Derkomai's Mask

Chapitre 9 : Il y a toujours des graines de balsamine sous nos pieds

6573 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/02/2024 20:40

Eugène avait, comme tous les matins depuis vingt ans, quitté sa maison à 6h30 pour se rendre à son travail en pensant que ce serait une bonne journée. C’était un homme de la cinquantaine sans grande particularité à part le fait qu’il pouvait se vanter de posséder la plus belle, à moins que ce ne soit la seule, piste cyclable de la région d’Hoenn.

C’était une belle journée. Un soleil encore timide en cette heure matinale, quelques nuages blancs peints sur la toile bleue du ciel et le vent du nord rafraichi par le bras de mer qui encerclait la route 110. Il devait faire le même temps quand il avait présenté son projet à l’époque.

Eugène eut un petit rire en se souvenant de la réaction de ses ainés et de tous les moyens qu’ils avaient mis en œuvre pour le convaincre de construire une autoroute à la place. Mais leur autoroute, c’était une belle idiotie quand la majorité des personnes qui empruntaient la route 110 était des dresseurs. Et les dresseurs ne roulaient pas en Galopa ou en Milobellus. C’est pourquoi Eugène n’avait pas démordu de son idée et s’était empressé d’engager un architecte.

L’architecte… il lui en avait fait voir de toutes les couleurs avec ses idées saugrenues. Eugène s’était mis en colère à l’époque en voyant les plans tarabiscotés de la piste. En même temps, quelle idée de créer une voie aussi sinueuse quand vous pouviez aller tout droit. Surtout que la piste était construite en hauteur pour passer par-dessus la mer, il n’y avait donc aucun obstacle à éviter et qui justifierait de tels méandres. Mais face à ses remarques, l’architecte avait rétorqué qu’ainsi construite, la piste cyclable serait en harmonie avec la route 110.

Eugène avait cru à une blague. Il ne pouvait pas croire que la route aussi tordue que son concepteur et sans cesse critiquée pour la perte de temps qu’elle générait inspirait la nouvelle génération. A croire que les gens préféraient les idées débiles au bon vieux pragmatisme. Mais finalement, et sans qu’il ne sache trop comment, Eugène s’était laissé convaincre. Il pensait faire une erreur à l’époque, mais la suite devait lui donner tort.

Les cyclistes, bien loin de se plaindre trouvèrent amusant de réussir à traverser la piste biscornue en un temps record. Très vite, cette course clandestine devint une véritable institution et une source d’attraction continue, bien plus que de simplement pouvoir rallier Poivressel à Lavandia en un minimum de temps. Et autre avantage, le rallongement de la voie avait permis d’installer quelques aires de repos pour vendre diverses cochonneries à des cyclistes peu valeureux.

En résumé, cette construction était la fierté d’Eugène, presque son enfant. Et c’est pour cela que l’état dans lequel il l’avait retrouvée ce matin-là avait sonné comme un véritable désastre.

Durant la nuit, tous les robots et le système de sécurité automatisé s’étaient désactivés de concert et les voyous, quoique barbare était un terme plus approprié, s’étaient faits une joie de vandaliser la piste cyclable. Et si seulement ça n’avait été que des graffitis, mais les salauds s’étaient servis de pokémons et s’étaient acharnés sur la malheureuse structure. La route futuriste autrefois lisse était maintenant jonchée de débris de verres et de bêtons. Il y avait même des portions qui s’étaient effondrées et avaient disparu définitivement dans les flots.

Est-ce qu’Eugène aurait dû suivre les demandes des dresseurs de laisser sa piste ouverte la nuit au lieu de la fermer à 22h. Certainement pas, il n’allait pas payer des employés au tarif de nuit pour permettre à deux dresseurs de faire leur virée à vélo. C’était une question de bon sens, surtout quand l’association des dresseurs vous subventionnait en fonction du nombre de leurs licenciés qui empruntaient la piste. Eugène ne comprendrait d’ailleurs jamais comment cette organisation avait pu accepter de payer pour que tous ces joyeux bambins accompagnés de leurs monstres de poches puissent faire un tour de vélo gratuit.

Mais voilà, son bon sens lui valait de se retrouver dans son bureau avec son annuaire d’un côté, les rapports de l’autre et toutes les feuilles de déclaration et d’assurance qu’il devait signer au milieu. De sa première expertise, il faudrait un mois pour que la piste soit à peu près accessible quant aux réparations complètes… disons que si déjà les ouvriers mettaient six mois pour simplement refaire le goudron de sa ruelle, sa piste ne retrouverait pas sa beauté d’antan avant plusieurs années.

- Monsieur, des dresseurs veulent vous voir, se présenta un de ses assistants à son bureau.

- Encore !? se désespéra Eugène.

Il faut dire qu’il avait déjà passé sa matinée à expliquer aux mécontents que la piste était inutilisable et l’après-midi ne s’annonçait pas mieux. Le quinquagénaire aurait clairement préféré déléguer cette tâche, mais il fallait toujours qu’un idiot crie : « je veux voir le directeur ! » et Eugène n’avait pas d’autre choix que de venir et de faire ses courbettes d’excuses.

- C’est inadmissible ! fut la première chose qu’Eugène entendit en arrivant à l’accueil.

Le directeur enfouit sa tête dans sa main, se préparant déjà au mal de tête qu’il allait avoir. Il savait bien que la piste cyclable représentait un grand gain de temps, mais il ne pouvait décemment pas laisser des gosses rouler sur une route en forme de gruyère.

- Si j’avais su, j’aurais directement pris la route 110, se plaignit un autre dresseur.

Eugène dû se forcer à sourire pour ne pas étrangler celui qui avait parlé. Du côté de Poivressel, cette route se trouvait littéralement à dix pas de l’accueil de la piste cyclable. Ce dresseur ferait mieux de se bouger au lieu de rester ici à attendre. A croire que tous les gens ici présents croyaient que ce bon vieux directeur leur avait fait la blague de la fausse fermeture.

« La piste cyclable est actuellement hors d’usage. Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée, » annonça une voix synthétique.

C’était la même que celle qu’on trouvait dans les gares. Le genre énervant qui vous répétait cent fois que votre train aurait une heure de retard et qui provoquait un soupir d’exaspération chez les voyageurs.

- Si vous la répariez régulièrement au lieu d’attendre le dernier moment, on n’en serait pas là ! fit remarquer un autre dresseur qui se croyait plus malin que la moyenne.

Garder son calme, se montrer poli et courtois, surtout ne pas insulter les crétins décérébrés, c’était la philosophie d’Eugène en ce moment.

- Au moins permettez-nous d’emprunter les vélos, proposa l’une des personnes présentes.

Les cheveux du dirigeant se hérissèrent à cette idée. Ses précieux vélos, lâchés sur une route infestée de pokémons. Et puis les roues n’étaient pas adaptées à une zone pleine de boues et de cailloux, sans compter les risques de vol.

C’était sûr, s’il les laissait faire, la moitié des vélos irait à la poubelle et l’autre partie serait à jamais perdue dans la nature. Un scénario inenvisageable qui fit qu’Eugène refusa fermement la proposition lui valant les foudres de tous les gens présents.

On essaya d’abord de l’apitoyer par des histoires de rendez-vous importants, d’obsèques de grands-mères anonymes et finalement on finit par crier, insulter, promettre qu’il y aurait des conséquences.

Eugène restait intraitable et Serena, depuis l’arrière de l’attroupement, dû se rendre à l’évidence qu’elle n’arriverait pas à Lavandia avant la nuit. Au moins, elle pouvait s’estimer heureuse d’avoir une grande marge de temps avant le concours de Vergazon.

- Salamèche, on y va, soupira la jeune fille.

Le pokémon la suivit et ils se dirigèrent vers la route 110. Serena aurait bien voulu faire un peu de vélo, mais la chance n’était pas avec elle. Enfin, il faisait beau, c’était déjà ça.

La dresseuse remarqua pendant qu’elle marchait que la salamandre faisait briller ses griffes et essayait de trancher les hautes herbes qui croisaient son chemin. Après tout, puisque de toute façon ils ne feraient pas le trajet en une fois pour arriver à la prochaine ville, pourquoi ne pas en profiter pour s’entrainer.

Sacha fut ravi de la proposition de la jeune fille. Il avait récemment appris deux nouvelles attaques, mais il peinait toujours à bien les exécuter donc une petite mise au point ne lui ferait pas de mal. Sans oublier qu’il risquait de participer à d’autres concours. Par conséquent, il avait intérêt à progresser s’il ne voulait pas subir une défaite aussi cuisante que celle de Poivressel.

Serena appela Nymphali, elle misait sur le tempérament doux et précautionneux de son amie pour éviter que Salamèche ne se fasse amocher dès le début.

- Essaye d’atteindre Nymphali avec Danse-Flamme.

La salamandre ne perdit pas une seconde et lança son attaque. Le pokémon fée n’eut même pas à bouger alors que les flammes passaient loin de lui et finissaient leur course dans l’eau qui bordait le chemin.

- Tu dois d’abord viser avant de lancer ton attaque, précisa la dresseuse.

Sacha se souvenait avoir lui-même prodigué ce genre de conseils à nombre de ses pokémons. C’était simple d’ordonner, mais quand vous étiez celui qui devait mettre en œuvre, la tache se révélait bien plus ardue. Il aimerait bien voir si Serena s’en sortirait mieux que lui. Et encore, là c’était simple. Qu’elle essaye un peu de se battre contre Alty et ses Pouvoir-Lunaire qui vous explosaient à la figure.

- Ça ne va pas ? s’inquiéta Serena voyant la mine dépitée de son monstre.

Tout d’un coup, l’idée que Serena se retrouve à sa place lui plaisait beaucoup moins. Il secoua la tête, il avait la nausée rien qu’en imaginant son amie blessée dans un match. Finalement, mieux valait que ce soit lui le pokémon plutôt que l’inverse.

Le reptile prit une grande inspiration et retenta la même attaque. Cette fois, les flammes encerclèrent le pokémon fée. Sacha ne put retenir une exclamation de joie alors que Serena souriait de voir son ami progresser.

- C’est très bien Salamèche. Nymphali, tu peux utiliser Vent-Féérique pour dissiper les flammes.

Le pokémon croisa ses rubans devant lui avant de les écarter rapidement créant une puissante bourrasque aux teints rosés. Sans doute trop puissante, vu qu’en plus de balayer les flammes, elle frappa de plein fouet le petit être orange qui fut propulsé hors de la route et se retrouva juste au-dessus de l’eau. La salamandre se débattit dans les airs, espérant trouver une prise quelconque dans cet élément inconsistant.

"Pas ça !" hurla Sacha.

La salamandre ne bougeait plus, défiant les lois de la gravité. Serena l’avait attrapé de justesse et elle tentait de retrouver son équilibre pour ne pas tomber avec son ami dans le liquide. Si la flamme au bout de la queue d’un salamèche s’éteint il meurt, se rappela avec horreur la jeune fille.

Nymphali s’empressa d’entourer ses rubans autour de la taille de la secouriste pour l’aider à se rétablir. Sacha retrouva son souffle lorsque le bleu mouvant ne fut plus dans son champ de vision. Serena aussi soupirait de soulagement, mais elle sentait déjà son ami se débattre dans ses bras signe qu’il voulait qu’elle le libère. La jeune fille préférait toutefois le garder contre elle car elle savait que dès qu’elle le lâcherait, son pokémon s’attirerait de nouveaux problèmes. Et elle voulait souffler un peu avant que ça ne recommence.

- Mèche ? indiqua le pokémon en montrant la mer où il avait failli tomber quelques minutes plus tôt.

Serena scruta les vagues et remarqua qu’il y avait effectivement quelque chose. Elle s’approcha du rebord et put distinguer nettement deux petits pokémons ballotés de tous côtés sur la planche en bois qui leur servait de radeau.

Nymphali ne perdit pas de temps et utilisa ses rubans pour ramener la frêle esquisse sur le rivage. Les boules de poiles pas plus grandes qu’un pikachu tremblaient de froid à cause de leur pelage beige trempé. L’un des deux avait l’air particulièrement mal en point, il s’était recroquevillé sur lui-même et ne semblait pas vouloir bouger. Son compagnon d’infortune se frottait contre lui, essayant de le motiver à bouger sans grand succès.

Sacha ne pouvait pas rester les bras croisés devant ce spectacle. Il chargea le pokémon blessé sur son dos, bien décidé à l’emmener au centre pokémon. Mais dans son état de faible reptile, il ne put faire que quatre pas avant de s’écrouler.

"Je ne vais rien lâcher !" cria l’ancien humain en se relevant.

Sacha gonflait les joues et de la fumée lui sortait des narines à cause de l’effort. Il était peut-être faible, mais ça ne serait jamais une excuse pour ne pas venir en aide à un pokémon.

En le voyant ainsi se démener, Serena ramena sa main contre sa poitrine. Il était du genre à faire passer les autres avant lui, même si cela signifiait mettre sa propre santé en danger.

- Salamèche, je vais m’en occuper, proposa la jeune fille en s’agenouillant près d’eux.

Sacha la regarda quelques secondes avant de lui confier le petit être. L’autre pokémon n’était pas rassuré à l’idée qu’une humaine touche son ami, mais Sacha trouva les mots justes pour le calmer.

La dresseuse appliqua une potion sur le corps du pokémon. Il réémit vite quelques gerbes électriques depuis ses joues rouges, prouvant que le produit faisait effet. En voyant cela, Serena ne fut pas mécontente d’avoir approvisionné sa trousse de premier secours à Poivressel.

- Vous êtes de la même espèce ? demanda Serena pour essayer de détendre l’atmosphère.

Pour Sacha qui avait déjà vu nombre de posipis et négapis, la réponse était évidente. Mais pour la kalosienne ce n’était pas si simple. Ces deux pokémons avaient en effet la même forme de corps avec leurs pattes courtes sans doigts et leurs longues oreilles. Au premier coup d’œil, on pouvait même croire qu’ils ne différaient que par la couleur de certaines parties de leurs corps.

"Qu’est-ce qui vous est arrivé ?" questionna Sacha.

"C’est notre maison… elle est devenue folle," expliqua le pokémon en regardant son ami mal en point.

Sacha ne comprenait pas vraiment ce qu’il entendait par là, mais il s’approcha du petit pokémon et dit :

"Je vais vous aider !"

Négapi regarda de bas en haut le reptile orange, cherchant ses mots pour ne pas le blesser.

"Tu es gentil, mais je vais me débrouiller."

"Mais vous ne pourrez pas vous en sortir seul."

Le pokémon aux joues bleues baissa la tête. Même si c’était vrai, il doutait que le pokémon feu puisse faire quoique ce soit pour leur venir en aide.

"Voltère. Lui, il pourra nous aider," expliqua Négapi en émettant quelques gerbes électriques depuis ses joues.

"Voltère ? Tu parles bien du champion d’arène ?" s’étonna Sacha.

Négapi ne répondit pas. Son poil se hérissa et il se tourna dans la direction de Lavandia, comme si le courant électrique qui émanait de ses joues lui indiquait la voie à suivre. Sacha avait un mauvais pressentiment, il devait vite raisonner le pokémon.

"Lavandia est loin d’ici, tu devrais rester un peu avec nous le temps de..."

"Veillez sur mon frère," le coupa Négapi avant de partir en courant.

"Attends ! Tu n’es pas en état !" paniqua Sacha.

- Salamèche ?

"Serena, emmène Posipi au centre de Poivressel pendant que moi je m’occupe de Négapi !" expliqua-t-il à toute vitesse.

Puis l’ancien humain se lança à la poursuite du pokémon électrique. Ses courtes jambes s’étaient renforcées, mais c’était loin d’être suffisant pour rattraper Négapi. Il essaya d’oublier le point de côté qui torturait sa hanche, ses jambes qui lui faisaient mal et ses pieds dont les écailles n’étaient pas suffisantes pour le protéger des cailloux pointus. Il en avait assez de cette route qui n’arrêtait pas de faire des virages dans tous les sens et lui donnait l’impression de ne pas avancer. Ce fut finalement une douleur proche de son estomac qui le força à s’arrêter. Il remarqua sa queue dont la flamme avait faibli, le manque d’oxygène ne devait pas être très bon pour un type feu.

Les herbes hautes bougèrent derrière lui, c’était Serena qui l’avait suivi avec le pokémon blessé toujours dans ses bras. Même si elle aussi avait couru, Sacha n’en revenait pas qu’elle ait pu le rattraper si vite, et surtout…

"Pourquoi tu m’as suivi ?" cria-t-il.

- Pourquoi tu es parti !? avait hurlé Serena presque au même moment. Tu sais combien il y a de pokémons sauvages par ici ? Allez, vas-y je t’écoute.

- S…

- Oui, exact ! Assez pour qu’un Salamèche complètement inconscient passe un très, très, trèèèès mauvais moment s’il en énerve un ! Pourtant ça ne t’empêche pas de disparaitre avec Négapi et… Et où est-il au juste ?

- Sa, avoua l’ancien humain.

Serena grimaça. Sa salamandre s’inquiétait et quoi de plus normal vu comment le pokémon disparu était blessé. Mais ce n’était pas une raison pour causer d’horribles frayeurs à sa dresseuse !

- Maintenant, tu restes près de moi et on retrouve Négapi.

Sacha n’était pas d’accord. Ils devaient se séparer pour être sûr que…

- Hors de question que je te laisse seul ! rétorqua Serena. De toute façon, on doit être plus proche du centre de Lavandia que de celui de Poivressel, donc autant continuer. Et quand je dis continuer je veux dire continuer ensemble, est-ce que je me suis bien fait comprendre Salamèche ?

Elle ne lui laissa pas le temps de répliquer et se remit en marche en faisant mine d’ignorer les protestations du type feu.

"Tu es vraiment… Attends-moi !"

La nuit était tombée depuis un moment. Roussil ouvrait la marche et utilisait la flamme de son bâton pour inspecter avec minutie la route. Sacha commençait à s’inquiéter de ne toujours pas avoir trouvé le pokémon aux longues oreilles bleues. Il ne pouvait se défaire de la peur que Négapi se soit évanoui et qu’ils soient passés à côté sans le remarquer.

- Posi…

Sacha se tourna vers le pokémon dans les bras de son amie. Il ne s’était toujours pas réveillé et gémissait de temps à autre.

- Ne t’en fais pas. La potion a fait effet, le rassura Serena. Et puis on dirait qu’on est arrivé, remarqua-t-elle.

Effectivement, en scrutant bien la nuit il pouvait discerner quelques lumières au loin. Alors qu’ils s’approchaient, Sacha avait de plus en plus de mal à croire que cette ville était celle qu’il connaissait tellement elle avait changé depuis son dernier passage. En fait, elle ne ressemblait plus du tout à une ville. Ce qu’il voyait devant lui était une énorme boîte hermétique aux faces vitrées qui permettaient de voir l’intérieur. Un peu comme un zoo où les pokémons, bien protégés dans leurs enclos de verre, vivaient leur vie sans se préoccuper des curieux qui les regardaient.

Mais le fait d’être arrivé ici sans avoir croisé Négapi… Est-ce que finalement il était arrivé à Lavandia et avait rejoint le champion, ou alors était-il inconscient quelque part au milieu des hautes herbes ? Sacha voulait immédiatement se rendre à l’arène de Voltère pour vérifier et si le lapin n’y était pas, il était prêt à refaire toute la route 110 en sens inverse.

Cependant, il n’aurait pas à prendre des mesures aussi drastiques. Serena venait de retrouver le petit pokémon adossé contre la rambarde qui bordait la route.

Sacha se précipita vers le monstre souffrant, essayant de savoir où il avait mal ou s’il pouvait faire quelque chose pour le soulager. Le pokémon aux longues oreilles ouvrit un œil et articula d’une voix pâteuse.

"J’ai soif."

Sacha se tendit. Il ne possédait pas de gourde et l’eau qui bordait le chemin était trop salée pour désaltérer le pokémon. C’était une demande si simple et pourtant il était incapable d’y accéder. Il sentit soudain une main douce se poser contre son dos. Serena s’était accroupie et souriait.

- Je vais m’en occuper, dit-elle en posant Posipi près de son frère spirituel. Roussil, tu peux rentrer dans ta pokéball pour te reposer.

- Sil, protesta le pokémon.

- Tu nous as déjà bien aidés. Ça ne sert à rien qu’on finisse tous épuisés, expliqua calmement la dresseuse.

La renarde comprit que sa dresseuse était déjà inquiète à cause du faux-pokémon qui refusait de se reposer. Il était inutile qu'elle en rajoute.

- Rou, finit-elle par céder en lançant un regard plein de reproches au métamorphosé.

Sacha baissa la tête, il aurait voulu être plus utile au lieu d’attendre que la jeune fille s’occupe de tout. Ce n’était pas étonnant que Négapi ait refusé son aide et soit parti dans une course folle vers Lavandia jusqu’à tomber d’épuisement.

- Ce n’est pas de ta faute, murmura la jeune fille.

Sacha la regarda. Elle gardait son visage concentré en même temps qu’elle s’activait à appliquer la potion sur les blessures du pokémon. Et même en faisant cela, elle trouvait quand même le temps de le rassurer. L’ancien humain s’approcha et saisit entre ses griffes le long manteau rouge de la jeune fille.

- Pourquoi tu sembles souffrir à chaque fois que je t’aide ? demanda la dresseuse sans cacher la tristesse qu’elle ressentait.

"J’ai l’impression de trop me reposer sur toi," avoua le faux pokémon.


***


Voltère n’en pouvait plus. Il avait passé sa journée à rafistoler des robots cabossés et à remettre en route les circuits défaillants du système de sécurité. Non pas que tout cela ne le passionnait pas, mais il avait trop de cheveux blancs pour finir sa journée aussi tard. Sans oublier son arène qu’il avait dû fermer pour la journée pour venir faire les réparations.

Le vieil homme soupira en remettant sa veste sur sa combinaison jaune pleine de taches d’huile. Le pire, c’est qu’il restait encore beaucoup de réparations à faire et il sentait qu’il allait mettre plusieurs semaines pour achever sa tâche. Eugène avait quand même beaucoup de chance d’avoir un ami comme lui, il avait intérêt à lui payer un verre, voir même le restaurant.

Voltère se mit à rire à cette idée, un rire bien fort et gras qui fit sursauter les quelques employés de l’accueil de la piste cyclable. Le champion se fichait de comment les autres le regardaient. Pour lui, le rire était synonyme de santé alors il n’allait pas se retenir pour satisfaire quelques introvertis.

Dès qu’il mit le nez dehors, Voltère se rendit compte de la différence entre la chaleur de la salle d’ordinateur dans lequel il avait passé sa journée et le froid de la nuit. Il regrettait de ne pas avoir mis un sweat ce matin à la place de sa veste à manche courte beaucoup trop légère. Le champion frotta ses mains l’une contre l’autre pour les réchauffer et se dirigea d’un pas nonchalant vers les lumières de sa ville.

Il avait hâte de retrouver son lit et ne retenait pas ses bâillements. Ses yeux lui piquaient, comme si des grains de sables s’étaient glissés entre ses paupières et sa cornée. Il était surpris, habituellement il n’avait pas de problèmes pour veiller tard. Il devait se faire vieux, ou bien c’était plus simple de rester éveillé au milieu de l’agitation du casino que sur l’ennuyeuse route 110.

Sincèrement, il devait bien être la seule personne assez stupide pour se balader sur cette vieille route boueuse en pleine nuit.

Il fut obligé d’infirmer son hypothèse lorsqu’il remarqua une jeune fille aux abords de Lavandia. Etrange, normalement les dresseurs se dépêchaient de rentrer dans la ville au lieu de rester accroupis dehors. Voltère sentit sa curiosité s’éveiller. Est-ce que cette fille avait trouvé un trésor ou un nouveau pokémon très rare ? Il n’aurait le fin mot de l’histoire que s’il faisait quelques explorations complémentaires.

- Ah ah ah ! Qu’est-ce qu’une jeune fille fait ici à une heure si tardive ! s’exclama-t-il.

Serena sursauta en entendant cette voix un peu trop joyeuse. Elle n’osait pas se retourner ni répondre tellement elle craignait que l’homme qui l’ait abordé soit un voleur ou quelque chose du genre. Après tout, c’était bien le genre de personnes qu’on trouvait une fois la nuit tombée.

Elle remarqua soudain le regard ravi de la salamandre qui se dirigea d’un pas assuré vers l’inconnu. Toutefois, elle ne le laissa pas rejoindre l’homme et le coinça contre elle à l’aide d’un de ses bras en même temps qu’elle posait sa main libre sur une de ses pokéballs.

- Du calme, je ne voulais pas t’effrayer, s’empressa de dire Voltère.

Pour une fois, le champion n’était pas mécontent des lumières vives de la ville capable d’éclairer les alentours sur plusieurs kilomètres. C’était toujours plus rassurant de discerner parfaitement le visage d’un inconnu plutôt que de faire face à une ombre désincarnée. Au bout d’un moment, le vieil homme remarqua les deux petites formes cachées derrière la jeune fille.

- Qu’est-ce que vous faites ici ? s’étonna le champion.

- Vous les connaissez ? demanda Serena.

Le champion s’agenouilla auprès des blessés et palpa leurs joues. Il ne ressentait que quelques fourmillements sur la pulpe de ses doigts, et encore, il devait se concentrer pour les percevoir.

- On les amène tout de suite au centre, déclara Voltère en prenant les deux blessés dans ses bras.

Les derniers kilomètres faits au pas de course furent une véritable torture pour la jeune fille qui devait en plus porter la salamandre. Le vieil homme malgré ses rondeurs était loin d’être lent et ils arrivèrent vite au centre pokémon.

Voltère ne s’inquiéta pas de réveiller l’infirmière et écrasa sous sa main la sonnette d’accueil. La soignante arriva avec un sourire crispé et les yeux rougis de quelqu’un qu’on venait de tirer d’un profond sommeil. Elle ne se plaignit pourtant pas et pris en charge les deux blessés. Serena souffla de soulagement et se dépêcha de trouver un fauteuil avant que ses jambes ne cèdent à cause de la fatigue.

- Sala, s’inquiéta le pokémon.

- J’ai besoin d’une petite pause, dit-elle encore toute pantelante.

Mais Voltère n’était pas disposé à la laisser se reposer. A peine était-t-elle assise que le vieil homme l’assaillait de questions sur les circonstances de sa rencontre avec Posipi et Négapi.

Le vieillard avait fini son interrogatoire et il sentait que sa journée était loin d’être terminée. Il jeta un coup d’œil à l’horloge mural du centre, en fait la journée ne l’avait pas attendu pour se finir. Génial, il venait officiellement de louper la prise de son traitement pour la tension. Mais bon, il n’avait jamais vraiment cru au bénéfice de ces comprimés alors louper un jour ou deux, voire une semaine ne le dérangeait pas.

Les visiophones croisèrent son regard. Il les observa longuement, comme s’il se doutait que les utiliser allait définitivement mettre un terme à ses chances de dormir cette nuit.

- Allez mon vieux, tu verras que tu te fais du souci pour rien, s’encouragea-t-il.

Un appel, il avait juste un appel à passer à la centrale de New Lavandia pour s’assurer que tout allait bien. Il composa le numéro et attendit que quelqu’un décroche. Mais rien, juste l’horripilante tonalité qui indiquait que le correspondant était injoignable. S’était-il trompé de numéro ? Il raccrocha, tapa avec lenteur sur les touches pour s’assurer que ses gros doigts n’effleuraient pas les chiffres indésirables et finalement retrouva le même son insupportable.

- Vous allez répondre à la fin ! fulmina Voltère en faisant une troisième tentative.

A nouveau la tonalité. Le vieil homme n’en revenait pas. Certes il était tard, mais les employés devraient répondre. Et surtout, il ne devrait pas entendre ce son synonyme de ligne coupée.

Le champion ne perdit pas plus son temps et se rendit sur la place juste devant le centre. Là, en plein milieu, trônait une tour de quelques mètres illuminée par les spots alentours. Voltère en fit le tour plusieurs fois, puis ouvrit un petit boitier caché dans un des pieds de la structure pour vérifier que tout était fonctionnel. Tous les voyants étaient au vert et aucun câble déconnecté. Pourtant, la tour ne brillait pas. Voltère n’avait pas envie de rire, vraiment pas. C’était impossible qu’elle ne réagisse pas alors que New Lavandia était injoignable.

Il retourna au centre, tenta un ultime appel et en définitive écrasa le bouton « off » du visiophone.

- Ça ne va pas ? essaya Serena voyant l’état d’agitation du vieillard.

Le champion se retint au dernier moment de crier sur la jeune fille. Il frotta ses yeux, essayant de retrouver un tant soit peu sa réputation de « joyeux papy ».

- Des petits… soucis, dit-il la mâchoire crispée. Mais tu n’as pas à t’en faire. D’ailleurs, tu ferais mieux d’aller te reposer, ce n’est pas bon de se coucher tard.

Serena bailla, elle avait envie de prendre une bonne douche et de s’étendre sur un matelas moelleux. Mais elle répondit quand même :

- Je préfère attendre que l’infirmière revienne pour savoir comment vont Posipi et Négapi.

Voltère dévisagea la dresseuse. Il comprenait qu'elle s'inquiète pour les deux monstres, mais rester éveillé ne changerait rien à leur état. Alors autant qu'elle se repose, surtout que...

- J’en connais un qui n’a pas attendu, remarqua le champion.

Serena regarda son pokémon endormi sur ses genoux, elle lui caressa la tête avant d’expliquer :

- Justement, je voudrais pouvoir lui dire qu’ils vont bien quand il se réveillera, chuchota-t-elle.

Voltère eut un petit sourire. Ces derniers temps il rencontrait beaucoup de dresseurs talentueux, mais il avait toujours la désagréable sensation qu’il manquait quelque chose à tous ces jeunes. Comme s’ils avaient perdu quelque chose de fondamental comparé à leurs ainés. Ce n’était peut-être que les divagations d’un vieillard qui commençait à sortir ces phrases pompeuses de « c’était mieux avant ». Mais maintenant qu’il observait cette jeune fille, Voltère appréhendait mieux la raison de ses précédents malaises.

- Tout de même, je pensais qu’il tiendrait plus longtemps, se moqua le vieil homme.

- Il a beaucoup d’énergie mais son corps ne suit pas toujours, grimaça la jeune fille.

- Ah ah ah ! Ça ne doit pas être facile tous les jours.

Voltère se ratatina sur lui-même en se rendant compte qu’il avait parlé trop fort. Par chance, le petit monstre se contenta de changer de position sans se réveiller.

- Ce n’est pas facile, mais c’est agréable, sourit Serena alors que la main de son pokémon serrait sa robe.

Joëlle vint interrompre leur discussion pour annoncer que les deux blessés étaient tirés d’affaire. Ce fut comme un électrochoc qui rappela à Voltère toutes ses inquiétudes.

- Je dois y aller ! hurla le vieil homme, réveillant cette fois Salamèche.

- Sala ?

- Posipi et Négapi vont bien, on devrait aller se coucher, proposa Serena.

- Mèche !? rétorqua Sacha en pointant du doigt Voltère sur le point de quitter le centre.

- C’est vrai qu’il avait l’air agité, mais je ne pense pas qu’on devrait…

Le monstre avait déjà sauté du siège et s’était lancé à la poursuite du champion.

- Pourquoi ça fini toujours comme ça ?

Voltère et Serena firent tout leur possible pour convaincre la salamandre de rester au centre. Mais le monstre était têtu et s’accrochait à la combinaison du vieil homme pour être sûr qu’il ne parte pas sans lui.

- Quand il est comme ça, c’est presque impossible de le raisonner, soupira Serena.

Le champion leva sa jambe en l’air. Le pokémon se laissa pendre, ses griffes solidement ancrées dans la tenue en polyester.

- Je vois ça, souffla un Voltère dépité.

Il gratta ses cheveux blancs, le monstre n’avait pas l’air d’être du genre à obéir sagement à sa dresseuse. Le vieillard se garda de faire la remarque, mais n’en pensa pas moins : s’il se comportait ainsi en tant que salamèche, il risquait de donner beaucoup de mal à Serena une fois qu’il aurait évolué.

Le champion dût donc se résoudre à emmener avec lui le reptile et sa dresseuse après s’être quand même assuré que Salamèche n’était pas le seul pokémon de la jeune fille.


***


La centrale était isolée sur un îlot à l’extérieur de la ville et était complètement entourée par les flots. Il n’existait donc qu’un seul moyen pour l’atteindre. Le scientifique se dépêcha d’enlever le voile qui recouvrait un petit bateau à moteur.

En embarquant, Sacha crut voir deux ombres se glisser sur le navire, mais il oublia vite ce détail au moment où son mal de mer le reprit. Il mit sa main devant sa bouche pour retenir un haut le cœur. Décidemment, il n’arrivait pas à comprendre l’origine de son mal, surtout qu’il n’avait jamais eu ce genre de problèmes quand il était humain. Et si jamais cela persistait une fois sa forme normale retrouvée ? Il ne pourrait plus jamais profiter d’une croisière !

Pendant que Sacha luttait contre son problème, Serena et Voltère faisaient de leur mieux pour ne pas s’endormir. Il faut dire que le roulis du navire et le calme de la nuit n’avait pas de quoi maintenir les sens en alerte.

- J’aimerais savoir… pourquoi la construction devant le centre ressemble à la Tour Prismatique ?

- Ah ah ! Tu connais cette tour ? s’amusa Voltère bien content qu’ils aient trouvé un sujet de conversation et par la même une chance de rester éveillé.

- Bien sûr, c’est la même qu’à Illumis.

- Tu es originaire de Kalos ?

- Oui, j’ai débuté mon voyage là-bas.

- Je comprends mieux pourquoi tu n’as pas le starter habituel de la région d’Hoenn. Pendant un moment, j’ai vraiment cru que Seko avait adopté la mode de Kanto. Enfin, pour répondre à ta question, nous avons construit cette réplique car nous sommes jumelés avec Illumis. C’était un moyen de marquer le coup en plus de créer un système d’alerte.

- Une alerte ? Mais à quoi est-ce qu’elle… Salamèche ! Tu vas tomber si tu te penches trop !

Voltère attendit que Serena ait repris le reptile de feu dans ses bras pour expliquer :

- La centrale de New Lavandia fournit notre ville en électricité. En cas de panne ou autre, elle envoie immédiatement un signal qui fait briller la réplique de la Tour Prismatique. C’est un système que j’ai mis au point avec l’aide du champion d’arène d’Illumis.

- Vous parlez de Lem ? sourit Serena.

- Oui, nous sommes tous les deux spécialistes du type électrique et inventeur. Mais je suis quand même surpris que tu le connaisses, surtout qu’il n’était pas souvent à son arène ces derniers temps.

- Nous avons voyagé ensemble avec sa petite sœur et un autre ami à travers tout Kalos. Il inventait toujours pleins de machines mais…

- Mais ?

- Elles explosaient à chaque fois, se souvint la jeune fille non sans un sourire crispé.

- Ah ah ah ! L’échec est mère de réussite.

- Sans doute, soupira la jeune fille se doutant qu’il ne servait à rien de débattre.

Décidément, que ce soit à Kalos ou à Hoenn, Serena ne comprendrait jamais la logique des inventeurs.

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