Donjon Mystère - Dream Team

Chapitre 58 : L'âge 236 - Dégringolade

5680 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/03/2022 20:09

      Le soleil s’infiltrait comme il le pouvait, à travers les crasseux rideaux d’un appartement tout aussi insalubre. Le bazar était total : vêtements éparpillés dans tous les sens, assiettes sales sur le canapé, casserole remplie d’eau dans l’évier, bouteilles de bières vides entourant le réveil posé à même le sol, à côté du grand matelas sur lequel dormaient en caleçon deux amis qui avaient passé une sacrée soirée.

*BIP* *BIP* *BIP*

Bétochef élança son poing par réflexe.

*BOUM*

Il ouvrit les yeux, constatant son réveil brisé en deux.

- (Bétochef) Hein… ? Merde !

Il bouscula le type feu allongé sur lui à sa perpendiculaire, se redressa et se tint la tête, douleur crânienne oblige.

- (Bétochef) Putain d’gueule de bois… !

Marmonna-t-il, en se tournant vers un Reptincel qui roupillait toujours.

- (Bétochef) Debout, l’merdeux, il est huit heure !! T’échapperas pas à ce début de semaine, j’te préviens !

- (Reptincel) Hum… huit heure… ?

- (Bétochef) Ouaip, déjà ! J’avais jamais vu quelqu’un aussi mal tenir l’alcool, ah ah ! Tu t’es mis à ronfler au bout d’une heure, tu parles d’un jeune adulte ! Sérieux, tu dors combien de temps par nuit ?

- (Reptincel) Assez de temps pour en avoir du libre… allez… !

Il se leva, agrippant les premiers vêtements qui passaient.

- (Reptincel) Je devrais déjà être au garage, Granbull va me tuer…

- (Bétochef) Oh, ça va, il te doit bien des vacances !

- (Reptincel) Tout ne fonctionne pas aussi bien que la boîte. Je sais qu’il est débordé, en ce moment.

- (Bétochef) Bah c’est qu’ça fonctionne, alors !

- (Reptincel) Ça ne fonctionne que si on rend les contrats à temps. Et il a besoin de moi, alors je fonce !

- (Bétochef) Ok ok… ! On s’voit ce soir, alors.

- (Reptincel) Ouais, à ce soir !

Il ouvrit la porte, vérifiant qu’il n’avait rien oublié. Si, bien sûr qu’il avait oublié quelque chose :

- (Reptincel) Ah, et pour hier… merci beaucoup. C’était cool, et je pense que j’en avais besoin.

- (Bétochef) Euh… ouais ? J’t’ai pas dépucelé, tu sais, on a juste bu des bières et mangé des pizzas devant un documentaire chiant sur les bouches d’égout d’la ville… putain, on a vraiment fait ça… ?

- (Reptincel) Oui, justement. Ça m’a permis de penser à autre-chose alors… merci pour cette soirée.

- (Bétochef) Pas d’soucis, l’merdeux. En fait, ça m’a fait du bien aussi.

Il le salua, puis partit pour une nouvelle journée, une nouvelle semaine en ce début de l’âge 236.

 

L’histoire de la Dream Team – Chapitre 58 : Dégringolade

 

Au sein d’une ruelle, deux Pokémon… ou plutôt l’un des deux maintenait l’autre contre un mur, couteau à la main.

- Non, s’il vous plaît, ne me faites pas de mal !!

- Ah ah, c’est ça, hurle à la mort un nom qui se gravera à jamais dans la ville !

- ARRÊTEZ !!!

Une traînée enflammée survint alors du ciel. C’est à toute vitesse, que Reptincel attrapa, désarma et plaqua à terre le hors-la-loi avant même qu’il n’intervienne. Cela faisait plus de deux semaines, qu’il s’entraînait ardument chaque jour pour contrôler le plus efficacement possible ses pouvoirs sans s’épuiser.

Il avait gagné en vitesse, en force brute, en agilité. Et tout le monde le vit.

- (Reptincel) C’est terminé.

- Ah ah ah ! Alors c’est pour ça que la prime a augmenté, hein… ?

Il sentit un brusque mouvement derrière lui et, par reflexe, se retourna en bloquant de la main gauche ce qui s’avéra être un autre couteau. La prétendue victime en cachait un et tenta de le planter : elle lui transperça le creux de la main. Reptincel crispa les dents, alors que son assaillant ressortit la lame en hurlant de rire. Il recula, et se mit en garde face à tout un tas de Pokémon qui gagnèrent la ruelle.

- Allez, les gars, on va l’avoir cette fois !

- À dix contre un, j’aimerai bien t’voir à l’action, bonhomme !

- On va lui apprendre à jouer aux cons, on va lui apprendre à se mêler de nos affaires !!

- Vivement qu’on récupère ce foutu butin ! Même divisé par dix, on va tous devenir riche grâce à toi !!

Oui, il fut pris en embuscade par dix hors-la-loi, visiblement tous prêts à travailler en équipe pour une récompense commune. Le jeune adulte ferma les yeux quelques instants, calmant ses nerfs pour laisser le silence dominer son esprit. Il ferma son poing pivot, empêchant son sang de couler à flot. Puis… il rouvrit les yeux en laissant les traînées enflammées poursuivre ses mouvements.

Et le spectacle commença. Il virevolta dans tous les sens, se propulsant de murs en murs pour surprendre chacun de ses adversaires. À cette vitesse, il aurait facilement pu prendre la fuite. Hélas pour eux, il n’en était pas question.

- Vite, attrapez-l… !!

Il ne put finir sa phrase : Reptincel le cogna d’une droite en pleine mâchoire qui l’assomma sur le coup. Il se repropulsa une fois au sol pour, dans une explosion qui aveugla trois adversaires tentant de le planter, bondir à bien dix mètres du sol. Depuis les airs, il cracha de multiples boules de feu qui envoya au tapis ceux qui se tenaient le plus loin du champ de bataille. La fumée se dissipa, mais les trois types n’eurent qu’à peine le temps de s’essuyer les yeux, avant de se prendre respectivement un coup de pied dans le crâne, un coup de coude dans la gorge et un coup de boule dans le ventre.

Trois autres tentèrent de le surprendre en l’attaquant au corps-à-corps en même temps. Il esquiva chacun de leurs coups, dirigea l’attaque de l’un sur un autre, puis les assomma sans difficulté, sans ne rien leur briser ou sans faire couler de sang. Il pouvait se le permettre, depuis que ses pouvoirs le rendait plus apte à user des techniques apprises auprès d’Amphinobi.

Ainsi, il remporta la victoire à neuf contre un selon la demande de Pharamp, c’est-à-dire sans être trop violent.

- (Reptincel) Neuf… ? N’étiez-vous pas dix ?

Il dévisagea les alentours : quelqu’un avait assurément pris la fuite.

- (Reptincel) Merde… !

- Comment… ? Comment tu fais, bordel… !?

S’énerva le premier des types qu’il mit à terre, en tremblant au sol. Le type feu s’approcha, s’abaissa et lui arracha le bandeau qu’il avait sur la tête pour se couvrir la main trouée avec.

- (Reptincel) *gémissements* C’est juste de l’entraînement, mec.

- Mon bandeau, putain… !

- (Reptincel) Alors comme ça, une prime pèse sur ma tête ? De qui provient-elle ?

- J’en sais rien ! J’voulais juste m’enrichir, moi, merde ! C’qui est sûr, c’est que les vrais types dangereux d’la ville commencent à en avoir ras l’cul de ta sale gueule, et ils finiront par t’avoir !!

- (Reptincel) Qu’ils viennent, ça me demandera moins de travail.

Il ouvrit son sac, toujours rempli de cordes au-cas-où il aurait un ou deux hors-la-loi à arrêter. Depuis le début de l’année, il l’avait remarqué, le nombre de délits avait fortement diminué. Cela était évidemment dû au fait qu’après trois mois acharnés de confrontation au sein des quartiers pauvres, Reptincel avait fait un sacré ménage. Une partie de ceux qu’il n’avait pas encore arrêté s’était remis en question, l’autre semblait s’être fait remotiver par la DDR, qui en plus de les regrouper plaça une sacrée prime sur la tête de l’éclair rouge.

Hélas, la motivation ne faisait pas tout. L’explorateur les mena donc tous sur le toit du bar Limaspeed, non sans se sentir observer à chaque coin de rue. Des gens avaient mis sa tête à prix, il n’en revenait toujours pas.

- (Pharamp) Wow ! Faut se calmer, là, je n’ai que deux mains !

Clama le numéro un, en venant d’urgence après son appel.

- (Pharamp) Bon, au moins, ils ne sont pas trop amochés.

- (Reptincel) Je le suis plus qu’eux, ça c’est sûr…

Marmonna-t-il, en se tenant douloureusement la main gauche.

- (Pharamp) Tant mieux, ça t’apprendra à ne plus faire d’erreurs !

- (Reptincel) Hé, ce n’est pas très sympa. Ils étaient dix.

- (Pharamp) Dix… ? Tu en as manqué un ?

- (Reptincel) Ouais…

Répondit-il en déviant le regard.

- (Pharamp) Bon, ça devrait aller, tu le coinceras une autre fois. Ces types sont aveuglés par l’appât du gain, il finira par revenir avec un autre groupe. C’est l’avantage d’avoir une prime sur sa tête, ça attire ceux que l’on cherche de toute façon à arrêter.

- (Reptincel) Vous trouvez ça bien ? Depuis que je sais que l’on veut ma peau, je ne me sens pas à l’aise. J’ai l’impression que des hors-la-loi pourraient débarquer au garage, à la boîte de nuit ou chez-moi à tout instant.

- (Pharamp) Et alors ?

Demanda naïvement le numéro un. Cela choqua l’élève, qui n’avait plus de temps à perdre.

- (Reptincel) … Laissez-tomber. Il faut que j’aille travailler.

- (Pharamp) Ouais, moi aussi ! En tout cas, continue comme ça, Reptincel !

Ils se séparèrent là-dessus, l’un plus embêté que l’autre sur l’état de sa situation. Clairement, Pharamp était indifférent aux craintes que ressentait le jeune adulte. Lui qui était si puissant, il semblait ne plus savoir ce que cela faisait, d’être en danger.

Quelques minutes plus tard, Reptincel gagna le garage Granbull. Il avait presque trois heures de retard et accourut l’air pressé, tellement qu’il se bouscula à un homme qui sortit du bâtiment.

- (Reptincel) Pardon, excusez-moi… !

Exclama-t-il, en l’aidant à se relever. Il était principalement couvert d’une grande cape marron et cachait son visage avec une imposante capuche. En d’autres termes, il n’aperçut que ce qui semblait être une barbe blanche.

- Non, pas de problèmes…

Rétorqua-t-il en marmonnant d’une voix exagérément accentuée, avant de reprendre son chemin hors du garage. Il marchait vite, très vite et divaguait son regard dans toutes les intersections. Reptincel le regarda quitter son champ de vision, l’air perplexe.

- (Reptincel) Qui était-ce… ?

- (Granbull) Pardon !?

Son patron lui cogna la tête avec une clé à molette.

- (Reptincel) Aïe !!

- (Granbull) C’est comme ça qu’tu justifies ton r’tard !?

- (Reptincel) Je suis désolé, Granbull, ça n’arrivera plus… !

- (Granbull) Tsss… ! J’préfère ! La prochaine fois, je retirerai un jour sur ton salaire ! Allez, va enfiler ta combi et on reprend direct la conception de c’foutu moteur !

- (Reptincel) Entendu !!

Il fonça s’exécuter, et tenta du mieux qu’il put de se rattraper de son erreur. L’heure du déjeuner arriva rapidement, et les deux garagistes firent leur pause ensemble. Ils dégustèrent un simple sandwich face à leurs travaux acharnés tout en discutant de la vie. Le type feu en profita pour revenir sur celui qu’il bouscula inintentionnellement.

- (Reptincel) C’était un nouveau client ? *mange* On aurait dit qu’il cherchait à se cacher.

- (Granbull) Oublie-le… *mange*

- (Reptincel) Que voulait-il ?

- (Granbull) J’ai dit OUBLIE-LE ! Je n’ai pas pris sa commande, alors peu importe.

- (Reptincel) Ok, très bien…

Marmonna-t-il, avant de terminer sa nourriture. Il trouvait son patron bizarre, jamais il n’avait cherché à lui cacher quoique ce soit auparavant… enfin selon ce qu’il savait de lui. Maintenant qu’il y pensait, il est vrai que Granbull n’avait pas une vie très intéressante. Il était ici parce que les choses l’avaient voulu, et semblait être bloqué dans ce garage depuis toujours. Par rapport à ce que Crocorible, Bétochef ou les autres habitants des quartiers pauvres lui avaient confiés, il trouvait la vie du garagiste terriblement vide.

Bref, le travail reprit et la journée passa. À dix-huit heure, lorsque le soleil commença déjà à se coucher, les deux personnages en eurent terminés avec le moteur. Ce fut une commande de plus de terminée, et donc une autre preuve de l’efficacité de ces indépendants, désormais respectés même en-dehors des quartiers pauvres. Cela faisait trois mois, que le garage avait fortement gagné en popularité. Beaucoup de riches venaient y déposer leurs engins pour ne pas avoir à payer deux fois plus cher auprès de particuliers installés ailleurs dans Loliloville. Et cela profitait à Granbull et son assistant. Il avait doublé son salaire, soit deux-cents Pokés de plus qui partaient dans le refuge pour sans domicile fixe.

En parlant d’eux, Reptincel passa faire un tour à la fondation qu’il leur créa. Il avait un peu moins de deux heures à tuer avant de devoir rejoindre la boîte de nuit, et il décida de les consacrer à toute l’aide qu’il pourrait apporter à Vaututrice.

- (Vaututrice) Merci encore, Reptincel, tu es adorable…

- (Reptincel) C’est normal, voyons.

Répondit-il, en déposant de gros cartons dans une pièce récemment aménagée : une petite infirmerie. Cinq lits s’y trouvaient, entourés de meubles recelant tout un tas de matériel médical ainsi que des trousses de secours. Le jeune adulte avait consacré une grande partie de ses derniers temps libres pour apprendre à Vaututrice la base des premiers secours, ce que lui-même avait appris à la guilde d’exploration. Depuis, elle ne rechignait plus à sauver elle-même tous les blessés qu’elle trouvait dans les quartiers pauvres.

« Tout le monde mérite d’être aidé. », lui assura-t-elle. Cela convainquit l’éclair rouge de ne plus jamais en arriver à gravement blesser les hors-la-loi qu’il confrontait. Et depuis, la fondation gagna fortement en respect et réputation. Personne, pas même les pires criminels ne s’attaquaient à eux. Parce que cela les rassurait tous.

Un peu plus tard, alors qu’il allait arriver à la boîte de nuit, son téléphone sonna.

- (Reptincel) Chaglam ?

- (Chaglam) Salut, euh… t’es occupé, là ?

- (Reptincel) Que se passe-t-il ?

- (Chaglam) Rue Lépidonille le regrettable, au sommet du toit le plus haut, je crois qu’on a un suicidaire !

- (Reptincel) Quoi… ? Ok, j’arrive tout de suite.

- (Chaglam) Dépêche !

Il raccrocha et fonça sur ses mots. Il était à bien dix minutes à pied de la rue en question. Bienheureusement, en gagnant les toits et en usant de ses pouvoirs pour se propulser et gagner en vitesse, il posa les pattes sur la plus haute infrastructure de la rue Lépidonille le regrettable en trois minutes seulement.

Le Pokémon aperçu par Chaglam était bien là, droit et immobile face à l’horizon de ces quartiers délabrés. Au vu de sa carrure, ce devait être un homme. Mais c’est tout ce qu’il pouvait supposer : une grande cape et capuche marron couvraient tout son corps.

- (Reptincel) Monsieur, s’il vous plaît… !

Il tourna légèrement la tête. Reptincel n’aperçut qu’une espèce de barbe blanche. Il ne tilta qu’à cet instant.

- (Reptincel) Vous… vous êtes le type de ce matin, au garage Granbull ?

Il ne répondit pas. Le type feu avança d’un pas, mais son interlocuteur le fit également. Il gagna le rebord.

- (Chaglam) Ouh là, qu’est-ce qu’il fait… ?

Se demanda la journaliste depuis le trottoir et fixant, tête vers les cieux, ledit suicidaire d’un air inquiet.

- (Reptincel) Non… ! Ne faites pas ça, soyez raisonnable !

- … Je ne souhaite pas être aidé.

- (Reptincel) Pourquoi… ? Que se passe-t-il ?

L’homme à capuche baissa la tête, gardant le silence pour laisser transparaître un furieux remord.

- (Reptincel) Hé, parlez-moi, s’il vous plaît… ! Vous n’avez aucune raison de faire ça, plus aucune ! Vous avez perdu refuge ? Je peux vous en trouver un ! Vous êtes menacé par quelqu’un ? Je peux l’empêcher de vous atteindre, et je vous promets de le faire si c’est ça, le problème !

- Je ne veux pas te mêler à cette histoire.

- (Reptincel) Je suis là pour ça !

- Non. Non… bien sûr que non. Tu es là pour aider les bonnes personnes, celles qui subissent une injustice. Moi, je l’ai mérité. Après tout le mal que j’ai fait… *rires* c’est même plutôt lâche, de se tuer soi-même.

Marmonna-t-il d’une voix plus sincère. Le type feu parut perplexe, il avait l’impression de l’avoir déjà entendu quelque part.

- (Reptincel) … Qui êtes-vous ?

- Tu ne te souviens pas de moi ? Ce doit être pour cela, que tu cherches tant à me sauver…

Il se retourna et enleva sa capuche. Reptincel écarquilla les yeux, bouche bée face au personnage qui se tenait devant lui. Peau jaune, nez imposant, oreilles pointues. Ce n’était pas une barbe, mais une épaisse fourrure blanche couvrant tout son cou. Tout ce qui différait avec autrefois fut cette large cicatrice entourant son œil droit. Ce Pokémon n’était nulle autre que…

- (Reptincel) Hypnomade… ?

- (Hypnomade) Bonsoir, Salamèche… enfin Reptincel, désormais.

Le type feu recula d’un pas. Ce personnage, ce visage, comment lui rappeler autre chose que du dégoût ? Des flashs du passé ressurgirent : la prison de la DDR, la souffrance des prisonniers, les séances de tortures dans lesquelles Hypnomade rentrait dans son esprit pour fouiller ses origines… il lui en vint des frissons de terreur. Pire, une soudaine douleur crânienne lui survint.

- (Reptincel) J’hallucine, c’est… *gémissements* vraiment toi ?

Demanda-t-il, en se tenant la tête.

- (Reptincel) Comment… comment peux-tu encore être en vie !?

- (Hypnomade) Peu importe, je comptais rectifier le tir.

Il étendit les bras, prêt à se laisser tomber dans le vide.

- (Reptincel) NON, ATTENDS !!!

- (Hypnomade) Quoi, tu cherches encore à m’aider… ? Regarde-toi, tu es incapable d’oublier le passé.

Clamait-il, en l’observant trembler, en le comprenant incapable de s’approcher à nouveau.

- (Hypnomade) Est-ce mal, après tout ce que je t’ai fait subir ? La réponse est non, je mérite d’y passer pour ne serait-ce qu’avoir survécu au châtiment de trois divinités. Ce n’est pas grave, Reptincel, fais comme si je n’étais jamais revenu.

Il ferma les yeux.

- (Hypnomade) … Ce sera mieux pour toi… mieux pour moi.

Et se laissa finalement tomber. Reptincel sentit le temps s’arrêter autour de lui. Il arrêta de trembler, il n’avait pas le choix. Peu importe qui tentait de se suicider, il devait l’en empêcher. Et si Hypnomade devait être jugé pour de lourdes infractions ? Il devait passer devant la justice. Et si il tentait de quitter la réalité pour fuir une menace ? Il devait l’aider coûte que coûte, et certainement pas le regarder mettre fin à ses jours.

Alors dans un élan soudain de détermination, l’éclair rouge activa ses pouvoirs et se propulsa à toutes vitesse jusqu’au rebord de l’immeuble. Il se laissa tomber et provoqua de multiples explosions dans l’air pour gagner encore plus en vitesse. Il parvint à agripper Hypnomade, puis planta férocement ses griffes dans le mur du bâtiment. Sur bien dix mètres, la descente fut atrocement douloureuse. Mais la destruction en ligne droite du mur sauva malgré tout une vie, parce qu’ils atterrirent tous les deux en douceur.

Reptincel s’agenouilla, l’autre main désormais tout aussi ensanglantée que celle qui était déjà enroulée dans des couches de bandages. Le suicidaire, de son côté, se redressa l’air perdu. Il dévisagea les alentours, il observa ses mains tremblantes, il fixa son sauveur.

- (Hypnomade) Qu… quoi… ? Pourquoi… ? Pourquoi tu as fait ça !?

- (Reptincel) *souffle* … Parce que j’en ai le devoir, rien de plus… !

*BAM*

Chaglam cogna brutalement Hypnomade avec une roche en pleine tête. Il s’écroula, inconscient.

- (Reptincel) Qu’est-ce que… !?

- (Chaglam) Simple mesure de sécurité. C’est pour son bien.

- (Reptincel) *soupir* J’imagine que oui. On ne pouvait pas le laisser fuir.

Il se redressa en tenant douloureusement sa main.

- (Reptincel) Je me charge de lui.

- (Chaglam) Besoin d’aide ?

- (Reptincel) Non merci, tu en as déjà fait assez. Merci de m’avoir prévenu.

- (Chaglam) Tu es le seul contact à qui je pouvais demander ça, merci à toi d’être intervenu. Tiens moi au courant.

Ils se saluèrent, et le type feu emporta Hypnomade au refuge pour sans domicile fixe. Vaututrice l’accueillit à ailes ouvertes, l’aidant à le placer dans un lit à l’infirmerie, puis sous assistance respiratoire. Reptincel sortit une corde de son sac et l’attacha à son lieu de repos.

- (Vaututrice) Est-ce vraiment nécessaire ?

- (Reptincel) Je ne pense pas qu’il soit dangereux, mais il pourrait fuir et j’ai besoin de l’interroger.

- (Vaututrice) Entendu, je m’occuperai de lui jusqu’à votre retour.

- (Reptincel) Merci. Désolé d’avoir à vous infliger ça.

- (Vaututrice) Non, je vous le dois bien. Il a l’air… épuisé.

- (Reptincel) Vous pensez qu’il se réveillera quand ?

- (Vaututrice) Pas avant l’aube, pour sûr.

- (Reptincel) Bien, alors je serai de retour à l’aube. Prenez soin de vous, Vaututrice.

Il quitta la fondation, non sans récupérer un morceau de bandage pour couvrir sa main droite. Il l’avait caché à son interlocutrice, persuadé qu’elle aurait tout fait pour le soigner. Mais il n’avait de temps à perdre : il était déjà en retard pour son deuxième travail, et s’apprêtait à en prendre encore plus en rejoignant le garage de Granbull.

Entre temps, son téléphone vibra :

« Pifeuil : Boudiou, t’as oublié de m’appeler mon gars ! Alors, comment t’as tenu les bières, mon bonhomme ? »

Demanda son père par message. Effectivement, son fils l’avait prévenu, le jour dernier, que si il venait à l’appeler vers deux heure du matin en ayant le hoquet, c’est certainement parce qu’il serait bourré. Autrement dit, un moyen quelconque pour le type feu de tenir au courant son père et continuer à lui parler tous les jours, peu importe le sujet.

Mais là… il n’était pas d’humeur à répondre.

À cette heure, le garage était fermé. Alors il monta les escaliers du petit immeuble et toqua à la porte de son appartement. Le garagiste lui ouvrit, couvert d’un débardeur blanc et d’un caleçon noir. En pyjama, quoi. Ce fut bizarre de le voir dans une autre tenue que celle qu’il portait au travail, mais encore une fois, le jeune adulte n’avait de temps à perdre. Le comprenant, son patron l’accueillit d’un air perplexe.

- (Granbull) Je n’aime pas ce silence. Dis-moi tout, gamin.

Commença-t-il, en lui laissant une place sur son canapé. Mais Reptincel ne s’installa pas.

- (Reptincel) Qu’est-ce que vous savez, du type de ce matin ?

- (Granbull) Hein… ?

- (Reptincel) Le gars habillé en marron, qu’est-il venu vous demander ?

- (Granbull) Pourquoi ça te préoccupe tant qu’ça ?

- (Reptincel) Peu importe, répondez-moi !

- (Granbull) Gamin…

- (Reptincel) J’ai un nom, Granbull !!

Lui cria-t-il soudainement. Il était stressé, si ce n’est paniqué. Le mélange de la paranoïa liée à sa prime et de tous ces flashs du passé le torturaient, à un point où il en vint à hurler sur son patron, à un point où ce dernier se releva et posa tendrement ses mains sur ses épaules.

- (Granbull) Reptincel, hé, ça va aller, calme-toi… !

- (Reptincel) Non, ça ne va PAS !

- (Granbull) Que s’passe-t-il, pourquoi es-tu dans tous tes états ?

- (Reptincel) Ma… *snif* ma journée n’a fait que dégringoler, depuis mon réveil ! Je commence à craquer, alors par pitié, ne me dites pas qu’Hypnomade est venu vous demander quoique ce soit d’illégal !

- (Granbull) Hypnomade ? Alors tu connais son nom… ?

- (Reptincel) Granbull, je vous en supplie… répondez-moi !

Sa voix se mit à trembler. Granbull entoura alors ses joues avec ses mains.

- (Granbull) J’ai. Refusé. Sa. Commande. Tu te souviens ?

- (Reptincel) Que… *snif* qu’est-il venu vous demander ?

- (Granbull) De lui concevoir une bombe.

Le type feu crispa les dents, en s’éloignant d’un air frustré.

- (Reptincel) Je le savais… ! Il n’a pas changé !

- (Granbull) Voilà pourquoi je l’ai rembarré. Ça faisait des années qu’il n’était pas venu me voir à mon atelier, mais à l’époque… j’étais une autre personne.

- (Reptincel) Quoi… ? Comment ça ?

- (Granbull) C’la va faire douze ans, qu’la DDR a quitté son âge d’or. À l’époque, ils ne s’cachaient pas. Ils venaient impunément tendre des contrats, même dans les quartiers riches. C’était à une époque où le métier d’explorateur n’était pas aussi démocratisé, et eux avaient une tonne de fric. De mon côté, du temps où l’garage n’était qu’un piteux atelier dans lequel je n’vivais même pas, j’étais sacrément con…

- (Reptincel) Qu’est-ce que vous avez fait ?

Le patron baissa la tête.

- (Reptincel) Granbull !!

- (Granbull) J’ai si honte. Je… je n’ai jamais osé te l’avouer parce que c’était il y a longtemps et que je m’étais persuadé d’avoir changé. Mais pour qu’Hypnomade revienne vers moi… *rires nerveux* c’est qu’les gens ne changent pas si facilement, hein ?

- (Reptincel) C’est… si grave que ça… ?

L’assistant se rapprocha lentement, l’air tout aussi intrigué qu’inquiet.

- (Granbull) Je… je comprendrais que tu veuilles démissionner après ça. Si… Hypnomade est venu me demander de lui concevoir une bombe, c’est parce qu’il l’avait déjà fait à l’époque. Et à l’époque… j’ai accepté.

Il écarquilla les yeux.

- (Granbull) Ça m’avait pris deux semaines, et ce n’était pas une partie de plaisir. Chaque jour, je me demandais si ce que je faisais était bien. Puis… je continuais malgré tout.

- (Reptincel) … Qu’est-il advenu de cette bombe ?

- (Granbull) Elle n’a jamais explosé. Je crois qu’ils comptaient s’en servir lors d’un attentat qui n’est jamais arrivé, puisque Pharamp a mis fin à leur terreur avant.

- (Reptincel) Comment pouvez-vous en être aussi sûr ?

- (Granbull) Le regret, Reptincel. Celui qui t’empêche de dormir, celui qui te fait te renseigner sur tous les actes de l’organisation. Je scrutais tous les médias à la recherche d’un crime, d’un attentat, enfin de tout ce qui aurait été susceptible d’être en lien avec ma bombe. Jusqu’à ce qu’elle soit finalement retrouvée dans un entrepôt de la DDR, peu de temps après leur chute.

- (Reptincel) Donc elle n’a fait aucune victime.

- (Granbull) Elle aurait pu, elle aurait dû. Tu ne peux pas savoir à quel point je… *soupir* à quel point je m’en suis voulu. Comment je pouvais me regarder dans le miroir et me convaincre d’être un père aimant ?

- (Reptincel) Quoi… ?

- (Granbull) Alors je suis parti. Je leur ai laissé l’argent et me suis réfugié ici, dans les quartiers pauvres. J’ai fait de mon atelier mon nouveau lieu de vie, et ai fait croire à tous ceux qui me connaissent dans le coin que ce fut toujours le cas.

- (Reptincel) A… attendez, vous avez un enfant ?

- (Granbull) Une femme et une fille.

Le silence régna quelques instants. Reptincel commençait à comprendre pourquoi la vie de Granbull lui paraissait si vide.

- (Reptincel) Je… je n’étais pas au courant… !

- (Granbull) Je sais, je me suis juré de ne jamais rien dire à personne à leur sujet. Elles vivent de l’autre côté de Loliloville. Elles sont loin de moi, loin du danger. Et tout ça, c’est uniquement grâce à cet argent… et elles ne savent pas d’où il vient. Je ne veux pas les mettre en danger, et on ne peut faire confiance à personne dans cette foutue ville. Mais puisque tu as des problèmes avec Hypnomade, je pense qu’il est important de te donner tous les tenants et aboutissants de cette histoire…

- (Reptincel) Granbull, je… je suis désolé. Pendant un instant, j’ai commencé à penser que vous aussi, vous… *gémissements*

Il se tint douloureusement le crâne, épuisé par cette interminable journée. C’est à cet instant que le garagiste vit ses blessures.

- (Granbull) Hé, tes mains sont…

- (Reptincel) C’est bon, ça va aller…

Il fit mine d’aller bien.

- (Reptincel) Sachez que je ne vous tiens pas responsable de quoique ce soit. Si on peut être sûr que la bombe n’a fait et ne fera jamais aucune victime, alors cette histoire est définitivement du passé.

- (Granbull) Alors pourquoi Hypnomade est revenu ?

- (Reptincel) Ça, je vais le découvrir. Maintenant que je sais ce qu’il vous voulait, je suis prêt à lui faire face.

- (Granbull) Lui faire face… ? Écoute, je ne sais pas ce qu’il se passe, mais si je peux aider…

- (Reptincel) Vous en avez déjà assez fait.

Il se prépara à quitter l’appartement.

- (Reptincel) Merci encore de m’avoir dit la vérité. Malheureusement, je pense ne pas aller au travail demain, je serai débordé.

- (Granbull) Tu ne démissionnes pas… ?

- (Reptincel) Bien sûr que non, je vous fais confiance.

Le garagiste resta bouche bée, ces mots semblaient l’avoir sincèrement touché.

- (Reptincel) Aurevoir, Granbull.

Et son assistant s’en alla. Quelques minutes plus tard, alors qu’il se dirigeait vers le refuge pour SDF, son téléphone sonna.

- (Bétochef) Mec, qu’est-ce que tu fous ?

- (Reptincel) Je ne peux pas venir ce soir, désolé.

- (Bétochef) Quoi !? T’aurai pu prévenir plus tôt, sérieux ! Le service est débordé !

- (Reptincel) Je me doute, c’est juste que… *gémissements*

Il se retint douloureusement le crâne.

- (Bétochef) Reptincel ? T’es encore là… ?

Puis refit mine d’aller bien.

- (Reptincel) Oui… oui, bref, j’ai un truc urgent à régler. C’est vraiment important.

- (Bétochef) Est-ce que c’est en lien avec un éclair rouge, par hasard.

- (Reptincel) C’est possible…

- (Bétochef) Hum, je vois. Même si c’est important, il ne faut pas que ça empiète trop sur ta vie pro ou privée. J’espère que ce sera la seule fois, l’merdeux !

- (Reptincel) Je l’espère aussi.

Il raccrocha peu après, arrivant à destination. Vaututrice l’accueillit sans problème, le laissant se reposer sur une chaise de l’infirmerie. Elle parut inquiète, et lui ennuyé d’être toujours soumis à la même question.

- (Vaututrice) Vous êtes sûr que tout va bien ?

- (Reptincel) *soupir* Oui, ne vous en faites pas. Je préfère garder un œil sur lui jusqu’à ce qu’il se réveille.

Clama-t-il, en fixant du regard Hypnomade, toujours inconscient et attaché à son lit. La gérante le laissa donc seul, lui et ses douleurs crâniennes. Il était frustré : tout allait mal et il prétendait toujours le contraire. Il n’avait pas le choix, et commençait à se saouler des remarques d’autrui.

De tout son entourage, il était le seul explorateur. Et donc le seul à avoir les capacités d’intervenir face au danger. Voilà pourquoi il refusait l’aide des autres, il voulait les tenir à l’écart pour leur sécurité.

Voilà pourquoi il travaillait seul, voilà pourquoi il refusait de travailler en équipe.

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