Derkomai's Mask

Chapitre 10 : Les boutons d'or s'enracinent facilement

9937 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/02/2024 16:03

Serena restait dubitative face au bâtiment éclairé par la lune. De multiples fissures le parcouraient et certaines fenêtres étaient brisées. La jeune fille tendit l’oreille, elle ne percevait que le bruit des vagues derrière elle, mais aucun son ne provenait de cette structure où bon nombre de personnes étaient supposées travailler. Ils doivent tous dormir, se persuada la dresseuse. Mais la boule qui naissait dans son ventre lui faisait bien comprendre que cette explication n’était pas suffisante.

- Vous êtes sûr que c’est ici ? ne put s’empêcher de questionner Serena pendant que Voltère finissait l’amarrage de son bateau.

- Je sais que je suis vieux, mais j’ai encore toute ma tête, s’indigna le champion. Et que voudrais-tu que ce soit ?

Un débarras, c’était la première et la seule idée qui venait à l’esprit de Serena. Surtout que la structure n’était pas bien grande pour un système censé alimenter toute une ville.

- Comment on entre ? demanda-t-elle.

- Par la porte, répondit Voltère le plus naturellement du monde.

L’homme passa devant elle et se contenta de tourner la poignée pour ouvrir. Ne devrait-il pas y avoir un code aux combinaisons infinies, un quadruple verrou, un scanner rétinien, n’importe quoi pour assurer un minimum de sécurité. Même un simple cadenas aurait suffi…

- Non, rien, dit la jeune fille dépitée par l’insouciance du vieil homme.

En entrant, Serena n’avait plus de doute sur le fait qu’ils s’étaient trompés. Il n’y avait dans cette pièce que de vieilles pièces mécaniques rouillées et poussiéreuses. Voltère ne s’arrêta pourtant pas à l’entrée et marcha jusqu’au fond de la pièce.

- Tu viens ? cria-t-il.

Serena grimaça, le vieil homme pourrait au moins allumer la lumière. Elle se faufila au milieu des bouts de tôles à l’éclat terni, ayant du mal à discerner où elle marchait.

- Sala, indiqua le monstre de feu.

Un escalier ? Serena ne pensait pas qu’il y avait des étages. Elle observait avec appréhension les marches qui s’enfonçaient dans le sol. Si les premières étaient à peu près visibles grâce à la lumière fantomatique de la lune qui nimbait la salle, les suivantes disparaissaient dans les ténèbres, ne donnant aucune idée d’où elles menaient. Visiblement, Voltère préférait construire les choses en profondeur plutôt qu’en hauteur.

- De base, on voulait créer une vraie ville souterraine. Mais finalement, on a abandonné l’idée au bout du douzième niveau, expliqua Voltère en s’approchant d’un des murs.

- Ce n’était pas suffisant ?

Voltère appuya sur le bouton d’appel de l’ascenseur avant de répondre :

- New Lavandia devait avoir soixante-neuf niveaux. On est loin du compte, tu ne trouves pas ?

- Soixante-neuf… balbutia la jeune fille.

Le vieillard appuya à nouveau sur le rond de métal, fixant le quadrant au-dessus des portes qui restait bloqué sur le chiffre six.

- Finalement, je ne suis pas mécontent qu’on ait abandonné cette idée, remarqua Voltère.

Le champion revenait d’un pas las vers les escaliers. Il sentait déjà ses genoux se plaindre de la torture qu’il allait leur infliger.

- On ne prend pas l’ascenseur ? demanda la dresseuse dans un élan d’espoir.

Le rire du vieillard fit pâlir Serena. Elle regarda encore une fois les escaliers qui s’enfonçaient dans les ténèbres, elle avait un mauvais pressentiment. Voltère alluma sa lampe torche, faisant redoubler les inquiétudes de la jeune fille.

- Le système d’éclairage aussi est en panne, soupira le champion.

Les marches étaient beaucoup trop hautes pour que Sacha puisse se débrouiller seul. C’est pourquoi il se retrouvait encore dans les bras de Serena. Mais il se demandait si cela était vraiment utile vu la vitesse à laquelle elle avançait. La jeune fille posait la pointe de ses pieds avec minutie, s’aidant de la flamme du reptile pour se guider. Dans cette cage étroite, le bruit des pas rebondissait sur les murs et s’amplifiait au point de créer un écho assourdissant et continu. Serena jetait sans cesse des coups d’œil nerveux derrière elle, persuadée qu'un fantôme vengeur les suivait.

Voltère n’avançait pas beaucoup plus vite. A chaque marche qu’il passait, il balayait du faisceau de sa lampe toute la zone devant lui, comme s’il attendait qu’un monstre surgisse des ténèbres.

Sacha sentit les bras autour de son corps se resserrer et il se retrouva plaqué contre la poitrine de la jeune fille. Les battements de cœur de son amie, réguliers, mais terriblement rapides cognaient contre son dos. Elle tremblait et il se doutait qu’elle était en train d’imaginer toutes sortes d’histoires remplies de fantômes et de créatures cauchemardesques.

- Sa ! voulut l’encourager le métamorphosé.

Elle sursauta de peur, le visage livide.

- Ne me fais pas de telles frayeurs ! le réprimanda-t-elle.

- Mèche, se renfrogna Sacha.

Voltère s’arrêta quand sa lampe torche éclaira le chiffre neuf affiché sur une porte. La pièce où ils entrèrent n’était pas mieux éclairée. C’était désert, pas une seule âme ne se manifestait et cela ne plaisait pas à l’inventeur. Il remarqua soudain les contours d’une ombre gisant à terre. Les traits du vieillard se crispèrent, il espérait se tromper.

- Sa ! cria Sacha en sautant sur le sol pour courir vers la forme.

Comme l’ancien humain le craignait, c’était bel et bien un pokémon. Il lui secoua les épaules, l’appela, mais le monstre aux poils jaunes zébrés de noir ne bougeait pas. Voltère se précipita au côté de la salamandre et examina l’élektek avant de souffler :

- Il est simplement évanoui, mais on dirait que son énergie électrique a été volée.

- Mèche, trembla Sacha.

Serena suivit le regard de son pokémon, remarquant dans la pénombre les autres créatures inconscientes.

- Qui a pu les mettre dans cet état ? paniqua Serena.

Le champion tremblait de rage. Cette centrale, il l’avait aussi construite pour que les pokémons électriques puissent y trouver refuge. Il les connaissaient tous, du plus petit pichu jusqu’à l’imposant élékable. Alors celui qui les avait fait souffrir allait le lui…

< CLANG >

Tout le monde se retourna vers l’origine de cet étrange son. Le vieil homme agitait sa lampe, espérant démasquer la créature qui se terrait dans les ténèbres.

- Se pourrait-il… commença la jeune fille le visage blême. Cette centrale est construite sur un ancien cimetière et les esprits qui y vivent ont décidé de se venger !

Sacha frissonna. Les histoires de Serena lui donnaient toujours des sueurs froides.

- Et si l’ascenseur ne fonctionnait pas, c’est parce qu’il était rempli du sang des précédentes victimes ! continua-t-elle sur sa lancée.

La dresseuse plaqua soudain ses mains sur sa bouche, comme si tout ce qu’elle venait de raconter lui avait échappé.

- Je n’aurais pas dû dire ça… regretta la jeune fille avec une voix suraigüe.

Voltère ne s’était toutefois pas laissé déstabiliser. Il continuait d’éclairer les lieux à l’aide du faisceau de lumière à la recherche d’un quelconque indice.

Des cris, un grésillement puis une petite lumière vibrante apparut au milieu des ténèbres. Serena se réfugia derrière le reptile malgré le peu de protection qu’il apportait. Elle tremblait et fermait les yeux, n’osant pas regarder le feu follet qui brillait au loin.

Sacha soupira de dépit. Non pas qu’il était gêné qu’elle l’utilise comme bouclier vivant, mais s’ils étaient vraiment attaqués, le mieux qu’il pourrait faire serait de protéger les mollets de son amie.

< CLANG >

La dresseuse s’accroupit, se boucha les oreilles et cria :

- Je suis désolée !

Sacha recula de quelques pas, se demandant si la jeune fille n’avait pas finalement raison. Mais Voltère ne bougeait pas, le regard concentré sur la deuxième lueur qui venait de naître.

- Sala ! Sa ! l’appela le métamorphosé, espérant le faire réagir.

Cela eut l’effet inverse. Voltère s’élança vers les fantômes en sortant une pokéball de sa poche.

- Arrête ça ! hurla-t-il.

Sacha ne se souvenait pas avoir déjà vu Voltère aussi en colère. Il en devenait même plus terrifiant que n’importe quelle créature surnaturelle. La forme rondouillarde de l’homme disparut à son tour dans les ténèbres. Serena restait figée, se rendant compte qu’elle était maintenant seule avec la salamandre.

- Voltère ? appela-t-elle d’une voix tremblante.

Pas de réponses et les feux follets avaient disparu. La jeune fille ferma soudain les yeux, éblouit par un bref éclair lumineux. Cela venait de l’endroit où était parti le vieil homme.

- Qu’est-ce qui se passe ? s’effraya la dresseuse.

Elle avança un peu dans l’espoir de retrouver le champion d’arène, mais des bruits stridents l’arrêtèrent dans sa lancée. Cela ressemblait à un tintamarre de casseroles qu’on frappait les unes contre les autres et…

< CLANG >

C’était tout proche. Serena tourna la tête, même avec la flamme de son pokémon, elle discernait à peine ce qu’il se passait à un mètre. Le tympan de la jeune fille vibra, excité par les cliquetis répétés qui s’approchaient.

- Restez où vous êtes, dit-elle d’une voix faible.

Sacha s’était posté devant elle, il montrait les crocs dans l’espoir de dissuader la menace de venir plus près. La chose fut enfin visible. Une pince clinquante qui se fermait et s’ouvrait comme si elle battait la mesure. Elle se mouvait dans les airs, portée par un câble capable de se tordre avec souplesse.

- Sala ! cria-t-il plus fort.

La pince se figea en position ouverte. Cette chose avait beau être dénuée d’yeux, Sacha avait quand même l’impression qu’elle les fixait. Les mâchoires métalliques se fermèrent avec un bruit sec et le câble noir se rétracta dans les ténèbres.

- Il est parti ? s’étonna la dresseuse qui venait de se relever.

Sacha n’avait pas suffisamment confiance en ses capacités d’intimidation pour croire une telle chose. Il fit briller ses griffes, les muscles tendus, l’adrénaline dans le sang.

- Mèche… prévint-il sa dresseuse.

Les écailles du faux-pokémon frémir. Il avait l’impression qu’elles palpaient l’air, cherchant la moindre anomalie de pression qui pourrait alerter le reptile du danger.

- Sa ! cria-t-il en courant vers son amie.

Serena ne s’attendait pas à ce que son pokémon lui fauche les jambes d’un coup d’épaule. Elle tomba vers l’avant au moment où le câble transperça l’air, visant l’endroit où la jeune fille se tenait quelques secondes plus tôt.

- Mèche ?

Serena grimaça, elle s’était écorchée la paume des mains et ses genoux ne devaient pas être en meilleur état. Toutefois, les arcs électriques qui sautillaient entre les mors recourbés lui indiquaient que son sort aurait pu être bien pire.

- Sal… grogna le reptile.

Sa flamme s’était intensifiée et il tendait son bras devant le visage de sa dresseuse, signifiant bien qu’il interdisait à quiconque de l’approcher. Serena restait à genou, n’osant pas se relever complètement. Sauf que c’était elle la dresseuse, elle ne pouvait pas simplement rester en arrière et laisser un jeune pokémon se débrouiller seul.

- Utilise Tranche ! ordonna-t-elle.

Le tuyau se tordit et sa pince claqua à tout vitesse alors que les griffes de Sacha s’enfonçaient dans le caoutchouc. La gaine de latex se tortilla, essayant de se dégager du parasite qui le blessait.

- Salamèche ! Ne reste pas là !

Mais même s’il se faisait secouer dans tous les sens, les griffes du faux-pokémon restaient coincées dans la matière élastique. Je vais vomir, blêmit l’ancien humain.

- Salamèche ! hurla la jeune fille terrifiée.

Sacha remarqua que le câble devant lui s’était suffisamment déformé pour que la pince puisse lui faire face. Elle s’approchait du pokémon, comme un Séviper dont on aurait saisi la queue en oubliant qu’il lui restait ses crocs. Sauf que cette bête là produisait des éclairs et était bien décidée à foudroyer sur place l’impudent.

- Laisse-le ! s’énerva Serena en tirant une pokéball de sa poche.

- Sonicboom.

Une vague argentée sectionna net le câble. Sacha tomba et eut le souffle coupé lorsqu’il sentit la gaine lui écraser le ventre. C’était plus lourd que ce qu’il pensait. Serena arriva vite pour le dégager et le serra contre elle. Trop proche ! paniqua l’ancien humain alors qu’il sentait la joue de la jeune fille contre ses écailles.

- Le pauvre a dû vraiment avoir peur, remarqua Voltère.

- Sala ! démentit le type feu.

- Tes écailles… constata la jeune fille.

En effet, le pokémon habituellement orange avait viré au rouge vif. A ce rythme, il risquait de se transformer en lampe fluorescente.

- Posi ? entendit-il soudain.

Sacha remarqua derrière les jambes du champion les deux pokémons qu’il avait aidés plus tôt.

- Qu’est-ce que vous faites ici ? s’écria la dresseuse.

- Sala, salamèche ? dit le reptile sur le même ton.

Les oreilles des deux monstres se baissèrent de concert, ils gardaient les mains jointes et la tête baissée en signe d’excuse.

- Je leur ai posé la même question, soupira Voltère. Ce sont des braves petits, ils pensaient nous aider en venant.

Le champion s’était baissé pour leur caresser la tête, mais il était facile de déceler sur son visage toute l’inquiétude qu’il ressentait pour les monstres de poche. Voltère se tourna vers un autre pokémon qui lévitait dans les airs. Trois sphères grises collées l’une à l’autre bougeaient leurs bras en forme d’aimant. Chacune possédait un énorme oeil blanc qu'elles coordonnaient pour toujours fixer le même point.

- Magnéton, je compte sur toi pour trouver les autres blessés, demanda l’homme en s’approchant du malheureux élektek.

- Nég !

- Oui, vous deux aussi pouvez nous aider, sourit le papy.

- Attendez ! Vous ne nous avez toujours pas expliqué ce qu’était cette chose, les interrompit Serena.

- On en discutera plus tard. Pour l’instant on a réussi à le faire fuir alors on doit en profiter pour...

Un cri métallique alerta le champion. De l'électricité s'échappait du corps de son pokémon et se dirigeait vers l'obscurité, comme absorbée par une force invisible.

- Magnéton ! Dégage-toi !

- Magn… gémit le pokémon sans pouvoir bouger.

Voltère rappela son ami à l’abri dans sa pokéball. Deux câbles se contorsionnaient devant lui avec leurs tenailles qui claquaient de victoire.

- Maintenant ça suffit ! Tu vas utiliser tes fibres optiques et regarder à qui tu t’attaques stupide machine ! gronda Voltère.

Les pinces cessèrent de bouger, se focalisant sur l’homme qui venait de parler. Un vrombissement se fit alors entendre, puis une voix grave, brouillée, se mit à réciter :

- Protocole d’urgence <Zzz>. Demande au personnel de rejoindre les zones sécurisées.

- Et pour quelle raison ? intervint Voltère les sourcils froncés.

- <Zzz> Ah ah ah ! Dysfonctionnement de la centrale. <Zzz>

Ce pseudo-rire bien gras qui tentait d’imiter un humain crispa la mâchoire du champion.

- Je veux plus de précisions, gronda le vieil homme.

- <Zzz> Mon cher Voltère, ne nous énervons pas. La centrale a un léger dysfonctionnement. <Zzz>

C’était une voix grave et mielleuse cette fois. La machine était en train de passer par tous les tons possibles de son interface.

- Je crois que c’est toi qui dysfonctionnes, se moqua le vieil homme.

- <Zzz> Mes circuits se portent à merveille. <Zzz> Dysfonction de la centrale.

- Et moi je te dits qu’il serait temps que tu reconnectes tes circuits ! vociféra le champion exaspéré. Ça t’évitera de t’en prendre à des pokémons innocents.

- Mise en place du système de secours pour assurer les besoins en énergie électrique. <Zzz>

- Tu te fiches de moi ! hurla le champion.

- <Zzz> Rejoignez les zones sécurisées. <Zzz>

Les tenailles s’illuminèrent et firent jaillir un éclair qui manqua de peu le vieillard.

- Voltère ? entendit-il siffler nerveusement la jeune fille.

- Pour l’instant, faisons ce qu’il dit.

- « Il » ?

- L’I.A de New Lavandia, grogna le vieil homme.

Serena jeta un œil à son reptile qui semblait prêt à repartir au combat. Elle se plaça devant le jeune monstre en prévision de ce qu’il pourrait faire puis demanda au champion :

- Vous avez un plan ?

- J’en trouverai un, répondit Voltère en chargeant l'élektek sur ses épaules.

- Et les autres ?

- Pour l’instant, aidons ceux qu’on peut aider.

Serena remarqua le visage douloureux du vieil inventeur. Il essayait de ne pas regarder les autres monstres blessés, sinon il risquait de faire quelque chose de complètement stupide.

Il marcha. Au milieu des gémissements des monstres électriques, des supplications qu’on vienne les aider. La fourrure du monstre jaune réchauffait son dos alors qu’il se promettait de les sauver.

- Sala ! Mèche ! s’énervait le reptile d’abandonner des pokémons.

Serena s’accroupit et bloqua la bouche de Sacha pour l’empêcher d’en dire plus.

- S’il n’agit pas, c’est aussi pour nous, murmura la jeune fille contre l’oreille du reptile.

- Mèche… grogna le faux-pokémon.

- Je sais. Mais même si c’est pour sauver les autres… je ne veux pas que tu sois blessé, avoua-t-elle.

Mais lui s’en fichait. Et de toute façon, il était libre de choisir ce qu’il voulait faire de son corps !

- Salamèche, supplia-t-elle.

Sacha crispa sa main sur son bras. Quand elle lui faisait ce regard…

- Sala, s’avoua-t-il vaincu.

Il fut nécessaire de descendre encore un étage pour atteindre la zone indiquée par l’ordinateur. Serena avait toujours la désagréable sensation d’être épiée, mais maintenant elle savait d’où cela venait. Les bras mécaniques sortaient de temps en temps des murs, faisaient claquer leurs pinces tout en s’approchant des monstres électriques du groupe. Mais Voltère se plaçait devant eux et son regard suffisait à dissuader la machine d’aller plus loin.

Beaucoup de questions tournaient dans la tête du vieil homme pendant qu’il marchait. Tout allait bien hier et voilà qu’aujourd’hui, l’intelligence artificielle faisait sa crise d’adolescence. Qu’est-ce que les informaticiens avaient fichu pendant son absence ? Surtout que Voltère avait toujours son Vokit sur lui alors ce n’était pas si compliqué de le joindre.

Ils étaient arrivés. Le champion n’osait pas ouvrir la porte devant lui, soucieux de savoir si tous les ouvriers étaient sains et saufs. Mais cela, il ne le saurait qu’en poussant cette porte.

Voltère entra et fut immédiatement éblouit. Cette pièce, contrairement à tout le complexe qu’ils avaient traversé, jouissait toujours de la lumière blanchâtre des luminaires.

Le vieillard entendit son prénom, une exclamation orchestrale qui mélangeait différents timbres et hauteurs avec le soulagement comme point d’orgue. Ses employés l’entouraient, mais le vieil homme ne voyait qu’un ensemble chaotique constellé de yeux colorés. Ils étaient là, ils étaient tous bien là et il y avait même quelques pokémons avec eux.

- Ça fait plaisir de vous voir, se mit à rire le vieillard tout en cachant ses yeux larmoyants avec son bras.

Un frisson parcourut l’ensemble des travailleurs. Ils se regardaient, ne sachant pas s’ils devaient annoncer la nouvelle à leur chef. Le rire de Voltère cessa. Un jeune technicien, sans doute le nouveau du groupe, fut poussé vers l’avant. Il lança un regard plein de détresse à ses ainés, mais personne ne viendrait à son aide.

- Kel a disparu, dit-il d’une voix faible.

Le champion passa machinalement sa main dans sa barbe. Il savait parfaitement ce que tout le monde pensait, mais est-ce que l’I.A qu’il avait créée aurait vraiment pu…

- Si ça se trouve, Magnet l’a tué.

Le champion lança un regard noir au technicien qui venait de parler. La subtilité, il connaissait ? En tous cas, il avait bien réussi son coup, tout le monde était en train de discuter sur qui serait le prochain. Et la jeune dresseuse qu’il avait emmenée avec lui lançait des regards apeurés.

- Du calme ! ordonna Voltère en tapant dans ses mains. Pour l’instant il a juste disparu. Il est peut-être coincé dans une autre salle que la nôtre.

- Mais tous les employés ont été réunis ici à part lui, remarqua un homme en chemise légère. Et tu as vu ce qu’il a fait aux pokémons.

L’inventeur baissa la tête. Inutile de lui rappeler qu’il avait dû abandonner une grande partie de ses amis.

- Si vraiment Magnet s’était découvert de… « mauvais penchants » envers les humains, je pense que beaucoup plus de personnes manqueraient à l’appel, analysa le vieillard.

Le raisonnement se tenait et de toute façon les gens préféraient cette version. Alors tout le monde acquiesça en concluant que leur collègue était coincé autre part. Voltère souffla, tant mieux si les autres le croyaient, cela éviterait des mouvements de paniques.

- Watt. Tu peux me raconter ce qu’il s’est passé ? appela Voltère.

De l’ensemble des hommes et des femmes émergea un homme brun aux lunettes rondes. Sa peau était pâle et il semblait mal à l’aise de devoir parler au champion.

- Alors ? encouragea le spécialiste des types électriques.

Watt fit signe qu’il ne souhaitait pas que tout le monde entende leur conversation. Le vieil inventeur soupira, son assistant faisait trop de manières.

- Les autres aussi ont le droit de savoir, dit le champion.

Serena s’était assise sur un des lits de la pièce. La machine aurait pu les installer dans un endroit plus confortable que cette espèce de hangar aux murs décrépis dans lequel on avait ajouté quelques lits miteux. En plus, la climatisation faisait un vacarme digne d’un groupe de Brouhabam.

Pendant que Serena déplorait l’état des lieux, qui était en réalité la salle de repos et de détente habituelle des employés, la discussion entre Voltère et Watt s’intensifiait. A chaque réplique, c’était un véritable torrent de charabia technologique et informatique auquel la jeune fille ne comprenait pas grand-chose.

Serena repensa au disparu. Et si cet homme avait raison ? Est-ce que l’I.A pouvait annoncer de sa voix métallique qu’elle allait tous les faire disparaître d’un seul coup ? Elle glissa sa main dans la poche de son manteau pour s’assurer que la pokéball de Salamèche y était toujours. Elle espérait que les capacités de ces objets à protéger les monstres étaient bien réelles.

Le pokémon feu sur les genoux de la jeune fille n’avait pas les mêmes préoccupations. Il gardait ses bras croisés et sa queue tapotait doucement la cuisse de Serena pendant qu’il se concentrait sur la discussion des deux hommes.

- Tu comprends quelque chose ? s’enquit la dresseuse.

Ce fut l’estomac du pokémon feu qui répondit avec un gargouillement. Sacha mit ses mains sur son ventre tout en gémissant.

- Il doit me rester un peu de nourriture pour toi, le rassura Serena.

- Sala ! se réjouit Sacha en même temps qu’elle lui tendait de quoi se sustenter.

Posipi et Négapi s’étaient approchés et reniflaient avec envie la nourriture du reptile.

- Mèche, proposa-t-il en coupant en trois son beignet.

Les pokémons électriques le remercièrent, mais à peine avaient-ils pris une bouchée qu’ils recrachaient l’aliment en tirant la langue.

- Sa ? ne comprit pas le métamorphosé.

Sacha prit à son tour une bouchée, voulant vérifier si ce beignet était aussi mauvais que ce que les deux frères laissaient paraitres. Mais non, lui trouvait ça très bon.

- Je crois qu’ils ne supportent pas les baies Tamato, expliqua Serena tout en donnant sa gourde aux petits monstres.

Sacha regarda son beignet et remarqua qu’il était garni d’une confiture rouge. S’il avait été humain, la saveur épicée de cette baie lui aurait fait cracher des flammes. Mais sous sa nouvelle forme, cette garniture lui paraissait aussi douce que du miel.

- Je me demande si la nourriture de Pandespiègle leur plairait, réfléchissait Serena en farfouillant dans son sac.

- Et si tu essayais ça, proposa une employée qui venait de s’approcher.

La boîte en métal qu’elle tenait à la main avec un sigle jaune et noir marqué sur son étiquette lui attira tout de suite les faveurs des types électriques. Il restait pourtant un dernier estomac à nourrir. Serena se mit à rougir lorsque son ventre se plaignit d’être laissé pour compte.

- Je crois avoir aussi quelque chose pour toi, sourit la femme qui ne tarda pas à revenir avec une barquette plastifiée.

Serena gratifia l’employée d’un sourire. Ce n’était pas de la nourriture faite maison, mais la jeune fille ne ferait pas la difficile.

- On a de la chance que Magnet n’ait pas coupé l’électricité de nos salles de repos.

La kalosienne tira le film plastique brulant et de la fumée s’échappa du plat. Elle se rendait maintenant compte qu’elle mourrait de faim et la fatigue n’arrangeait rien.

- Magnet ? questionna la jeune fille tout en mâchant.

- C’est le petit sobriquet qu’on a donné à l’I.A créée par Voltère.

Serena se doutait que cette chose devait être du même acabit que le robot de Lem. Mais elle n’y avait jamais compris grand-chose à tous ces trucs.

- Je suis étonnée de voir une enfant en guise d’équipe de secours, se moqua l’employée.

Serena fut surprise de ce ton espiègle. Il est vrai que cette femme semblait plus jeune que les autres employés, mais ces yeux qui pétillaient rappelaient plus une enfant commençant tout juste son voyage initiatique qu’une personne ennuyée par des années de travail répétitif.

- Disons qu’un certain pokémon ne nous a pas laissé le choix, bougonna la dresseuse en reposant sa fourchette.

- Mèche, se crispa le concerné.

- Comment en vouloir à un pokémon aussi adorable, sourit la femme en s’asseyant sur le rebord du lit pour mieux observer le reptile.

Sacha ne se sentait pas à son aise tout d’un coup en sentant les iris violets le fixer. Instinctivement, il s’approcha de Serena au point qu’il aurait pu se fondre dans son manteau.

- Je m’appelle Adèle. Je ne te veux aucun mal, voulut le rassurer l’employée. Et je n’utilise ma clef à molette que sur les machines, ajouta-t-elle avec un léger rire.

Serena caressa la tête du monstre pour le rassurer. Mais Sacha n’arrivait pas à faire confiance à cette femme.

- Tu aimes beaucoup ta dresseuse, remarqua Adèle.

A ces mots, le métamorphosé s’écarta de la jeune fille comme s’il venait de se bruler.

- Salamèche ? s’étonna Serena.

- Et pourquoi tu ne m’as pas appelé plus tôt ! hurla soudain Voltère faisant sursauter toutes les personnes présentes.

- C’est ce que j’ai fait ! cria à son tour Watt. La plupart des lignes n’étaient plus fonctionnelles. Il n’y avait que toi que je pouvais encore contacter, mais tu n’as pas répondu. Et au bout de quelques heures, les derniers canaux de communications ont été coupés et on s’est retrouvé sans moyen de contacter l’extérieur. Bon sang Voltère, qu’est-ce que tu faisais !? Toi qui d’habitude nous appelles trois fois dans la journée pour t’assurer qu’on a bien nourri les pokémons de la centrale ! Tu es toujours là pour nous ordonner de faire des trucs inutiles, mais quand on a vraiment besoin de toi, il n’y a plus personne !

La voix de Watt tremblait, comme s’il allait éclater en sanglot face aux responsabilités qu’il avait dû affronter seul. Supérieur ou pas, le vieil homme l’avait abandonné, et cela il ne pouvait le pardonner.

- C’est ce que tu dis, mais moi je crois que tu ne t’es pas bougé et que tu as laissé les choses dégénérer. Tu es trop lent Watt. Tu as toujours été trop lent ! Et ce sont ces pauvres pokémons qui souffrent de ton incompétence ! hurla le vieillard.

Les employés les plus valeureux retenaient maintenant les bras des deux hommes de peur que tout cela ne dégénère. Personne n’avait envie que le champion fasse une chute et finisse aux urgences avec mention « fracture du col de fémur ».

- Ils font peur, trembla la jeune dresseuse.

- Voltère a l’air sûr de lui et détendu. Mais dès que les choses ne vont pas comme il veut… tu vois ce que ça donne, soupira la mécanicienne.

Watt s’était finalement libéré. Il empoigna le col de Voltère et sans oser le regarder dans les yeux dit d’une voix brisée :

- Je t’ai dit que j’ai appelé et…

- J’étais en train de faire des réparations sur cette maudite piste cyclable ! se défendit le vieillard en se libérant de la prise qui tordait sa veste. Et pour ta gouverne, je n’ai reçu aucun appel sur mon Vokit. Rien ! Nada ! Tu comprends ?

- Alors…

- Alors ne me fais pas croire que tu as vraiment tout essayé pour régler la situation !

Voltère tapait des pieds sur le sol, pareil à un enfant à qui on aurait volé son jouet. C’était un triste spectacle et personne ne savait comment le calmer. Watt ouvrit la bouche avant de vite la refermer. Quand son chef était dans cet état, il savait qu’il était inutile de chercher à le résonner.

- Eh bien ! Il va leur falloir une nuit entière dans un bar pour arriver à se réconcilier, plaisanta Adèle.

- Ça arrive souvent ? questionna la dresseuse.

La femme remis une de ses mèches derrière son oreille. Serena ne put s’empêcher d’admirer la chevelure couleur lavande. L’employée les portait assez courts pour ne pas être embêtée pendant son travail, mais cela ne gâchait en rien son côté féminin, bien au contraire.

- Je suis ici depuis moins d’un an et pourtant j’ai déjà arrêté de compter, avoua-t-elle. Mais cette fois, j’admets qu’il y a des raisons de s’énerver.

- Que s’est-il passé exactement.

Adèle mis ses mains dans les poches de sa salopette bleue, elle cherchait une façon simple d’expliquer à la jeune fille les évènements récents.

- Il se trouve que ce matin, au moment où nous allions faire le relais avec l’équipe de nuit, Magnet nous a interdit de quitter nos salles de repos. Ensuite, il s’en est pris aux pokémons sauvages qui vivent dans la centrale en prétextant qu’il fallait pallier au manque d’énergie. Certains ont pu se réfugier avec nous dans les salles de repos mais…

Serena frissonna, se souvenant des pokémons blessés qu’ils avaient rencontrés sur le chemin.

- Mèche ? remarqua Sacha en pointant la barquette encore chaude.

- Magnet n’a pas la possibilité de couper l’alimentation des zones sécurisées. Et de toute façon, tous les générateurs fonctionnaient parfaitement. Alors je ne vois pas où il a inventé sa pénurie d’énergie.

Adèle avait cessé de parler, elle observait Serena avec attention, comme si elle cherchait à s’imprégner de chaque trait qui composait le visage de la dresseuse.

- On ne se serait pas déjà rencontrées ? demanda-t-elle d’une voix morne.

Serena eut beau fouiller dans sa mémoire, cette femme ne ressemblait à aucune personne qu’elle connaissait.

- Je viens à peine d’arriver à Hoenn alors ça m’étonnerait, expliqua la dresseuse avec un sourire nerveux.

Adèle cligna des yeux plusieurs fois avant de demander :

- De quoi parlions nous ?

- Comme d’habitude c’est à moi de tout régler ! s’exaspéra Voltère interrompant une nouvelle fois les filles.

Tout le monde regarda le vieil homme dégager un tapis pour découvrir un boitier à code incrusté dans le sol. Le vieillard appela à nouveau Magnéton tout en sortant une carte magnétique de sous sa chemise.

- L’aimantation habituelle, ordonna-t-il.

Il passa sa carte dans une encoche sculptée dans le sol en acier trempé en même temps que son pokémon insérait un de ses aimants dans une autre partie du métal évidé. Voltère observa les chiffres du boitier qui bougeaient dans tous les sens pendant quelques minutes avant d’indiquer :

- Maintenant.

L’aimant du pokémon se mit à tourner. On entendait le bruit des verrous qui se déverrouillaient les uns après les autres. Magnéton n’eut plus qu’à s’élever dans les airs pour ouvrir la trappe sous les regards éberlués de tous les travailleurs.

- Tiens, tiens, tu nous fais des cachoteries, remarqua Adèle.

- Tu ne vas pas t’y mettre, soupira le vieillard.

- Et tu comptes y aller seul ? demanda l’employée en jetant un œil à la blessure béante dans le sol.

- Je serai avec mes pokémons, rétorqua le champion.

Adèle ferma les yeux dans une position méditative. Finalement, elle passa son bras autour des épaules de la jeune fille et proposa :

- Tu devrais l’emmener.

- Certainement pas ! s’opposa tout de suite le champion.

- Mais on ne sait pas ce qu’il pourrait se passer. Et puis de base, elle est venue pour t’aider, remarqua la femme.

- Elle n’a pas les compétences pour réinitialiser une intelligence artificielle à ce que je sache, grommela Voltère.

La dresseuse ne pouvait pas lui donner tort. Déjà qu’elle avait du mal à régler correctement son réveil quand elle devait s’entrainer aux courses de rhinocornes. Enfin… peut-être qu’elle le faisait aussi un peu exprès à l’époque.

- Justement, je pense que tu seras plus rassuré avec quelqu’un qui ne sait pas comment hacker un ordinateur en moins de cinq secondes.

Voltère lança un regard plein d’incompréhension à son assistant.

- Elle est au courant, avoua Watt.

- Il faudra que tu m’expliques ça, gronda l’inventeur.

- Et donc ? s’enquit Adèle d’un regard suppliant.

- Très bien, mais juste Serena, céda le vieillard.

Cette annonce ne réjouissait pas forcément la dresseuse. D’ailleurs, les picotements désagréables qu’elle sentait dans son dos prouvaient bien que son corps n’avait pas envie de se lancer dans l’aventure.

Le champion attendait à côté du trou béant que Serena se décide à descendre. Mais la jeune fille restait immobile à contempler l’échelle rouillée qui disparaissait dans les ténèbres. Magnéton eut beau essayer de la rassurer en utilisant son attaque Flash pour lui permettre de mieux voir, Serena ne voulait toujours pas bouger.

- Sa ! l’encouragea le type feu en mettant son pied sur le premier barreau.

- Ne descend pas tout seul, le gronda Serena.

Sacha souffla d’ennui, mais finit quand même par s’accrocher à l’épaule de son amie.

- Doucement… murmurait la jeune fille. Ne pas regarder en bas et… Ah !

Le métamorphosé avait senti une secousse. Serena prit une grande inspiration, remettant son pied qui avait glissé sur la barre métallique.

- Il faudrait penser à avancer, râla Voltère juste au-dessus d’elle.

Effectivement, elle avait dû descendre à peine dix barreaux en cinq minutes.

- Magnéton, ferme la trappe, ordonna le champion.

- Non ! cria la jeune fille.

Trop tard, ils se retrouvaient plongés dans le noir avec seulement le monstre magnétique pour les éclairer. Les mains de Serena se tétanisèrent, même sans voir le fond, son vertige faisait encore des siennes.

- Sala, sa ! l’encouragea Sacha.

- Hum… gémit la coordinatrice.

"Un problème ?" questionna Négapi accompagné de son frère.

"Vous devriez rester en haut," conseilla Sacha.

"Pourtant, on s’en sort mieux que vous," remarqua Posipi en s’asseyant tranquillement sur un des barreaux juste au-dessus de l’humaine. "Et Voltère était d’accord pour qu'on vienne."

- C’est dan… dangereux, hoqueta la dresseuse qui avait elle aussi remarqué les deux lapins.

- Serena, rappela Voltère excédé que les choses n’aillent pas plus vite.

L’ancien humain avait de la peine pour son amie et il réfléchissait à une solution pour la rassurer. Les deux types électriques montaient et descendaient l’échelle avec agilité, comme si la pesanteur n’avait aucune prise sur eux.

"Je n’ai qu’à lui prouver que c’est sans danger !" raisonna-t-il.

Persuadé que son idée était brillante, Sacha se laissa glisser le long du manteau de la jeune fille et se saisit à son tour des barreaux, prêt à descendre de lui-même.

- Qu’est-ce que tu fais Salamèche !? paniqua la dresseuse.

- Mèche, Salam…

Son pied glissa, ses mains lâchèrent la précieuse échelle. Sacha cria, tomba dans le puit sans fond. Il allait finir comme ça ? Sans jamais avoir pu accomplir son rêve. Sans avoir pu revoir son meilleur ami.

Le choc fut moins violent que prévu. Le métamorphosé rouvrit les yeux pour découvrir qu’il était en sécurité dans les bras de Serena, elle-même retenue par Magnéton.

- C’était juste, remarqua Voltère alors que le pokémon en acier les ramenait vers l’échelle.

Serena se saisit vigoureusement des barreaux, cette fois en y passant tout son bras et en verrouillant sa prise avec l’intérieur de son coude. Elle ne disait rien, mais Sacha devinait qu’elle l’aurait violemment grondé si la terreur qu’elle venait d’avoir ne l’avait pas rendue muette. De toute façon, il avait compris la leçon comme le prouvait son cœur qui tambourinait dans sa poitrine.

- Allez, ne perdons pas plus de temps, encouragea Voltère.

Sacha remarqua que son amie avait accéléré le rythme. Ses pieds frappaient les barreaux de manière régulière et avec une certaine rudesse qui rendait nerveux le métamorphosé.

Ils arrivèrent en bas après un certain temps. Sacha s’attendait à se faire disputer, mais il n’en fut rien. La jeune fille le prit dans ses bras sans dire un mot. Il avait l’impression qu’elle le tenait plus fermement que d’habitude.

- Sa… essaya le monstre.

- Où est-ce que nous allons ? questionna la dresseuse.

Sacha se recroquevilla. Il ne savait pas ce qui était le pire entre subir les remontrances de la dresseuse ou se faire ignorer.

- Dans une zone où Magnet n’a aucune prise, éluda le champion.

Magnéton était retourné dans sa pokéball. Serena aurait préféré qu’il reste car les fins néons bleus qui parcouraient les murs étaient à peine suffisants pour éclairer leur route.

Sacha ne bougeait pas, ne parlait pas, il faisait même attention à ne pas respirer trop fort. Quand même, elle pourrait lui dire quelque chose, déjà que l’atmosphère était assez pesante dans ces étroits couloirs qu’ils longeaient.

"Tu fais la tête ?" questionna Négapi qui sautillait près d’eux.

"Je voulais l’aider," murmura Sacha.

"C’est réussi," ironisa Négapi.

C’était tellement réussi que Serena avait vaincu son vertige au point de sauter dans le vide pour le sauver. Le métamorphosé sentit un goût amer dans sa bouche.

"Arrête de l’embêter. Il s’en veut déjà assez d’avoir fait peur à son humaine," intervint Posipi.

"Ce n’est pas mon humaine !" cria Sacha.

"Pourtant vous devez être proches vu que vous avez la même odeur," pouffa le pokémon aux oreilles rouges.

"Quoi !?"

Sacha ne savait pas si le monstre électrique se moquait de lui ou disait la vérité. Cependant, il était si souvent collé à Serena ces derniers temps que ce ne serait pas si étonnant.

"Quelque chose ne va pas ?" questionna le bleu.

"C’est vrai, tu n’as pas l’air d’aller bien," renchérit Posipi.

Le métamorphosé avait la tête qui tournait face aux deux regards inquisiteurs. Il fallait vraiment qu’il explique à Serena qu'ils ne pouvaient pas dormir ensemble.

"C’est le fait d’être en sous-sol qui te rend mal à l’aise ?" crut comprendre Négapi.

"Les sous-sols… Oui, ça doit être ça," bredouilla-t-il mal assuré.

"Et si on utilisait Coup d’Main pour l’aider à se sentir mieux ?" proposa Posipi.

"Pourquoi pas, ça ne pourra pas lui faire de mal," concéda le frère.

Les deux pokémons sautillèrent et firent apparaitre des gerbes d’étincelles colorées au bout de leurs pattes. Les frères tournaient sur eux même et bougeaient leurs pattes en rythme. Sacha se sentait effectivement mieux, mais avaient-ils vraiment besoin de toute cette mise en scène pour lancer leur attaque ?

- C’est magnifique ! s’émerveilla Serena.

Les deux lapins électriques s’arrêtèrent et observèrent la jeune fille d’un œil intrigué.

"Elle est bizarre," marmonna le rouge.

"Ou elle se moque de nous," soupira le bleu.

"Ce n’est pas le genre de Serena !" gronda Sacha.

Le pokémon mit ses pattes devant sa bouche, il s’était encore énervé pour rien. Les deux frères se regardèrent, peu convaincus par ces compliments.

"Ton humaine est gentille, mais on sait que nos mouvements sont… inutiles," expliqua Posipi avec un petit rire d’autodérision.

"Il suffit de devenir plus fort !" s’exclama Sacha qui n’avait pas perdu ses réflexes de dresseur.

"On ne peut pas évoluer, rétorqua Négapi les oreilles basses. Nos attaques, notre résistance, notre vitesse, n’importe quel pokémon de cette centrale pourrait nous dépasser. Travailler, faire des efforts, les autres aussi le font et en définitive on est incapable de combler l’écart. Et les humains ne s’y trompent pas."

"Voltère nous dit toujours de ne pas écouter les commentaires des dresseurs et qu’on a nos propres qualités. Mais des fois, j’ai juste l’impression qu’il dit ça pour nous remonter le moral…" ajouta le pokémon positif.

"Et pourquoi ne pas devenir les pokémons de Voltère ?" proposa naïvement Sacha.

Les deux lapins se regardèrent et soupirèrent en cœur.

"On lui a demandé, expliqua Négapi, mais il a refusé. Il a dit qu’il n’était pas le dresseur qui nous convenait. En d’autres termes… même lui ne veut pas faire équipe avec nous."

- Pourquoi vous semblez triste d’un coup ? questionna Serena qui venait de s’accroupir.

Les frères sursautèrent. Sacha regarda son amie leur sourire alors qu’elle disait :

- J’aimerais que vous m’en montriez plus une fois qu’on sera sorti. Je suis certaine que ça m’aidera pour les concours.

Les oreilles des lapins se relevèrent. Ils peinaient encore à croire que leur danse puisse intéresser quelqu’un. Ils se remirent à quatre pattes et partirent en courant vers l’avant.

- Qu’est-ce que j’ai dit de mal ? s’inquiéta Serena en se relevant.

- Sala, répondit le reptile avec un petit sourire.

Il avait essayé de motiver les jumeaux de son point de vue de dresseur et de combattant. Mais parfois, avoir une autre vision des choses pouvait débloquer les situations à priori insolubles.

La jeune fille le regarda quelques secondes, prête à lui demander quelques explications. Mais elle se ravisa et détourna la tête rappelant bien à son pokémon qu’il n’était toujours pas pardonné.

Ils arrivèrent à la fin du couloir. Une lourde porte en métal leur coupait la route. Contrairement à ce que tout le monde pensait, le champion ne l’ouvrit pas avec un code compliqué, mais avec une simple clef.

- On y est ! cria de joie Voltère.

Il appuya sur un interrupteur, éclairant la salle d’une lueur pâle. De grosses boites noires bourdonnaient, bien alignées contre les murs. C’était un véritable champ de macro-ordinateurs dont les faces constellées de mini-rectangles jaunes, bleus et verts clignotaient en permanence.

- Serena, trouve-toi un coin pour t’assoir pendant que je travaille.

Sur ces bonnes paroles, il se dirigea vers les ordinateurs plus conventionnels disposés au milieu de la pièce et s’empressa de pianoter dessus. La jeune fille le regarda faire, se demandant pourquoi elle était venue. Elle remua un peu ses épaules, elle avait encore cette impression de picotements dans le dos.

- Sa ? questionna le pokémon.

Elle regarda quelques secondes la salamandre avant de suivre le conseil de Voltère. La dresseuse enjamba les paquets de câbles qui s’emmêlaient sur le sol tout en faisant attention de ne pas toucher les volumineuses unités centrales. Elle parvint à se glisser dans un coin de la pièce épargnée par la colonisation des mégalithes métalliques. La sensation désagréable dans son dos disparut au moment où elle s’adossa contre le mur.

Malgré le raffut constant, la tiédeur de l’endroit rendait la jeune fille somnolente. Sacha à côté jouait avec ses doigts, se sentant toujours coupable pour ce qui était arrivé plus tôt. La dresseuse soupira, de toute façon elle ne pouvait jamais lui en vouloir très longtemps.

- J’aimerais que tu fasses plus attention à toi, marmonna-t-elle.

Ce n’était pas la première fois qu’elle lui disait cela. Le faux-pokémon racla le sol de son pied, sans savoir quoi dire.

- Posi !

Sacha leva la tête. Les deux lapins électriques s’amusaient à explorer l’endroit. Eux n’hésitaient pas à toucher et même à monter sur les énormes boîtes noires. L’ancien dresseur les regardait faire, se sentant soudain nostalgique. Si Pikachu était là, il n’aurait pas perdu de temps pour sympathiser avec les pokémons d’Hoenn. Pikachu… est-ce que tout se passait bien pour lui avec le professeur Edivo ? Si seulement il connaissait le numéro de l’archéologue, il aurait pu avoir des nouvelles.

Sacha sentit une main se poser dans son dos et appliquer des mouvements de va et vient. Ses épaules se relâchaient et sa queue frémissait. Il leva la tête, il ne voyait que les yeux bleus de Serena.

- Quand tu as ce regard, j’ai toujours l’impression que tu vas partir loin de moi, avoua-t-elle.

Le métamorphosé s’écarta. Il faudrait bien qu’il parte un jour, parce qu’il avait son rêve à accomplir et le monde fabuleux des pokémons à découvrir. Et tout cela est plus important que… Il regarda à nouveau la jeune fille, son cœur se serra. Je ne veux pas être retenu, se persuada-t-il.

Serena s’était relevée, sa main agrippait nerveusement son coude. Elle avait le sentiment que Salamèche la rejetait, l’excluait de la bulle qu’il s’était créée. La jeune fille avait besoin de marcher un peu. Elle s’enfonça dans la forêt uniforme d’unités noires, laissant le reptile seul dans son coin. Adèle lui avait dit que Salamèche tenait à elle, mais des fois elle en doutait. C’était paradoxal, elle se sentait bien avec lui, mais elle avait toujours l’impression qu’il existait une sorte de frontière qu’elle ne pouvait franchir.

Serena s’appuya contre un des ordinateurs centraux, elle le sentait vrombir contre son épaule. Si elle partait défaitiste dès le début, elle n’arriverait jamais à rien avec son ami de feu. Même si le pokémon n’avait pas l’air de vouloir s’ouvrir complètement à elle, rien ne disait que cela ne changerait pas. Et puis, ils n’étaient qu’au début de leur voyage, elle ne pouvait pas abandonner si vite cette salamandre. Un doux sourire naquit sur les lèvres de la jeune fille alors qu’elle repensait au visage heureux du jeune monstre quand il mangeait ce qu’elle lui préparait ou son expression déterminée quand il se fixait un objectif. Il avait un véritable don pour l’inquiéter et en même temps il était tellement…

Serena se retira vivement en sentant son épaule bruler. Elle était restée trop longtemps en contact avec la fausse pierre qui chauffait sous la masse de calculs qu’elle devait accomplir. La dresseuse décida qu’il était temps de rejoindre son reptile de feu. Elle regarda autour d’elle à la recherche du chemin qu’elle avait emprunté, mais difficile de s’y retrouver avec tous ces monolithes noirs identiques qui faisaient un boucan de tous les diables. Elle déglutit, chercha à faire marche arrière. Mais en contournant un des ordinateurs géants, elle retrouva le champion entouré d’une dizaine d’écrans. Ses doigts bougeaient à toute vitesse sur les différents claviers et son visage nerveux ne disait rien qui vaille à la jeune fille.

- Vous vous en sortez ? osa-t-elle demander.

L’homme ne quitta pas des yeux son ordinateur, il n’aimait pas être gêné pendant qu’il se concentrait. Surtout qu’il ne lui restait que quelques pares-feux à désactiver. La jeune fille comprit qu’il ne servait à rien d’insister, elle se préparait à repartir à la recherche de sa tanière quand une ombre minuscule qui courait au plafond attira son attention. Elle plissa les yeux, essayant de mieux voir. Mais la petite boule était déjà au niveau de la porte et quitta la salle pour rejoindre le couloir, faisant perdre tout espoir à la jeune fille de savoir ce dont il s’agissait.

- Comment tu as pu accéder à cet ordinateur ? s’emporta le scientifique en se levant de son siège.

Serena remarqua que les écrans n’affichaient plus qu’un œil dont la pupille se déplaçait dans tous les sens.

- Danger repéré. Tentative d’élimination <Zzz>. Echec. Calcul de nouvelles données <Zzz>. Solution trouvée. Initialisation de la solution <Zzz>.

- Je croyais qu’on était en sécurité ici, s’inquiéta Serena.

- Même s’il a pu accéder à cet ordinateur, il n’a pas le contrôle dessus. Il pourra juste me regarder appliquer le correctif.

- Mais il a dit qu’il avait trouvé une solution…

Sacha patientait dans son coin, il n'avait pas grand chose à faire à part regarder Posipi et Négapi qui se tenaient sur les machines noires. Mais il y avait quelque chose de bizarre. Ils avaient maintenant les oreilles dressées et regardaient le plafond. C'est alors que le faux pokémon entendit lui aussi un horrible tintamarre venir d'en haut, il était devenu si fort que même les humains pouvaient le percevoir.

- Ne me dites pas… grinça Voltère. Tout le monde ! On sort d’ici ! Maintenant !

Mais Serena continuait de fixer le plafond sans comprendre ce qu’il se passait.

- Qu’est-ce que tu fais !? Arrête d'admirer ce plafond et cours ! s’énerva le champion. Et c’est aussi valable pour vous ! cria-t-il aux lapins.

- Salamèche, se décomposa Serena en se tournant vers l’endroit où elle l’avait laissé.

Sacha s’était levé pour mieux écouter les craquements au-dessus de sa tête. Il avait cru entendre Voltère crier, mais avec tout le raffut des unités il n’avait rien pu comprendre. Et puis en ce moment, le champion avait tendance à s’énerver pour pas grand-chose.

De la poussière tomba sur le museau du faux pokémon et le fit éternuer. Il frotta son nez avant de soudain s’immobiliser. De la poussière… alors que le plafond était en métal… Il leva la tête et remarqua une petite fissure d’où fuyait les grains de silices. Elle s’étendait et le bruit se faisait de plus en plus fort.

Sacha se mit à courir, mais les fils en plastique le ralentissaient en s’enroulant autour de ses jambes. Les ordinateurs continuaient de vrombir, sans se soucier de ce qui arrivait. L’ancien humain dégagea le dernier fil qui enserrait sa queue. Maintenant il allait pouvoir…

Une plaque de métal tomba tout prêt de lui. Il vit avec horreur que le plafond se bombait, se disloquait, comme si quelque chose était en train de pousser les dalles suspendues.

C’est alors qu’un véritable déluge lui tomba dessus : d’abord les plaques brillantes, puis les gros tuyaux, les fils éventrés, les cornières métalliques, le béton. Les ordinateurs tout autour éclataient, créant un véritable feu d’artifice de gerbes électriques et de flammes. Le reptile toussait à cause de la fumée et de la poussière, se demandant quand arriverait son tour. Il se recula juste à temps pour éviter un objet qui se brisa contre les machines déjà en morceau. Sacha trembla, ce n’était pas passé loin.

- Salamèche !? entendit-il la voix paniquée de Serena.

Le pokémon contourna l’obstacle. Les yeux de Serena étaient rougis et elle faisait de son mieux pour ne pas glisser sur les débris.

- Salamèche ! cria-t-elle en voyant son ami.

Elle s’empressa de le rejoindre, soulagée de le voir sain et sauf. Mais les débris continuaient de pleuvoir et les derniers remparts du plafond qui retenaient la plus grosse masse allaient bientôt céder.

- Je vais te porter, le prévint-elle.

De toute façon, elle n’avait pas attendu de finir sa phrase pour le prendre dans ses bras. Sacha ne voyait pas les autres. Est-ce qu’ils étaient déjà sortis ? Le métamorphosé était balloté dans tous les sens pendant que son amie courrait, et les craquements qui continuaient. Ce serait sans doute les derniers.

- Dépêchez-vous ! hurla Voltère dans l’encadrure de la porte.

Serena mit toute son énergie dans ce dernier sprint, mais ce ne fut pas suffisant. La sortie fut bouchée par un monticule de débris avant qu’ils puissent sortir.

- C’est pas vrai ! se terrifia Serena en reculant de quelques pas.

Un bruit de tonnerre. Sacha leva la tête pour voir un amas compact de béton et de métal tomber droit sur eux. Les mains de Serena se crispèrent, elle était incapable de bouger, figée par la peur.

- SA ! hurla Sacha pour faire réagir son amie.

Rien à faire. Elle restait tétanisée, les yeux figés sur l’avalanche de béton.

Le sang de Sacha brula, son esprit se vida. Il se contorsionna pour s’extraire des bras qui le protégeaient, sauta au sol et balaya de sa queue les jambes de sa dresseuse. Serena cria sous la surprise et la douleur alors qu’elle s’affaissait sur le sol.

La gorge du reptile se remplissait de flammes, son sang pulsait à toute vitesse dans ses artères. Il relâcha la pression et sentit ses pieds s’enfoncer dans le sol pendant que le torrent de flammes s’élevait à l’assaut de la menace. Elles enlacèrent les matières inertes. Le béton et le métal sifflaient suspendus dans les airs. Serena voyait son monstre mettre toute son énergie pour les sauver, mais elle savait qu’il ne tiendrait pas, que les flammes disparaitraient bientôt et relâcheraient sur eux les débris.

Sacha n’en pouvait plus, sa bouche brulait trop. Il posa un genou à terre, ses flammes taries, il ne restait plus que la fumée qui émanait du coin de ses lèvres.

Serena cria.

Est-ce qu’elle avait peur ? Il avait envie de la rassurer, lui dire que tout irait bien. Il voulait… continuer de voyager avec toi. Son visage brula à nouveau alors qu’il rouvrait la gueule en direction de l’éboulement. Encore un peu, juste encore un peu.

Un dernier bruit d’explosion, un sifflement et tout devint silencieux.

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