Donjon Mystère - Dream Team

Chapitre 23 : La conséquence d'une aventure qui l’avait changé à jamais

5802 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 25/03/2021 11:46

Huit juin deux-cent-trente-et-un. L’engrenage grinçant abaissa le mur cabossé, laissant une faible lumière envahir le couloir de l’infrastructure. Dehors, la pluie et le tonnerre s’abattaient, alors il se dépêcha de s’abriter, le regard opiniâtre. Il déposa un tronc brûlé dans l’entrouverture de la porte, afin de la bloquer lorsqu’il tira le levier pour la refermer. Ainsi, il pouvait se faufiler à l’extérieur sans se faire remarquer. De l’autre côté, un silence morbide l’accueillit. S’enfonçant dans la pénombre du corridor, il perçut le grondement assourdissant des machines électriques provenant des différentes pièces du rez-de-chaussée. Il soupira, avant d’emprunter la cage d’escalier.

— Chef ? s’inquiéta-t-il en entendant des gémissements provenant du bureau.

La porte était entrouverte, alors il se permit de la pousser. Sans les étagères pour masquer les moisissures, les murs n’étaient plus aussi blancs. Les meubles étaient renversés, les livres éparpillés et certains dossiers déchirés. Au coin du bureau, à côté d’un trousseau de clés qu’il s’empressa de glisser sous le mobilier, il aperçut une bouteille vidée de son vin. En approchant, il en remarqua une dizaine autour de Roitiflam, affalé contre le bois. Son groin était rouge, alors qu’il hoquetait le regard vitreux.

— Chef ! cria le jeune adolescent en s’agenouillant face à lui.

Il lui secoua doucement les épaules, ce qui le fit sursauter. Peu à peu, son rythme cardiaque se stabilisa.

— Salamèche… ? larmoyait-il en le tâtonnant.

Puis, il l’enlaça en pleurant à chaudes larmes.

— J’ai eu si peur, sanglotait-il, si peur de te perdre !

Le jeune Pokémon Feu resta bouche bée. De toutes les réactions possibles, il ne s’était pas attendu à celle-ci. Lui qui s’était préparé à affronter les conséquences de ses actes, il sentit un lourd frisson d’embarras lui parcourir le corps. Roitiflam aussi devait être sauvé.


Chapitre 23 : La conséquence d'une aventure qui l’avait changé à jamais


Son groin remuait. L’odeur alléchante du gratin de baies que lui préparait son élève fit gargouiller son estomac. Salamèche se servit en second, s’affaissant sur l’une des chaises de la cuisine pour déjeuner avec son maître.

— J’en ai fait un peu plus pour Hypnomade, mais vu qu’il ne me répond pas, je pense que vous pourrez vous resservir.

— C’est délicieux… mâchouilla-t-il d’une faible voix.

— Je suis désolé de vous avoir inquiété, soupira-t-il. Je ne pensais pas que ma disparition vous inquiéterait tant.

— Tu rigoles ? J’ai fouillé tout le Mont Glacial à ta recherche…

— J’étais à Bourg-Tranquille, avoua-t-il. J’ai empêché Chimpenfeu de tuer mes anciennes connaissances.

Sans crainte, il vida son sac. Il ne craignait pas pour sa vie, mais bien pour celle de Roitiflam. Ce dernier le dévisagea quelques secondes, avant de baisser honteusement les yeux.

— C’est moi qui suis désolé. Tu n’avais pas envie de remettre un pied là-bas, mais il… non, je t’y ai forcé. Si je m’étais occupé de lui plus tôt, rien de tout cela ne serait arrivé. Chimpenfeu n’était qu’un fou, obsédé par le pouvoir et la reconnaissance. Je n’avais pas la force de lui avouer que je m’étais trompé, en lui promettant de me succéder.

— Je ne vous en voudrai jamais pour ça, chef. Vous n’y êtes pour rien du tout.

— Appelle-moi Roitiflam… marmonna-t-il sans oser le regarder.

Le silence se réinstalla, alors que l’épais Pokémon avalait tranquillement le déjeuner de celui qui hésitait.

— Roitiflam, euh… est-ce qu’on peut parler sans langue de bois ?

Il hocha simplement la tête, alors le jeune reptile se pencha d’une expression soucieuse.

— Je refuse de croire que vous prenez du plaisir à torturer et faire du mal aux oppresseurs. Vous vous y forcez pour l’image, mais ce n’est pas vous. Écoutez, je comprends l’importance de vos convictions et je défendrai à jamais les réprimés, mais à force de ne penser qu’aux autres, j’ai fini par craquer. Vous me l’avez dit, les super-héros n’existent pas. Même quelqu’un d’aussi admirable que vous a besoin d’agir pour soi. Alors pourquoi vous éreintez-vous jusqu’à vous mettre dans de tels états ? Pourquoi ne prenez-vous pas le temps de souffler un peu ?

— Non, rétorqua-t-il la bouche pleine, pas encore.

— Pourquoi ? N’avez-vous jamais songé à fonder une famille ?

— J’ai dû détruire la mienne pour avoir ce rôle. Mon fils est en adoption à l’autre bout du monde. Il ne m’a jamais connu et je ne le lui souhaite au grand jamais.

— Bon sang, je n’en savais rien. Est-ce que vous pensez souvent à lui ?

— Régulièrement, depuis que tu es là.

— Roitiflam… s’exaspéra-t-il. Est-ce que vous pensez que la DDR vaut mieux que votre bonheur ?

— Je lui ai juré fidélité, la question ne se pose plus depuis très longtemps.

— Jurer fidélité à qui ?

— Au boss, cracha-t-il entre deux bouchées.

Le souffle de Salamèche se coupa.

— Vous n’êtes pas le chef… ?

— Je ne suis que le chef.

— Quoi… ? Je ne comprends pas, depuis tout ce temps, vous ne faites que suivre les ordres d’un supérieur ?

— Très peu. Il est discret, depuis sa défaite.

— Mais pourquoi ?

— Parce qu’il a raison, le monde est pourri.

— Vous n’avez pas à vous infliger une telle charge mentale ! exclama-t-il. Roitiflam, regardez-vous ! Regardez le lieu dans lequel vous mangez quotidiennement ! Regardez les gens qui vous entourent !

— Je regarde, Salamèche. Et crois-moi, j’en suis satisfait. Lui aussi à un fils. Il veut bientôt m’enfermer à Loliloville, entre quatre murs peints d’une décoration ridicule pour que je m’occupe de lui. Tu as entièrement raison, il est temps que je lâche l’affaire. Bientôt, tu me remplaceras. Bientôt, je pourrai enfin souffler.

— Et si je ne reprends pas votre rôle ?

Roitiflam lui échangea finalement un regard. Il était fatigué, juste fatigué.

— Alors j’accomplirai deux tâches à la fois, soupira-t-il en terminant son assiette. Merci pour le repas. Je vais me coucher.

Il se leva difficilement et tituba jusqu’à ses compartiments. Salamèche le regarda s’éloigner, silencieux et indécis.

Le soir même, il tournait en rond dans sa chambre. Son rappelle-tout était ouvert à une double page consacrée au chef de la DDR. Pendant le trajet qui séparait Bourg-Tranquille de l’infrastructure secrète de l’organisation, il avait envisagé des dizaines de stratégies pour s’échapper en libérant tous les prisonniers. Mais ce soir-là, l’idée d’exécuter la moindre d’entre elles lui semblait terrifiante. Alors que toutes les lumières étaient éteintes et que le ronflement de la montagne de muscles camouflait ses mouvements, Salamèche improvisa un ultime plan.

Il entra dans son bureau et récupéra le trousseau de clés qu’il avait fait exprès de cacher sous le meuble en bois. Puis, il remonta au rez-de-chaussée, entra dans la salle de torture de l’équipe ADT et débrancha l’alimentation. Il les détacha de toute emprise.

— Tu es revenu… lui marmonna éreintement Alakazam.

— Je n’arrive pas à croire qu’Hypnomade vous ait rebranché…

— Il était obligé, mais il a fortement diminué l’intensité des charges envoyées…

— C’est vrai… ? s’étonna-t-il en le portant sur son dos.

Il l’emporta jusqu’à la sortie, dont le tronc qu’il avait arraché dans la forêt la plus proche lui permettait encore de se faufiler dans l’entrouverture de la porte. Une fois dehors, il courut jusqu’à une grotte qu’il avait découvert durant son long trajet. Il avait rapidement aménagé l'endroit, sympathisant avec les sauvages tout en préparant, avec ce qu'il avait rapidement récupéré à Bourg-Tranquille avant de repartir, de quoi nourrir, couvrir, soigner et reposer les prisonniers. Il répéta le processus avec Dracaufeu et Tyranocif, bien que leurs carrures lui manquèrent de faire un boucan monstre.

Ensuite, il entra dans la pièce renfermant trois grandes cuves. La dernière fois, elles ne contenaient qu’Électhor et Sulfura. Désormais, l’énergie glaciale d’Artikodin était également absorbée. Les trois regards se fixèrent immédiatement sur celui qui leur fit signe de rester discret. Chacun arborait une expression différente.

— Ainsi c’est lui, s’étonna l’Oiseau Glaçant, l’anomalie qui détruit notre monde ?

— Il est la preuve que nous aurions dû anéantir les impurs il y a plus de deux siècles, fulmina l’Oiseau Flamboyant.

— Du calme, murmura l’Oiseau Foudroyant, vous voyez bien qu’il n’est pas ici pour nous narguer.

— J’ai besoin de votre aide, clarifia le jeune reptile. Demain, je vais tromper Roitiflam. Au cas où les choses viendraient à dégénérer, j’aimerais que vous fassiez quelque-chose pour moi.

— Tu oses venir te lamenter devant nos chaînes, s’irrita Sulfura. Quelle audace !

— Si je ne vous libère pas, vous pouvez être sûr que vous resterez coincés au fin fond de cette prison délabrée jusqu’à la fin de votre vie éternelle. Je vous conseille de réfléchir sérieusement à ma proposition.

— Nous libérer ? le questionna Artikodin. Pourquoi le ferais-tu ? Toi qui es venu à ma rencontre pour me capturer ?

— Juste avant de vous faire assommer par Chimpenfeu, vous vous êtes assurés que le groupe de sauvages se sorte indemne de la confrontation. De même pour vous, Sulfura, vous avez sauvés la vie de tout un groupe en déviant un éboulement. Et bien sûr, si Tengalice ne s’était pas attaqué aux créatures du Mont Cristal, vous n’auriez jamais fait surface, Électhor. Je respecte vos efforts pour protéger la nature.

— Je ne comprends pas, avoua ce dernier. La dernière fois, tu étais furieux contre les divinités. Et maintenant, tu viens nous excuser pour ce que vous, impurs, qualifiez de massacre envers votre peuple ?

— Non. Ce que vous avez fait est impardonnable. Mais ni vous ni moi ne sommes en état d'affronter Roitiflam dans la situation actuelle des choses. Même si cela vous déplaît, aujourd’hui, vous faites partie des faibles. Et entre faibles, il faut se serrer les coudes. Demain, une secousse suffisamment violente désactivera l’alimentation de vos colliers et détruira vos cuves. Lorsque ce sera fait, accepteriez-vous de prêter patte forte aux quatre Pokémon qui auront besoin que vous les escortiez jusqu’à Bourg-Tranquille ?

— Tu nous demandes d'escorter des impurs ? Mais qu'adviendra-t-il de toi ?

— Peu importe, déclara-t-il. Si nous en venons à nous battre, je veux que vous fuyiez le plus vite possible. Une fois les prisonniers en sécurité, vous serez libres. Libres de vous éloigner le plus loin possible des mortels.

— J’accepte, affirma immédiatement l’Oiseau Foudroyant.

— Est-ce une plaisanterie ? s'emporta Sulfura. Mon frère, un peu de bon sens ! Il est la cause de notre captivité, nous ne pouvons pas lui accorder notre confiance !

— Cesse de vouloir incinérer tout ce qui te déplaît, mon frère. À ses yeux, nous sommes des monstres impardonnables. Pourtant, il nous offre une chance de reprendre notre vie d’antan.

— Le bon sens serait d'accepter sans réserve, réprimanda Artikodin, à moins que tu prennes plaisir à être épuisé par ces machines dépravées ? Comment avez-vous pu supporter cela si longtemps ? J'ai l'impression d'être en enfer !

— Je peux accepter si tel est ton souhait, mais une fois libéré de cette cage, jamais je n'utiliserai mes forces pour secourir un quelconque impur !

— Tu oserais rompre un serment divin ?

— Peu importe, conclut Électhor. Si je dois transporter tous les impurs que tu souhaites, alors je m’exécuterai sans hésitation. Il est clair que faire face à ce monstre seul te conduira à ta perte. Ainsi, j’accepte d'exaucer ta dernière volonté, anomalie. Je te le dois, ne serait-ce que pour l'effort que tu as fourni en nettoyant le Mont Cristal.

— Je vous remercie, Électhor.

Rassuré, le jeune adolescent leur confia toutes les informations nécessaires. Puis, il quitta la pièce et referma la porte comme s’il n’y était jamais entré. Enfin, il se dirigea vers la salle contenant la dernière cuve. Celle dont Roitiflam prenait tant soin, celle contenant le tout premier Pokémon ressuscité artificiellement. Ne sachant pas sur quel bouton appuyer, il préféra débrancher l’alimentation et décrocha de lui-même la vitre qui retenait le prisonnier enfermé. Le liquide verdâtre s’écoula dans toute la pièce, alors qu’il rattrapa celui qui s’effondra dans ses bras. Il s’agissait d’un dinosaure bipède, brun d’une peau mélangeant écailles et roches, avec une grande mâchoire aux dents pointues. Bien qu’il ne mesurait qu’une petite vingtaine de centimètres de plus que lui, il était terriblement plus lourd.

Salamèche le posa délicatement sur ses genoux, espérant ne pas avoir fait trop de bruit. Les grands yeux de cette étrange créature s’ouvrirent doucement. Il dévisagea lentement son sauveur, avant de bondir en arrière.

— Non, répétait-il d’un air paniqué, pas encore !

— Du calme, tenta-t-il de l’apaiser en levant les pattes dans sa direction.

À la vue de ce geste, le dinosaure paniqua encore plus abruptement.

— Par pitié, laisse-moi tranquille ! Je t’en supplie, laisse-moi tranquille…

Recroquevillé contre la cuve, il pleurait à chaudes larmes. Salamèche devait le faire taire rapidement, au risque de réveiller le chef de la DDR. Il hésita à le tirer hors de l’infrastructure, mais l’état de choc dans lequel était ce pauvre garçon lui procurait un lourd frisson d’embarras. Il se sentait obligé d’y aller doucement.

— Ça va aller, lui murmura-t-il, tout va bien. Je suis ici pour te libérer.

— Me libérer… ? bégaya-t-il en scrutant la grande cuve cassée. Je ne veux plus aller là-dedans, par pitié…

— C’est pour ça que je vais t’emmener loin d’ici.

— Où ça ? Pourquoi ? Qui es-tu ?

— Mon nom est Salamèche et je viens de Bourg-Tranquille.

— Salamèche ? Bourg-Tranquille ?

— Oui, c’est un petit village vert avec de grands arbres, des hautes herbes et un soleil vraiment réconfortant.

— Soleil… répéta-t-il d’une voix candide. J’ai envie de revoir le soleil…

— Il va bientôt se lever. Est-ce que tu veux venir le voir avec moi ?

D’un doux geste souriant, il lui tendit la patte. Le petit dinosaure sursauta tout d’abord, mais son regard devint rapidement curieux. De haut en bas, il défigura son interlocuteur pendant de longues secondes.

— Pourquoi ? Pourquoi ferais-tu cela ?

— Je vais être honnête. Tu n’es pas censé être libre et moi, je ne devrais pas être là. Mais j’ai décidé de contourner les règles. Pour avoir déjà fait ça par le passé, je peux t’assurer que ça peut créer de belles histoires.

Son ton de voix l’apaisait, bien qu’il ne pouvait le croire sur parole. Malgré tout, il lui agrippa la patte. Il se leva, mais trébucha en essayant de marcher. L’autre garçon le rattrapa dans sa chute.

— Je te tiens ! le rassura-t-il en rigolant de bon cœur. T’inquiète, c’est juste une question d’habitude.

Il l’épaula jusqu’à la sortie.

— C’est gentil de ta part…

— Ce n’est pas grand-chose. Comment tu t’appelles ?

— Ptyranidur…

— Ptyranidur ? C’est joli !

— Tu trouves… ?

Il marchait de mieux en mieux.

Arrivant face à la porte entrouverte, ils se faufilèrent en-dessous et atteignirent le monde extérieur. En posant ses pattes sur l’herbe, Ptyranidur sursauta. Puis, il tâtonna d’un air curieux. Sentant un vent frais le parcourir, Salamèche détacha sa cape et l’enroula autour du cou de son comparse.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un vêtement, de quoi couvrir ton corps.

— Pourquoi couvrir son corps ?

— Parce que ce n’est pas trop accepté de se balader sans rien sur la peau. Et puis ça te rend super stylé !

— Stylé ? s’interrogea-t-il en le suivant jusqu’au sommet de la colline.

Salamèche s’affaissa sur l’herbe et Ptyranidur l’imita.

— L’air est si différent, c’est étrange.

— L’atmosphère a dû évoluer avec le temps. Tu sais en quelle année tu vivais ?

— Année ?

— Euh… d’accord, je vois. Il me semble que Roitiflam m’avait dit que tu avais quatorze ans.

— Ah bon ? Et qu’est-ce que ça signifie ?

— Que… tu es jeune. Tu as encore une belle vie devant toi.

— D’accord, répondit-t-il en haussant-t-il les épaules. Et toi ? En quelle année tu vivais ?

— J’en ai treize. Treize ans.

— Ah ! s’esclaffa-t-il. Treize, c’est plus petit que quatorze !

— J’ai quatorze ans dans trois mois…

— Mois ?

— Je t’expliquerai tout quand on sera à Bourg-Tranquille, d’accord ?

— Bourg-Tranquille, le village dans lequel tu vis ? Est-ce qu’il y a des pommes ?

— Bien sûr.

— J’adore les pommes !

— Dans ce cas, rigola-t-il, je t’en offrirai plein !

Le dinosaure le dévisagea d’un air perplexe.

— Pourquoi t’es gentil comme ça ? Tous les autres étaient si rudes…

— C’est justement pour ça que je t’ai libéré. Je pense que personne ne mérite de vivre ce que tu as vécu.

— Est-ce que les gens qui m’ont enfermé me voulaient du mal ?

— Ils voulaient te forcer à faire du mal aux autres.

— Pourquoi ?

— Parce que tu en as le pouvoir.

— Mais… ça ne m’intéresse pas.

À son tour, Salamèche haussa les épaules.

— Alors ne le fais pas, tout simplement.

Peu à peu, le soleil s’élevait dans l’horizon. Face à lui, Ptyranidur écarquilla les yeux, émerveillé par le ciel qui illuminait les environs s’emplissant de couleurs chatoyantes. Ainsi avait débuté la journée du neuf juin deux-cent-trente-et-un.

Vers huit heures, Salamèche l’emmena dans la même grotte qui cachait les membres épuisés de l’équipe ADT. Il récupéra sa cape et le couvrit avec les derniers tissus qu’il avait récupéré à Bourg-Tranquille. Il lui demanda de rester discret jusqu’à l’arrivée des oiseaux légendaires.

Vers neuf heures, il rentra à l’infrastructure en cueillant quelques baies sur le chemin. Il déposa sa récolte dans la cuisine. Puis, il retourna dans le bureau du chef et s’assura de déchirer tous les dossiers. Il vit passer de nombreux noms : des hors-la-loi à recruter, des têtes mises à prix, des explorateurs corrompus, ainsi que des regroupements d’informations très précis sur des personnes dont il n’avait jamais entendu parler. Peu importe, car lorsqu’il quitta la pièce, après avoir déposé les clés sur le meuble en bois, plus rien n’était exploitable.

Vers dix heures, il entra dans la salle d’eau, se déshabilla, s’enferma dans une cabine et laissa une dernière fois l’eau froide couler sur sa peau. Bien qu’il se forçait à rester calme, son cœur battait la chamade. Il pouvait encore fuir, s’il le désirait. C’était sa dernière chance. Il coupa l’eau, plaqua sa tête contre le mur et inspira lentement. Le rythme de son cœur s’apaisa, alors qu’il se convainquait d’aller jusqu’au bout. Il s’essuya, se rhabilla et sortit de la pièce d’un air déterminé. Il toqua à la porte de la chambre d’Hypnomade. N’ayant aucune réponse, il entra sans son autorisation.

— Qu’est-ce que tu fiches ?! s’irrita-t-il en se couvrant avec sa couverture. Dégage, j’ai rien sur la peau !

— Je rêve ou tu n’es pas sorti de ta chambre depuis hier matin ?

— Depuis ton départ, imbécile. Je ne veux plus jamais entrer dans un laboratoire de ma vie…

— Alors habille-toi, lui assura-t-il d’un air déterminé. Aujourd’hui, tout disparaît.

Il le tira du lit jusqu’à la sortie. À peine habillé et portant un sac contenant de quoi survivre quelques semaines, Salamèche le jeta de l’autre côté de l’entrouverture.

— T’es complètement malade ! cria le scientifique. Il va tous nous massacrer !

— Économise ta salive, tu en auras besoin si tu veux atteindre le village le plus proche en vie. Tu as une occasion de refaire ta vie, Hypnomade, alors saisis cette chance.

— Attends, tu ne viens pas avec moi ?!

En guise de réponse, Salamèche dégagea d’un ferme coup de pied le tronc qui bloquait l’entrée. Le mur cabossé qui faisait office de porte se referma, sous le grincement strident des engrenages qui fit se réveiller Roitiflam.

Il était onze heures du matin, lorsqu’il s’étira, se leva du lit, enfila la première tunique qui lui passait sous le groin et sortit, tout engourdi, en direction de la cage d’escalier. Avant qu’il ne l’atteigne, l’odeur alléchante des baies grillées percuta son odora. Il retrouva son élève dans la cuisine.

— Bonjour, Roitiflam !

— T’es déjà debout… ?

— Oui, je reviens de mon entraînement matinal.

— C’était toi, la porte d’entrée ?

— Je sais, il faudrait vraiment régler ce problème d’engrenages. Je vous sers une assiette ?

Il s’affaissa finalement autour de la table. Comme durant la veille, son expression était morne. Il mangeait sans dire un mot. Puis, il fouilla peu à peu les alentours du regard. Quelque-chose manquait, comme le grondement de l’électricité dans l’air.

— Pourquoi tout est si calme ?

— J’ai quelque chose à vous montrer, l’interrompit le jeune adolescent. J’ai beaucoup réfléchi depuis notre dernière conversation, et je pense qu’il est temps que je prenne mes responsabilités en patte. Après le déjeuner, je vous prierai de me suivre.

Onze heures cinquante. L’engrenage grinçant ferma pour de bon la porte de l’infrastructure. Les poings serrés, Salamèche mena Roitiflam jusqu’au sommet de la colline. Le soleil brillait au-dessus de leur tête, alors que la verdure scintillait et que le vent remuait les feuilles des lointaines forêts. Dos à lui, le lézard à la queue enflammée perdait son regard dans l’horizon, pensif. Les pattes dans les poches, la montagne de muscles soupirait en regardant le sol.

— Pourquoi m’as-tu emmené ici ? demanda-t-il d’une voix morose.

Il donnait l’impression de déjà connaître la réponse.

— Je m’inquiète, lui répondit-il d’une voix douce et sincère. Dans quelques minutes, l’infrastructure va s’effondrer sur elle-même. Au départ, j’avais prévu de fuir la queue entre les jambes. Mais je ne peux pas m’y résoudre, Roitiflam…

Il se retourna et lui échangea un regard larmoyant.

— Je refuse de vous abandonner.

— Qu’est-ce que tu racontes ? s’inquiéta-t-il. Le monde ne se fracturera pas, puisque tu t’es intégré parmi nous ! Tu n’es plus un humain, tu es un Pokémon ! Tu es mon Pokémon…

— Et je vous en remercie de tout mon cœur. Roitiflam, vous avez été le père dont j’avais besoin. C’est vous, qui m’avez redonné l’envie de vivre et de combattre. Encore plus que Pharamp, je vous admire ! Mais…

Il recula d’un pas.

— Mes valeurs s’opposent à celles de la DDR.

— Je sais ! larmoya-t-il à son tour. Espèce d’imbécile, j’ai très bien compris que tu n’avais pas envie de prendre ma place ! Ce n’est pas grave, Salamèche, je ne t’en veux pas du tout ! J’ai abandonné mon fils parce que je voulais l’épargner ! Au final, je m’en suis créé un deuxième en essayant de te former. Mais après la flamme que tu as ravivée en moi, je ne peux me résoudre à t’emmener sur la même voie. Si tu ne souhaites pas me remplacer, alors ne me remplace pas. Je refuse de te forcer à vivre les tragédies qui ont fait de moi le monstre que je suis aujourd’hui. En revanche, il est hors de question que j’abandonne la DDR.

— Roitiflam, pleurait le jeune adolescent en avançant de deux pas, vous devez vous libérer de son emprise !

— Je n’ai plus le choix ! pleura-t-il à son tour d’une voix rongée par le temps.

C’est lui qui recula d’un pas.

— C’est trop tard, Salamèche, tu ne peux plus me sauver…

Il tendit un bras en direction de l’horizon.

— Pars ! Rentre à Bourg-Tranquille et deviens le héros que tu souhaites !

— Vous savez très bien que je ne peux pas partir comme ça…

— C’est ce que j’admire chez toi.

Il serra les poings.

— Mais je ne peux pas te laisser interférer dans les plans de la DDR. Ne détruis pas l’infrastructure.

— Alors tuez-moi.

Le silence pesa. Le vent soufflait de plus en plus fort. À quelques mètres l’un de l’autre, ils s’échangèrent un regard chargé d’émotions. Le visage de Roitiflam tremblotait. Il laissait transparaître de la colère, de la peur, de la tristesse et de l’amour. Celui de Salamèche était plus simple. Il était navré, seulement navré.

Midi sonna. Le sol se mit à secouer.

— Salamèche, je t’en supplie…

Le grondement s’éleva.

— Cette base, c’est toute mon identité…

La terre se fissura.

— Par pitié, ne la détruis pas…

Et le monde se fractura.

À Bourg-Tranquille, tout le monde s’y était préparé. S’entraidant sur la place centrale, tous les habitants étaient regroupés pour surmonter les uns grâces aux autres la dernière secousse. À Bourg-Palissade, Branette avait regroupé tout le monde sur un terrain plat pour empêcher les blessures par effondrement. Au sommet du Grand Ravin, Xatu s’éloigna du rebord en fixant l’horizon d’un air indécis. Dans les Petits Bois, la Grotte Éclair, le Mont Acier, Cristal, Ardent, Glacial ainsi que dans tous les autres territoires naturels, la secousse apeura tous les sauvages. Certains trébuchèrent dans des fissures et d’autres furent assommés par l’effondrement d’une roche ou des fruits qui tombaient des arbres. Mais personne ne succomba.

Parce que rapidement, la secousse cessa.

Parce qu’il avait obtenu ce qu’il voulait. En voyant la colline s’effondrer sur l’infrastructure de la DDR, en percevant une étincelle, une flammèche et un vent glacé s’échapper des décombres, Salamèche apporta une conclusion à la réponse qu’il cherchait depuis son arrivée dans ce monde.

— Je suis désolé Roitiflam, commença-t-il d’une voix plus déterminée que jamais, mais je sais désormais qui je suis. Mon nom est Salamèche, je suis un humain réincarné en Pokémon et je vis à Bourg-Tranquille. Je ne serai ni explorateur, ni membre de la DDR. Je serai celui qui changera l’avenir.

Face à lui, Roitiflam était agenouillé, en pleurs devant la destruction de tout ce à quoi il avait consacré sa vie. Le groin plaqué au sol, il reprenait un souffle tremblant. Son regard était vide. Il se releva en titubant, et dans un nuage de poussière, fixa la silhouette de celui qui lui avait tout pris. Il s’était senti incapable de l’en empêcher. Pendant une fraction de seconde, peut-être s’était-il vraiment demandé à quoi pourrait ressembler sa vie s’il acceptait de lâcher la DDR pour de bon. Mais il n’était plus cet homme.

Soudain, une gigantesque poigne griffue agrippa le visage de Salamèche. D’une lueur enflammée, la montagne de muscles l’encastra furieusement dans le sol. Sentant son dos craqueler, sa proie voulait hurler de douleur, mais sa bouche était recouverte par la patte brûlante de son ennemi. Il tenta de se débattre en dévisageant ce regard morbide, vidé de toute émotion. D’un seul membre, Roitiflam le maîtrisait. Avec l’autre poigne, il souleva une griffe. À l’instant où il manqua de se faire empaler, le jeune adolescent se délivra en l’esquivant de justesse. Mais le monstre le poursuivit, le chargeant dans sa fuite. L’attaquant d’un coup aussi rapide que robuste, le reptile se brisa tous les os du bras droit en tentant de le bloquer. L’autre type Feu lui agrippa le cou, prêt à le lui craquer. Mais le lézard à la queue enflammée le frappa du poing gauche en accumulant le plus de picotement possible. Il lui percuta l’œil droit, lorsqu’une redoutable explosion enflammée submergea toute la plaine. Les débris causés par la secousse s’envolèrent, alors que la fumée s’éparpillait et que la verdure s’était faite incinérée.

Quand Salamèche rouvrit les yeux, il était étalé au sol. Son foulard doré était recouvert de cendres et sa cape s’était déchirée. Il ne sentait plus sa colonne vertébrale, tandis que tous les os de ses deux bras étaient en miettes. Incapable de bouger, il toussait à force d’avaler la poussière qui l’entourait. Et malgré tous ses efforts, une imposante figure se dressa face à lui. Bien qu’une partie de ses tissus avaient brûlés, Roitiflam était encore debout. De la partie droite de son visage gicla une ruée de sang. Sa chaire était exposée, son œil fermement brûlé.

— Et moi, cracha-t-il d’une voix rongée par le désespoir, plus jamais je ne serai autre-chose qu’un chef avant tout ! Crève, Salamèche ! Crève avant de devenir l’être le plus désolant de ma vie !

Soudain s’extirpa, du nuage de poussière, la figure d’un dinosaure à la gigantesque mâchoire. D’un coup de boule, il bouscula suffisamment Roitiflam pour l’éloigner de sa victime.

— Ne lui fais pas de mal ! hurla Ptyranidur d’un air déterminé.

Le chef le défigura, bouche bée.

— Tu te bats… ?

— Contre toi, oui ! Il est hors de question que tu lui ôtes la vie ! Et encore moins que je le fasse pour toi !

Crispant le visage d’une haine profonde, il tenta d’avancer vers les deux jeunes Pokémon. C’est alors qu’un tonnerre s’abattit brusquement face à lui. Puis, un mur enflammé l’éloigna d’eux. Enfin, une vague enneigée le bouscula en arrière. Dans le ciel se déployèrent les ailes d’Électhor, de Sulfura et d’Artikodin.

— Ton heure a sonné ! s’écria l’Oiseau Flamboyant. Il est temps que tu périsses dans les flammes de l’enfer !

— Pour tout le mal que tu as infligé aux Pokémon ! tonna l’Oiseau Foudroyant. Divins, sauvages, impurs, et même pour l’anomalie, tu répondras de tes actes !

— Disparais à jamais ! exclama l’Oiseau Glaçant. Et que ta perversité ne contamine plus jamais les tiens !

Roitiflam jeta un dernier regard à Salamèche. Ce dernier écarquilla les yeux. Jamais il n’avait perçu une telle détresse chez un Pokémon. Et pourtant, jamais il ne s’était senti aussi incapable d’aider quelqu’un.

Le courroux divin s’abattit férocement sur lui. Il fuyait, encaissant une à une les décharges monstrueuses qui menaçaient de pétrifier son cœur. Les larmes aux yeux, il s’éloignait dans l’horizon, seul et perdu. Sulfura voulait le poursuivre, mais Électhor lui rappela leur mission. Alors qu’il était arrivé dans la grotte pour escorter les autres victimes de la DDR, Ptyranidur lui avait supplié d’apporter de l’aide à Salamèche. Le petit dinosaure l’aida justement à grimper sur le dos de la divinité.

— C’est bon ? lui demanda-t-il en s’affaissant derrière lui.

— Oui… marmonna-t-il d’une faible voix. Merci beaucoup, Ptyranidur…

— Je n’arrive pas à croire que nous épargnons l’anomalie ! s’irrita l’Oiseau Flamboyant.

— Son aura est différente, certes, mais il est évident qu’elle ne dégage plus la même dangerosité qu’autrefois. Bienvenue dans le monde des Pokémon, impur. Accrochez-vous, nous serons bientôt à Bourg-Tranquille !

— Vous êtes généreux… lui souriait éreintement le lézard à la queue enflammée.

— C’est généreux de ta part de nous avoir accordé ta confiance. En route !

Tandis que Sulfura transportait Alakazam et Dracaufeu, Artikodin s’occupait de Tyranocif. Les trois créatures divines déployèrent leurs ailes, puis s’envolèrent loin du champ de bataille.

Salamèche regarda les décombres de l’infrastructure. Et bien que tout soit terminé, que la menace ait été écartée, que sa vie soit en sécurité, que tout le monde ait survécu, qu’il ait mis un terme aux actes atroces de la DDR et qu’il ait enfin répondu à la question qui le hantait depuis son réveil au cœur des Petits Bois ; malgré tout cela, il explosa en sanglots. Ptyranidur avait beau essayer de le consoler, rien n’y faisait. Salamèche évacuait un stress monstrueux. La conséquence d'une aventure qui l’avait changé à jamais.

Lorsqu’il rouvrit les yeux, la verdoyante quiétude de Bourg-Tranquille s'étendait devant lui.

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