Donjon Mystère - Dream Team

Chapitre 39 : Seuls

4092 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/08/2021 00:33

Il avait envie de vomir.

Tout tournait, ou peut-être son esprit ne s’était toujours pas habitué. Après tout, il avait tournoyé sacrément longtemps dans ce portail. Alors quand il ouvrit les yeux, après avoir définitivement perdu la notion du temps, il voulait tout recracher. Mais il ne le put, sa bouche était scotchée. Le reste de son corps se tenait debout, enchaîné à un pilier gris, détruit et poussiéreux.

Sa vue était libre, mais à quoi bon ? Tout était sombre, extrêmement sombre. Il semblait se trouver au centre d’une grande pièce au carrelage ravagé par le temps. La figure de débris comblait les quatre recoins de la pièce, les murs étaient fissurés et une partie du plafond ouvrait involontairement sur le ciel. Pourtant, tout restait affreusement sombre.

Enfin, il entendit un premier gémissement à ses côtés. En tournant son regard à gauche, il comprit qu’un autre Pokémon se trouvait dans les mêmes conditions que lui. Il ne l’avait pas vu le rejoindre, alors le voir dans un tel état l’angoissa furieusement. Le bleu de sa peau ressortait au milieu de tout ce gris ; il s’agissait malheureusement de Carabaffe. Lui non plus ne pouvait parler.

Mais le pire fut qu’il entendit un deuxième gémissement. Un venant de sa droite, d’une voix qu’il n’avait pas réussi à se sortir de l’esprit. En tournant aussi lentement que sûrement le regard de son côté, il l’aperçu dans le même état, dans la même condition que lui et l’autre membre de la Dream Team. Ce hors-la-loi qui n’avait plus aucun droit à se prétendre faire partie de l’équipe, pourtant, il se tenait à leur côté, bâillonné pour la même condamnation.

En d’autres termes, Reptincel, Carabaffe et Massko devinrent tous les trois les nouvelles victimes de celui qui entra, l’air narquois, dans la pièce. Accompagné par non pas un, mais trois Ténéfix, Noctunoir montrait enfin son vrai visage.

 

L’histoire de la Dream Team – Chapitre 39 : Seuls

 

- (Noctunoir) Regardez-moi ces trois pitoyables demeurés, ces ignorants nuisibles à eux-mêmes seulement, ces incapables enflés d’un égo surpassant leur raison ! Les voilà, vos récompenses, voilà vos superbes et promis repas !

Les Ténéfix s’en léchaient les babines. Reptincel écarquilla les yeux de peur, Carabaffe les fronça de rage et Massko dévia simplement le sien vers ses chaînes.

- (Noctunoir) C’est ça, la peur, sois-en comblé !

Exclama-t-il, en s’approchant du type feu. Il lui attrapa le visage par le menton, le regardant de haut d’un air opposé à celui qu’il se forçait d’avoir, hors de ce monde.

- (Noctunoir) Merci encore, qui que tu sois désormais. Reptincel, c’est ça ? Honnêtement, je m’en fous, tout ce qui m’intéressait chez toi est désormais en ma possession.

Il sortit son rappelle-tout de sa propre poche, l’agitant sous le regard de plus en plus irrité de son propriétaire. C’est en le voyant qu’il commença à se débattre. Peu importe qui était réellement Noctunoir, ne plus être en possession de son bien le plus précieux dans un tel instant lui procura un puissant sentiment d’impuissance. Il se sentait faible, démunit de tous moyens combattifs. Et par-dessus tout, voir autant de travail dans les mains d’un autre, de quelqu’un qu’il croyait connaître qui plus est, l’enragea sincèrement. Le type spectre, de son côté, ne fit qu’en rire.

- (Noctunoir) Avant même de mettre les pieds dans le tas de boue qui vous servait de village, il me fallait un plan. Voler les cinq rouages du temps du premier coup m’apparaissait impossible, un second détour était inévitable. Alors il me fallait récolter des informations sur chacun d’entre vous, sur tous ceux susceptibles de m’affronter le jour de ma trahison. Je t’ai approché en premier car tu étais sur mon passage, mais jamais je n’aurai pu espérer mieux.

Il se retourna, feuilletant le carnet d’un air extrêmement intrusif tout en s’approchant lentement de Carabaffe.

- (Noctunoir) Tout ce dont j’ai besoin, absolument TOUTES les informations qu’il me fallait se trouvent dans ce tas de gribouillis ! C’est encore mieux que je ne l’imaginais, personne ne résistera à mon prochain assaut ! Le premier fut silencieux… le second sera explosif.

Il arriva au niveau du type eau, et lui afficha un air indécis.

- (Noctunoir) Pourquoi as-tu sauté ?

Un léger silence régna, Carabaffe l’embarrassait d’un regard de tueur.

- (Noctunoir) Du calme, je n’ai encore rien fait à ton entourage ! Je ne suis pas un monstre, je fais l’effort de te livrer à mes sbires avant que cela n’arrive. En fait, si j’en crois le carnet de ton chef d’équipe, je devrais te remercier. Selon lui, tu étais de loin l’apprentis le plus « balèze » de la guilde. Heureusement que je n’ai pas à t’affronter, pour le coup. Ah, et si je peux omettre une erreur…

Il se tourna à nouveau vers le type feu, et lui pointa son rappelle-tout d’un doigt.

- (Noctunoir) Sauter seul et sans savoir ce qu’un premier transfert dimensionnel provoque au cerveau Pokémon, je n’appelle pas ça agir « à l’improviste de manière toujours avisée ».

Puis, il s’avança vers Massko, l’air plus souriant.

- (Noctunoir) *soupir* Finalement, il n’y a qu’un Pokémon à qui reprocher toutes ces péripéties ; autant pour vous que pour moi, vous savez ? Massko, mon très cher Massko…

Il arriva face à lui, l’air cette fois-ci plutôt contrarié.

- (Noctunoir) En agrippant jusqu’au bout l’illusion d’espoir qui te restait, tu as vaporisé celui d’un monde tout entier, vilain salopard !

Il le gifla soudainement une première fois.

- (Noctunoir) Tu as réussi à les atteindre et à récupérer les rouages du temps à ma place, tout cela en m’ayant forgé une image qui, avec la mutinerie des apprentis, me fut indiscutable aux yeux de ce gros lourdaud de Grodoudou ! Aujourd’hui, je ne peux que t’en remercier, mais le jour de ta fuite, je t’ai tant haï…

De son autre main, il l’attrapa par le cou et le cogna brusquement contre le pilier, l’étranglant avec férocité.

- (Noctunoir) Comment t’es-tu échappé… ?

Évidemment, Massko ne pouvait pas lui répondre. Il le relâcha donc après l’avoir amèrement asphyxié, puis se retourna entièrement et marcha vers la sortie, les mains dans le dos.

- (Noctunoir) Tant pis, cela n’a plus aucune importance. Bientôt, le dernier rouage qui maintient votre monde bruyant de vies et de couleurs sera en ma possession. J’attaquerai Bourg-Trésor et serai sans pitié. Ceux qui s’opposeront à mes capacités souffriront, ceux qui s’opposeront aux analyses que ce carnet contient périront. Et enfin, enfin… le pouvoir ultime sera miens… !

Un dernier silence régna, il soupira d’extase. Puis, il quitta la pièce en achevant son long discours, sans même jeter un moindre regard à qui que ce soit.

- (Noctunoir) Votre récompense vous appartient, Ténéfix.

Ces derniers se mirent à rire, ils étaient tous les trois identiques, tous les trois auraient pu être celui qui l’accompagnait pendant toute son aventure dans l’autre monde. Pourtant, tous les trois étaient terrifiants, leurs crocs faisaient trembler, leurs extases à la vue de ces nouvelles viandes à déguster faisaient désespérer.

Ils approchaient, les griffes en avant. Reptincel était horrifié, Carabaffe aussi enragé que démunit et Massko… de son côté, continuait de regarder ses chaînes. Et sur ce dernier brin de désespoir, la torture commença. Les trois Pokémon muets enchaînèrent aussi rapidement que puissamment de grands coups de griffes. Ils ne s’arrêtaient pas et ne semblaient pas s’épuiser face à leur nourriture qu’ils commençaient à lacérer. Les coups fusaient en direction des ventres, touchants donc forcément les chaînes. La plus jeune des victimes, celle à la queue enflammée, hurlait incurablement de toutes ses forces. Le scotche couvrait d’une intensité ses cris, pourtant, les deux autres l’entendirent plus que quiconque. Eux se contractaient, forçant désespérément pour ne pas relâcher le moindre gémissement. Mais le sang coulait, il coulait déjà en jets sur les chaînes et les griffes de leurs agresseurs, tout cela pendant que des bouts de leurs vêtements volaient et que des bouts de chaîne s’écroulaient.

Voilà ce sur quoi jouait Massko, c’était en réalité son seul et unique espoir. À chaque nouveau coup et malgré la douleur, il faisait l’effort de garder les yeux ouverts. Il analysait la trajectoire des prochains, et tentait finement de se déplacer de manière à ce qu’à chaque nouvel impact, un nouveau bout de la chaîne se brise. Pendant bien quarante secondes, la torture dura sans que personne ne parvienne à y faire quoique ce soit. Reptincel se mit à voir flou, à nouveau, il allait tomber dans les vapes.

Mais au dernier moment, à l’instant où il sentit que ses bras pouvaient se déployer, Massko se déchaîna brusquement. Du sang gicla très rapidement de son poignet droit, alors qu’il tira de la main gauche une lame feuille nouvellement construite, et qui lui permit de couper sans plus tarder les dernières chaînes le retenant prisonnier. Le Ténéfix s’occupant de lui ne s’y attendait pas et son adversaire en profita pour immédiatement, et toujours dans l’action de retirer sa lame, étendre son geste le plus loin possible et atteindre de la longue portée de la lame le plus gros point faible adverse : le cou. Oui, Massko lui trancha d’un franc mouvement la tête, la faisant voler vers ses cibles, tel un sévère avertissement. Les deux autres spectres s’arrêtèrent, constatant avec indifférence le cadavre de leur comparse. En revanche, le fait qu’un de leur repas soit libre de ses mouvements les enragea, et tous deux changèrent de trajectoire pour lui sauter dessus. Mais le type plante ne les connaissait que trop bien, et les assassina d’un coup de lame avant même qu’ils ne l’atteignirent.

Il libéra ensuite les deux autres adolescents et retira le scotche de sa bouche, pendant que Carabaffe emporta le corps semi-conscient de son chef d’équipe sur ses épaules.

- (Massko) Par derrière, on évite la confrontation.

- (Carabaffe) Je te suis… !

Clama rapidement le type eau, en enlevant farouchement son scotche. Le hors-la-loi bondit alors vers le mur opposé à la sortie, et le trancha de toutes ses forces de sa lame qui se brisa sous le choc de l’impact. Peu importe, le trou était fait, et le petit groupe en profita pour fuir le plus loin possible de cette endroit plus que dangereux.

Reptincel rouvrit doucement les yeux.

L’atmosphère était strictement la même que précédemment, il sursauta donc par peur de se voir à nouveau être torturé. Mais tout était plus calme, aucun Ténéfix ne l’entourait. Il était libre, pouvait parler et bouger, tandis que son t-shirt était attaché autour de son ventre de manière à couvrir les dernières blessures infligées.

Il se redressa à son rythme, observant calmement les alentours : caché entre plusieurs grosses roches, Carabaffe semblait préparer un plan dans son coin. Mais le type feu s’avança plutôt vers le rebord de la montagne sur laquelle ils se trouvaient, obnubilé par le gigantesque paysage qu’il pouvait enfin discerner. Tout, absolument tout était gris. Le ciel n’affichait plus la moindre lueur, le vent était paralysé, comme n’importe quel élément naturel qui jamais n’aurait pu l’être dans son monde : feuilles aux arbres, herbes, courants d’eau, mers, océans, nuages et même Pokémon…

Il en voyait au loin, des sauvages changés en pierre. Certains s’étaient écrasés, et donc brisés en plusieurs morceaux. Cela le terrorisait, Reptincel recula en tremblant. Il avait à nouveau envie de vomir, mais cette fois par traumatisme. Comme plus rien ne l’en empêchait, il s’écroula et laissa tout sortir sans avoir le contrôle de quoique ce soit. Des larmes coulèrent, de la morve également, il était essoufflé et sous adrénaline, plus rien n’allait.

- (Carabaffe) Le lèche-cul !

Exclama le type eau, surpris de le voir réveillé de sitôt. Il le tira par le col hors du rebord, et l’emmena contre une roche, là où il préparait un plan.

- (Carabaffe) On s’calme, on va trouver un moyen de s’barrer d’ici.

- (Reptincel) Quoi… ? Où sommes-nous !?

Cria-t-il sans trop le faire exprès, tout en se relevant d’une main maintenue par la roche.

- (Carabaffe) Dans le monde de Noctunoir, visiblement.

Lui s’exprimait beaucoup plus calmement. En marmonnant cela, il jeta à nouveau un regard vers l’horizon, l’air dégoûté.

- (Carabaffe) Son fameux monde futuriste… que des conneries.

- (Massko) Non, il existe vraiment.

Les regards se tournèrent vers celui avec qui Carabaffe parlait depuis tout ce temps, un Pokémon que n’avait pas vu Reptincel en se réveillant. Massko s’avança, l’air tout aussi calme que le type eau.

- (Massko) C’est une longue histoire, mettons nous d’abord à l’abri.

- (Carabaffe) On a confectionné un début de plan.

L’attention se centra sur le type feu.

- (Carabaffe) Pour l’instant, on se fait discret. Dans ce monde, nous sommes fugitifs.

Mais ce dernier ne rétorqua pas, gardant un regard monstrueusement rancunier fixé sur celui qui lui avait tranché le ventre.

- (Carabaffe) Le lèche-cul, t’es avec nous ?

- (Reptincel) … J’espère que c’est une blague. Travailler avec Massko ?

Le type plante soupira d’ennui, mais Carabaffe s’interposa tout de suite.

- (Carabaffe) Arrête. Tu crois que m’associer avec lui ne me répugne pas non plus ?

- (Reptincel) Je m’en fous, Carabaffe.

Ce dernier écarquilla les yeux, surpris d’entendre l’amical chef de la Dream Team lui parler d’un ton aussi froid et égoïste.

- (Reptincel) J’agirai seul, tant pis.

Termina-t-il, en commençant à s’écarter du groupe. Massko s’avança et lui agrippa alors rapidement le poignet gauche.

- (Massko) Ça suffit, tu sais très bien que tu n’as aucune chance s… !

Mais avant qu’il n’achève sa réplique, son interlocuteur se retourna et lui infligea un violent coup de boule en pleine tête.

- (Reptincel) NE ME TOUCHE PAS !!!

Lui hurla-t-il, pendant que le hors-la-loi s’écrasait au sol. En se redressant, il sentit le sang couler de son museau.

- (Reptincel) JE SUIS BEAUCOUP PLUS FORT QUE TOI, SALE INCONSCIENT !!! FRÔLE-MOI ENCORE UNE FOIS C’EST TA PUTAIN DE TÊTE QUI EXPLOSE !!!

Massko écarquilla les yeux à son tour, l’air choqué. Mais à nouveau, Carabaffe les interrompit.

- (Carabaffe) Stop, arrête de gueuler, tu vas nous faire repérer !

- (Reptincel) Alors arrêtez de me retenir !

- (Carabaffe) C’est quoi ton problème !? Toi qui n’hésitais pas à laisser une deuxième chance à n’importe qui, que s’est-il passé ?

- (Reptincel) Notre parcours est différent, Carabaffe, tu n’as aucune idée de ce que j’ai vécu en ton absence ! J’ai appris que la rédemption n’était pas accessible à tous, j’ai appris qu’il était nécessaire de se montrer pragmatique pour survivre ! Noctunoir a raison, nous sommes dans cette merde parce que cet abruti fut incapable de venir toquer à notre porte avant lui ! Il a laissé l’adversité profiter de ses crimes, et qu’ils soient au gré d’une bonne intention ou non, je m’en fous, IL A DÉPASSÉ LES BORNES !!

- (Carabaffe) Comment peux-tu condamner quelqu’un qui, tu le sais, n’a jamais été fondamentalement mauvais !? Ce n’est pas Massko, c’est Arcko ! Je l’ai compris grâce à toi, parce que tu as dit qu’il était DEVENU trop imprévisible, tu te souviens !?

- (Reptincel) Et tu n’as pas l’impression de t’être concentré sur le mauvais mot !? Écoute, Carabaffe, fais ce qui te sembles juste, d’accord ? En ce qui me concerne, il est hors de question que je laisse ce type couvrir mes arrières. Ce n’est plus Arcko, et il a déjà fait le choix de me le montrer.

Sur ces mots, Reptincel s’en alla vers sa propre voix. Il avait déjà fouillé, son rappelle-tout avait bel et bien disparu. Noctunoir l’avait en sa possession, il avait une partie entière de sa vie entre les mains. Et ça, il ne pouvait le concevoir. Voilà donc quel était son objectif, avant même de trouver un moyen de sortir d’ici : récupérer son bien le plus précieux. Carabaffe le regarda partir, l’air pour la première fois inquiet envers sa personne.

Le type feu descendit petit à petit la montagne. Il voyait au loin le gigantesque manoir ravagé, dans lequel ils étaient faits prisonniers. Plus il s’écartait, plus il lui paraissait inaccessible. Mais il n’avait pas le choix, il devait se ressourcer. Il arriva dans les plaines vides de tout, et prit la direction du village qu’il avait vu plutôt.

En y entrant, il se sentit mal. Il se faufilait silencieusement entre chaque Pokémon changés en pierre, n’osant pas les regarder droit dans les yeux. Son objectif était de se ressourcer, il se fixa sur cela et trouva des excuses à chacune de ses actions. Il attrapa des cailloux et brisa les fenêtres des maisons dans lesquelles il s’introduisait. Fouillant tout d’abord les salles de bain puis les chambres, il trouva rapidement de quoi se soigner puis changer d’accoutrement. Évidemment, tous les vêtements étaient gris. Mais eux n’avaient pas la texture de pierre, alors il pouvait les enfiler correctement et qui plus est gagner en discrétion. En déséquipant ses anciennes poches, il tomba sur le caillou rouge, la roche du Volcan Géant que Ptyranidur lui avait confié peu de temps avant la catastrophe. Sa couleur dominait le reste du monde qui l’entourait, elle lui raviva, pour l’espace d’un instant, un brin d’espoir chaleureux. Il la serra contre lui, la rangea et poursuivit sa quête. Puis, il fouillait les cuisines à la recherche d’une nourriture digestible. Les pommes, les carottes, les baies, tout était gris. Cela voulait-il dire que tout avait périmé ? Ou alors au contraire, le fait d’être bloqué dans le temps rendait la nourriture comestible à jamais ? Il n’avait pas le choix, il devait manger. Après tout, Massko et Noctunoir avaient bien vécu ici pendant des mois, si ce n’est plus longtemps encore.

Alors en sortant du village, il se posa un instant et s’essaya à une pomme du monde de Noctunoir. Peut-être n’avaient-elles tout simplement pas de goût, s’il s’en référait à la réaction du type spectre, le jour de leur rencontre. Il croqua donc, macha et tenta d’avaler… avant de tout recracher brusquement. Même en s’y forçant, ce fut abominable. Il en vomit à nouveau, le palais infesté d’un goût de cadavre poussiéreux.

Tout cela l’assoiffait, il devait boire. En continuant son chemin, il vit une grande cascade au loin. Bien sûr, comme tout le reste, elle était immobile. Mêmes les plus petites gouttes flottaient et, en les touchants, Reptincel comprit qu’elles étaient purement solides. Il pouvait marcher sur l’eau, la briser d’un puissant coup de pied. Mais aucune trace de liquide n’en ressortit, comment espérait-il s’en sortir ?

Le temps passait, enfin son corps le ressentait. Mais son esprit était déjà complètement dépassé, il avait totalement perdu cette notion. Quelques heures, plusieurs jours ? Ce qui est sûr est qu’il ne pouvait dormir, pour des raisons évidentes de traumatisme. Il sentait ses yeux se cerner, si ce n’est son corps entier le supplier de s’arrêter. Mais il devait continuer, il devait marcher à vive allure pour espérer retrouver son chemin.

Finalement… il s’écroula. Au beau milieu d’une grande plaine vide, alors que de gigantesques montagnes lui faisaient face, la lumière qui jaillissait de la faible flamme au bout de sa queue le rendait percevable de très loin. Mais bienheureusement, celui qui s’approcha le premier fut plus bienveillant qu’il n’aurait pu l’imaginer.

Noctunoir entra dans une autre pièce du manoir. Les mains dans le dos, il fixait du regard le Pokémon au centre de la pièce. Assise en tailleur sur un tapis usé, elle tremblait alors qu’une aura violette l’entourait lourdement. Couverte d’une cape noire, il s’agissait d’une quatrième Ténéfix. Mais elle semblait moins monstrueuse, plus raisonnable, plus âgée et ravagée par le temps.

- (Noctunoir) C’est long.

- (Ténéfix) Je fais de mon mieux, Noctunoir…

- (Noctunoir) Ce n’est pas suffisant. Tes trois précédents pantins étaient affreusement faibles.

- (Ténéfix) C’étaient mes enfants, Noctunoir !

Elle lui ouvrit les yeux, l’air dominé.

- (Ténéfix) Je n’en peux plus, de les voir périr aussi cruellement ! Tu m’avais promis de les protéger, d’en faire tes bras droits les plus costauds !

- (Noctunoir) C’est ce que j’ai fait. Chacun d’entre eux ont un jour mis les pieds dans un monde en couleur, et tous m’ont aidé à arrêter Massko. Ils se sont fait abattre comme des faibles après que leurs récompenses leurs furent livrées, ce n’est plus mon problème.

- (Ténéfix) Ce sont ces récompenses, qui les ont massacrés !!

- (Noctunoir) Excuse-moi, mais est-ce que tu es en train de lever le ton ?

Il s’approcha d’un air dominant, levant la main droite telle une menace qu’elle ne connaissait que trop bien.

- (Noctunoir) Souviens-toi de ce que tu vaux, et ne t’avises jamais de l’oublier.

Elle le regardait bouche bée, paralysée par la peur. L’homme l’attrapa par le col, lui parlant d’une voix si grave qu’elle transperça son âme à jamais.

- (Noctunoir) J’en veux trois autres, les trois meilleurs que tu puisses m’apporter !

Sur ces mots, il la jeta tel un mouchoir sale. Les larmes aux yeux, elle rampa jusqu’à son tapis, tremblante d’angoisses.

- (Ténéfix) Tu as l’intention… de les envoyer tuer tes trois victimes ?

- (Noctunoir) Ça leur fera les crocs. Honnêtement, je me fiche de les savoir en vie ou non. Mais je ne compte ni partir pour Bourg-Trésor seul, ni mal accompagné. Alors disons que si ne serait-ce l’un d’entre eux venait à échouer à sa mission, je me verrai dans l’obligation de remettre correctement sur pied leur créatrice, est-ce bien entendu ?

- (Ténéfix) O… oui, Noctunoir…

- (Noctunoir) Bien…

Il quitta la pièce sur ces mots, les mains dans le dos, un sourire narquois aux lèvres.

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