Les Train Twins
Chapitre 8
Une mélodie du passé
Quelques semaines plus tard, à la fin du mois de mai, Jessy, Jenny et Fry mirent le cap vers le centre de l’Archipel Orange à dos de Wailord avec tout leur matériel. Comme promis, Alexandra les avait recommandés auprès d’une de ses amies, cette fameuse amie se prénommait Mélodie et elle avait en charge l’organisation d’une fête traditionnelle en l’honneur de Lugia appelée la fête de la Légende. Elle se déroulait chaque année au début du mois de juin sur l’île Shamouti pour célébrer l’arrivée de l’été.
Après une petite journée de voyage, la ville portuaire de Shamouti et son antique phare majestueux furent enfin à portée de vue. En s’approchant, les murs de pierres et les toits de chaume de la ville historique devinrent plus faciles à distinguer. L’île formait un croissant de lune et le port se trouvait dans une crique au nord de l’île.
« Eh ben c’est rustique ! Déclara Jessy alors qu’ils entraient lentement dans la baie.
- Je trouve ça magnifique, dit Jenny.
- Je n’étais pas revenu ici depuis des années, commenta Fry. C’est la moins urbanisée des îles habitées de l’Archipel Orange.
- Oui je sais, répondit Jenny. On l’appelle le berceau des océans…
- Ils sont où les oiseaux légendaires ?
- Sur des îles, plus au sud.
- Rassure-moi : t’as pas envie de les capturer ? Lança Fry à Jessy.
- J’te cache pas que ça me démange, répondit Jessy en sautant sur le quai antique. Mais on n’est pas là pour ça et les pokémon légendaires ne sont pas faits pour vivre en captivité. »
Fry et Jenny descendirent de Wailord à leur tour en compagnie des deux raichus et de Ramboum qui avait profité du voyage pour s’entrainer à imiter les percussions. La békipan de Fry était également de sortie pour se dégourdir les ailes et se nourrir par elle-même en mer. Une jeune fille en robe blanche, aux beaux yeux bleus et aux longs cheveux bruns coiffés d’une couronne de fleurs rouges vint à leur rencontre avec un sourire angélique. Jessy semblait perplexe, tout comme Fry. Jenny, elle, affichait un air beaucoup plus suspicieux. La jolie vestale se planta devant Fry et fit une révérence.
« Bienvenue ô voyageurs ! Je suis Azura, la princesse de l’île Shamouti et la messagère des dieux ! »
La belle enfila un collier de fleurs autour du cou de Fry avant de déposer un baiser sur sa joue. Seconde après seconde, le regard de Jenny se noircissait de méfiance.
« Je suis chargée de trouver l’élu parmi les dresseurs que Lugia a guidé jusqu’à nous. Ô toi l’élu, reprit-elle d’une voix théâtrale en tenant serrées les mains de Fry, rassemble entre tes mains les trésors de cette trinité, ensemble ils feront apparaître le Gardien des Abysses !
- Euh ok… Répondit simplement Fry, pris au dépourvu.
- Ça tombe bien, ma sœur est probablement la meilleure dresseuse de tout l’archipel, intervint Jenny avec un sourire forcé. Peut-être est-ce elle l’élue que tu cherches ? »
Jenny agrippa le bras de Fry, le tira en arrière et avec son autre main elle poussa sa jumelle en avant.
« Eh ! Doucement ! » Râla Jessy qui n’appréciait pas d’être bousculée de la sorte.
La belle brune s’efforçait de cacher son amusement quand soudain une voix résonna au-dessus d’eux.
« Il faut excuser ma petite fille. »
Les quatre adolescents levèrent les yeux en même temps vers les plus hautes marches de l’escalier en pierre du vieux port et virent une femme d’un certain âge vêtue d’une robe blanche et bleue et équipée d’une canne fleurie. Dans ses cheveux poivre et sel était glissée une paire de lunettes de soleil. Elle avait exactement le même regard espiègle que la petite princesse.
« Elle tient son rôle avec un peu trop de zèle, ajouta l’ancêtre avec un sourire en coin. Elle adore jouer la comédie, bien plus que moi au même âge.
- Mamie ! Il faut bien que je répète pour samedi ! Protesta la fausse vestale.
- Je devine à vos malles que vous êtes les musiciens envoyés par Alexandra. »
L’aïeule descendit l’escalier de pierre en boitant. Elle marchait encore relativement vite malgré le besoin de prendre appui sur sa canne. Sa démarche semblait liée à une vieille blessure plutôt qu’à son âge.
« C’est nous même ! Lança Jessy avec un sourire aimable pour une fois.
- Oh mais… Je vous reconnais… Toi tu es le fils de Reese Morgan.
- Oui m’dame. Enchanté !
- Et vous vous êtes les jumelles qui… Oh ça alors ! Mais oui ! Maintenant que je vous vois en vrai, qu’est-ce que vous ressemblez à vos grands-parents ! S’écria la vieille dame avec émerveillement.
- Nos grands parents ? Demanda Jenny, étonnée.
- Vous êtes les petites filles de Sacha et d’Ondine !
- Vous connaissez grand-père Sacha ? S’écria Jessy, des étoiles plein les yeux.
- Bien sûr ! Je suis Mélodie, j’ai joué le rôle de la princesse de mes douze ans à mes vingt-cinq ans. Sacha a été mon premier élu… Ah ! Que de souvenirs ! »
Une vague de nostalgie romantique envahissait la voix de la vieille femme.
« Maintenant que vous le dites, je crois vous avoir vu sur un des dessins de papi… Dit Jenny.
- Un dessin ? » Répéta la jeune vestale en se tournant vers sa grand-mère.
Mélodie réfléchit un instant puis son visage s’illumina à nouveau.
« Sacha était accompagné d’un grand garçon brun avec un carnet de croquis, expliqua la retraitée à sa petite fille. Il passait son temps à dessiner tout ce qu’il voyait… Mais je ne savais pas qu’il avait un dessin de moi et encore moins qu’il l’aurait gardé toutes ces années.
- Papi a toute une collection de dessins de jolies filles, il les cache au laboratoire pour ne pas que mamie tombe dessus. »
Jessy et Fry affichèrent un sourire gêné. Mélodie répondit avec la même expression que les deux ados.
« Ah… Eh bien je suis… Ravie de le savoir. Ah-hem. En tout cas, rassurez-moi : vos grands parents vont bien ?
- Ils sont en pleine forme, tous les quatre.
- Ah ! Je suis soulagée ! Mon mari est décédé il y a peu de temps. Je suis désolée que vos grands-parents ne l’aient pas connu davantage, je suis sûre qu’il se serait très bien entendu avec Sacha. Il lui ressemblait tellement…
- Mamie, on aura tout le temps de parler du passé ces prochains jours, mais il faudrait peut-être les aider à décharger non ?
- Tu as raison Azura, je me suis laissée aller.
- Vous inquiétez pas pour les instruments, nos pokémon sont là pour nous aider, répondit Jessy. Il faut juste nous dire où les mettre.
- Dans ce cas venez mes petits amis. »
Avec l’aide de Lockpin, Braségali, Ramboum et Scarhino, les Train Twins se chargèrent de matériel et emboitèrent le pas à Mélodie et sa petite fille. Le galopa de Jessy ne pouvait pas les aider au milieu des rues escarpées et des escaliers multiples de l’île Shamouti. Azura se porta volontaire pour porter une petite malle et alléger un peu leur fardeau. Les deux fausses princesses les guidèrent à travers les rues de la ville historique jusqu’à la salle municipale où avait lieu la cérémonie d’ouverture de la fête de la Légende. Sur le chemin, Fry se pencha à l’oreille des jumelles.
« Je viens seulement de percuter : c’est le professeur Léon qui collectionne les dessins de jolies filles ? Demanda-t-il.
- Je ne parlerai pas de ça… Marmonna Jessy avec un énorme malaise avant de donner un coup de coude à sa sœur. T’aurais pas dû leur en parler non plus.
- Oh il faut qu’il assume un peu ! » Répliqua Jenny avec un geste désinvolte de la main. Azura ne cessait de se retourner pour les regarder tous les trois en souriant, elle mourait d’envie de faire connaissance avec des jeunes de son âge. Son île était vaste mais isolée, alors malgré les nombreux touristes qui allaient et venaient, son cercle d’amis proches était restreint. Fry connaissait bien ce sentiment typique des adolescents insulaires, uniquement reliés au reste du monde par les réseaux sociaux et la télévision. Azura finit par trouver un sujet pour entamer la conversation.
« Alors comme ça vous êtes dresseurs et musiciens ?
- Ouais, et toi t’as des pokémon ? S’empressa de demander Jessy.
- Oui, j’en ai trois, j’en aurais volontiers adopté davantage pour avoir un équipe complète, mais après il faut les nourrir et les entretenir alors trois c’est bien.
- Une équipe ? Releva Jessy avec une lueur vive dans le regard. Tu fais combattre tes pokémon ?
- Rarement, mon niveau est assez bas, je n’ai jamais pris le temps de voyager. Je n’ai que deux badges sur quatre.
- Tu voudras bien me montrer tes pokémon ?
- Oui avec plaisir ! Et vous me montrerez les vôtres. » Répondit Azura avec un sourire que Fry trouvait charmant.
Après une longue marche, ils pénétrèrent dans un grand bâtiment creusé à même la roche sur les hauteurs de la ville. Les Train Twins comprenaient mieux pourquoi Mélodie avait fini par se blesser à la jambe à force de crapahuter sur les pavés usés de l’île Shamouti. Les murs du grand hall étaient entièrement gravés et les inscriptions antiques étaient protégées par des plaques de plexiglass. Un peu plus loin, une salle aménagée comme une exposition de musée servait à commémorer les précédentes éditions de la fête de la Légende et un large escalier menait à la vaste salle de réception aux colonnades ouvertes sur l’extérieur.
« Vous pouvez déposer vos instruments ici, leur indiqua Mélodie devant la scène de pierre de la grande salle. Je vais demander aux techniciens de la ville de vous aider à tout installer.
- C’est sympa mais on peut se débrouiller, on ne voudrait pas trop vous gêner dans les autres préparatifs de la fête, répondit poliment Fry.
- Ouais c’est l’effervescence dehors ! » Commenta Jessy.
Sur le chemin, ils avaient croisé de nombreux commerçants ambulants et des ouvriers. La jeune musicienne jeta un coup d’œil en contrebas depuis une ouverture entre deux piliers pour avoir une vue d’ensemble. Sur la grande place, des artisans et leurs pokémon allaient et venaient pour installer les stands du marché historique. Des employés municipaux accrochaient des guirlandes aux lampadaires.
« Si c’est comme ça, je peux vous laisser seuls avec Azura… Avez-vous eu le temps de travailler un peu les morceaux que j’ai envoyé à Alexandra ?
- Oui, on s’est entrainé, la rassura Jessy.
- Parfait ! Il vous reste une semaine pour préparer la mise en scène avec Azura et…
- Madame le Maire ! »
Mélodie se retourna vers le jeune homme qui entrait en panique dans la salle de pierres.
« Qu’y a-t-il ?
- Madame ! Il y a un souci avec les marchands venus de Johto, on a besoin de vous sur la place !
- J’arrive tout de suite. Azura je te fais confiance : tu prends le relais !
- Comptez sur moi ô mère grand ! »
Mélodie réprima un rire et se força à froncer les sourcils, mais ce n’était guère convaincant.
« Pfff… Arrête de faire l’andouille Azura et occupe-toi bien de nos invités.
- Avec plaisir ! » Lança joyeusement la jolie princesse sans résister à la tentation de regarder en direction de Fry. Jessy s’était ruée sur les malles aussitôt que leurs pokémon les avaient posés par terre.
« Lockpin…
- Brasé… » Se lamentèrent les pokémon de Jenny qui n’aimaient décidément pas jouer les porteurs, avant de s’affaler par terre.
« Vous deux ce n’est pas le moment de m’énerver ! » Répliqua sèchement Jenny en aidant sa sœur à déballer.
Les échanges de sourires et de regards enjôleurs entre Fry et Azura l’irritaient énormément. Jessy de son côté avait hâte de montrer à leur nouvelle connaissance ce qu’ils étaient capables de faire, elle sollicitait Fry pour qu’il installe au plus vite sa batterie. Azura était en admiration devant les pokémon du groupe. Elle caressa affectueusement le crâne de lockpin sous le regard assassin de Jenny. Les Train Twins étaient enfin prêts pour une petite démonstration. L’enthousiasme débordant de Jessy amusait beaucoup Fry, elle était à la fois orgueilleuse et puérile à vouloir toujours montrer ses compétences. C’était un peu ridicule, mais sa motivation faisait plaisir à voir et sa bonne humeur était contagieuse.
"Si elle pouvait toujours être comme ça…" songeait Fry.
Ils jouèrent l’un des morceaux exigés par Mélodie, ils s’étaient beaucoup entrainés depuis leur arrivée chez Alexandra et par chance ils connaissaient déjà tous les trois cette chanson intitulée "Le pouvoir de l’Amour", un grand classique du rock alternatif à la mode de Kanto.
« Vous jouez drôlement bien ensemble ! S’exclama Azura à la fin du morceau. Ça fait longtemps que vous vous connaissez ?
- Deux mois.
- Pardon ?!? » S’écria Azura surprise.
Fry répondit à son étonnement avec un grand sourire malicieux.
« C’est ce qu’on appelle un coup de foudre musical.
- Waouh, c’est… Impressionnant…
- Ça, c’est le talent ! Fanfaronna Jessy.
- J’espère que mon ocarina s’intègrera aussi bien, renchérit Azura en sortant son instrument de sa sacoche.
- Pas de raison qu’il en soit autrement, dit chaleureusement Fry.
- Bien sûr que si, objecta Jenny avec une voix doucereuse. Jessy m’a fait remarquer à plusieurs reprises qu’un violoncelle ne s’accorderait pas avec notre style, l’ocarina risque de poser le même problème.
- J’ai pas dit ça ! Râla Jessy.
- On en aura vite le cœur net. » Répondit Azura sans se décourager.
Elle dégoupilla ses trois pokéballs pour libérer un Xatu et deux plumelines femelles, une de type feu et une autre de type spectre. Elle les caressa sous le bec à tour de rôle en leur montrant son ocarina, les oiseaux comprirent immédiatement ce qu’ils devaient faire.
Azura porta son instrument à sa bouche et commença à jouer le chant de Lugia. En tant qu’originaire de l’Archipel Orange, Fry connaissait bien cette musique, Jessy et Jenny, elles, ne l’avaient jamais entendu. C’était une douce mélodie mystique deux fois millénaire. Lente et mélancolique au début, elle gagnait progressivement en puissance. Chargée d’espérance, sans avoir besoin de mots elle évoquait la naissance du monde, la vie, la nature et la mort paisible dans une paix éternelle. Pour couronner le tout, Azura jouait divinement bien, Jessy bougeait lentement la tête au rythme de ce son délicat, signe que la musique lui plaisait. Les plumelines effectuaient une danse gracieuse autour de leur dresseuse. Même si elles étaient beaucoup plus mignonnes que le grand Xatu, c’était lui le meilleur danseur. Il était le partenaire d’Azura depuis ses débuts à l’âge de dix ans. Azura venait de fêter ses dix-sept ans et ce serait sa huitième édition de la fête de la Légende. Les dernières notes moururent en écho dans le grand hall de pierre et Azura les gratifia d’un sourire tandis que son xatu et ses plumelines faisaient la révérence.
« Bravo, c’était magnifique, la félicita Fry.
- Merci…
- Et c’est ce chant qu’on doit intégrer au spectacle alors ? Demanda Jessy.
- Oui. On a déjà joué le chant avec un orchestre classique, avec des violons, des trompettes, un violoncelle… » Elle leur fit un clin d’œil. « Mais avec ma grand-mère on avait envie d’essayer un truc plus moderne pour une fois.
- Ça roule ! S’écria Jessy, motivée par ce nouveau défi. C’est chouette cette danse que t’as créé avec tes oiseaux. »
Fry jeta un bref regard étonné à Jessy, il ne l’entendait pas souvent faire des compliments.
« C’est ma mère qui en a eu l’idée lorsqu’elle jouait le rôle de la princesse, mais elle n’avait pas les pokémon adéquats à l’époque.
- L’idée de base est plutôt bonne… Dit lentement Jenny sans prendre la peine de regarder Azura ou ses pokémon dans les yeux. Mais l’esthétique n’est pas terrible. Tes pokémon ont beau être de bons danseurs, deux petites plumelines couleur pastel et un immense Xatu vert pomme ça jure dans le décor.
- Je suis d’accord avec toi, je ne les fais pas danser en même temps en dehors des répétitions. Je voulais surtout vous présenter mes amis.
- Et c’est avec eux que t’as combattu en arène ? Demanda Jessy.
- Avec Xi et Faiya oui. J’ai eu Fuya un peu plus tard. J’ai un projet de chorégraphie, mais pour la mettre en place il me faut d’abord trouver un troisième plumeline, sauf que…
- Dans l’Archipel Orange c’est galère, termina Fry avec un sourire compatissant.
- Je vois qu’on a les mêmes problèmes, lui répondit Azura.
- Toi aussi tu as obtenu tes plumelines avec la GTS ?
- Non, ma mère est guide conférencière, elle voyage partout dans le monde. C’est elle qui a capturé mes trois pokémon. Quand elle retournera à Alola, elle m’a promis de me ramener une autre plumeline, à moins qu’une de ces charmantes demoiselles ne se décide à courtiser mon grand Xatu, uh ? »
Elle se tourna vers ses plumelines, elles avaient parfaitement compris les mots de leur dresseuse mais elles feignirent l’indifférence en picorant au hasard les miettes de la salle comme deux volailles sans cervelle. Azura n’était pas dupe, Xatu non plus et il prit sur lui pour ne pas avoir l’air vexé. Azura se rapprocha de Fry et Jessy pour leur parler à voix basse avec un sourire de confidence.
« Je leur fait boire à tous du nectar jaune, en espérant qu’un jour l’une d’elles pondra un œuf, mais elles trouvent Xatu trop vieux pour elles… De vraies petites pimbêches.
- Ah-hem. Et sinon on dort où ? Il y a un centre pokémon ici ? Demanda Jenny avec impatience.
- Ma grand-mère vous a réservé une chambre dans l’auberge d’à côté.
- Parfait… Jess, on peut aller poser nos affaires ? Il commence à se faire tard.
- Ok ok… »
Azura les accompagna jusqu’à leur logement et rassura Jessy à propos des instruments, ils ne craignaient rien dans la grande salle de pierre. Elle souhaita la bonne soirée à ses nouvelles connaissances avant de rentrer chez elle avec ses oiseaux. Devant la porte de l’auberge, Fry la regardait s’éloigner dans les ruelles pavées avec Jenny littéralement collée à lui. Jessy, elle, avait rapidement salué Azura d’un grand signe de main, puis elle était aussitôt rentrée pour parler à l’aubergiste. Lorsqu’Azura fut hors de portée de voix, Fry tourna la tête vers Jenny.
« Tu n’as pas l’air de beaucoup l’apprécier… Dit Fry avec un ton sous-entendant qu’il devinait pourquoi.
- Non en effet. Elle te tourne autour alors que c’est moi qui t’ai vu en premier.
- Je ne suis pas un trophée de chasse tu sais ?
- Ne me dis pas que tu la trouves plus jolie que moi ?
- C’est quoi cette question ? Lâcha Fry en riant.
- Alleeerrr, réponds ! Geignit Jenny en s’agrippant au bras de Fry.
- Disons que tu es… Plus sexy qu’elle, dit le jeune homme après réflexion. Mais je ne peux pas dire qu’elle est moins jolie que toi. »
Le sourire qui avait jailli sur le visage de Jenny après avoir entendu qu’elle était sexy s’ébranla à la deuxième phrase.
« Quoi ? Ça veut dire quoi ça ? Si je suis plus sexy, je suis forcément plus jolie.
- Bah non, c’est un peu comme avec ta sœur. Je ne peux pas dire que Jessy est moins jolie que toi, mais tu es clairement plus… Enfin elle est moins… Jessy c’est Jessy quoi. Elle a ton joli minois…
"Et ton joli petit popotin." Songea Fry en sus.
« Mais la grâce d’un rhinastoc…
- Donc tu me préfères quand même à Azura ? Demanda Jenny, les bras croisés dans le dos et un sourire filou sur les lèvres.
- Arrête Jenny, dit Fry en tournant les talons pour rejoindre Jessy.
- Aller ! »
Le lendemain matin, à l’aube, Jessy secoua Fry encore au lit pour le forcer à se réveiller.
« Mmf cef paf vraif… Marmonna Fry la tête dans l’oreiller.
- Mais debout espèce de monaflèmit ! Cria Jessy en essayant de retourner Fry en l’attrapant par le torse.
- Rah mais lâche moi ! Râla Fry.
- Azura va nous attendre !
- A six heures du mat j’crois pas non.
- Il est sept heures et demi Fry !
- Six heures, sept heures… C’est presque pareil.
- Mais c’est pas vrai… » Se lamenta Jessy en levant les yeux au ciel.
Jenny prenait déjà son petit déjeuner dans la salle commune de l’auberge, elle avait quasiment fini de manger lorsque sa sœur et Fry la rejoignirent.
« Je vais à la bibliothèque, ne maltraite pas trop Fry pendant mon absence…
- Jane ! Protesta Jessy. On a rendez-vous avec Azura !
- Jess, tu m’avais promis que tu me laisserais y aller… » Répondit lentement Jenny avant de se lever et d’attraper son sac.
« Tu m’excuseras auprès de la "princesse", je serai de retour avant midi.
- C’était bien la peine de m’obliger à me lever aux aurores… Grommela Fry au-dessus de son assiette.
- Je vous laisse : pas de bêtise hein ? Soyez sages ! »
Avec un clin d’œil mignon à ses deux partenaires, elle fila en direction du quartier de la bibliothèque.
« C’est quoi son délire avec les bibliothèques ? Demanda Fry à Jessy. A chaque fois qu’on débarque quelque part ou qu’elle a cinq minutes à perdre, elle se précipite là-bas. Je ne m’attendais pas à ça d’une fille comme elle.
- Pourquoi ? Demanda Jessy en fronçant les sourcils. Parce qu’elle est mignonne il faudrait forcément qu’elle soit complètement con ? C’est primitif comme pensée !
- Oh-là du calme ! Rentre tes griffes le matoufeu. Ce que je veux dire c’est que je n’connais pas beaucoup de dresseur ou de dresseuse qui passe son temps à bouquiner comme ça, surtout de votre niveau. »
La dernière partie de la phrase permit à la rouquine de s’adoucir, Fry s’y attendait un peu, il l’avait rajoutée exprès. Il commençait à cerner le fonctionnement de l’orgueilleuse Jessy.
« Jenny veut devenir prof pokémon, alors dès qu’elle peut, elle va étudier à la bibli.
- Sans dec ? S’étonna Fry.
Jessy fronça à nouveau les sourcils.
- Quoi ? Ça aussi ça t’étonne ?
- Ouais, j’avoue. Je n’pensais pas qu’elle était aussi ambitieuse.
- T’oublies vraiment à qui tu parles… Soupira Jessy.
- Tu sous-entends que ta sœur a un égo aussi surdimensionné que le tien ? »
Jessy le fusilla du regard mais ne répondit rien. La bibliothèque de l’île Shamouti avait la réputation d’être la mieux fournie en livres sur l’histoire et l’archéologie de l’Archipel Orange, pourtant Jenny n’y allait pas avec son entrain habituel, elle n’était pas tranquille à l’idée de laisser Fry et Azura ensemble avec Jessy pour seul rempart. Jenny avait surtout hâte d’être revenue auprès des siens pour les surveiller, tant pis pour une fois la culture passerait au second plan… Et, en effet, Jenny fut vite de retour à la salle de spectacle mais pour une toute autre raison. Les bras chargés d’articles de journaux photocopiés sur des feuilles volantes, elle courait dans les ruelles pavées en zigzagant entre les habitants qui s’afféraient à préparer les festivités. Surexcitée, elle déboula en trombe dans la salle où ses trois camarades répétaient en criant :
« Jess ! Il faut que tu voies ça ! »
Sa jumelle et Fry sursautèrent, ils n’avaient pas l’habitude de voir Jenny dans un tel état, à cet instant elle ressemblait plutôt à Jessy. Elle étala sur une table en pierre tous ses papiers et les pointa du doigt pour que sa sœur y jette un œil.
Les gros titres des journaux vieux de cinquante ans parlaient de l’élu qui avait sauvé l’Archipel Orange de la dévastation et de la première apparition avérée et documentée de Lugia depuis plus d’un siècle. Il y avait une photo rarissime du Lugia avec un humain sur son dos. En regardant attentivement la photo du pokémon légendaire, on pouvait reconnaître grâce à sa casquette rouge et blanche le dresseur sur son dos, il s’agissait de Sacha Ketchum, accompagné de son fidèle pikachu, à peine visible sur le cliché mais les deux petites oreilles jaunes dépassant derrière les épaules du garçon trahissaient sa présence. Le nom du grand-père des jumelles était cité à de multiples reprises dans les lignes des articles.
« C’est dément, souffla Jessy avec une lueur d’admiration dans les yeux.
- T’as vu ? Fit Jenny avec le même regard. Papi a vraiment sauvé l’Archipel Orange ! Ce n’est pas qu’une légende bidon !
- Euh… » D’une voix timide, Azura attira leur attention, elle et Fry semblaient perplexes.
« Vous n’étiez pas au courant ? Aucune de vous ? »
La perplexité de la fausse prêtresse fut contagieuse, les jumelles échangèrent un regard interrogateur.
« Pourquoi ? Tu le savais toi ? Finit par demander Jessy.
- Bien sûr ! Tout le monde connait cette histoire sur l’île Shamouti ! S’écria Azura.
- Je dirais même dans tout l’archipel, renchérit Fry. Moi aussi je connaissais cette histoire, c’est d’ailleurs à cause de ça que je connais votre grand-père, ça n’a rien à voir avec les compétitions pokémon. C’est une sorte de héros local.
- Attendez : vous avez plus d’infos que ce qu’il y a dans les journaux ? Insista Jessy.
- Oui, on se raconte cette histoire à l’oral dans les moindres détails !
- Ouais m’enfin il y a beaucoup de trucs exagérés quand même… Tempéra Fry.
- Ma grand-mère était là, elle connait toute l’histoire ! Si vous voulez la vraie version, c’est à elle qu’il faut demander. »
Une fois de retour, Jenny ne lâchait plus les semelles de Fry, difficile pour Azura de s’en approcher. A l’heure du déjeuner, la jeune princesse avait aussi remarqué l’air absent de Jessy, elle eut une idée pour détendre l’atmosphère.
« Jessy tu veux bien me suivre ? J’ai un truc à te montrer. »
Avec un sourire mystérieux, Mélodie amena Jessy à la salle d’exposition au rez-de-chaussée. Elle la guida jusqu’à un large pilier au centre de la pièce. Le pilier était sculpté pour former une statue de Lugia. A sa base, plusieurs cadres étaient accrochés, alignés, parmi lesquels une photo de ses grands-parents : Sacha, Ondine et Jacky étaient tous les trois en compagnie de Mélodie et de sa grande sœur Carole. Il y avait également une plaque gravée nommant spécifiquement Sacha comme l’élu de la légende. Du bout des doigts, Jessy caressa la plaque de verre protégeant la photo des héros qui avaient sauvé l’Archipel Orange de la dévastation.
« Mon grand-père a vécu tellement d’aventures dont on ne sait rien Jenny et moi… Finit par dire Jessy d’une voix éteinte sans quitter la photographie des yeux.
- Moi je suis étonnée que personne ne t’ait raconté cette histoire. Ton grand-père a quand même sauvé la région, peut-être même le monde. Je ne sais pas ce qu’aurait donné le dérèglement climatique créé par les oiseaux légendaires…
- Ils travaillent tous tout le temps : mes parents, mes grands-parents… Au final, la plupart des trucs que je sais sur mon grand-père, je l’tiens des médias. C’est déprimant…
- Je suis désolée, compatit Azura. Moi j’ai grandi ici et je n’ai quasiment jamais rien vu d’autre. C’est un peu… Aliénant, à force. Mais nous formons une communauté très soudée et on accorde beaucoup de place aux traditions et à l’histoire orale. »
Les mots d’Azura plongèrent Jessy dans ses souvenirs, pas les plus agréables… Elle détestait le Bourg Palette. Elle n’utilisait pas des mots savants comme Jenny et Azura, alors elle aurait été bien en peine de répondre à Azura en décrivant son sentiment pour le Bourg Palette et ceux qui y vivent.
« Mouais… T’es comme Fry en fait. Tu voudrais partir d’ici ?
- Je ne sais pas… Peut-être que lorsque j’aurai dix-huit ans je partirai faire des études ailleurs. Quand j’étais petite, je rêvais de partir à Kalos pour devenir une artiste pokémon. J’ai entendu dire que ton grand-père était très ami avec la célèbre Serena.
- Ouais il paraît… Je suis jalouse, soupira Jessy. Tu en connais plus sur mon grand-père que moi. »
Jessy prit une profonde inspiration et elle retrouva finalement le sourire. Parler de Kalos l’avait remotivé, ses yeux bleu électrique lançaient à nouveau des éclairs.
« Nous aussi on veut partir à Kalos, dès qu’on aura assez de tunes, on décolle ! Pt’être qu’on se retrouvera là-bas dans quelques années !
- C’est peu probable, mais ce serait amusant ! »
Jessy avait trois centres d’intérêts dans la vie : la musique, les combats Pokémon et la lignée des Ketchum, alors sa rencontre avec Azura se passait pour le mieux. En dinant avec Mélodie un soir, les jumelles comprirent assez vite que la fascination d’Azura pour Sacha venait essentiellement de Mélodie. L’ancienne princesse adorait raconter comment elle avait rencontré Sacha et Ondine, elle radotait presque. Elle rapporta aux filles des tas d’anecdotes sur eux, visiblement Mélodie avait surtout sympathisé avec Ondine. Elles étaient restées en contact pendant des années, c’est ainsi qu’elle avait appris la séparation du groupe de voyageurs, puis leurs retrouvailles et enfin le choix de Sacha d’épouser Ondine plutôt qu’une de ses autres amies de cœur.
Les liens d’amitié entre Jessy et Azura se tissaient doucement sous les yeux agréablement surpris de Fry. La présence d’Azura apaisait Jessy, bien plus encore que celle de sa jumelle et malgré son attitude désinvolte, le jeune champion était ravi d’être entouré du matin au soir par trois filles magnifiques. Les répétitions s’enchainaient jours après jours pour le plus grand supplice de Jenny, car elle était non seulement privée de bibliothèque, mais elle devait en plus supporter l’agaçante perfection d’Azura. Avec son air de ne pas y toucher, en bavardant avec Jessy, elle faisait discrètement les yeux doux à Fry.
La veille de l’ouverture de la cérémonie, Mélodie arriva dans la grande salle de pierre accompagnée de plusieurs jeunes hommes bien battis qui portaient de lourdes caisses contenant les costumes. Elle ouvrit une des boîtes pour les montrer aux Train Twins, Jessy en sortit un énorme masque de bois en forme de tête d’oiseau et Fry extirpa un gilet épais en plumes de pijako et de rapasdepic.
« On va crever de chaud là-dessous… » Se plaignit Fry.
Au premier jour de la célébration, les Train Twins avec leurs costumes encombrants s’étaient rendus dans la ville basse avec le cortège des figurants accompagnant le chef du village (autrement dit Mélodie déguisée, affublée d’un costume à plumes) et Azura dans sa tenue de princesse, dans le but de trouver l’élu.
« J’aurais bien aimé être choisie comme élue moi… Se plaignit Jessy sous son masque alors qu’ils descendaient vers le port.
- Selon la légende, l’élu est un enfant au cœur pur. Je doute qu’un de nous trois corresponde à cette description, lui répondit Fry.
- Vas-y ! Il est pur mon cœur nan mais oh ! Ronchonna Jessy.
- La princesse n’est pas censée être vierge aussi ? Fit remarquer Jenny sur un ton sirupeux.
- Papi a vécu tellement de choses incroyables… Reprit Jessy. En comparaison, notre vie à nous est tellement ordinaire… Pas de pokémon légendaire ou de mafia s’apprêtant à détruire le monde. »
Comme ils marchaient assez près de Mélodie, elle avait entendu leur conversation. Bien évidemment, elle ne releva pas le commentaire désobligeant de Jenny, mais elle s’intéressa aux complaintes de sa jumelle.
« Si vous voulez, je peux demander à ce que vous soyez intégrées à l’escorte, proposa Azura.
- C’est quoi l’escorte ?
- Depuis ce qui est arrivé à votre grand-père, on ne laisse plus les jeunes dresseurs s’aventurer seuls sur les îles des titans légendaires. Vu que vous êtes des dresseuses pokémon ayant remportées la Ligue Orange, ça ne devrait pas poser de problème.
- Trop bien !
- Merci mais non merci, répliqua sèchement Jenny.
- Tu rigoles ?!? S’exclama Jessy avec sidération.
- Je croyais que tu rêvais de voir Artikodin de tes propres yeux ? S’étonna Fry.
- C’est-à-dire que… » Commença Jenny avant de faire mourir sa voix dans sa propre hésitation.
Elle supposait qu’Azura faisait ça pour se retrouver seule avec Fry, mais ce que le jeune champion venait de dire était vrai, elle aurait tué pour avoir l’occasion d’observer les trois oiseaux légendaires et sa mère l’aurait tué elle de passer à côté d’une telle occasion d’obtenir de nouvelles informations pour le pokédex. Or, c’était précisément à cette période de l’année qu’ils revenaient à leur nid dans l’Archipel Orange. Entre le bel artikodin et le séduisant Fry, la bataille était déséquilibrée.
« Tu peux vraiment nous avoir l’autorisation d’approcher ces îles ? » Finit-elle par marmonner en jetant un œil à Azura à travers les trous de son masque d’artikodin en bois. La fausse prêtresse lui sourit avec bienveillance.
« Mais oui ! Je vais en parler à ma grand-mère dès qu’on aura choisi notre élu ! »
Depuis l’époque de Sacha, la légende était mieux connue et il y avait toujours plusieurs candidats. Il fallait choisir l’élu parmi les dresseurs les plus jeunes, pour respecter la tradition. Mélodie avait appris à Azura a bien choisir son élu et la fausse vestale porta son choix sur un garçon de onze ans à l’air ingénu avec un morpeko hissé sur son sac à dos. Le cortège des hommes-oiseaux escorta le jeune élu jusqu’à la grande place où avaient lieu les danses rituelles traditionnelles.
Pendant ce temps, Azura et ses trois musiciens s’éclipsèrent jusqu’à la grande salle de pierre pour préparer le chant de Lugia et le spectacle du diner. Presque deux heures plus tard, l’élu arriva enfin, avec Mélodie, dans la salle remplie de convives assis autour des tables de pierres. Un technicien de la ville alluma les spots autour de la scène et Azura dans sa robe de cérémonie grimpa les marches de pierres avec son Xatu. La princesse commença le spectacle avec son solo d’ocarina et la danse de son pokémon. La mélodie était divine, Fry et Jessy l’apprécièrent dissimulés derrière le rideau brodé d’une gravure antique de Lugia, installé devant le socle de pierre. Jenny était irritée à l’idée que cette sublime musique était produite par Azura. Bercée par ce chant mystique, Jessy s’éveilla et fit signe à ses camarades de commencer à jouer. Dans la salle, l’agitation était audible malgré le rideau qui séparait les musiciens de la foule.
Lentement, le rideau fut tiré par le technicien et les trois musiciens avec leurs masques d’oiseaux sur la tête apparurent aux yeux de tous. La surprise était totale. Les trois oiseaux-rockers accompagnèrent Azura jusqu’à la fin du morceau et s’arrêtèrent pour la dernière tablature d’ocarina. Lorsqu’Azura retira l’instrument de ses lèvres après la dernière note, les applaudissements s’élevèrent avec enthousiasme. Visiblement, la majeure partie des spectateurs appréciait l’originalité de cette édition de la cérémonie des gardiens. Xatu salua la foule avant de se nicher dans un coin de la scène telle une statue. Avec un large sourire, Azura posa son ocarina sur un socle qu’elle avait installé en prévision, puis elle s’approcha de Jessy pour lui retirer son masque de sulfura. Jessy sourit avec son assurance légendaire, ou de pokémon légendaire pour le coup, à Azura et à la foule. La jeune flûtiste retourna prendre son ocarina, Jessy déposa sa guitare électrique pour prendre l’acoustique et s’approcha du micro installé. Le duo put ainsi commencer à jouer un nouveau morceau où Jessy se chargeait du chant et de la guitare tandis qu’Azura l’accompagnait à l’ocarina. Jenny et Fry avaient pour instruction de rester immobiles derrière leurs instruments.
« Ressens-tu les vibrations du sol,
Celles de l’espace et celles du temps ?
Respire et regarde cet absol,
Écoute son chant, écoute le vent.
Ressens-tu les vibrations de l’air ?
Entends-tu les battements d’ailes,
Ceux des roucools et leurs tranch’air.
Écoute les wattouat qui bêlent.
Écoute la mer, écoute la terre,
Écoute les pokémon qui crient,
Écoute les enfants qui rient,
Te rappelles- tu des sons d’hier ? »
Contrairement à Jenny qui côtoyait sa sœur depuis la naissance, Azura et Fry furent étonnés par l’émotion et la beauté de la voix de Jessy lorsqu’elle chantait. Déjà pendant les répétitions, les deux ados avaient dressé l’oreille, un peu étonnés par cette grâce vocale qui tranchait avec le reste du personnage, mais l’ambiance n’était pas la même en ce soir de spectacle et l’éclat de ce diamant auditif brilla enfin aux yeux de tous.
« Ressens-tu la tempête qui se lève ?
Les ponyta s’enfuient, les miaouss pleurent,
Les rattata crient et les ortides crèvent.
Écoute la terre qui se meure.
Ressens-tu les tremblements,
Les cataclysmes, les éboulements ?
Ce n’est plus grolem qui riposte,
Les gringolems quittent leurs postes.
Écoute le vent, écoute la terre,
Écoute les pokémon qui crient,
Écoute les enfants qui rient,
Te rappelles-tu des sons d’hier ?
J’ai si peur de voir ce monde disparaître,
Je crains pour la terre et pour ses êtres.
Monstres merveilleux restons avec eux,
Même s’ils échappent à nos yeux,
Écoutons la musique de ce jeu,
Écoute ta terre, écoute les eux…
Écoute ta mer, écoute ta terre,
Écoute les pokémon qui crient,
Écoute les enfants qui rient,
Te rappelles-tu des sons d’hier ?
Sauvons leur monde, sauvons les pokémon.
Sauvons le monde, sauvons les hommes. »
Les deux jeunes filles saluèrent la foule enchantée par ce duo. Sous son masque, Fry souriait, Jenny, elle, était toujours agacée de voir sa sœur jumelle si proche d’Azura. La jeune fille posa à nouveau son ocarina et s’avança cette fois vers Jenny. Elle lui retira son masque d’Artikodin. Jenny pinçait les lèvres avec frustration lorsqu’Azura posa les mains sur la tête factice, mais en une seconde, le temps que le masque glisse le long de ses cheveux roux, sa mine renfrognée disparut et Jenny affichait un sourire radieux : "show must go on" comme on dit. Azura retourna à sa place avec son ocarina et les filles entamèrent le deuxième morceau avec l’aide de Fry à la batterie cette fois. Jessy reprit le chant, seule au départ :
« Si tu n’étais pas, le soleil ne brillerait pas,
Mais quand la brume se lève je ne pleure pas,
Les nuages ne cachent pas l’espoir…
Mon âme est comme un oiseau,
Un oiseau bleu, glacé, si beau,
Juste une page de notre histoire… »
Et pour le refrain, sa sœur vint l’accompagner :
« C’est le pouvoir de l’amour.
Vole vole Artikodin,
Que je m’envole à mon tour.
Le monde tourne autour de toi...
Pourquoi est-ce si important,
De combattre partout tout le temps ?
Le feu, la glace et la foudre,
Battons-nous pour eux,
Plutôt que de nous battre avec eux,
Uniquement avec la foi,
Et le pouvoir de l’amour. »
Jessy, avec une certaine douceur mais aussi une assurance dont elle ne pouvait se défaire facilement, chanta le prochain couplet :
« Mon cœur est trop grand, car tu vis encore dedans.
Je sais bien pourtant, il faut aller de l’avant.
Que le feu m’aide à le faire fondre,
Pour que tu puisses t’évader,
Rejoindre les amants du passé,
Je suivrai ces ailes enflammées. »
Et le refrain en duo avec sa bassiste de sœur :
« C’est le pouvoir de l’amour,
Vole vole Sulfura
Que je m’envole à mon tour.
Le monde tourne autour de toi...
Pourquoi est-ce si important,
De combattre partout tout le temps ?
Le feu, la glace et la foudre,
Battons-nous pour eux,
Plutôt que de nous battre avec eux,
Uniquement avec la foi,
Et le pouvoir de l’amour. »
Jenny jeta un coup d’œil à sa sœur avec affection. Jessy lui sourit et entama le dernier couplet.
« Tous les garçons et toutes les filles,
Ceux qui ont les yeux qui brillent,
Les victimes du coup de foudre,
Si comme moi vous devez combattre,
Faites le seulement avec :
Le pouvoir de l’amour… »
Les jumelles chantèrent une ultime fois le refrain :
« C’est le pouvoir de l’amour,
Vole vole Electhor,
Que je m’envole à mon tour…
Vole vole,
Vole mon cœur vole,
Pour aller le rejoindre, vole.
Après le pouvoir du feu,
De la glace et de la foudre,
Le pouvoir de l’amour.
Je veux partir à mon tour,
M’envoler pour te retrouver… »
Avec un grand sourire, les jumelles saluèrent à nouveau la foule, on les applaudissait davantage. Intérieurement, Jenny était satisfaite d’aider sa sœur à voler la vedette à Azura. La fille à l’ocarina s’en moquait bien, pour elle seule comptait la réussite de ce spectacle qui lui tenait à cœur et visiblement le succès était là.
Elle posa une troisième fois son ocarina et se dirigea vers Fry. Elle lui ôta son masque d’électhor, le jeune homme fut enfin soulagé d’être débarrassé de ce poids et de cette chaleur étouffante, heureusement les morceaux choisis lui demandaient peu d’effort sur sa batterie. Azura lui offrit un sourire charmeur et déposa un baiser sur sa joue avant de mettre le masque sur le côté. Ce n’était pas prévu au programme et Fry, un peu surpris, fut flatté par cette délicate intention. Il suivit des yeux la fausse vestale, elle lui fit un clin d’œil discret que seul lui au fond de la scène put percevoir. Les gens gloussaient dans la salle, les jumelles situées en avant n’avaient pas vu le baiser, mais Jenny se doutait de quelque chose en voyant les mines réjouies des spectateurs.
Pour la dernière chanson, il fallait un cœur mixte et Jenny et Fry pouvaient s’en charger. Il s’agissait d’un vieux chant traditionnel remis au goût du jour en version pop-rock. L’ocarina d’Azura redonnait un peu de son aspect historique. Jessy chantait à pleins poumons :
« Lorsque les pokémon étaient maîtres du monde,
Les hommes faibles, innocents et sans fronde,
Des vastes plaines les Ho-oh étaient les reines
Les océans profonds des Lugia étaient le domaine.
Cette assemblée des dieux se préparaient à mener
L’ultime combat dans une sombre vallée.
Seul un amour pur pouvait sauver cette terre,
Deux jeunes oiseaux face à d’hostiles chimères.
Quand les légions se réunirent pour s’affronter,
Les amants eux étaient prêts à s’envoler.
Passion intense de si belles créatures,
Radieuse Ho-oh, Lugia à la si belle allure.
De la tendresse étreinte apparut trois œufs,
Chacun mêlant le jaune, le rouge et le bleu.
Précieux cachés durant toute la bataille,
Et préserver leurs coquilles des entailles.
Dans la vallée, Ho-oh, et Lugia, yah-lala !
* Dans la vallée, Ho-oh, et Lugia, yah-lala !*
Jenny et Fry répétaient en différé et en écho chaque phrase du refrain.
« C’était à l’âge des héros, Ho-oh, yoh-oh,
C’était le chant des Lugia, yah-lala ah,
Puissants carnages, loin des échos oh, Ho-oh.
Lugia trouva trois îles et les bénit,
Prenant leurs montagnes comme abri.
Mais de retour auprès de sa bien-aimée,
Son peuple avant lui l’avait trouvée.
Accablé, broyé, aveuglé par la rage,
Il déploya ses ailes pour rejoindre le carnage,
En quelques secondes tout était terminé,
Fauché par un Ho-oh bien trop déterminé.
Le désespoir et la haine ont embrasé le ciel,
Les forêts, les mers, plus rien n’est éternel
A part les nids cachés rien ne fut épargné.
Hommes et pokémon restaient terrorisés.
Des lignées entières ainsi ont disparues,
Loin des mémoires et d’un été jamais connu,
Et tant et tant de supplices pour la nature,
Incendies mortels, pleurait mille tortures…
Dans la vallée, Ho-oh, et Lugia, yah-lala,
C’était à l’âge des héros, Ho-oh, yoh-oh,
C’était le chant des Lugia, yah-lala ah,
Puissants carnages, loin des échos oh, Ho-oh.
Au bout d’une décennie il ne restait plus rien,
Des horizons si verts au détour des chemins.
Dernier des survivants Lugia reconnu la misère,
Face au dernier des Ho-oh à la défaite amère,
Aucun ne pouvait combattre, il n’y avait plus de sens.
Et notre dame nature réclama sa vengeance.
Elle maudit les oiseaux à rester éloignés,
L’un dans les airs sans jamais se poser.
L’autre sous l’eau à garder les courants,
Voici leur punition, qu’elle dure éternellement.
Des décors dévastés, enfin la paix revint,
Les œufs éclosent d’oisillons orphelins.
Les pokémon et les humains étaient éparpillés,
Mais même perdus ils restèrent éveillés.
Les faibles hommes devinrent rois des continents,
Maîtres du sol, des pokémon, des éléments.
Pourtant trois dieux sont encore là :
On les appelle Artikodin, Electhor et Sulfura.
Dans la vallée, Ho-oh, et Lugia, yah-lala,
C’était à l’âge des héros, Ho-oh, yoh-oh,
C’était le chant des Lugia, yah-lala ah,
Puissants carnages, loin des échos oh, Ho-oh. »
Jessy était radieuse, ses deux compagnons semblaient aussi apprécier leur succès auprès du public. Ils posèrent leurs instruments pour remettre leurs masques d’oiseaux en bois et Azura termina seule le concert en reprenant une dernière fois le chant de Lugia à l’ocarina. Son Xatu se releva et dansa autour d’elle. A la fin, Azura s’agenouilla par terre et son pokémon se dressa derrière elle en écartant ses ailes. Il resta immobile tandis que le technicien refermait le rideau devant les trois autres musiciens pour qu’Azura et Xatu restent seuls sur scène. Après sa dernière note, elle posa son ocarina par terre, écarta les bras et caressa le sol, la tête inclinée avec humilité. Les applaudissements redoublèrent dans la salle, certaines personnes se levèrent et se mirent à crier des messages de félicitations et d’encouragement. A voix basse, derrière le rideau, Jessy se tourna vers ses deux compères.
« On forme une bonne équipe tous les quatre, dit-elle en hochant la tête.
- Je trouve aussi, renchérit Fry.
- Moui… Dit Jenny. Quel dommage qu’Azura soit coincée sur cette île avec son rôle de prêtresse. Enfin bon ça ira, après tout l’ocarina c’est joli mais ce n’est pas indispensable.
- Comme le violoncelle tu veux dire. » Se moqua sa sœur.
Les spectateurs étaient emballés. Les Train Twins restèrent cachés derrière le rideau jusqu’à la fin de la soirée qui arriva vite malgré tout. Mélodie clôtura officiellement ce premier jour de célébration et elle laissa Azura conduire l’élu jusqu’au cercle mégalithique où il devrait déposer les orbes le lendemain soir après les avoir récupéré sur les îles de glace, de feu et de foudre. Alors que les trois musiciens rangeaient leur matériel, Mélodie leur confirma qu’ils pouvaient faire partie de l’escorte du jeune élu.
« Azura m’a parlé de vous les filles, elle ne m’a rien dit pour Fry. Tu veux venir aussi ?
- Non merci, je ne vais pas cracher sur un jour de repos.
- Fry est une grosse feignasse, précisa Jessy avec un sourire moqueur.
- A chaque jour suffit sa peine comme on dit ! » Répondit Mélodie, amusée.
Jenny jeta un coup d’œil affligée à sa sœur. Elle n’avait vraiment rien grillée ou c’était simplement pour le plaisir de charrier Fry ? Jenny n’en savait rien, mais le lendemain matin, ce fut en binôme, sans leur camarade batteur, que les jumelles embarquèrent sur la navette chargée de relier les trois îles. Fry et Azura regardèrent le bateau s’éloigner vers l’île de feu avec à son bord les jumelles et quatre autres topdresseurs natifs de l’île Shamouti chargés d’escorter l’élu. Sur le pont, Jessy leur adressa un petit signe amical de la main, elle semblait très enthousiaste à l’idée de voir les oiseaux légendaires. Jenny se contenta de leur jeter un regard soupçonneux. Les deux adolescents tournèrent les talons lorsque le bateau fut suffisamment loin pour qu’on ne reconnaisse plus les passagers.
« Alors dis-moi… Tu sors avec laquelle ? Demanda Azura avec un sourire malicieux.
- Aucune ! Répondit Fry en riant. Pourquoi tout le monde me pose la même question ?
- Parce qu’elles sont jolies et que toi tu es beau garçon… Répondit simplement la fausse prêtresse.
- Peut-être mais en dix-sept ans je n’ai pas encore eu le temps de séduire toutes les jolies filles de l’archipel, je suis désolé, plaisanta Fry.
- Eh bien tu en auras séduit au moins une de plus aujourd’hui. »
Azura se mit sur la pointe des pieds pour embrasser Fry qui faisait vingt-cinq centimètres de plus qu’elle. Le jeune batteur se permit de la tenir par les hanches pour l’aider et il profita de ce délicieux moment. Quand elle libéra ses lèvres, elle lui demanda en souriant :
« Tu acceptes de sortir avec moi ?
- C’est tentant mais on va bientôt quitter l’archipel avec les filles et je ne sais pas du tout quand je reviendrai.
- Dommage… Mais pense à moi quand tu reviendras.
- Je peux déjà penser à toi aujourd’hui et demain… » Répondit Fry avec un sourire charmeur en lui prenant les mains, avant d’ajouter :
« Maintenant avoue : tu les as éloignées de moi exprès ?
- Oui et non… J’aime bien Jessy, je voulais lui faire plaisir.
- Et Jenny ?
- Je l’aime bien aussi, mais elle il fallait l’éloigner, j’avoue ma fourberie ! »
Le petit rire d’Azura était très séduisant, Fry la contemplait avec plaisir, il se disait que la fin de son séjour s’annonçait géniale.
Le soir, Azura enfila à nouveau sa robe de princesse de l’île Shamouti pour accueillir le jeune élu et son escorte. Elle les guida jusqu’à l’autel au site des piliers de pierres. Une nouvelle cérémonie eut lieu sur place et Azura joua la version longue du chant de Lugia à l’Ocarina. Sur le chemin du retour, comme Azura était très occupée avec son rôle, Fry discuta avec les jumelles.
« Alors vous les avez vu ?
- Ils n’étaient pas tout près mais ouais ! Lança Jessy avec bonne humeur. J’ai toujours eu une préférence pour Sulfura, mais Electhor était clairement le plus impressionnant ! Toute son île était comme chargée en électricité, on la sentait dans l’air, ça dressait tous les poils de mon corps, j’avais l’impression d’être dans un champ de pikachu, c’était trop génial !
- Tu es vraiment bizarre parfois, objecta sa sœur, moi j’avais juste l’impression d’être sur une chaise électrique, c’était très oppressant… Et toi Fry ? Qu’as-tu fait pendant notre absence ?
- Je me suis détendu… » Répondit un Fry évasif avec un sourire mystérieux.
Jessy pensait naïvement qu’il avait passé sa journée à faire la sieste dans une clairière près des ruines archéologiques et à jouer avec ses pokémon, mais Jenny n’était pas dupe. Le sous-entendu de Fry la fit frissonner de colère, elle sentait qu’elle s’était faite doublée par cette garce d’Azura. Elle essaya de faire bonne figure, son cerveau lui disait de rester calme : elle voyageait avec Fry, elle aurait tout le loisir de le séduire plus tard, lorsqu’ils auraient quitté l’île Shamouti et quand Azura ne serait plus qu’un lointain souvenir. Mais son cœur n’était que jalousie et réclamait sa vengeance immédiatement. Ils n’avaient plus qu’une seule journée à passer sur l’île avant de rentrer à l’Étoile de Jade et dans son lit Jenny cogitait, elle cherchait un moyen de tenir Fry éloigné d’Azura pour ces dernières vingt-quatre heures. Pour commencer, il était important qu’elle se lève à l’aube pour ne pas laisser Fry filer en douce, mais lorsque Jenny se réveilla le lendemain matin, elle était seule dans la pièce. Elle jeta un coup d’œil sur son pokédex pour avoir l’heure, elle n’avait pas fait la grasse matinée, à cette heure normalement Fry était toujours agrippé à son matelas comme un kokiyas sur la queue d’un flagadoss. Elle s’habilla coquette sans trop tardée car elle avait un mauvais pressentiment, puis elle descendit au restaurant de l’auberge. Sa sœur était encore là, il n’y avait que ses couverts à table. Elle tenait compagnie à son raichu en train de ronger un trognon de pomme.
« Fry n’est pas avec toi ?
- Non, on s’est juste croisé, il s’est levé très tôt et je l’ai vu partir.
- Tôt ? Fry ? Répéta Jenny qui trouvait ça à peine croyable. Et partir où ?
- Il prend sa journée, dit Jessy comme si c’était elle son patron.
- Je parie qu’il est avec Azura ! Pesta Jenny, Jessy lui adressa un sourire moqueur.
- Ne parie pas : c’est certain, elle me l’a dit hier soir.
- Mais la garce ! Et toi tu ne m’as pas prévenu !
- Pour que tu mettes au point un truc tordu contre Fry ? Nan. » Déclara Jessy avec un rire nerveux. Elle aimait bien son nouveau batteur, elle avait envie de le garder.
Profondément agacée, Jenny remonta d’un pas lourd jusqu’à la chambre et redescendit assez vite avec son sac sur l’épaule. Jessy ouvrit la bouche, cependant elle n’eut pas le temps de poser sa question, Jenny lança sur un ton sec :
« Je vais à la bibliothèque ! »
Jenny fulminait ; elle avait sous-estimé Fry et elle avait sous-estimé les capacités d’analyse de sa sœur. Elle avait très bien vu ce qui se tramait et elle avait choisi le camp d’Azura plutôt que le sien. Elle en voulait à ses partenaires et elle s’en voulait à elle-même d’avoir été aussi bête.
Jessy soupira en regardant sa sœur se précipiter hors de l’auberge. Elle réfléchit à ce qu’elle pourrait faire toute seule de sa journée et regarda son raichu.
« Tu penses qu’on va trouver un adversaire à notre mesure ici ?
- Rai raichu, répondit Pit.
Jessy retint un petit sourire arrogant.
- Je sais que personne ne nous arrive à la cheville, mais bon on ne va pas se tourner les pouces non plus ! »
Jessy sortit son aquali et sa mysdibule en plus de son raichu, puis tous les quatre partirent explorer l’île à la recherche d’un adversaire. Avec la fête de la Légende et les gamins qui se prenaient pour l’élu, elle se disait qu’elle finirait par trouver un dresseur motivé. La jeune fille passa sa journée dehors à s’entrainer avec ses amis pokémon. Dans une crique isolée sur la pointe de l’île, elle tomba sur un troupeau de ramoloss. De loin, elle avait l’impression que deux dresseurs tentaient de les capturer, elle s’approcha donc pour évaluer leur niveau.
Une fois à proximité, elle réalisa que les deux garçons à peine majeurs étaient en train de malmener des ramoloss, trop lents pour fuir. L’un d’eux tenait un couteau de boucherie et l’autre maintenait un pauvre pokémon pour qu’il cesse de bouger. Les ramoloss avaient beaux être lents, ils étaient gros et lourds.
« Eh ! Vous foutez quoi là ?!? Beugla Jessy même si elle avait déjà compris qu’il s’agissait de trafiquants de queueramolos.
- Merde on est repéré ! S’écria le type au couteau.
- Hein ? »
Son complice releva la tête pour voir l’intruse.
« C’est qu’une meuf toute seule, on va s’en débarrasser vite fait.
- Elle va prévenir les flics si on la laisse filer !
- Rai… Gronda le raichu en faisant grésiller ses joues avec un air menaçant.
- Tu crois que tu m’fais peur minus ? Cracha le deuxième type après le raichu. C’est bon Morris, tu prends ton Vortente, tu la ligotes et on en parle plus.
- J’crois que vous avez pas pigé à qui vous causez, répliqua Jessy en les assassinant du regard.
- Et moi j’crois que tu pètes plus haut que ton joli p’tit cul. »
Le sale type envoya au combat un flamoutan, un noacier et un mégapagos. Son partenaire libéra lui aussi la totalité de son équipe composée de trois pokémon : Vortente, Iguolta et un déflaisan mâle.
« Maintenant la pétasse t’as le choix : soit tu te tiens tranquille le temps qu’on finisse notre travail et tes pokémon repartiront vivants avec toi, soit on te fout la raclée de ta vie et après on t’ficelle comme un gigot. A toi de voir.
- Quels crétins… Lâcha Jessy dans un grognement ressemblant presque à un soupir. Blizzard ! Coup d’jus ! Mur de fer ! »
Chaque attaque était propre à un de ses pokémon, elle n’avait même pas besoin de les nommer, ça lui permettrait de gagner du temps et de prendre l’initiative dans le combat. Elle avait tout de suite pigé que ses adversaires n’étaient pas très malins : ils étaient partis du principe que Jessy n’avait que trois pokémon sur elle et en plus ils ne savaient pas évaluer le niveau d’un pokémon à son aspect général, mais ils étaient prêts à mutiler un pauvre pokémon pour récupérer un produit de luxe, donc il ne fallait pas faire l’erreur de vouloir les battre à la loyale.
« Aqualiiii !
- Raichuuuu ! »
Ses pokémon réagirent dans l’ordre : Méditerranée déstabilisa la totalité des adversaires avec un puissant blizzard et fit beaucoup de dégâts sur Vortente et Déflaisan, Pit enchaina immédiatement avec un coup d’jus. Son attaque électrocuta les six pokémon adverses et réussit à mettre Déflaisan KO sous les yeux médusés de son dresseur.
« Putain mais c’est quoi ce merdier ?!? »
Mysdibule restait pour l’instant en retrait en boostant sa défense.
« Noacier mégafouet ! Flamoutan lance-flamme ! Mégapagos aqua-jet ! Morris t’attends quoi pour lancer Vortente sur cette salope ?!?
- Et vulgaire avec ça ! » Cria Jessy dont le sang bouillonnait.
Elle aurait tellement aimé pouvoir lancer elle-même des attaques comme déflagration ou fatal-foudre. Les pokémon de ses adversaires n’étaient pas coordonnés, le lance-flamme du flamoutan croisa le mégafouet et le calcina sur place. Sans que Jessy ait besoin de donner le moindre ordre, Médie contra le lance-flamme avec un pistolet à ô, Pit électrocuta mégapagos avec un éclair et l’aqua-jet n’atteignit personne. Enfin, Misdy protégea sa dresseuse en sectionnant les fouets lianes de Vortente avec une technique faux-chage. Iguolta fonça alors spontanément vers le groupe de Jessy et Mysdibule avec une rapidité extrême enchaina avec un coup bas pour stopper le pokémon électrique dans sa course.
En haut de la falaise, une petite dizaine de mètres au-dessus de la plage aux ramoloss, Fry et Azura étaient allongés dans l’herbe l’un sur l’autre, ils se bécotaient langoureusement en glissant quelques doigts sous les plis secrets de leurs vêtements. Evidemment, ils avaient entendu les bruits en contrebas, mais ils les avaient très bien ignorés jusque-là. Les cris se faisaient plus forts, plus violents, des voix humaines s’élevaient au milieu des hurlements des pokémon de tous les types et finalement Fry et Azura détachèrent leurs lèvres l’un de l’autre pour regarder en direction du bord de la falaise.
« C’est quoi ce raffut ? Fit Azura la tête à l’envers.
- On dirait Jessy qui se bat, répondit Fry, il était presque certain d’avoir entendu la voix de sa camarade.
- Viens on va voir. »
A contrecœur, Fry se redressa pour libérer Azura de son étreinte. La jeune femme à genoux se rapprocha du précipice et regarda vers la plage, Fry rampa à côté d’elle, il n’avait pas trop envie d’être repéré par la rouquine ou qui que ce soit d’autre.
« Tu ne vas pas t’en tirer comme ça ! Beugla le dresseur inconnu. Noacier gyroballe !!!
- Dewey les ramoloss se font la malle !
- Merde merde ! Rattrape en un !
- Vortente, attrape un de ces ramoloss ! »
Le Vortente utilisa son fouet liane pour ligoter un ramoloss. De leur côté, Pit, Misdy et Médie avaient resserré les rangs autour de Jessy pour se protéger mutuellement des gyroballes en associant des murs de fer avec des murs lumière. En haut de la falaise, Azura fronça les sourcils en comprenant que les deux types étaient en train de maltraiter les pokémon sauvages avant l’arrivée de Jessy sur les lieux.
« On devrait aller l’aider, suggéra la jeune femme.
- T’inquiète pas, Jessy n’a besoin de l’aide de personne pour ce genre de truc.
- Tu es sûr ? On dirait un couteau posé par terre.
- Il lui reste trois pokémon en stock, l’écart de niveau est énorme et elle n’appréciera pas qu’on se mêle de son combat.
- Mais… » Reprit Azura, inquiète.
Fry la coupa.
« Regarde je te dis. »
A peine l’attaque gyroballe terminée, Jessy donna ses ordres et ses trois partenaires réagirent aussitôt.
« Vibraqua ! Coup d’jus ! Vent féérique !
- Aqualiiii !
- Rai-chuuuu !
- Mysdi-yah ! »
La triple attaque eut raison du flamboutan. Mégapagos était désormais paralysé à cause du coup d’jus et Vortente ne pouvait pas réagir vu qu’il était coincé avec le ramoloss entre ses lianes. Il restait noacier et iguolta en état de combattre immédiatement. En quelques minutes à peine, l’avantage du nombre s’était inversé. Jessy avait trois pokémon contre deux.
« Merde merde !!! Cria le voyou au noacier au bord de la panique. Méga fouet ! Dard nuée ! Griffe acier !!! »
Le type était si affolé qu’il lança trois ordres au hasard, noacier captait la tension de son dresseur et cela ne l’aidait pas du tout à se concentrer. Il obéit au premier ordre et lança son mégafouet sur l’aquali qui lui semblait être la plus fragile. En une seule seconde, Mysdibule s’interposa en faisant une rotation sur elle et stoppa le mégafouet au vol en refermant sa mâchoire gigantesque dessus, c’était à peine croyable et Jessy lança immédiatement un ordre pour son aquali.
« Laser glace ! »
Mysdibule, qui ne faisait pourtant qu’un dixième de son poids, bloquait les mouvements du noacier juste en maintenant fermement son fouet entre ses crocs. Le pokémon plante-acier ne put éviter l’attaque et se prit le laser-glace en pleine face. L’autre bandit était tétanisé. Il fut rappelé à l’ordre, non pas par son complice cette fois, mais par son pokémon : Iguolta attendait un ordre.
« Igua gua !
- Ah ! Pa… Parabocharge !
- Force poigne ! »
Depuis son point d’observation, Azura regarda la bouche béante la petite mysdibule tirer sur le méga fouet du noacier pour le soulever comme un vulgaire lasso et le balancer telle une fronde gigantesque sur Iguolta dont la sidération était telle qu’il ne put esquiver à temps. Le lourd noacier écrasa le pokémon électrique et l’assomma, sa propre attaque roulade aurait été bien moins efficace pour l’achever.
« Meeeerde ! Faut déguerpir !!! » Cria Morris à son compère.
Il n’essaya même pas de renvoyer Iguolta dans sa pokéball. Il fit volte-face et commença à courir en tirant sur une tentacule de Vortente au passage pour lui faire comprendre qu’il fallait fuir. Perturbé, Vortente lâcha sa prise, le ramoloss paraissait soulagé, il était quasiment le dernier de son espèce sur la plage, les autres ramoloss avaient presque tous réussi à atteindre la rive. L’autre bandit ne bougea pas d’un pouce, son noacier était mal en point mais il pouvait toujours combattre, comme son mégapagos. Malgré sa grande gueule, l’esprit de Dewey était bien plus lent que celui de son acolyte, il n’avait pas compris en voyant Mysdibule soulever le lourd noacier comme s’il s’agissait d’un baudrive que ses pokémon et lui étaient foutus.
« Où tu crois aller toi ?!? Brailla Jessy. Laser glace !
- Aqualiii ! »
Le laser glace d’aquali frappa vortente dans le dos. Complètement gelé, le pokémon plante tomba comme une statue de glace dans le sable et son dresseur prit la fuite sans lui.
« Gyroballe ! Pouvoir antique !!! » Hurla le deuxième bandit.
Dans un dernier sursaut d’énergie et de volonté, Noacier lança sa gyroballe et Mégapagos son pouvoir antique. A peine avait-elle entendu les ordres de son adversaire que Jessy lançait les siens. Le voyou profita des deux petites secondes de flottement pour ramasser le couteau de boucher qu’il brandit devant lui.
« Fatal foudre ! Tête de fer ! »
La gyroballe frôla Mysdibule qui chargeait tête la première le noacier et, dans un choc métallique à déchirer les tympans, elle donna un violent coup de tête. Le noacier tangua un bref instant avant de s’évanouir.
Toute la plage semblait crépiter d’électricité comme sur l’île de foudre quand Raichu concentra son énergie pour sa fatal-foudre. Ses joues scintillaient, tout son poil se hérissait, il esquiva avec agilité le pouvoir antique qui lui était plus ou moins destiné, il courut vers son adversaire pour se rapprocher et être sûr de ne pas louper son coup et...
« Rai… CHUUUUUU ! »
Mégapagos fut foudroyé. Quelques volts de plus et il y restait, mais Pit n’était pas un assassin. Complètement sonné, le pokémon eau-roche s’écroula à côté de son partenaire. Son dresseur, tremblant de la tête aux pieds, reculait à pas de léopardus en direction du seul passage accessible. Il ne rappela pas ses deux pokémon, il ne voulait surtout pas lâcher son couteau. Aquali, Mysdibule et Raichu s’alignèrent devant Jessy, la dresseuse toisait le bandit avec un regard terrifiant. Le sale type la menaça.
« Ne m’approche pas espèce de co…
- Rai ! »
Le Raichu lança juste une petite étincelle sur la main du délinquant, il cria de douleur et lâcha son couteau de boucher. Il se frotta les doigts, c’était l’évènement de trop, il détala comme un laporeille pris en chasse par un roublenard. Raichu fit grésiller ses joues, il voulait lancer une cage-éclair pour l’immobiliser, mais Jessy s’avança vers lui et l’arrêta d’un geste de la main.
« Laisse tomber, si tu attaques un humain, même un fumier pareil, tu vas avoir des ennuis. »
Jessy jeta un coup d’œil aux pokémon évanouis. Elle n’avait pas envie de s’en aller en les laissant sur place. Vu les dégâts qu’ils avaient encaissé, sans soin, ils ne risquaient pas de se réveiller avant une bonne dizaine d’heures au mieux, sauf que les deux bandits pouvaient revenir les récupérer. Elle n’avait pourtant pas le choix, elle devait prévenir la police et elle ne voulait pas laisser un de ses propres pokémon pour garder seul ces prisonniers.
Du haut de la falaise, sans signaler leur présence, Azura et Fry regardèrent Jessy chevaucher son galopa pour retourner au plus vite en ville et prévenir la police.
« Elle est vraiment très forte… Souffla Azura impressionnée.
- Je t’avais bien dit qu’elle n’avait pas besoin de notre aide, dit Fry avec un sourire soulagé malgré tout.
- T’es aussi fort que ça toi ? Demanda Azura.
- Je suis le champion de la Ligue Orange, répondit Fry avec un ton laissant sous-entendre qu’il était vexé par la question.
- Tu ne l’as jamais affronté c’est ça ? » Fit Azura avec un petit sourire en coin.
Fry préféra détourner le regard et se faufiler dans les buissons. Azura le rattrapa en se roulant dans l’herbe. Elle était taquine mais elle ne voulait pas gâcher sa dernière journée de frivolités avec le beau brun. Entre deux baisers, la culpabilité lui fit ajouter :
« Avant qu’on reprenne notre câlin, je vais envoyer Xatu prévenir ma grand-mère… On ne peut pas laisser ces pokémon mal dressés sans surveillance.
- Elle va rappliquer ici ?
- Sans doute… N’oublie pas de remettre ton short avant qu’elle n’arrive. »
Fry rentra très tard ce soir-là, Jenny était déjà couchée, visiblement elle vivait mal l’humiliation causée par le couple Fry-Azura, mais Jessy revint à l’auberge encore plus tard que lui. Elle était allée témoigner au commissariat pour signaler l’attaque des ramoloss. La Police avait envoyé des agents sur place, mais ils avaient gardé Jessy pour sa déposition, les portraits robots et tout le protocole judiciaire de rigueur. Les deux ados se croisèrent dans le hall de l’auberge.
« Tu as impressionné Azura aujourd’hui, dit Fry en voyant Jessy débarquer, la rouquine ne comprenait pas.
- Hein ? Je n’ai pas vu Azura de la journée, de quoi tu parles ?
- On t’a vu défendre les ramoloss tout à l’heure.
- Ah ! Eh mais… Tu ne pouvais pas le dire plus tôt ? Les flics m’ont posé plein de questions sur l’identité de ces ordures ! J’ai passé trois heures au commissariat !
- Azura a fait ce qu’il faut, t’inquiète.
- Et pourquoi vous n’êtes pas intervenus ? Demanda Jessy qui repensait avec horreur au trafiquant avec son couteau à la main, prêt à sectionner sauvagement la queue du ramoloss.
- Parce que tu étais déjà sur le coup, répondit Fry avec son terrible sourire de charmeur.
- Tout de même ! Y avait des pokémon en danger !
- T’avais besoin de mon aide ? Tu voulais que je t’aide ? »
Jessy ne répondit pas. Fry la fixait, il attendait la réponse et voyait tout l’orgueil en train de déborder de ses yeux bleus vifs et de sa poitrine de maîtresse pokémon fièrement redressée. Il élargit son sourire.
« C’est bien ce que je me disais… On va se coucher ? »
Dans un petit grognement à peine audible ressemblant vaguement à un oui, Jessy suivit Fry jusqu’à leur chambre commune où Jenny dormait déjà.
Le lendemain matin sonna l’heure des adieux, au plus grand soulagement de Jenny. La bonne humeur de Jessy avait été ébranlée par sa mésaventure avec les trafiquants de queueramoloss. Malgré sa dureté apparente, les atrocités du monde ne la laissaient pas indifférente. Elle sourit toutefois chaleureusement à Azura et Mélodie au moment d’embarquer sur Wailord. Discrètement, Fry caressa la main d’Azura avant de grimper sur le dos du cétacé.
« Prenez soin de mon petit Fry en tout cas ! Cria joyeusement Azura à l’intention des jumelles.
- Désolée de te contredire, mais c’est NOTRE petit Fry, répliqua Jenny d’une voix fluette.
- Ah moi j’en veux pas hein ! Plaisanta Jessy.
- C’est vrai que t’es la seule que je n’ai pas encore embrassé, commenta Fry avec un sourire coquin.
- Hein ? Grimaça Jessy.
- Quoi ?!? S’écria Jenny en fusillant Fry des yeux.
- Ih ih ih… Faites bonne route ! Cria joyeusement Azura
- Non-non, je veux qu’on m’explique là !
- Arrête d’hurler Jane, protesta Jessy.
- Roh ça va, pour une fois que ce n’est pas toi qui hurle !
- Disons que j’ai deux trains d’avance sur toi… Répondit Azura à Jenny avec un air malicieux.
- Attends, deux trains ? Comment ça DEUX trains ? »
Fry regardait les trois filles se chamailler. Intérieurement, il était en train de revoir son jugement. Lors de leur première rencontre, il avait trouvé Jessy désagréable et Jenny adorable, peut-être trop pour être honnête. Ses soupçons étaient fondés, elle s’était mal comportée avec Azura et elle n’aimait visiblement pas la concurrence féminine. Jessy en revanche montrait enfin ses bons côtés. Elle avait du courage, de l’entrain et quand elle se montrait aimable, elle avait un réel talent pour tisser des liens avec les gens. Plongé dans ses observations, il se mit à sourire, ce voyage s’annonçait encore plus intéressant que prévu.
« C’est vrai ça… Releva Mélodie. Pourquoi deux trains ?
- S’il te plaît, ne t’en mêle pas mamie… » Répondit Azura sans perdre son sourire, les yeux rivés vers le wailord qui s’éloignait.
A suivre…