Mechamon Iris
VI - Safrania
Chapitre 50 - La conclusion
“Mon bébé commence l’école demain… Tu vas manquer à maman !”
Ma joue se déformait contre celle de ma mère, alors que son étreinte devenait de plus en plus forte.
“Ah ! Et fais attention aux filles ! N’hésite pas à leur dire que tu as une fiancée si elles t’embêtent !”
Comme toujours, elle s'assurait que je ne me rapproche pas trop des filles de mon âge. Pour être sûre que tout se passe bien entre moi et Erika. Et ça ne me dérangeait pas vraiment. Du moment que mon bonheur n'était pas en jeu…
Mais ce jours-là, je me suis amusé à imaginer quelque chose. Une possibilité.
“Maman ? Est-ce que c’est mal de tomber amoureux ?”
Ma voix incarnait l’innocence. À six ans, je savais déjà lire et écrire. Et j’avais déjà entendu parler de cette chose que l’on appelle l’amour, dans un sens romantique.
J’ai rapidement compris que les gens en dehors de ma famille donnaient beaucoup d’importance à ce sentiment. Et pourtant, comme dit plus tôt, ma famille ne semblait pas fonctionner de la même manière.
Pourquoi…? Est-ce car nous nous marions toujours avec des membres du clan Kimono ? Mais, dans ce cas, que se passe-t-il, si on tombe amoureux ?
Le visage de ma mère était figé dans une expression mêlant la surprise et la panique, comme si elle ne pensait pas avoir à faire face à cette question si tôt.
“A.. Azul… Est-ce que tu veux faire pleurer maman ?!!”
“Non…?”
“Dans ce cas, reste sage et innocent !” criait-elle, en me serrant encore plus fort dans ses bras…
Il semblerait que j’aie touché un sujet sensible. Je décide donc de ne pas en reparler. Mais les yeux bleus de la femme qui me tenait dans ses bras, comme si j’étais son trésor le plus précieux, brillaient de mille feux en imaginant, à son tour, une myriade de possibilités.
“Ce serait triste pour Erika, mais si cela devait arriver… J’aimerais que ce soit quelqu’un qui t’aime, au moins, autant que moi.”
Mes yeux s’ouvrent enfin, après un rêve un peu trop long à mon goût. Le regard fixé sur le plafond en bois, le corps enveloppé dans des draps chauds, sur un matelas confortable… Je suis dans mon ancienne chambre ? Les souvenirs sont flous, mais je sais que je ne devrais pas être ici.
Me redressant doucement, j'analyse la pièce, calmement. Rien n’a changé… Les mêmes livres sont posés sur les mêmes étagères, dans le même ordre. De même pour les trophées, les photos, les souvenirs… Ah.
Une chose a changé… Qui est cette personne au regard à la fois froid et intense qui épluche des pommes sans jamais s’arrêter…? Et pourquoi est-ce qu’elle en épluche autant, d’ailleurs ?! Ma table de chevet en est couverte !
Ses yeux sombres se dressent dans ma direction, alors qu’elle me fixe sans rien dire. Je décide donc, calmement, de l'interpeller.
“Euh… Bonjour…?”
“Bonjour.”
…
C’est tout ? Elle ne va pas se présenter ? Où au moins expliquer ce qu’elle fout dans ma chambre ?!
Je tourne alors mon regard vers les pommes empilées sur la table de nuit.
“Ç.. Ça fait beaucoup de pommes…”
Ses mains se stoppent net à ma remarque, son regard traduisant un grain de surprise mêlé à de la déception.
“Il y en a trop…?”
“Probablement, oui…”
“Je vois… J’en prends note…”
Un nouveau silence pesant s’abat sur nous. Une pomme à moitié épluchée dans ses mains, la femme qui se trouve assise sur une chaise, à côté de mon lit, semble désormais perdue. Comme si j’avais remis en cause sa raison d’être…
“Les filles m’ont beaucoup parlé de vous,” dit-elle, brisant le silence, le regard toujours baissé sur sa pomme.
“Les filles ? Qu'ont-elles dit ?”
J’en profite pour rebondir sur le peu de choses qu’elle me dit, afin d’en savoir plus sur elle sans la brusquer.
“Que vous êtes un goujat ainsi qu’un piètre conducteur.”
… Est-ce qu’elle vient juste de m’insulter ? Bref. En vue de ce qu’elle affirme, j’imagine que les filles en question sont Anzu et Ember. Cette femme doit donc être…
“Farida, je suppose ?”
“... Je ne me souviens pas de m’être présentée,” dit-elle, me lançant un regard méfiant.
“Le major m’a parlé de vous.”
“Qu’a-t-il dit ?”
Elle me mime ? Peu importe. Mes souvenirs sont toujours flous. Et je n’étais pas aux piques de ma forme à l’époque…
“Euh… Que vous êtes une personne digne de confiance, je crois.”
Peut-être que je me trompe, mais j’ai l’impression que ses lèvres forment un sourire, bien que très discret.
“Dans ce cas, vous allez manger mes pommes ?”
“Pas toutes…”
Après avoir un peu discuté avec Farida, j’ai pu rattraper mon retard sur ce qu’il s’est passé en mon absence.
Visiblement, Ember se serait directement entraînée sous sa supervision, ainsi que celle d’Olga. Selon les dires de la jeune femme, les progrès ont été fulgurants, en une semaine seulement.
Rien d’étonnant vis-à-vis de cela. On parle d’Olga après tout. Au-delà du fait qu’elle soit célèbre parmi les combattants qu'abrite Kanto, je connais cette femme personnellement. Elle était une élève de mon père, autrefois.
Mais aujourd’hui, Olga est notre ennemie. Elle s’est rangée du côté de la Ligue. Ce qui me fait me poser de nombreuses questions. Pourquoi avoir aidé le groupe d’Ember ? Pourquoi ne pas en avoir profité pour nous arrêter lorsqu’elle en avait l’occasion ? Et pourquoi nous laisse-t-elle un mois entier de répit ?
Encore une fois, je ne comprends pas ce qu’il se passe au sein de leurs organisations. Plus j’en apprends, et moins ils font sens à mes yeux.
Ah, oui. Il y a cette fille qu’Ember à vaincu et convertie à notre cause. Morgane. Elle avait utilisé une poupée mécanique, contrôlée à distance, afin de se rapprocher de nous.
J’aurais aimé l'interroger, mais cela devra attendre. Apparemment, Ember et Anzu sont de sortie avec elle, actuellement.
…
Je soupire, enfilant une veste avant de sortir du dojo, un vent froid m'accueillant. Je m’en doutais, mais maintenant que je suis dehors, c’est encore plus flagrant.
Mes blessures ont guéri, mais mes yeux ne captent plus les couleurs du tout. Un effet secondaire de notre transformation, avec Ember. Où devrais-je appeler ça une fusion ? Une synchronisation ? Hmm…
Dans tous les cas, les conséquences pourraient-être pires la prochaine fois. Il faut absolument que nous évitons de—
Jusqu’à la fin…
Les derniers mots de ma coéquipière, de l’autre jour, résonnent toujours dans mon esprit. J’ai passé des mois à me préoccuper de tout et de rien. Il serait peut-être temps que j’écoute ce qu’elle a à dire, au lieu de m’obstiner à tout faire seul.
Mon premier réflexe, en sortant du lit, fut de me rendre à la Sylphe SARL. J’aurais pu profiter plus longtemps du dojo, en sachant que celui-ci était vide, hormis la présence de Farida. Mais la nostalgie ne m’a jamais réussi.
Je suis bien plus curieux à propos des conséquences de nos actions. Et je commence déjà à en voir les fruits, alors que je me déplace dans les rues de Safrania.
Le bruit des voitures. Les foules se formant et se déformant telles des vagues dans cet océan qu’est la seconde plus grande ville de Kanto. La vie a repris son cours.
Bien que le destin des personnes que je ne connais pas ne m’intéresse guère, je ne peux m’empêcher de ressentir une forme de satisfaction en voyant cela.
Après avoir pris un bus, puis le métro, je me trouve désormais, de nouveau, face au complexe trônant au centre de la ville de Safrania.
L’endroit grouille de monde, entre les gens travaillant ici, ceux qui viennent pour les réparations, et les quelques soldats rebelles mêlés à… un instant, ce sont des ninjas de Parmanie ?!
Me voyant figé sur place, au loin, une silhouette musclée se rapproche en levant la main en l’air afin de me saluer.
“Leeves ! Farida nous a contactés il y a peu, tu t’es enfin réveillé, putain !”
“Major—”
“Hey ! Pas de ça entre nous !” Dit-il en frappant mon dos avec sa main, coupant net ma respiration par la même occasion.
“B.. Bob… Je suis désolé de vous avoir inquiétés. À nouveau.”
“Tutoie-moi, bordel. Ah, et entrons à l’intérieur. Il y a des gens qui veulent te voir.”
Je le suis sans poser de question. Où presque…
“Ces gens… Ils font partie du clan Fuschia, non ?”
Bob lance un regard sérieux par-dessus son épaule, en direction du groupe de ninjas qui discutent de la sécurité du complexe.
“Ouaip. Maintenant que Koga s’est tiré, sa femme l’a remplacé à la tête du clan. Enfin, jusqu’à ce que la gamine ait l’âge pour hériter du titre de son père.”
Ça me semble plutôt logique, pour le moment. Mais ça n’explique toujours pas ce qu’ils foutent ici…
“Bref. Leur cheffe, Madoka, a proposé une alliance. Apparemment, les Kimono en ont ras le cul de la Ligue. Mais on en parlera plus en détails plus tard,” ajoute-t-il, ouvrant les portes sécurisées du complexe Sylphe.
À l’instant où j’entre, une vague de chaleur parcourt mon corps. Je ne m’en étais pas rendu compte lors de notre raid, l’autre jour. Était-ce car j’étais trop préoccupé pour y penser ? Où parce qu’il y a plus de monde aujourd’hui ?
“Où allons-nous ?” Je demande, alors que nous entrons dans un ascenseur, direction les sous-sols.
“Tu verras. C’est une surprise,” me répond Bob, visiblement de meilleure humeur que d’habitude.
J’aimerais lui poser des questions à propos de son combat contre Green. À propos de Sean, aussi. Mais son sourire, couplé à la musique d’ascenseur un peu trop joyeuse, rendent la tâche beaucoup trop difficile.
Le silence est pesant… Je regrette presque d’être venu.
À l’instant où le ding de l’ascenseur retentit, les portes s’ouvrent, une silhouette me bondissant alors soudainement dessus en hurlant mon nom.
Par pur réflexe, j’attrape la poignée de l’individu en question, le maîtrisant au sol avec une clé de bras.
“A.. AAAAAH !!! PAS ENCORE !!!”
“... Le stagiaire.”
“Je ne suis pas stagiaire !!!”
Le lâchant doucement, je fais un pas en arrière. Pourquoi est-il ici ? Il ne s'était-il pas fait licencier ?
“Pourquoi faut-il toujours que tu m’agresses lorsque je te montre de l’affection ?!” crie-t-il en se relevant, son bras tremblant toujours comme une feuille.
“Ça va… Je me suis excusé.”
“NON ! Tu ne t’es même pas excusé !!”
Le major se rapproche, observant l’homme que je maîtrisais il y a quelques secondes.
“T’es le gringalet qui bossait pour le vieux Chen.”
“Vous-vous connaissez ?” Je demande, un peu surpris.
“Ah. Euh… Ouais, c’est lié à ta surprise,” me répond Bob, visiblement toujours pas motivé à cracher le morceau.
“Une surprise…?” se questionne le stagiaire, avant d’avoir une illumination soudaine. “Oh ! Vous voulez parler de—”
“LA FERME, BINOCLARD !”
Le ton autoritaire couplé à la voix puissante du major nous prend tous par surprise, attirant l’attention de tous les chercheurs présents dans le couloir.
Finalement, les deux hommes m'escortent jusqu’à un grand hangar souterrain. Apparemment, il en existe plusieurs sous le complexe. Mais peu importe. Contrairement aux autres hangars, ici, de nombreux chercheurs circulent comme dans une fourmilière. La raison à cela se trouve au centre du hangar.
“C’est…!”
Mes yeux s’écarquillent alors que je constate la présence d’un mecha que je ne pensais pas revoir de si tôt.
L’Eevolv. Où, pour être plus précis, le Proto-Eevolv. Celui que nous avions vu à Céladopole. Un instant…
“C’est donc pour ça qu’Erika est partie à Céladopole…”
“Perspicace !” S’exclame Bob, en frappant de nouveau mon dos, me rappelant à la réalité.
“Un instant ! Pourquoi avoir pris ce risque ? Et comment avez-vous fait pour—”
“Tu poses trop de questions, Leeves. T’es plus à l’aise dans ce modèle de Soldat, non ? Alors ferme-la et accepte nôtre générosité !” Répond-il en me coupant.
Sérieux…? Malgré le fait que je ne sois pas un enfant de cœur, je ne peux m'empêcher d’être gêné face à un tel cadeau… Surtout, car bien que nous soyons alliés, je n’ai absolument aucune dévotion pour leur groupe.
“Tu comprends maintenant pourquoi je suis ici ?” Me demande le stagiaire, un air fier sur son visage.
“Non.”
“Sérieux ?! J’ai bossé pour le prof Chen, tu sais !”
Il dit ça, mais je doute que le vieux lui ait enseigné quoi que ce soit… Nous parlons du plus imminent aigri que Kanto ait porté, après tout.
“Bon, j’avoue, j’ai juste lu ses vieilles notes pendant qu’il faisait ses siestes… Mais je suis quand même un atout à l’équipe de développement de l’Eevolv-S !”
“Eevolv-S ?”
“C’est le nom que nous lui avons donné. Après tout, cette machine divergera un peu de son design original,” Une voix retentit derrière moi, répondant à ma question. En me retournant, je vois un vieil homme avec une longue barbe blanche se rapprocher de notre groupe. “Bonjour, monsieur Leeves.”
Le PDG de la Sylphe SARL. Je suis rassuré de le voir sain et sauf. Et pourtant, malgré cela, aucun sourire ne se dessine sur mes lèvres lorsque je le vois.
Un silence assourdissant, meublé par la cacophonie des lieux, s’installe. Bob et le stagiaire décident de s’écarter, me laissant seul avec le président, face au prototype de Soldat sur lequel plusieurs chercheurs travaillent.
“Je ne vous avais pas reconnu, l’autre jour… Je suis navré que vous ayez eu à me sauver,” dit-il, d’un air réellement désolé.
“Ne vous méprenez pas. Je n’étais pas obligé de vous sauver. Une part de moi a même hésité à vous laisser crever,” je réponds, essayant de calmer la haine qui grandit peu à peu en moi.
Le vieux semble surpris, le temps d’une seconde, par ma réponse. Le pauvre s’est mépris en pensant que j’étais un héros.
“Pourquoi ne m’avez-vous pas laissé mourir, alors ? Après tout le mal que ma compagnie a fait à votre famille…”
Effectivement. La Sylphe SARL est responsable de la mort de ma mère, Hitomi Leeves. Et, par extension, de tous les malheurs qui ont suivi sa mort.
Je ne suis pas le seul à les haïr. Mon père, aussi, les méprise profondément. La haine qu’éprouvent les Leeves envers la Sylphe n’est un mystère pour personne dans le milieu des arts martiaux, ou dans notre voisinage.
Cependant…
“J’ai fait la part des choses. Si vous étiez mort, la Sylphe serait désorganisée. Même avec un remplaçant, votre compagnie aurait mis du temps à s’en remettre. Or, quitte à ce que vous nous soyez redevables, je préfère profiter de ce que vous avez à offrir maintenant, plutôt qu’attendre qu’il soit trop tard.”
“V.. Vous avez le sens des affaires, à ce que je vois…” remarque le PDG, son visage devenant pâle face à ma conclusion.
“Disons plutôt que j’ai mes méthodes pour me faire des « amis ».”
Le vieux force un rire un peu gênant, avant de soupirer longuement, me regardant de nouveau, avec un sourire cette fois-ci.
“Quoi qu’il en soit, j’ai pris la liberté de mettre toutes nos ressources à disposition pour la conception de l’Eevolv-S. Comme maigre compensation pour ce qui est arrivé à votre mère, mais aussi pour vous remercier de nous avoir sauvés du joug de la mafia.”
Mes yeux se tournent vers la machine au centre de la pièce. J’ai entendu dire que mon Eevolv était irréparable, malheureusement. Mais je suis content de savoir qu’un nouveau modèle m’accompagnera pour la suite.
Puisque la Sylphe travaille dessus, je me demande jusqu’où iront les changements, comparés à l’ancien. Un instant… Ce Soldat est fait spécialement pour moi. Peut-être écouteront-ils si je fais des suggestions ?
“Nous ferons tout pour qu’il soit terminé avant que vous ne partiez,” ajoute le président, captant mon excitation.
Une fois la discussion terminée, Bob m’escorte de nouveau jusqu’à l’extérieur. Nous avons décidé de marcher un peu en ville afin de discuter de la suite.
Malgré le fait que les températures aient chuté, le major ne semble pas plus habillé que d’habitude. Où alors, c’est vraiment moi qui ai plus froid qu’avant ?
“Nous allons profiter de ce mois de répit afin de remettre Safrania sur pied, et de réorganiser nos troupes. La bataille contre la Team Rocket n’a pas été sans perte, et nous devons aussi prendre en compte la présence du clan Fuschia, désormais,” dit-il, d’un ton plus sérieux comparé à son comportement dans la Sylphe, plus tôt.
“Des pertes, hein…?” Je tente de dévier le sujet, habilement, afin d’en apprendre plus sur ce qu’il s’est passé sur le toit du complexe, le jour de la bataille.
Bob s’arrête de marcher. Les passant nous regardant bizarrement alors que la foule se déforme et s’adapte pour nous contourner.
“L’autre taré de professeur… Il a buté nos deux snipers le jour de l’opération. Ce ne sont pas les seules pertes, mais ces deux hommes étaient sous mon commandement direct.”
Je vois. Je ne connaissais pas l’autre sniper, mais Sean est vraiment mort, du coup… Je ne sais pas quoi en penser. Depuis le décès de son fils, cet homme était rongé par la culpabilité. Mais la mort était-elle une fin joyeuse pour lui…? N’y avait-il aucune autre façon de réparer son cœur brisé ?
“J’ai failli connaître le même sort qu’eux, mais il a cessé ses attaques lorsqu’il t’a vu tomber, au loin.”
“Hein ?” Je lève les yeux vers le major, ne sachant quoi faire de cette information.
“Ouais. Il était à deux doigts d’appeler son Soldat. Je ne sais pas s’il souhaitait te finir lui-même, où s’il était suffisamment perturbé pour penser à te sauver. Mais le fait est qu’il n’a pas eu le temps. Un autre membre de la Ligue s’est ramené et l’a interrompu avant de se tirer avec.”
Green… Je me demande ce qu’il se serait passé si— Attends, un autre membre de la Ligue ?
“Qui ?”
“La Dame de Glace,” dit Bob, une pointe de frustration dans sa voix.
Olga…? Pourquoi est-elle intervenue ? Pour empêcher Green de me sauver ? Où de me tuer ? Et pourquoi a-t-elle épargné le major ?
“Bref. Toi et la gamine avez encore utilisé ce pouvoir étrange. Je suis content que cela t’ait sauvé la vie, mais… Dis-moi que t’as plus d’infos, désormais,” me demande Bob, presque hésitant.
Des infos… C’est une bonne question. Qu’avons-nous appris de plus lors de cette seconde transformation ?
Pas grand chose. Si ce n’est que la forme peut changer selon les conditions, et que les deux fois, cela s’est produit dans un Mechamon Soldat. On pourrait facilement en conclure qu’ils sont la clé pour ce phénomène, mais cela reviendrait à oublier que je suis déjà monté dans un cockpit avec Ember. Plus d’une fois, et dans plus d’un Soldat.
L'élément principal n’est donc pas le Soldat, mais l’un de nous deux. Et à choisir, je dirais que les chances pour que cet élément soit Ember sont bien plus élevées que le reste.
“Je vais devoir en discuter avec elle avant d’en tirer des conclusions,” telle est ma réponse à la question du major. Bien que décevante, je ne peux pas vraiment lui offrir mieux pour le moment.
“Tu ne lui as toujours pas parlé ?”
“J’ai cru comprendre qu’elle était de sortie avec des amies.”
Le visage de Bob se fige alors qu’il semble perdu dans ses pensées, hésitant encore à parler.
“Tu n’es pas au bout de tes surprises alors…” dit-il, soupirant longuement.
Hah ?
Après cette discussion avec le major, je décide de reprendre les transports en commun afin de rejoindre le dojo. Je n’ai rien de mieux à faire, de toute façon.
En montant les longs escaliers verticaux séparant mon ancienne maison du reste de la ville, je vois une silhouette familière, tout en haut.
Erika ? Ah. Oui. C’est vrai. Si le Proto-Eevolv est là, cela veut dire qu’elle est ici également. Et que je vais devoir lui faire face vis-à-vis de la situation avec ses amies…
La jeune femme se retourne en entendant le bruit de mes pas. Elle ne semble pas surprise de me voir, et son regard à l’air plus… froid que d’habitude.
“Azul.”
Je termine mon ascension, et m’arrête à côté d’elle, faisant face à la maison de mon enfance. Et par extension, d’une partie de la sienne également.
“Tu n’entres pas…?” J’ose demander, d’une voix faible.
“Non. J’attends Anzu. Madoka souhaite s’entretenir avec nous.”
Anzu est de retour ? Cela veut dire que…
“Tu devrais y aller. Elle t'attend dans l’arrière-cour,” ajoute Erika, coupant mes pensées.
“« Elle » ?”
“Tu sais bien de qui je parle.”
Ses mots sont aussi tranchants que la lame d’une dague. Et aussi froids qu’un vent d’hiver. Elle m’en veut probablement. Et ce serait totalement justifié. Je lui ai donné de faux espoirs, en lui faisant croire que je pourrais sauver ses amies…
Non… Moi aussi, je pensais en être capable. Mais j’ai sous-estimé la cruauté de Giovanni. Je me demande si j’aurais pu faire quelque chose si j’avais su qu’il…
“Désolé, Azul… Je sais que tu as fait ce que tu pouvais. Tu as failli mourir, encore une fois, d’ailleurs.”
…
“Non, c’est moi qui suis désolé. Chris… Nous lui avons parlé, avant qu’elle ne disparaisse.”
Le regard vide d’Erika se tourne dans ma direction, un semblant d'intérêt brillant au fond des ténèbres qui ont pris possession de ses yeux de jades.
“« Dites à Erika que je l’aime. Et qu’elle n’a pas intérêt à abandonner. Sinon… »”
“... Sinon quoi ?” Me demande ma cousine, curieuse du pourquoi j’hésite à continuer.”
“J.. J’ai peut-être mal entendu la suite. Tu devrais demander confirmation à Ember plus tard.”
“Azul… Sinon quoi ?”
Je soupire, puis reprends mon souffle avant de continuer.
“« Sinon je viendrais la hanter. Avec ou sans curry. »”
Les yeux d’Erika s’écarquillent, le reflet du jour reprenant ses droits sur ces derniers alors que des larmes viennent les humidifier. Un rire faible, mais grandissant, sort peu à peu de ses lèvres.
“Il n’y a vraiment qu’elle pour dire un truc pareil avant de mourir…” murmure-t-elle, d’une voix tremblante, essayant désespérément d’arrêter le flot de larmes qui coulent le long de ses joues.
Je ne sais pas si je dois sourire où pleurer également. Devrais-je demander des nouvelles de Claire Dolford ? Probablement pas. Laissons-la profiter des derniers instants de nostalgie de Chris.
Posant ma main sur sa tête, je me permets de frotter doucement sa chevelure avant de reprendre ma route en direction du dojo.
“Tu sais où me trouver si tu as besoin de moi. Que ce soit pour parler, où pour combattre une organisation criminelle. Mes services seront gratuits pour toi.”
Erika pouffe de rire entre deux sanglots, acquiesçant avec conviction. Une réaction qui fait plaisir à voir. Contrairement au regard noir qu’Anzu me lance en sortant du dojo.
“T’as encore fait pleurer une fille…”
“Tu n’as pas un rendez-vous avec ta mère, toi…?” Je lui demande, à voix basse, en passant à côté d’elle.
“JE SAIS !”
Décidément. Les adolescentes sont vraiment des créatures sensibles. Mais peu importe, j’ai moi-même un rendez-vous avec une ado difficile.
D’ailleurs, c’est moi où quelque chose a changé chez elle ? Sa coiffure ? Ses vêtements ? Non. C’est tout à la fois. Le changement est suffisamment radical pour attirer mon attention. Est-ce qu’Anzu traverse une crise identitaire…?
Contournant le dojo par l’extérieur, je marche doucement en direction de l’arrière-cour. Mais plus j’avance, et plus mes pas ralentissent.
C’est étrange. Pourquoi suis-je aussi nerveux ? Je n’ai pas rendu visite à la tombe de ma mère depuis un moment, mais je doute que cela puisse me procurer un tel sentiment d’angoisse. Est-ce car Ember s’y trouve également ?
Fermant les yeux, je repense à la voix que j’ai entendue, avant de perdre connaissance, à la fin du combat dans la Sylphe SARL. Je ne suis pas stupide. Je me souviens de ce qui est arrivé lorsque nous avons utilisé ce pouvoir étrange, à Carmin-sur-Mer.
Sans parler de la surprise que Bob a prédit. Je pense savoir de quoi il s’agit. Mais cela ne changera rien à notre relation. Ember reste Ember. Peu importe son apparence.
Serrant le poing, j'accélère le pas, rejoignant finalement l’arrière-cour d’un air déterminé. C’est alors que j’entends une voix, provenant de ma destination.
“Il a dit qu’il aimait le rouge, j’ai donc acheté ces chaussures ! Oh, et un manteau aussi ! Morgane m'a conseillé… Elle est super forte pour habiller les gens !”
Ravalant ma salive, je me rapproche de l’origine de la voix. Face à la tombe de ma mère, une jeune femme me tourne le dos. Elle déballe le contenu de plusieurs sacs, présentant ses achats à la pierre tombale.
“Ah. Au fait ! Je ne t’ai pas oublié ! J’ai gardé mon dessert de ce midi comme offrande.”
Elle la tutoie ? J’imagine que l’absence d’inscription sur la pierre n’aide pas à identifier qui est enterré ici. N'empêche… la façon dont ses mains tremblent en manipulant ce muffin…
“Elle aurait préféré te voir le manger, plutôt que de gaspiller de la nourriture,” je dis en ricanant vaguement, me rapprochant à mon tour afin de contourner la pierre tombale.
Au son de ma voix, la jeune femme sursaute, levant sa tête d’un air surpris. La casquette sur sa tête tombe au sol, laissant ses longs cheveux noirs s’abattre sur ses épaules.
“A.. Azul !”
…!
Mes bras tombent le long de mon corps, mon regard tremblant alors que j’observe la silhouette de la jeune femme en face de moi.
Il est de plus en plus difficile de respirer, le chaos s’emparant de mon esprit, mêlant le passé au présent afin de réunir les pièces d’un puzzle perdu depuis longtemps.
Nous nous fixons pendant un moment, sans rien dire, avant que, d’une voix faible, j’ose enfin poser une question à la jeune femme en face de moi.
“Tu as retrouvé la mémoire…?”
“Oui…” Me répond-elle, hochant la tête en souriant.