
La seule chose que put dire Amélia dans son asphyxie.
- Draco-Griffe !
Aucun râle quand elle suffoqua.
- Mentali est hors combat ! La victoire revient à…
Amélia n’entendit pas le nom du vainqueur. Elle se contenta de fixer le tableau, ses points au plus haut quand ceux de Serena ne tenaient qu’à un maigre fil. Alors pourquoi était-ce son visage qui disparaissait ? Las, elle s’agenouilla auprès de son pokémon inconscient sans s’inquiéter des cendres qui imprégnaient sa robe.
- Amélia, je…
- Pas maintenant Serena.
Qu’elle la laisse au moins se reposer dans son calvaire. Le joyau terne de Mentali s’était remis à luire, bref sursaut avant qu’elle ne reprenne conscience en un gémissement d’excuse.
- Tu as bien travaillé, la rassura Amélia. Tu peux te reposer maintenant.
- Li, refusa le pokémon d’une voix rauque.
- Inquiète toi plutôt de tes blessures au lieu de penser à moi, lui intima-t-elle en même temps qu’elle rappelait Mentali dans sa pokéball.
Ses yeux la brûlaient pendant qu’elle se dirigeait vers les vestiaires, mais dans l’étroit couloir, elle entendait les pas qui suivaient son ombre.
- Tu n’as pas l’intention de me laisser partir sans rien dire ? abandonna-t-elle l’idée de semer son poursuivant.
Serena se tendit, elle hésita à parler, mais finalement son regard reprit de l’assurance :
- Je ne demande pas à ce que tu me répondes mais… au moins écoute moi, souffla la coordinatrice dans son dos.
- Très bien, céda Amélia en se retournant. Mais n’agis pas comme si tu voulais que je te réponde, parce que toi et moi, on sait bien que tu espères que ce ne sera pas le cas.
Serena observa un moment ses pieds, les dents serrées et ses poings fermés sur sa robe, avant d’inspirer profondément.
- Je sais que ça ne te fera pas plaisir, que ça t’énervera même, mais je tenais à te remercier. Parce que sans toi, je n’aurais pas compris comment montrer à quel point Dracaufeu pouvait être…
- Mignon ?
Serena eut un sursaut de recul, elle ne s’attendait pas à ce que son cafouillage d’hier revienne si brusquement.
- A moins que ce ne soit craquant ? se moqua Amélia sans conviction.
Elle n’avait plus l’énergie pour rester debout et au point où elle en était de toute façon, pourquoi le cacher ? Désormais assise contre le mur, les jambes repliées, écouter Serena serait plus supportable.
- Tu devrais arrêter de rougir, conseilla-t-elle une fois bien installée.
- Je ne rougis pas.
- Il fait trop sombre pour en être sûr, remarqua Amélia.
Serena respecta le silence rythmé par le rire immotivé de la coordinatrice. Quand il se finit, la jeune fille n’était plus très sûre de vouloir rester, en plus Dracaufeu risquait de venir vérifier ce qu’il se passait si elle s’éternisait trop.
- Ce que je voulais dire, c’est que je n’aurais jamais pu montrer la beauté de Dracaufeu si je ne t’avais pas vu faire avec Mentali. Tu…
- C’est la meilleure, exhala Amélia. Quelle beauté Serena ? Quelle beauté quand tu gagnes sur un hors combat alors que tout le reste était… Vas-y, je t’écoute, dis-moi que c’était un vrai match de concours !
Son ton était monté dans les aigües et son regard glacial transperçait la jeune coordinatrice, la gagnante de ce combat.
- Je ne renierai pas ce qu’il a fait.
- Bien sûr, cracha Amélia. Bon, alors, félicitation Serena, félicitation pour cette magnifique victoire. Vraiment, elle était amplement méritée, claqua-t-elle son dégoût du bout de la langue tout en se relevant. Ah ! Et ravie de t’avoir aidée.
- Tu veux vraiment que ça finisse comme ça ?
Amélia se figea, les lèvres crispées et tout son corps tendu.
- Je dois me changer.
Elle ne refusa cependant pas la présence de Serena, assise à côté de sa cabine en train de récompenser son dragon d’une profiterole.
- Serena. J’ai un petit souci avec ma robe, tu voudrais bien…
- Tu es sûre ? voulut quand même s’assurer la dresseuse avant d’entrer.
- Je n’ai pas le choix, avoua Amélia.
Serena fut surprise de découvrir que sa rivale n’avait retiré que ses gants, le regard fixe sur le miroir et les yeux rougis.
- Tu es agaçante, vraiment agaçante, dit enfin la dresseuse de Mentali. Tu t’amuses à faire du shopping pendant qu’on se démène à l’entrainement et pourtant c’est toi qui l’emporte à la fin. Tu ne trouves pas ça injuste ?
- C’est comme ça que tu le vois ?
Un maigre sourire sur les lèvres d’Amélia. Elle ne savait plus si elle devait en rire ou en pleurer.
- C’est ce que tu me montres.
- Amélia, ce n’est pas parce que ce n’est pas visible qu’il n’y a pas eu pour autant… des choses difficiles, frissonna Serena. Je t’ai dit que tu n’étais pas obligée de me parler, mais dans ce cas ne m’invente pas une vie qui t’arrange.
Amélia haussa les épaules, peu touchée par le soudain blêmissement ou cette main raide qui s’ouvrait et se fermait comme si elle répétait un mouvement qu’elle avait oublié.
- Je ne suis pas toi et je ne cherche pas à l’être, c’est tout, trancha Amélia.
- Mais…
- Et c’est pour ça que je n’attends pas à ce que tu me comprennes ou que tu saches quoi faire. Simple, non ? Tu as juste à me laisser. Tu n’as eu aucun mal à le faire à Kalos alors pourquoi ce serait si dur ici ?
Serena déglutit. Amélia leva les yeux au ciel, retira ses boucles d’oreilles avant de les jeter à la figure de la dresseuse.
- Tu peux y aller, je me débrouillerai.
- Amélia je…
- Tu devrais plutôt t’occuper de Dracaufeu au lieu de perdre ton temps avec moi.
Serena fronça les sourcils, la question qui la taraudait au bout des lèvres.
- Tu veux savoir ce que je lui ai dit, n’est-ce pas ? devina la fille en mauve.
- Oui, dit-elle sans hésiter.
- Rapporte.
Elle avait tendu la main, ses yeux brillaient de ce secret qu’elle possédait et qu’elle n’abandonnerait pas sans une juste rétribution. La gagnante se plia à sa volonté, ramassa les boucles d’oreilles et les posa dans la paume, mais au moment de reculer, les doigts se serrèrent sur sa main, lui coupant toute possibilité de fuite.
- Il te ment Serena. Je ne sais pas sur quoi exactement, mais ton craquant et mignon pokémon te ment.
Serena sonda le regard de sa rivale, cherchant à y déceler le moindre indice de moquerie, mais rien, Amélia était sûre d’elle.
- Je sais que je ne connais pas tout de lui, mais avec le temps je suis sûre que j’arriverais…
- Ce n’est pas de ça dont je parle, sourit largement Amélia.
La jeune dresseuse se dégagea d’un geste plus vif qu’elle ne l’aurait voulu. Ce n’était pas parce qu’il avait du mal à aborder son passé avant leur rencontre qu’il mentait pour autant, c’était juste… Le cœur de Serena se glaça, comme si lui aussi savait parfaitement de quoi Amélia parlait : ce pokémon si particulier, cette impression qu’il ne correspondait pas tout à fait à ce qu’il devrait être. Mais c’est parce que c’est Dracaufeu et que Dracaufeu ne fait jamais rien comme les autres.
Elle quitta la cabine étouffante pour retrouver le pokémon. Il remarqua vite l’agitation de sa dresseuse et s’assura qu’elle allait bien de quelques grognements inquiets. La voix, l’apparence, les flammes tout correspondait parfaitement à un dracaufeu… A part sa manière de sourire.