Donjon Mystère - Dream Team

Chapitre 56 : Retrouvailles

8049 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/02/2022 16:25

      Une voiture s’envola presque, après avoir pris un tremplin à toute vitesse au détour d’une rue. Elle allait vite, beaucoup trop pour ne pas être dangereuse pour la population, qui hurla et se colla contre les immeubles pour l’esquiver. Le type à bord n’en avait que faire. Il ne souhaitait qu’une chose : échapper à son poursuivant. Hélas, les deux puissants jets d’eaux qui le dépassèrent inondèrent le capot de l’engin, comme si leur créateur prévenait… avant de sauvagement passer à l’action.

Il atterrit en pique devant la voiture, l’interceptant puissamment tout en encastrant ses pieds dans le sol. Sur bien cinquante mètres, il se fit pousser. Mais sur bien cinquante mètres, la vitesse du véhicule se divisa.

- (Carabaffe) Sors de là… tout de suite !

- Non, dégage !!

L’automobiliste n’en démordit pas et sortit une explograine.

- Si tu bouges le p’tit doigt, j’me fais péter avec la caisse !!

Le type eau crispa les dents.

- Ah ah ! Alors, on fait quoi maintenant ?

Soudainement, un éclair passa. Le hors-la-loi cligna plusieurs des yeux, avant de se rendre compte qu’il était menotté. La graine avait disparu, comme tous les civils susceptibles d’être en danger par l’explosion. Carabaffe s’énerva.

- (Carabaffe) Mais bordel !!

Il s’avança vers la portière, l’éclata, attrapa par le col sa cible et la plaqua brutalement au sol. La mission était achevée, le hors-la-loi intercepté et les victimes sauvées. Pourtant, le jeune explorateur avait un goût amer, très amer en bouche.

 

L’histoire de la Dream Team – Chapitre 56 : Retrouvailles

 

Le soleil battait son plein en cette matinée du mois de Novembre, lorsque Carabaffe gagna la fondation RS. Il venait de ramener le hors-la-loi au poste, et se dirigea droit vers la salle commune de l’équipe qu’il avait rejoint depuis deux mois maintenant.

- (Mustéflott) Yo, Carabaffe !

Exclama Mustéflott, en jouant aux échecs avec Sapereau. Sur le canapé, Pharamp lisait tranquillement les journaux, lorsque son élève agrippa et abaissa brutalement le bout de papier. L’adulte était souriant, pas le jeune.

- (Pharamp) Que puis-je faire pour toi, mon jeune ami ?

- (Carabaffe) Pourquoi vous êtes intervenu !?

- (Pharamp) Je ne faisais que passer, voyons.

- (Carabaffe) Vous pouvez pas m’laisser explorer seul !? Putain, j’ai pas rejoint l’équipe pour qu’on fasse tout à ma place !

- (Pharamp) Quand des civils sont en danger, on ne prend pas de risques.

- (Carabaffe) J’avais la situation parfaitement sous contrôle !

- (Pharamp) Non, pas vraiment.

- (Mustéflott) Hé, fermez-là, j’arrive pas à réfléchir !

- (Sapereau) Tu as déjà perdu, Musté.

- (Mustéflott) Hein !?

- (Sapereau) Échec et mat.

Le silence régna, avant que le Pokémon orangé ne bondisse de sa chaise, déviant du regard son assaillant par mauvaise fois.

- (Mustéflott) Ce jeu est claqué, de toute façon ! Viens, Carabaffe, on va s’défouler !

- (Carabaffe) Ouais, bonne idée… !

Lui lâcha la grappe de Pharamp, et les deux types eaux s’en allèrent vers le jardin de la fondation. Sapereau descendit à son tour, cette fois pour rejoindre son chef d’équipe sur le canapé.

- (Sapereau) Tu as recommencé… ?

- (Pharamp) Il fait trop d’erreurs…

- (Sapereau) Nous sommes là pour lui apprendre, non ? Soit un peu plus compréhensif, s’il te plaît. Je te rappelle que ce test était de ton initiative, et notre jeune recrue a tout donné pour nous rejoindre. C’était son rêve, ne le transforme pas en cauchemar.

- (Pharamp) … Entendu…

La demi-heure d’après, l’arène était trempée dans plusieurs centimètres d’eau, alors qu’un ouragan dévastait le champ de bataille. Carabaffe esquivait coûte que coûte les rafales adverses, avant de bondir dans la tornade pour y attaquer son créateur. Il attrapa et s’écrasa avec Mustéflott, le bloquant à terre et prenant un définitif avantage à l’affrontement.

- (Mustéflott) Ah ah ! Ok, je m’avoue vaincu !

- (Carabaffe) *souffle* Déjà… ?

Se moqua-t-il, tout se relevant en titubant. Il lui tendit une main pour l’aider à en faire de même, mais Mustéflott l’agrippa pour l’attirer jusqu’à lui. Il lui bloqua la tête entre les bras et lui gratouilla le crâne en rigolant.

- (Mustéflott) J’suis si fier de toi, ah ah !

- (Carabaffe) AH ! Lâche-moi !!

Il se libéra, mais resta assis à ses côtés. Tous deux reprirent des forces en discutant de la routine.

- (Mustéflott) Je n’avais jamais vu quelqu’un progresser aussi vite, c’est dingue ! Enfin je dis ça, mais ce n’est pas comme si j’avais déjà eu à entraîner quelqu’un auparavant…

- (Carabaffe) C’était pas la deuxième édition du Test RS ?

- (Mustéflott) Si, mais notre précédente élève était anormale.

- (Carabaffe) Dans quel sens ?

- (Mustéflott) Beaucoup trop forte. Tu parles d’une élève, seuls Pharamp et Mysdibule pouvaient lui apprendre des trucs.

Il baissa la tête, l’air ennuyé.

- (Mustéflott) Je ne m’étais jamais senti aussi inutile que durant cette période.

- (Carabaffe) Alors mon impuissance a au moins fait un heureux, je suppose.

- (Mustéflott) Qu’est-ce que tu racontes ? Tu viens de me battre à la loyale pour la première fois, et ça ne fait que deux mois que tu es parmi-nous ! À dix-huit ans, c’est un exploit inégalé !

- (Carabaffe) Et alors… ? Peu importe à quel point je deviens plus fort, je n’arriverai jamais à aller de l’avant si je…

Il regarda ses mains avec dédain.

- (Carabaffe) … Laisse-tomber.

- (Mustéflott) Vos séances avec Arkéapti ne donnent rien ?

Il nia d’un mouvement de tête.

- (Carabaffe) Je ne sais pas quoi faire contre mes pulsions…

- (Mustéflott) Hé, ne t’en fais pas…

Le maître posa une main sur l’épaule de son élève.

- (Mustéflott) On trouvera une solution.

- (Carabaffe) … Merci. J’aurai aimé que tout le monde… soit comme toi, Musté.

- (Mustéflott) Et par tout le monde, tu veux dire Pharamp ? On en a déjà parlé, tu sais très bien qu’il ne te rejette pas.

- (Carabaffe) Son expression disait autre chose, quand il a appris mon problème.

- (Mustéflott) Il finira par t’aider, parce qu’il est comme ça. Laisse-lui juste le temps, d’accord ?

- (Carabaffe) Mouais…

Le silence s’installa lentement, avant qu’Arkéapti n’ouvre la grille de l’arène.

- (Arkéapti) Les enfants… ?

Il plongea sans le vouloir les pattes dans le tas de flotte ambulant.

- (Arkéapti) Oh là là, vous n’y allez pas de main morte… ! Musté, j’espère que tu ne le surmènes pas trop !

- (Mustéflott) Moi ? Non, jamais !

Clama-t-il, en cachant dans son dos la carapace couverte d’égratignures de son élève.

- (Mustéflott) Qu’est-ce que tu veux ?

- (Arkéapti) J’ai préparé un gratin de baies !

- (Mustéflott) Oh, c’est juste pour ça… ?

- (Arkéapti) Tu n’en veux pas ?

- (Mustéflott) Bah si, évidemment !

Il fonça vers la cuisine, laissant un Carabaffe perplexe se redresser à son rythme. Cette situation était la même que depuis ces deux derniers mois. Il progressait en tant qu’explorateur, il se renforçait dans tout un tas de domaines, il rencontrait et enregistrait un nombre incalculable de contacts de Loliloville et même d’ailleurs. Mais il se sentait insatisfait, ou plutôt incomplet.

Il n’était plus en contact avec Macronium, tout comme avec Lucario, Raichu ou Reptincel. Il n’avait pas le numéro de son père, le sage Mégapagos qui vivait à Bourg-Tranquille. Il avait beau lui envoyer des lettres pour s’informer, jamais il ne recevait de réponses. Fondamentalement, il n’avait que l’équipe RS pour s’alléger l’esprit. Hélas, Pharamp n’était pas à la hauteur de ses espérances. Il ne l’entraînait presque pas, et le conseillait seulement lors des missions dans lesquelles l’équipe entière était réunie. Mysdibule l’ignorait, mais cela concernait tout le monde. Il trouvait cela pitoyable, surtout qu’il se doutait pouvoir apprendre beaucoup d’elle. Dedenne lui donnait des leçons d’informatiques. Ils se parlaient dans le laboratoire de la fondation, mais jamais en-dehors. Seuls les trois derniers étaient plus ouverts : Sapereau était celui qui lui apprenait le plus sur le terrain, Arkéapti le chouchoutait comme son propre enfant et Mustéflott l’entraînait plus sérieusement dans leur temps libre. En résumé, une routine chargée et beaucoup de progrès pour peu, très peu de réconfort derrière.

Ceci-dit, ce jour-là :

- (Arkéapti) Oh, par ailleurs, mon grand ; un tas de lettres t’a été livré.

- (Carabaffe) C’est vrai… ?

- (Arkéapti) Oui, au moins une dizaine ! Qui sait pourquoi elles n’arrivent que maintenant, mais elles sont là !

- (Carabaffe) Wow… ! Euh… ok, merci Arkéapti !

Il les récupéra et fonça les lire dans ses compartiments. En deux mois, il avait reçu une cinquantaine de lettres. La plupart étaient anonymes et… hélas désobligeantes vis-à-vis de son nouveau titre d’explorateur au sein de la meilleure équipe du monde. Que ce soient des participants à l’examen, des hors-la-loi ou simplement des citoyens détestant le métier, personne ne se privait pour l’insulter et le menacer à tout va. Il prétendait n’en avoir rien à faire, mais au fond, cela jouait beaucoup sur son moral au quotidien. Ce n’était pas seulement du privé : même à la télévision, les journalistes et intervenants remettaient en question sa présence, son titre, son rôle.

Il continuait malgré tout d’ouvrir les lettres, espérant par-dessus tout avoir une nouvelle de la famille. Même celles qui provenaient de Loliloville, peu importe, il avait besoin de se rattacher à quelqu’un.

Et ce jour-là, donc… il ouvrit la lettre de trop :

« Cher Carabaffe ;

           Mon nom, tu le connais. Tu l’as même déjà partagé. Je tiens tout d’abord à te présenter mes plus sincères excuses pour ne pas avoir pris contact plutôt, mais je devais m’assurer que c’était bien toi. Toi, un enfant né dans des conditions déplorables. Toi, élevé par un indifférent aux confins de ce qui n’a jamais été tes terres, dans ce petit et isolé village nommé Bourg-Tranquille. Toi, qui comme je l’ai appris récemment, aura malgré tout sauvé le monde. Accomplir un tel exploit alors qu’ils ont toujours cherché à te faire renier tes capacités, tes origines… ce n’est pas anodin. Tu es forcément le petit frère que j’ai perdu il y a bientôt dix-sept ans, au même titre que nos parents disparus selon des raisons « inconnues ». Et moi, je suis ta grande sœur qui cherche à retrouver ma famille depuis tant d’années, et je suis vraiment en train d’écrire cette lettre. Même à moi, cela me semble improbable. Et pourtant… jamais nous ne fûmes aussi proches l’un de l’autre. Je suis aussi à Loliloville, j’habite les quartiers pauvres. Mais même cette frontière ne m’a pas empêché de savoir qui était le nouvel élève tant controversé de l’équipe RS. Alors voilà ce que je te propose : retrouve-moi chez-moi. Je ne te demande pas de prévenir, juste… viens. Je veux te voir, je veux te retrouver ! Si ce sentiment est réciproque, alors je t’attends au trente-huit rue Scarabrute le navrant, au deuxième étage d’un immeuble dont nous sommes les derniers résidents.

Merci d’avoir pris le temps de me lire, et à bientôt je l’espère.

Ta grande sœur, Carapuce. »

Il resta bien une heure, seul et immobile face à la lettre. Son souffle tremblait, ses yeux peinaient à se fermer. Il la décortiqua dans tous les sens, il fouilla dans le reste des lettres envoyées et se demanda une multitude de fois si tout cela n’était qu’une vague supercherie. Beaucoup de gens lui voulaient du mal, peut-être l’attirait-on dans un piège. Dans les quartiers pauvres, qui plus est, il serait seul.

- (Carabaffe) Non, il faut que je vérifie… !

- (Sapereau) Hein ?

Demanda Sapereau, en passant à côté de sa chambre. Le type eau se tourna en sursaut, cachant la lettre dans son dos.

- (Carabaffe) Euh… nan, rien, j’me parle à moi-même.

- (Sapereau) Ça va aller… ? Tu trembles, mec.

- (Carabaffe) Ouais ouais, c’est bon…

- (Sapereau) S’il se passe quoique ce soit de grave, tu sais que tu peux nous en parler, hein ?

- (Carabaffe) J’ai dit que c’était bon ! Merde, laisse-moi respirer !

- (Sapereau) Ok, au temps pour moi… !

Sur sa demande, il le laissa à nouveau seul. Carabaffe regarda une dernière fois la lettre, l’air déterminé avant de la ranger dans sa poche. Il ne comptait pas passer à côté de cette unique et indiscutable opportunité. Peut-être était-ce faux, très certainement, même ; mais si cela pouvait vrai… alors le risque en valait la peine.

Il s’éclipsa peu avant quinze heure sans ne prévenir personne. Il mit une heure à entrer dans les quartiers pauvres, ainsi qu’une autre à trouver la bonne rue. La deuxième partie n’aurait dû durer aussi longtemps : il s’était assuré d’entrer dans les ruelles délabrées qu’après avoir emprunté le chemin le plus avantageux, pour un habitant « riche » de Loliloville. Comme tous les explorateurs, il n’avait jamais franchi la frontière. Il se trouvait donc hors repères, mais n’avait à priori que quelques ruelles à traverser avant d’arriver à destination. Cette traversée fut infernale. Quasi personne ne croisait sa route, pourtant, il ne s’était jamais senti aussi observé que maintenant. Il tremblait, il avait l’impression qu’un gang allait lui sauter dessus à chaque coin de rue. Voilà pourquoi il mit autant de temps, avant de finalement faire face à un pauvre immeuble de deux étages. Celui au trente-huit rue Scarabrute le navrant, il s’y trouvait enfin.

Son téléphone vibra. Il le regarda rapidement :

Mustéflott : T’es où ?? On va partir en mission, là !

Avant de le ranger sans se soucier plus de ce qu’il se passait hors de ce bâtiment. Il devait rester concentré.

Il traversa la porte d’entrée, monta des escaliers grinçants jusqu’au dernier étage, là où un grand couloir lui fit face. Mais seule une porte était correctement fermée, les autres semblaient donner sur des résidences abandonnées. Seule une pauvre ampoule presque usée illuminait cet intérieur à l’odeur de bois cramé, aux moisissures reliant sol et murs et à l’atmosphère pesante.

Il s’avança tout de même, il continua malgré tout.

*TOC* *TOC*

Il frappa un peu trop brusquement. Le stress mélangé à la qualité déplorable de ladite porte fit ressembler son arrivée à une intervention musclée. Devait-il prévenir oralement sa sœur de ne pas s’inquiéter ? Il le voulait, avant de regarder ses mains : il tremblait comme une feuille. Les seules autres fois où il était dans cet état furent lorsque ses pulsions le contrôlaient, et cela l’effraya.

Il ne voulait pas lui faire du mal, pourtant, il était venu malgré le danger qu’il représenter pour autrui.

Il commença à reculer, puis tourna complètement le dos à la porte qui commençait à s’ouvrir. Il voulait s’en aller, ça y est, il regrettait tout !

Soudainement et par reflexe, il s’abaissa. Puissamment et par surprise, une batte de baseball lui passa juste au-dessus, là où son crâne était il y a une seconde. Il se retourna, et bloqua de justesse la deuxième tentative d’assassinat à son encontre. Le Pokémon qui la tenait était un quadripède de petite taille et corpulence. Jaune et violet d’une peau faite en carapace, il maintenait l’arme avec deux géants gants de boxe. C’était un Pokémon crabe, couvert de pauvres accoutrements délabrés. Mais son regard laissait présager une détermination d’acier.

- Qu’est-c’que tu nous veux !?

Carabaffe lui répondit d’un coup de pied en pleine tête. Il l’envoya valser à l’intérieur de l’appartement tout en récupérant la batte, qu’il jeta au bout du couloir avant de s’incruster chez autrui.

- (Carabaffe) C’était un putain de piège !? Tu vas payer pour ça, espèce de sale… !

Il s’arrêta brusquement. Sa victime était toujours au sol, elle peinait à se redresser. Non, le choc se trouvait à côté. Un autre Pokémon se trouvait dans la pièce, l’air tétanisé en voyant le crabe malmené aussi facilement. C’était une femme, qui rampa jusqu’à celui qui semblait être son partenaire d’un air inquiet.

- Tiens le coup, Crabagarre… !

Carabaffe resta bouche bée quelques instants. Il desserra les poings, reprit son souffle puis prit enfin la parole.

- (Carabaffe) … Carapuce… ?

Elle se tourna, horrifiée.

- (Carapuce) C’est toi… Carabaffe… ?

Elle se leva en tremblotant.

- (Carapuce) Pitié, dis-moi que c’est toi… !

Il la laissa approcher puis lui hocha la tête en se crispant les lèvres. Lui aussi, se mettait à avoir les larmes aux yeux. Et d’un coup, elle explosa en sanglot dans ses bras. Il l’enlaça, se mettant à pleurer à chaudes larmes à son tour. Il n’en revenait pas, sa vie venait de prendre une tout autre tournure en quelques secondes seulement.

La demi-heure d’après, tous deux étaient cloués sur le petit canapé de l’appartement. Ils s’étaient remis de leurs plus brusques émotions, pour discuter avec tout de même un timbre de voix tremblotant.

- (Carabaffe) Alors… c’est ici que tu vis ?

La questionna-t-il, en fouillant d’un regard navré les alentours. De vieux journaux trainaient sur la table basse, accessoirement la seule table de l’appart. Leur seul autre moyen d’information était une petite radio qui grésillait. Le canapé servait de lit, le matelas au sol également. Le radiateur sous la fenêtre prenait beaucoup trop de place, ce n’était pas comme s’il fonctionnait. Un frigo servait de cuisine, et c’était tout. L’autre pièce recelait des toilettes seulement, la douche était commune à l’immeuble.

- (Carabaffe) C’est… déplorable !

- (Carapuce) Je suis désolée de t’accueillir dans de telles conditions.

- (Carabaffe) Tu rigoles ? C’est moi qui déconne ! Comment je peux vivre dans le luxe alors que ma… sœur, ma grande sœur vivait un enfer depuis tout ce temps… !? Je n’étais pas au courant de ton existence, mon père ne m’a jamais laissé supposer que j’en avais une.

- (Carapuce) Ton père ? Tu veux dire Mégapagos ?

- (Carabaffe) Ouais, pardon, Mégapagos. Comment peux-tu autant en savoir sur moi ?

- (Carapuce) Je n’ai jamais arrêté de te chercher. Depuis mon plus jeune âge, celui qui se servait de moi m’a bien fait comprendre que je n’étais ni sa fille, ni quoique ce soit d’important pour lui ou la société. Il disait que nos parents pouvaient l’enrichir grâce à moi, que parce que j’avais leur sang, j’étais destinée à finir dans un laboratoire à servir une cause qui me dépasse.

- (Carabaffe) Qu’elle ordure… ! Qu’est-il devenu ?

- (Carapuce) Je l’ai tué.

Le jeune adulte écarquilla les yeux.

- (Carabaffe) Quoi… ?

Son téléphone sonna. C’était Pharamp.

- (Carapuce) Prends-le, si c’est important…

- (Carabaffe) Nan…

Il rejeta l’appel.

- (Carabaffe) Personne ne me fera changer de sujet. Tu as tué un Pokémon… ?

- (Carapuce) Je n’avais pas le choix, il allait me vendre à une secte. Alors je l’ai tué et je me suis enfuie loin, le plus loin possible de ce fichu continent Ouest ! Les années passaient à une vitesse folle, et je survivais comme je le pouvais. C’est là que j’ai rencontré Crabagarre, c’est là qu’il m’a appris l’existence des quartiers pauvres de Loliloville. Aujourd’hui, nous vivons ensemble comme nous le pouvons…

Le Pokémon crabe en question déposa un plateau de repas pour la petite famille aquatique.

- (Carabaffe) Ah, euh… désolé pour ce que je t’ai fait. Je pensais que tout ceci était un piège.

- (Crabagarre) C’est rien. Ta sœur était tellement obsédée à l’idée de t’retrouver, et moi je t’ai attaqué sans réfléchir, c’était idiot.

- (Carapuce) Ne t’en fais pas, Crab, tu as bien agi.

- (Carabaffe) Ah ouais… ? Il a failli me tuer.

- (Carapuce) Nous sommes bien obligés d’attaquer sans prévenir. Ici, les pilleurs sont nombreux.

- (Carabaffe) Tu vises toujours la tête ? Y a déjà eu des morts, je suppose… ?

- (Crabagarre) Ça ne m’regarde que moi, ça.

Il quitta la pièce sur ces mots, et Carabaffe se montra perplexe.

- (Carapuce) Tu peux lui faire confiance.

- (Carabaffe) Je suis explorateur, ce n’est pas mon rôle de faire ami-ami avec des assassins.

- (Carapuce) Tu me traites d’assassin… ? Tu penses que j’aurai dû me laisser vendre ? Tu penses que j’avais le choix… ?

- (Carabaffe) … Je pense qu’on a toujours le choix.

- (Carapuce) Ta crédulité me vexe. Si j’avais eu le choix, évidemment que je me serais enfuie sans le toucher. Je ne suis pas comme toi, je n’ai pas la capacité de sauver le monde.

- (Carabaffe) Je n’ai pas sauvé le monde, la guilde l’a fait. Seul, je n’aurai rien pu faire.

- (Carapuce) J’étais seule.

Il baissa la tête, l’air hélas compréhensif.

- (Carapuce) Du coup, je suis coincée ici. Si je sors, je deviens une fugitive facilement arrêtable par des explorateurs qui jamais ne chercheront à comprendre ma situation. Si je reste, je suis une potentielle victime de toutes les ordures qui cherchent à vivre dans le seul but d’emmerder les autres. Mon passé me condamne à vivre un enfer perpétuel et, un jour, tout basculera. Je le sais, le jour où quelqu’un d’aussi fort que toi viendra avec de mauvaises intentions… qui sait ce qui m’arrivera… ?

- (Carabaffe) Parce que tu crois que j’ai l’intention de t’abandonner ?

- (Carapuce) Tu m’as traité d’assassin…

- (Carabaffe) Et j’en suis désolé.

Elle y parvint.

- (Carabaffe) Tu as raison, j’ai eu tort, tu as bien fait d’agir comme cela. Te juger était déplacé, le problème est que… Mégapagos m’a toujours appris à ne pas chercher à comprendre les gens comme toi.

- (Carapuce) Tu crois que c’est un hasard ? Mon père adoptif comme le tien, ils cherchaient tous les deux à nous maintenir éloignés ! Nous avons une âme de combattants, nous descendons de deux féroces combattants, et ils le savaient !

- (Carabaffe) Comment ça… ?

- (Carapuce) Mégapagos ne t’a jamais dit qui nos parents étaient réellement ? Des espions du gouvernement, de véritables héros qui par-dessus tout voulaient se débarrasser des pires sectes et organisations criminelles du monde !

Le petit frère se montra bouche-bée, sous le choc de la révélation. Des étoiles lui apparaissaient dans les yeux, il avait l’impression de redevenir enfant, curieux d’un passé que son père adoptif lui avait toujours caché.

- (Carabaffe) Vraiment… !?

- (Carapuce) Nous avons cinq ans d’écart. Quand les choses ont mal tourné, j’en avais sept et toi deux. Nous voyagions beaucoup et partout autour du globe, alors j’étais malgré moi plutôt au courant de ce qu’ils faisaient. Un jour, alors que je te gardais, des hommes en noir sont venus nous kidnapper. Nous nous sommes retrouvés face à notre mère, blessée et attachée dans une cave, alors qu’un homme différent des autres lui marmonnait quelque chose.

- (Carabaffe) Comment ça, différent ?

- (Carapuce) Plus grand, plus imposant, plus effrayant et pourtant beaucoup plus calme. Il avait quatre bras, tous d’une couleur différente et couverts de cicatrices. Tout le monde le respectait, tout le monde le redoutait.

- (Carabaffe) Et donc !? Qu’a-t-il fait à nos parents, que nous a-t-il fait à nous !?

- (Carabaffe) Nous, rien du tout. Nous nous sommes fait emmener peu après son arrivée. Ma présence dans cette cave fut courte, mais ce fut l’instant le plus terrifiant de toute ma vie. Notre père, lui, n’était pas là. Avec du recul… je pense qu’il s’est fait exécuter lors de la mission qui a mené notre mère à se faire capturer. Et elle, justement… était changée. J’en pleurais toutes les larmes de mon corps, parce que je ne la reconnaissais plus. Son regard était vide, elle ne me voyait plus, elle ne m’entendait plus… !

Il la regarda avec de grands yeux.

- (Carapuce) Tu ne me crois pas… ?

- (Carabaffe) … Si. Malheureusement, je suis obligé de te croire…

- (Carapuce) Pourquoi ?

Il se toucha douloureusement le ventre.

- (Carabaffe) Le jour où j’ai évolué… j’ai eu une vision… et elle m’a traumatisé… !

- (Carapuce) Une vision de cet instant… ? Tu n’avais que deux ans !

- (Carabaffe) Et pourtant…

Il se souvenait chaque mot de cet effroyable échange. Ça lui était venu lors de son affrontement face à Reptincel, autrefois Salamèche, dans l’ancienne Zone de Victoire de la guilde pour décider de qui serait le chef de la Dream Team. Déjà à l’époque, il en était terrorisé :

« - Non.

- Tu es sûre ?

- Il ne vaut rien, j’en suis certaine.

Un léger silence régna.

- Bien. Présente-toi donc à nouveau.

- … Mon nom est Tortank, je suis une femme qui dédie sa vie, sa volonté et sa foi au seul et unique dieu de notre multivers. Je combattrai pour vous, je n’ai que vous à satisfaire.

- Qui t’entoure ?

- Personne.

- Qui t’entourait ?

- … Personne.

- N’avais-tu pas une famille, un époux, deux enfants ?

- Qu’importent qu’ils étaient, ils ne sont plus.

- Alors qui se trouve à mes pieds ?

- … Un mort-né.

Le bruit d’une violente explosion retentie, à la suite de cette réplique. Tout se brouilla, tout disparut. »

La grande sœur se couvrit la bouche de terreur, en entendant cela. Les larmes lui venaient, mais elle se retint, reprit son souffle et confirma la vision de son petit frère qui, de son côté, était convaincu de ce qu’elle disait.

- (Carapuce) Elle est morte sous nos yeux. Je te pensais épargné de cette scène atroce au vu de ton jeune âge, mais il est vrai que l’évolution remémore un souvenir marquant, même s’il est vaguement enregistré par un cerveau en pleine croissance.

- (Carabaffe) Et après ça… ? Que sommes-nous devenus ?

- (Carapuce) Nous avons été séparés. Je me suis retrouvée sous la garde d’un salopard, et toi de Mégapagos.

- (Carabaffe) Tu dis ça comme si il faisait partie de toute cette sombre histoire…

- (Carapuce) Ce n’est pas censé être le cas ?

- (Carabaffe) Il est le cousin de notre père. Il m’avait dit m’avoir adopté après qu’un orphelinat m’ait récupéré, à Loliloville.

- (Carapuce) Non, j’ai vérifié, aucune trace d’un bébé Carapuce dans les dossiers de tous les orphelinats du monde, entre 219 et 222. Il t’a délibérément menti pour ne pas que tu découvres la vérité.

- (Carabaffe) Mais… euh…

- (Carapuce) Pourquoi cherches-tu tant à le défendre ? Est-ce qu’il est là pour toi, au moins ?

Le silence régna quelques instants, avant que le petit frère ne ferme honteusement les yeux.

- (Carabaffe) Non… Je lui ai envoyé une dizaine de lettres depuis que je suis à Loliloville, mais je n’ai jamais eu de réponse.

- (Carapuce) Carabaffe… quand je te dis que je t’ai cherché toute ma vie, je ne mens pas. J’ai épuisé tous les dossiers possibles et imaginaux, et je n’ai rien trouvé ! J’ai appris que tu vivais à Bourg-Tranquille depuis toutes ces années lorsque tu étais à la guilde, et donc quand tu n’y étais plus. Ensuite, tu es arrivé ici mais à nouveau, tu m’étais inaccessible du simple fait de ne jamais t’être rendu dans les quartiers pauvres.

- (Carabaffe) Ouais, je sais…

Il ferma les poings.

- (Carabaffe) Donc Mégapagos se jouait de moi depuis tout ce temps… ? Je… je ne veux pas y croire, c’est pas possible… *snif*

Il essuya nerveusement sa morve, mais sa grande sœur lui attrapa les mains.

- (Carapuce) C’est bon, laisse-toi aller, c’est normal de ne pas supporter ce genre de révélations.

- (Carabaffe) Toute ma vie… n’est qu’un foutu mensonge !

- (Carapuce) Plus maintenant, Carabaffe. Je suis là, et je serai là pour toi, désormais. Enfin… cela ne tient qu’à toi.

- (Carabaffe) Je ne t’abandonnerai pas, je l’ai déjà dit !!

- (Carapuce) Alors je ne t’abandonnerai pas non plus. La famille est enfin réunie, et c’est tout ce qui compte… !

Ils s’enlacèrent chaleureusement et, à nouveau, Carabaffe lâcha quelques larmes. Puis, son téléphone le ramena une énième fois à la réalité en sonnant brutalement. Saoulé, il l’attrapa et s’apprêta à le jeter loin de lui, mais sa grande sœur l’en empêcha.

- (Carapuce) Non, arrête… !

- (Carabaffe) C’est ce putain de numéro un, celui qui est incapable de s’occuper de moi ! Pourquoi je devrais lui répondre maintenant !?

- (Carapuce) Parce que tu fais partie de l’équipe RS… ! Ne gâche pas cette superbe opportunité et répond-lui.

- (Carabaffe) Tu trouves ça bien, que je sois explorateur… ? Je veux dire, ils n’ont jamais rien fait pour aider nos parents, si ?

- (Carapuce) Non, en effet, mais il ne faut pas faire de généralité. En tant qu’explorateur, tu as le pouvoir de faire changer les choses. Alors deviens plus fort, quitte à apprendre aux côtés de gens qui ne te comprendront jamais.

- (Carabaffe) … Ouais, compris.

Il répondit donc à son chef d’équipe.

- (Pharamp) CARABAFFE !!! Où es-tu, bon sang !?

- (Carabaffe) Loin, partez sans moi.

- (Pharamp) C’est fait, l’excursion quotidienne est même déjà terminée ! Mais tu as fui à ton devoir, bonhomme !

- (Carabaffe) Ça va, lâchez-moi la grappe au moins une journée, sérieux…

- (Pharamp) Rentre immédiatement à la fondation.

Il raccrocha juste après. Le type eau soupira, mais sa sœur attrapa et lui tendit sa veste.

- (Carapuce) Allez, va ! Le devoir t’appelle !

- (Carabaffe) Merci… C’est cool, d’essayer de prendre soin de moi.

- (Carapuce) C’est normal, enfin, je suis ta grande sœur ! Évolue avant moi si cela te chante, je serais toujours l’aînée, ah ah !

Elle parvint à le faire sourire.

- (Carapuce) Rends-moi visite dès que tu le peux !

- (Carabaffe) Donne-moi ton numéro.

- (Carapuce) Je n’ai pas de téléphone, c’est beaucoup trop cher pour nous.

- (Carabaffe) Merde, c’est vrai. Ok, dans ce cas on se dit à demain. Salut et… merci pour tout. Vraiment.

Elle lui hocha la tête, et il sortit de l’appartement. Un quart d’heure plus tard, il avait quitté les quartiers pauvres. L’atmosphère frais et allégé de l’extérieur lui permit de souffler un bon coup. Il repensa à toute sa conversation, des milliers de questions lui trottaient l’esprit. Mais ce qui était sûr est qu’il avait hâte de la revoir. À ses côtés, il s’était senti monstrueusement à l’aise.

Puis… vint l’inévitable réprimande de son équipe.

- (Pharamp) PARDON !? Non seulement tu es parti sans prévenir, mais en plus pour t’enfoncer dans les quartiers pauvres !? Qu’est-ce qui t’es passé par l’esprit, tu m’avais promis de ne pas y aller !!

Malgré tout, le type eau ne révéla pas ses véritables intentions. Il ne portait pas suffisamment Pharamp dans son cœur pour.

- (Carabaffe) Ça va, je sais me défendre, bordel ! J’avais juste besoin de vérifier un truc, c’était vraiment important !

- (Pharamp) Plus important que sauver des vies !?

- (Carabaffe) On fait ça tous les jours !! Et puis c’est pas comme si vous n’étiez pas capable de tout faire tout seul ! À chaque fois que je suis mis en position délicate, vous intervenez et me laissez JAMAIS faire un choix !!

- (Pharamp) On en a déjà parlé ! Quand les victimes sont en danger, J’INTERVIENS !!

- (Carabaffe) Et comment voulez-vous que je devienne comme vous, avec des conditions pareilles !?

- (Pharamp) Tu ne deviendras JAMAIS comme moi !!

Le silence régna soudainement. Carabaffe écarquilla les yeux, Pharamp resta stoïque.

- (Arkéapti) Ok, ça suffit, vous deux !

Bienheureusement, le type vol de l’équipe intervint avant que tout n’empire.

- (Arkéapti) Pharamp, arrête de l’enfoncer ! Il a commis une erreur, tu la lui exposes et le sermonne pour, rien d’autre !

- (Pharamp) Non, Arkéapti, ce n’est pas qu’une erreur ! Je fournis des efforts, j’essaie de me libérer pour lui et c’est comme ça qu’il me remercie ! Tu n’es qu’un pauvre absentéiste qui fuis ses responsabilités !

- (Mustéflott) Hé, t’es rude, là.

Mustéflott intervint à son tour.

- (Mustéflott) Il ne refuse jamais un entraînement.

- (Dedenne) Ni un cours de codage, d’ailleurs, et pourtant les dieux savent à quel point c’est chiant !

Clama Dedenne à son tour.

- (Sapereau) C’est vrai qu’il saisit toutes les opportunités pour progresser, tu ne peux pas lui reprocher ça.

- (Pharamp) Donc vous vous montez tous contre moi pour le protéger ? Que l’on soit clair, s’isoler dans les quartiers pauvres n’est pas anodin. Tu t’en es allé sans prévenir, en fait, c’est plus suspect qu’autre chose. Que tu ne veuilles pas me dire ce que tu as fait, c’est ton choix, mais sache que nous ne tolérons pas les perfides. Si jamais nous découvrons quoique ce soit de louche à ton sujet, tu peux dire adieu au reste de ton année à nos côtés, est-ce bien clair ?

- (Carabaffe) … Entendu.

- (Pharamp) Bien.

Le numéro un s’en alla sur ses mots. Mysdibule également, elle n’avait fait qu’observer.

- (Dedenne) Bon, là-dessus, difficile de le contredire. Mais tu ne fais rien de louche, rassure-nous ?

Il nia d’un mouvement de tête.

- (Arkéapti) Tout de même, je le trouve excessivement dur avec lui.

- (Sapereau) Il a l’air de regretter le Test RS. Les conditions de victoire, hein, pas spécialement toi.

- (Mustéflott) C’est trop tard pour les regrets. Maintenant qu’on a une nouvelle recrue, on doit assumer notre rôle et faire de notre mieux pour l’entraîner, lui également.

- (Arkéapti) Oui, je suis entièrement d’accord avec toi.

- (Carabaffe) C’est bon, cherchez pas à m’défendre…

Le type eau partit s’enfermer dans ses compartiments, seul et satisfait de cette situation. Après avoir rencontré sa grande sœur, il savait ce qu’il voulait : vivre avec elle. Il commença à remettre en question l’éducation de Mégapagos ainsi que les règles sociales basique de ce monde.

Pourquoi s’emmerderait-il à devenir ami, à comprendre différentes espèces alors que le contact fut si naturel, si franc, si direct et si satisfaisant, avec sa grande sœur biologique ? Aucun stress, aucun jugement, aucune question encombrante comme « Qu’est-ce qu’il peut bien penser de ça ? » ou « Est-ce qu’il se sent oppressé ou dérangé si je dis ou fais ça ? ». Il avait beau ne connaître Carapuce que depuis quelques heures, il ne s’était jamais senti autant à l’aise à ses côtés que nulle part ailleurs en aussi peu de temps.

Et maintenant qu’il savait qui il était, il comprit ce qui était vraiment important pour lui : la famille. Il était prêt à tout abandonner pour sa sœur, même si elle lui confirma sa pensée le jour suivant, celle de ne pas abandonner son rôle au sein de l’équipe RS pour son expérience personnelle.

Oui, évidemment qu’il était revenu. Le jour d’après aussi, le jour d’encore après également. La semaine qui suivit, il fut souvent absent de la fondation. Mais comme il fit l’effort de prévenir, comme Carapuce lui avait conseillé, Pharamp ne l’embêta pas plus que cela. Cela l’arrangeait même : il pouvait consacrer plus de temps à SES activités personnelles.

- (Pharamp) Si tu aperçois Carabaffe, je veux que tu l’arrêtes sur le champ.

- (Reptincel) Pardon… ? Pourquoi ferais-je une chose pareille ? Qu’a-t-il fait ?

- (Pharamp) Il est suspect, et pourrait potentiellement devenir un problème pour notre mission.

Il resta vague, quand il exposa le problème à son élève caché. Ce dernier acquiesça sans se poser plus de question, et de toute évidence, sa routine ne fut pas plus affectée par les visites de Carabaffe qu’il ne croisait de toute façon jamais.

Un soir, cependant, le frère et la sœur se rendirent visite à l’intersection d’une ruelle délabrée et d’une rue bien plus propre.

- (Carabaffe) Désolé, je ne pouvais pas attendre plus longtemps. Tiens.

Il lui tendit un téléphone neuf.

- (Carapuce) Quoi… !? Attends, c’est vraiment pour moi ? Bon sang, mais combien as-tu dépensé pour l’obtenir !?

- (Carabaffe) Ce n’est rien, quand on bosse chez l’élite. Le truc, c’est que je ne vais pas pouvoir te rendre visite aussi souvent que je le voudrais. Pharamp m’a à la grappe, je le sens bien. Quand je pars explorer, je sens sa présence pas loin… il m’espionne.

- (Carapuce) Quel manque de confiance ridicule…

- (Carabaffe) Tant pis, on s’adapte. J’ai déjà enregistré mon numéro, le reste, c’est-à-toi de gérer.

- (Carapuce) Très bien. Merci beaucoup, p’tit frère.

- (Carabaffe) Appelle-moi au moindre problème, compris ?

- (Carapuce) Toi aussi, promets-le moi !

- (Carabaffe) Tu sais très bien que ce n’est pas nécessaire.

Répondit-t-il d’un sourire sincère, avant de se séparer d’elle. Elle rentra, l’engin tout d’abord en main, avant de croiser le regard de différents types dans ses quartiers. Elle le rangea mais il était trop tard : ils avaient tous vu.

La minute qui suivit fut atroce. Elle courut de toutes ses forces, hélas, la supériorité numérique la dépassa quoiqu’elle fasse.

- Bah alors, qu’est-ce qu’on avait là ?

Demanda l’un de ses ravisseurs, en tentant de récupérer le téléphone. Elle le gifla tout en reculant, mais c’était un cul-de-sac.

- Ah ah ! Elle t’en a mis une sacrée bonne, mec !

- Putain… ! Attrapez-la, les gars !!

- (Carapuce) Non, arrêtez !!

Les choses allaient mal tourner, lorsque ce que les gens du coin appellent « l’éclair rouge » s’introduisit depuis les cieux. À lui seul et en un rien de temps, il confronta et assomma le groupe entier venu s’en prendre à la pauvre Carapuce.

Quand Reptincel lui tendit une main, il écarquilla les yeux de surprise. Elle la saisit et se releva, pendant qu’il nia d’un mouvement de tête celui qu’il pensait avoir sauvé. Elle regarda son téléphone : il était intact.

- (Carapuce) Merci beaucoup… !

- (Reptincel) Pas de problème. Je vous raccompagne ?

- (Carapuce) Ce n’est pas nécessaire, j’habite juste à côté.

- (Reptincel) Entendu. Bonne soirée, madame.

Il s’en alla aussi vite qu’il était arrivé, l’air à priori indifférent vis-à-vis des autres victimes qu’il avait l’habitude d’aider. La vérité est qu’il s’arrêta sur un toit d’immeuble, perplexe à l’idée de la suivre malgré tout jusqu’à chez elle. C’était une Carapuce et, en la discernant une première fois, il n’avait vu autre chose que son rival d’antan. Peut-être que Pharamp avait confondu les deux personnages, se demanda-t-il en repensant à la dernière conversation entretenue avec lui.

Finalement, il décida de la laisser tranquille. Elle n’était qu’une pauvre citoyenne victime du manque de richesse de ses quartiers, rien d’autre. Et si c’était le cas, il aurait tout de même été irrespectueux de chercher à l’espionner après ce qu’elle avait vécu.

De son côté, donc, Carapuce rentra chez elle en toute sécurité. Crabagarre l’attendait avec impatience et, lorsqu’elle lui montra l’appareil, tous deux sursautèrent de joie. Leur plan fonctionnait à merveille. Oui, car cela faisait partie de leur plan… comme tout ce qu’ils entreprenaient depuis le début.

- (Carapuce) Il se fait malmener par son équipe. Encore quelques semaines dans ces conditions, et il la quittera quoique j’en dise.

- (Crabagarre) Ce qui ne nous arrange pas, étant donné qu’on communique surtout avec Roitiflam pour les infos que l’gamin te donne. Avec ce téléphone, d’ailleurs, ce sera beaucoup plus simple, ah ah !

- (Carapuce) Ouais, c’est vrai. Quel petit frère respectable, tout de même ! Il fait de sacrés cadeaux à la seule famille qui lui reste pour être certain de ne pas la perdre, c’est à la fois mignon et pitoyable.

- (Crabagarre) T’avais l’air tellement sincère, quand tu lui disais que tout ce qui comptait était la famille…

- (Carapuce) Je le pense vraiment, Crab.

Elle vint s’installer à ses côtés sur le canapé et lui encercler les joues de ses tendres et douces mains.

- (Carapuce) Tu es ma famille, toi et personne d’autre.

Et elle l’embrassa sur ses mots.

- (Crabagarre) Oh ouais, ah ah… ! Merci, c’est vrai que c’est un peu chiant de t’voir jouer un rôle qui n’te correspond pas pour l’travail. Mais au moins, on sera récompensé à notre juste valeur !

- (Carapuce) C’est vrai que si ça marche, la DDR nous rendra bien plus riche que n’importe qui dans ces foutus quartiers ! Et j’ai hâte, si hâte de ne plus avoir à vivre ici… *soupir*

Elle s’allongea, et son partenaire la rejoignit.

Oui, il semblerait que ces deux-là ne soient pas bordés de bonnes intentions. En réalité, la rencontre du frère et de la sœur n’était qu’une expérience de la DDR pour tester Carabaffe et en apprendre le plus possible sur l’équipe RS.

Crabagarre avait fait mine de confondre l’explorateur avec un hors-la-loi venu les piller et, clairement, il l’aurait abattu s’il n’avait esquivé son coup de batte. Mais s’il ne l’avait pas fait, il n’aurait pas été digne d’être une potentielle prochaine recrue pour l’organisation. Le fait est qu’ils purent jouer sur le stress de Carabaffe et le violent coup qu’il donna sur la porte sans le faire exprès pour solidifier leur argumentation, et cela passa.

Ensuite, Carapuce le manipula durant leur conversation. Elle avoua avoir tué quelqu’un, ce que Carabaffe n’aurait jamais accepté. Mais en jouant sur les sentiments et en le menaçant intrinsèquement de ne pas lui révéler ce qui était arrivé à leurs parents, elle parvint à lui faire dire : « Tu as raison, j’ai eu tort, tu as bien fait d’agir comme cela. ». En d’autres termes, il approuve l’acte. Et aujourd’hui, il ne le remet plus en question, tout comme le fait que Crabagarre a très certainement déjà abattu d’autres types pour se défendre.

Il esquive le sujet et se met à côtoyer quotidiennement des meurtriers. Si Pharamp venait à l’apprendre, sa vie s’écroulerait. Alors il stress, et donc se confie à sa sœur en qui il a aveuglément confiance. Il lui dit tout : ses craintes, les problèmes de l’équipe RS ainsi que les défauts qu’il trouve à chacun de ses membres. Et tout cela, Carapuce le transmet à celui qui l’a embauché pour en apprendre toujours plus sur leur principale menace, celle qu’ils cherchent depuis tant de temps à éliminer : ces fichus explorateurs.

La DDR reprend du service, c’est indéniable.

Carapuce travaille pour eux.

Carabaffe se confie à elle.

L’équipe RS se crispe à cause de lui.

Tout ceci est le commencement d’un long et abominable cercle vicieux, qui lentement rend l’organisation criminelle la plus dangereuse du monde plus forte chaque jour, qui lentement rend la meilleure équipe d’exploration au monde plus faible chaque jour.

Les piliers s’affaiblissent lentement…

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