Derkomai's Mask
Une femme d’âge mûr aux cheveux bruns s’affairait aux préparatifs de son repas. C’était une occasion spéciale aujourd’hui puisque ses deux enfants étaient de retour à la maison et qu’en plus sa fille avait amené une invitée. Elle pouvait entendre les éternelles querelles de Flora avec Max, son jeune frère, heureusement rapidement calmées par son mari. Elle huma le parfum délicat de sa soupe enfin prête. Les affamés patientaient autour de la table, le salon bien éclairé et chaleureux permettait de distinguer aisément ces visages joyeux. La maitresse de maison ramena finalement le plat encore brulant et servit ses convives. Alors que chacun empoignait sa cuillère, Max se tourna vers l’étrangère en rehaussant ses lunettes :
- Artiste pokémon… j’en ai déjà entendu parler, ce sont des concours pour les gens incapables de se battre.
Sacha se crispa. Max manquait toujours de délicatesse dans ses remarques qui pouvaient être vraiment irritantes quand on ne le connaissait pas… même quand on le connaissait d’ailleurs.
Flora ne tarda pas à le réprimander, lui rappelant que son classement à la dernière ligue ne devait pas lui faire prendre la grosse tête. Se rendant compte de son erreur, il s’empressa de s’excuser.
- Mais tu n’as pas tort, souffla Serena.
- Arrête de te dévaloriser sans arrêt sinon tu n’arriveras à rien ! s’énerva Flora, faisant au passage voler quelques gouttes de soupes hors de sa cuillère.
- Je sais, cependant… tenta Serena le regard noyé dans le mélange liquide.
- Sala ! l’interrompit son pokémon.
Lui aussi en avait assez. Elle était bien plus sûre d’elle lorsqu’elle était à Kalos, alors pourquoi ce serait différent ici ?
- Tu vois, Salamèche est d’accord avec moi ! remarqua la coordinatrice d’Hoenn.
Serena observait la petite bête orangée à ses pieds qui ne la quittait pas du regard. Elle se décida à le saisir et le posa sur ses genoux.
- Tu es un pokémon plein d’assurance, n’est-ce pas ? lui fit-elle remarquer tout en plongeant son regard dans celui de Salamèche.
Sacha se sentait perturbé par la soudaine attention qui lui était portée. Il n’avait pas l’habitude de la voir sous cet angle : ses cheveux courts bougeaient légèrement au grès de ses mouvements et ses lèvres délicates dansaient au rythme de sa voix mélodieuse. Sans oublier la douceur de ses mains qui effleurait sa peau rugueuse de reptile en un affriolant contraste. Il se dépêcha de se dégager afin d’arrêter ce feu ardent qui lui brulait l’estomac.
- Allez Serena, je vais te montrer ma chambre ! invita Flora.
Elle lui attrapa le bras et s’empressa de l’amener à l’étage. Sacha à l’arrière tentait de les suivre, mais les escaliers le ralentissaient trop. Il avait l’impression d’être de retour dans l’arène de Lino tentant de ne pas glisser à chaque fois qu’il réussissait à monter un peu plus haut.
***
"J’en ai marre de cette taille !" criai-je même si seul un grognement de mécontentement sortit de ma bouche.
Serena se retourna, elle m’avait probablement entendu. Elle parvint à se dégager de la prise de Flora et se dépêcha de descendre jusqu’à moi. Je me sentis soulevé et me retrouvai collé contre sa poitrine, ses bras m’enserrant fermement afin que je ne tombe pas. Nous arrivions à destination bien trop vite à mon goût. Elle me déposa sur le plancher dur et froid me faisant davantage regretter sa chaleur… Je secouai la tête, je ne devais pas penser ainsi, ce n’était pas mon style ! Pour me changer les idées, je décidai de me lancer dans l’exploration de la vaste chambre. On voyait que la mère de Flora s’en était bien occupée, pas un grain de poussière, pas de toiles d’araignées, et WOUAAAH ! Je soufflai un grand coup, ce n’était qu’une peluche Mélofée, mais bon sang elle m’avait fichue la trouille ! Je ne savais pas que Flora avait une poupée aussi immense…
- Alors ton petit frère a participé à la ligue, remarqua Serena.
Mon amie d’Hoenn leva les yeux au ciel et se contenta de répondre :
- S'il veut hériter de l'arène, il devra faire mieux qu'un bon classement. Il a encore beaucoup à apprendre.
Flora était dure avec son petit frère surtout que de ce que j'en comprenais, il avait fait énormément de progrès depuis nos adieux. Ça me donnait envie de l'affronter !
Pendant que les filles continuaient de discuter de divers sujets plus ou moins passionnants, un élément attira mon attention. Accrochés au mur, ces petits rectangles ressemblaient à des photos, mais j’étais trop petit pour les voir en détail. Je trouvai mon salut dans une chaise. Je la poussai de toutes mes forces pour la faire bouger, j’avais l’impression que ce n’était pas du bois mais du roc tellement c’était lourd. J’atteignis mon but en sueur, il fallait escalader maintenant. Je réussis à attraper le rebord de la chaise et j’essayai de me hisser avec mes petites pattes, mais elles étaient beaucoup trop faibles pour soulever mon poids et je m’écrasai lamentablement sur le sol. Je regardai autour de moi jusqu’à croiser le regard de l’odieuse poupée. Voilà la solution ! Sans attendre plus, je me saisissais du faux pokémon rose et le plaçais juste à côté de la chaise. Grâce à cet ingénieux système, je pus me hisser jusqu’au sommet de cette imprenable montagne. Je jetai un regard au monde à mes pieds et le surplombai de toute ma hauteur. La sueur dégoulinait sur mon visage et mes poumons étaient vides de tout air, mais je ne pouvais empêcher un sourire de triomphe de marquer mes lèvres.
"Voilà ce qui arrive quand on me sous-estime !" narguai-je la poupée qui était restée au sol.
Je blêmis d'un coup. Qu’est-ce que je racontais ? J'étais juste monté sur une chaise ! Je me sentais minable, il n'y avait pas de quoi être ravi d’avoir réussi quelque chose d’aussi simple. Vu ma résistance actuelle, je comprenais mieux pourquoi Norman avait arrêté mon combat contre Braségali. Je préférais arrêter d’y penser et me concentrai sur le mur pour enfin découvrir une photo de moi avec Flora, Max et Pierre lors de mon voyage à Hoenn.
- Sacha !
Je ne pus réprimer un sursaut en entendant mon prénom. Elle m’aurait déjà reconnu ? Mais je constatai rapidement que je m’étais trompé. Serena avait juste elle aussi remarqué la photo, elle ne devrait pas me faire des frayeurs comme ça.
- Oui, c’est une photo qu’on a fait un peu avant son départ, commenta Flora.
J’observais mon amie du coin de l’œil, elle inspectait avec minutie la photo.
- Vous semblez très proche tous les deux… dit-elle soudain.
Était-ce mon imagination ou il y avait une pointe de déception dans sa voix ?
- Bien sûr ! confirma Flora.
Les sourcils de Serena se froncèrent et sa mâchoire se crispa.
- Nous étions les meilleurs amis ! ajouta la coordinatrice.
- Et il n’y avait rien d’autre ?
- Qu’est-ce que tu voudrais qu’il y ait d’autre ? questionna Flora, m’enlevant les mots de la bouche.
- Rien ! Rien du tout ! s’empressa de répondre la performeuse les joues rouges et les bras s’agitant dans tous les sens avant de s’arrêter avec un soupir de soulagement.
Elle était vraiment bizarre. J’avais déjà noté quelques comportements similaires lors de notre voyage à Kalos, mais je n’y avais pas vraiment prêté attention.
- Alors dis-moi. Vu que tu étais avec lui il n’y a pas longtemps, comment va-t-il ? Il continue à collecter des badges ? demanda Flora en s’asseyant mollement sur son lit.
- Bien entendu, sinon ce ne serait pas Sacha. Il est même arrivé jusqu’en finale de la ligue et il a perdu de peu, s’enthousiasma Serena en rejoignant Flora.
- Eh bien ! Il a énormément progressé depuis la dernière fois que je l’ai vu.
Je ne pus empêcher mon torse de se bomber de fierté. C’est vrai que j’étais devenu fort, comme je me l’étais promis après mon voyage à Unys.
- Par contre, j’espère qu’il ne s’est pas trop mal comporté, ajouta Flora. Tu sais il est souvent têtu, impulsif, sans oublier qu’il ne comprend jamais rien aux filles et manque de délicatesse. Il est même parfois un peu idiot.
Quoi ? Mon ego venait d’être mis en pièce en quelques secondes. Et puis je ne voyais pas ce qu’il y avait à comprendre avec les filles ! Je vis Serena secouer la tête en signe de négation.
- Je ne suis pas d’accord. Sacha m’a aidée tout au long de mon voyage et puis c’est lui qui m’a motivée à découvrir le monde. Si je ne l’avais pas vu ce jour-là à la télé, je serais encore en train de paresser chez moi à me plaindre des entrainements avec Rhinocorne. Il peut paraitre têtu, mais c’est juste qu’il n’abandonne jamais et qu’il n’a peur de rien quand il s’agit d’accomplir ses rêves. Je crois qu’il était une véritable source d’inspiration pour moi et si je suis partie à Hoenn c’est aussi dans l’espoir de pouvoir devenir plus forte et qu’il soit fier de moi.
Je la dévisageais, surpris, je ne pensais pas qu’elle avait une aussi haute estime de moi, pourtant durant notre voyage c’était plutôt elle qui m’avait aidé.
- Tu ne serais pas amoureuse de lui par hasard ? chuchota soudain Flora, probablement pour éviter que j’entende la suite.
Qu’est-ce qui lui prenait de demander ça tout à coup ? Je sentis la flamme au bout de ma queue chauffer d’un coup, comme si elle avait explosé. Qu’est-ce qui m’arrivait encore ? A cause de la panique mon nouveau membre gigotait dans tous les sens. J’allais finir par bruler la chambre de Flora ! J’attrapai ma queue entre mes pattes pour l’empêcher de bouger. Dans cette position je pouvais voir que les teintes rouges qui la composaient avaient complètement disparu pour devenir un amas orange et jaune. Les filles n’avaient rien remarqué de mon petit problème et Serena n’avait toujours rien dit. En même temps, je connaissais déjà la réponse…
- On dirait que j’ai vu juste ! rajouta la coordinatrice un sourire malicieux déformant son visage.
- Comment as-tu deviné ? demanda Serena dans un murmure.
- Ton petit discours peut-être, nargua Flora. Ou ton regard, à moins que ce ne soit ton sourire. Sincèrement, il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas remarquer ce que tu ressens.
Était-ce aussi évident que ce que Flora disait ? Moi, je n’avais pas compris avant nos adieux à l’aéroport… Mes pensées furent interrompues pas la vue de mes écailles qui semblaient devenir plus foncées. Je les inspectais avec minutie, il m’était possible de voir des petits vaisseaux parcourir leurs bases. Le changement de teinte était discret, mais bien réel.
- Tu lui as dit ce que tu ressentais ? demanda soudain la malicieuse jeune fille.
Je touchai mes lèvres. Ma main était rugueuse contrairement aux lèvres de Serena… Je devais arrêter d’y penser ! Pendant que je luttais contre les comportements étranges de mon propre corps, Serena soupira :
- Je lui ai dit à l’aéroport juste avant de partir.
- Et qu’a-t-il répondu ? demanda Flora des étoiles dans les yeux.
- Rien.
Le ton de sa voix était tellement morne que j’en frissonnais. Ma réponse ? Qu’est-ce que je ressentais pour elle ? La poupée Mélofée semblait me fixer et se moquer de moi. Je grognai contre l’objet inanimé.
- Rien ? s’étonna la coordinatrice déçue.
- Il m’a juste dit au revoir. Il ne m’a pas repoussée, mais il n’a rien laissé paraitre face à ma déclaration. Je n’ai aucune idée de ses sentiments, murmura-t-elle en ramenant ses genoux contre sa poitrine. En même temps j’aurais dû m’en douter, il reste fidèle à lui-même.
- Il n’a jamais été très doué quand il s’agit d’amour, il préfère largement les combats pokémons, décréta Flora bras croisés et les yeux fermés semblant plonger dans ses souvenirs.
- Sans doute, je pourrais en venir à souhaiter devenir un pokémon pour qu’il fasse un peu plus attention à moi, dit en plaisantant Serena.
Je préférai ne pas réagir à sa remarque. La poupée continuait de m’observer avec ses deux billes noires comme si elle m’ordonnait de dire la vérité. Ma flamme avait perdu de son intensité et je la laissai retomber sur le parquet. Serena s’était montrée suffisamment directe pour que je comprenne. Les yeux immobiles du faux Mélofée restaient rivés sur moi, il ne me laisserait pas renier la vérité… Je… j’avais déjà compris les sentiments de Serena, mais je faisais exprès de les ignorer, de ne pas les voir. Parce que pour moi Serena était juste une amie.
"Parce que Serena est toujours une amie," assurai-je au témoin rose.
Je m’approchai de la poupée et la poussai, elle tomba sur le côté sans émettre le moindre bruit. Ses yeux continuaient de me fixer, ce bout de chiffon rembourré ne voulait pas comprendre. Peu-importait. J’avais mon rêve à accomplir, Serena avait le sien. Grâce à ça on pouvait se quitter sans souffrir. On pouvait s’abandonner… sans être blessé… mais si on allait plus loin alors… J’avais l’impression d’entendre les grésillements d’un vieux poste de télévision. J’avais froid. Je me recroquevillais sur moi-même.
"Serena est et restera une amie, je ne ressens rien d’autre pour elle, rien d’autre, rien d’autre…"
- Salamèche ?
Serena s’était agenouillée près de moi et me dévisageait la mine inquiète. Je lui répondis, mais ma voix était lourde, fatiguée, comme si j’étais mourant. Sans un mot elle me prit dans ses bras et me pressa contre elle. C’était chaud et moelleux. Mes griffes serrèrent sa robe rose.
Quand j’aurais repris mon apparence normale je devrai… ce n’était pas si important. Dans quelques semaines, quand elle aura repris confiance en elle, je pourrai partir, rejoindre Pikachu, redevenir un dresseur et poursuivre mon rêve. Continuer à avancer sans me préoccuper du passé, faire de nouvelles rencontres. Dans quelques temps ce sera à nouveau ma vie.
- Tu te sens mieux ? me demanda-t-elle en fixant ma flamme.
On toqua à la porte. Norman n’attendit pas la réponse de sa fille, il entra et demanda avec son ton grave habituel :
- Flora, est-ce que tu accepterais de m’accompagner à Cimetronelle ? Alizée et Marc aimeraient nous voir.
- Qu’est ce qui se passe ? demanda l’intéressée.
- Ils ne m’ont pas donné de détails, ils ont juste demandé à ce je vienne et puisque tu es ici ils ont aussi sollicité ta venue, dit gravement le champion d’arène.
En même temps avec lui tout paraissait sérieux.
- Très bien, après tout ça fait un moment que je ne les ai pas vus.
- Ça signifie qu’on ne va pas pouvoir continuer notre voyage ensemble… comprit Serena déçue.
- Ne t’inquiète pas, on se reverra durant les concours et le grand festival bien entendu ! finit Flora avec un clin d’œil.
- Flora… sourit Serena, reconnaissante de ces encouragements.
- Ah ! Tant que j’y pense, le prochain concours se déroule à Poivressel.
Serena prit sa tablette pour chercher où se trouvait sa prochaine destination. Elle étouffa un cri de surprise lorsqu’elle trouva enfin la fameuse ville. Selon mes souvenirs, Poivressel se situait loin d’ici, on risquait de mettre un moment avant de l’atteindre.
- J’ai un ami qui pourra t'aider, proposa Norman qui avait remarqué l'embarra de Serena. Il s’appelle Marco et c’est un vieux loup de mer, je lui fais confiance pour t’emmener à destination si tu viens de ma part.
Les yeux de mon amie brillèrent et elle tendit sa tablette. Le champion s'en saisit et glissa son doigt sur l'écran avant d'appliquer une légère pression, marquant un repère sur la carte.
- Merci beaucoup ! s’exclama Serena tout en reprenant son bien.
- Bon allons-y Flora, déclara le champion.
Je les suivais accompagné de Serena jusqu’à leur voiture. Ils nous firent un signe de main en guise d’adieu avant de partir à tout vitesse dans un nuage de poussière. Une fois mes amis de Hoenn disparus, je me tournai vers Serena. Je la vis souffler, puis elle reporta son attention sur moi et me demanda avec un léger sourire :
- Tu es prêt pour le début de notre aventure ?
Je me sentais mieux à présent. Je m’étais posé beaucoup trop de questions et ça ne me réussissait pas. En définitive je n’avais pas à m’en faire, j’allais juste aider Serena à commencer son voyage et ensuite, comme d’habitude, je m’en irai. C’était aussi simple parce qu’après tout…
- Mèche ! criai-je plein d’entrain.
Personne ne m’a jamais demandé de rester.
***
La jeune dresseuse et son nouveau « pokémon » continuaient leur voyage sur la route 104. Bien qu’ils aient quitté Clémenti-Ville juste après le repas de midi la maison de Marco n’était toujours pas visible et la lumière déclinante indiquait le début de soirée.
- On va s’arrêter ici pour manger, acta Serena.
La décision fut vite approuvée par son ami orange. Elle appela ses autres pokémons et sortit de son sac une boîte garnie de nourriture que la mère de Flora lui avait gentiment préparé. Pendant ce temps Roussil, Pandespiègle et Nymphali demandaient quelques explications au sujet de la nouvelle forme de Sacha. Serena était rassurée de constater qu’ils s’entendaient déjà bien et elle leur laissa le soin de vider leurs gamelles. La kalosienne avait un peu plus de mal avec son propre repas, en particulier les baguettes qu’elle peinait à manier. Après tout, dans sa région, on avait l’habitude de la fourchette et du couteau. La jeune fille ne se démotiva pas, découvrir les nouveaux usages faisait partie du charme du voyage. Alors qu’elle faisait une énième tentative pour apporter le succulent aliment à sa bouche, son regard s’arrêta sur Salamèche qui s’était approché et regardait l’écrin noir avec envie.
- Tu as déjà fini ? s’étonna la jeune fille avant de se rendre compte de son erreur.
La gamelle dédiée au pokémon feu était toujours pleine, elle se demandait même s’il en avait pris ne serait-ce qu’une bouchée.
- La nourriture pour les humains n’est pas adaptée aux pokémons, expliqua Serena se souvenant des enseignements de Lem.
Sacha grogna. L’infirmière Joëlle lui avait servi le même discours, mais devant son obstination elle avait finalement cédé et lui avait donné des baies. Il fallait le comprendre, déjà qu’être un pokémon faiblard n’était pas très agréable, si en plus il devait manger ces croquettes insipides à chaque repas, sa vie allait devenir un véritable calvaire. Le pokémon orange continuait de fixer les formes colorées et le riz blanc contenu dans la boîte au point de ne plus pouvoir retenir sa salive qui dégoulinait allègrement sur son menton.
- Non Salamèche, tu dois manger la même nourriture que les autres.
- Saaa, gémit le petit être.
- Je sais que tu es jeune et que tu n’as pas l’habitude des croquettes, mais je t’assure que c’est pour ton bien.
- Mèche ! Sala, Salamèche !
Le ventre du pokémon gargouillait de plus en plus et Serena ne voulait pas qu’il se laisse mourir de faim. Elle accepta donc à contrecœur qu’il partage son repas et Sacha dévora goulûment les victuailles. La dresseuse le regarda faire jusqu’au moment où elle se rendit compte qu’il ne lui restait plus grand-chose à manger après que le petit monstre se soit empiffré. Elle soupira en sentant son propre estomac se plaindre, il faudrait qu’elle apprenne à Salamèche ce que signifiait « partager la nourriture ».
- J’y pense, il faudrait que je te montre ce qu’est une performance ! déclara soudain Serena.
Il s’agissait de la première épreuve après tout, d’après ce que Flora lui avait expliqué c’était très similaire aux performances. Ses trois partenaires se placèrent à ses côtés et commencèrent le spectacle. Sacha les contemplait. Cette danse, c’était celle qu’ils avaient fait lors de la finale du salon pokémon. Pour lui, c’était elle qui méritait la victoire et personne d’autre. La performance cessa, la jeune fille salua son public qui applaudissait vigoureusement. Elle lui sourit avant de lui expliquer :
- Je vais aussi créer une performance pour toi, mais avant j’ai besoin de voir comment tu danses.
Sacha déglutit, bouger son corps en rythme n’avait jamais été son fort. Son expérience à l’arène de Cornélia lui avait bien fait comprendre qu’il n’était pas fait pour ce genre d’activité. Il tenta donc de refuser, mais le regard de Serena l’en empêcha. Alors il essaya de danser, il essaya vraiment avec toute sa bonne volonté. Mais le résultat fut un véritable fiasco. Il bougeait les pattes de manière désordonnée et trébuchait à chaque fois que sa traitresse queue se mettait sur son passage. On aurait pu croire qu’il avait été touché par Onde Folie. Les autres pokémons tentèrent tant bien que mal de se retenir, mais leurs sourires se muèrent très rapidement en éclats de rire incontrôlables.
- Ce n’est pas gentil de se moquer alors qu’il fait de son mieux, les gronda Serena.
Elle demanda à Pandespiègle d’aider un peu son ami. Le panda rajusta ses lunettes et se lança dans sa démonstration. Sacha tenta de l’imiter, mais il s’emmêla encore davantage et se retrouva rapidement face contre terre. Ils retentèrent l’expérience avec Roussil et Nymphali, mais le résultat ne changea pas. Serena finit par se résoudre et s’accroupit au niveau de Salamèche.
- Est-ce que tu tiens à faire la première partie ?
Son pokémon ne tarda pas à répondre par la négation.
- Alors tu te contenteras de participer aux combats. Mais n’oublie pas, la beauté de l’attaque est aussi primordiale.
La salamandre fit un signe de tête montrant qu’il avait compris. Soudain, la jeune fille se releva, observant le soleil sur le point de se coucher.
- La nuit va bientôt tomber !
- Mèche ? questionna Sacha ne comprenant pas cette soudaine inquiétude.
- J’ai encore oublié de prendre ma tente ! finit-elle par dire.
Elle prit rapidement son navi-map pour voir où se trouvait la maison de Marco et se rassura immédiatement :
- Ce n’est plus très loin, il acceptera peut-être de nous héberger.
Elle rappela ses amis de Kalos et se dirigea d’un pas rapide vers l’orée de la forêt, Salamèche sur ses talons ou plutôt essayant de rester au niveau de ses talons. Elle se rendit compte que le petit pokémon avait du mal à la suivre et tenta de le prendre dans ses bras. Il s’écarta vivement et se mit à courir pour prendre de l’avance. Il n’avait pas envie d’être un poids pour elle.
Les arbres finirent par disparaitre pour laisser place à une petite clairière. Sacha en reprenant son souffle se rendit compte que l’air était empreint d’une odeur salée et le bruit des vagues au loin ne firent que renforcer son idée qu’il se trouvait proche de la mer.
- Tout va bien ? demanda Serena qui l’avait rejoint.
Son visage s’illumina immédiatement lorsqu’elle aperçut au loin un regroupement d’habitations et sans hésiter elle s’y dirigea. Son enthousiasme retomba rapidement lorsqu’elle entra dans le village. Les rues étaient désertes, certaines maisons s’étaient effondrées sous leur propre poids et les demeures survivantes étaient délabrées. La jeune fille pouvait sentir l’odeur de la moisissure sur le bois humide. Aucun doute que ce village était abandonné, c’était pourtant bien le lieu que Norman lui avait indiqué…
Sacha observait les environs. Ce port n’avait pas changé, donc si ses souvenirs étaient exacts la maison de Marco devait se trouver… Il tira sur la botte de son amie, lui faisant signe de le suivre. Serena n’avait pour l’instant pas de meilleure option que de s’en remettre à son petit pokémon. Elle le suivit jusqu’à une vieille bâtisse, mais contrairement aux autres, le bois ne portait ni trace de moisissures ni fissures. Serena était quelque peu étonnée que Salamèche ait trouvé aussi vite cet endroit. Elle mit cela sur le compte de l’odorat car ce devait bien être la seule maison qui n’exhalait pas les relents du bois pourri.
Une fois devant la porte elle s’arrêta quelque peu hésitante à l’idée de déranger quelqu’un le soir. Cependant, l’idée de dormir juste dans un sac de couchage dans un village abandonné d’une région inconnue lui plaisait encore moins. Elle frappa à la porte, celle-ci s’ouvrit laissant apparaitre un vieil homme à la barbe blanche. Bien qu’âgé il demeurait grand et musclé et portait une tenue de pêcheur. Sur son épaule trônait un goélise les ailes repliées. Il demanda d’un ton bourru :
- Qu’est-ce que vous voulez ?
Le pokémon sur son épaule émit un cri perçant, ses pupilles concentrées sur la nouvelle venue.
- Vous êtes bien le capitaine Marco ? demanda la jeune fille les yeux baissés.
- Oui, dit-il le visage toujours aussi dur.
Son pokémon trépignait sur son épaule, prêt à attaquer l’impudente dès que son maitre lui en donnerait l’ordre.
- Je suis désolée de vous déranger, je m’appelle Serena et c’est Norman qui m’a conseillé de vous demander votre aide.
Le visage du vieux loup de mer s’adoucit et il lui proposa d’entrer.
- Alors gamine, où voudrais-tu que je t’emmène ?
- Poivressel ! répondit Serena rassurée.
- Très bien, puisque tu es une amie de Norman j’accepte de te laisser embarquer sur mon précieux navire. On lèvera les amarres dès demain. En attendant tu peux rester dormir ici.
La dresseuse le remercia chaleureusement. Elle observa l’intérieur épuré de la demeure, elle se contentait du mobilier de base et l’escalier lui indiquait qu’il y avait au moins un étage. Elle avança au centre de la pièce peu assurée, le bois craquait sans cesse sous ses pas, au point qu’elle se demandait si elle n’allait pas passer au travers du plancher. Un détail l’inquiétait, elle ne voyait nulle trace d’un canapé ou d’un lit à cet étage. Le goélise réémit un de ses cris stridents, la forçant à se tourner vers le maître des lieux. Marco lui montra une paillasse à même le sol dans un coin lui faisant comprendre que ce serait ici qu’elle dormirait. Serena espérait un vrai lit, mais mieux valait ne pas énerver son hôte.
- Salamèche, il est temps d’aller se coucher.
- Je crois qu’il ne t’a pas attendu… répondit en souriant le pêcheur
Serena baissa les yeux pour découvrir que son pokémon s’était endormi sur le sol. Elle l’observa quelques instants, le trouvant mignon ainsi. Elle le prit délicatement dans ses bras et le porta jusqu’à son lit de fortune le recouvrant des chaudes couvertures. Marco, s’il fut attendri par ce spectacle n’en laissa rien paraitre et se retira à l’étage. Serena se dépêcha d’enfiler son pyjama et se plaça au côté de son Salamèche avant de fermer les yeux.
***
Les premiers rayons du soleil filtraient à travers les volets mal fermés réveillant la jeune dresseuse qui venait à peine de réussir à s’endormir sur l’austère paillasse. Son dos lui faisait clairement comprendre qu’il n’avait pas apprécié le bois rude de l’habitation. Elle ouvrit péniblement les yeux et constata que son petit pokémon encore endormi s’était recroquevillé contre elle. Elle pouvait sentir sa douce chaleur et entendre son léger souffle. Serena le trouvait adorable et refusait de bouger de peur de le réveiller, mais le cri de Marco qui retentit dans toute la maison fit échouer son plan. Salamèche se réveilla en sursaut. La dresseuse se leva et put voir le marin paniqué débouler dans la pièce.
- Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle inquiète de voir le vieil homme dans un tel état.
- Ma petite Piko… elle est partie faire un tour ce matin, mais elle n’est toujours pas revenue et elle ne répond pas à mes appels !
- Ne vous inquiétez pas, je suis sure qu’elle va bien, je vais vous aider à la retrouver.
Le vieux loup de mer accepta la proposition les larmes aux yeux. Serena se rendit à l’extérieur et appela ses autres pokémons pour l’aider dans ses recherches. Se fut finalement Nymphali qui appela sa dresseuse lorsqu’elle remarqua un homme au comportement suspect se diriger vers la forêt au nord du village, le petit groupe le suivit à distance, entrant dans le Bois Clémenti.