Donjon Mystère - Dream Team

Chapitre 20 : Famille

8388 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 27/02/2021 14:18

Seul dans une pièce sombre, illuminée seulement par la flamme au bout de sa queue, il restait immobile. Soudain, le gris luisant du métal qu’il portait refléta un rapide mouvement. Il s’abaissa, esquivant de justesse un puissant jet d’eau. Il se redressa et accourut dans la direction du tir. Il bondit au dernier moment, évitant de peu un second jet, puis contre-attaqua d’un coup de botte dans l’arme de son adversaire. Le canon aquatique s’écrasa au sol, mais d’épaisses flammes surgirent de l’ombre.

— Pas mal ! exclama le primate en armure.

Il le repoussa d’un coup de poing en plein abdomen. Des résidus enflammés semblaient se dégager de son bras lors du mouvement, que Salamèche n’eut qu’à peine le temps d’apercevoir. Sa combinaison racla le sol à la place de sa peau. Aussitôt, il se releva, les poings serrés, le regard froncé, les yeux rivés sur sa cible. Cette dernière lui fonçait dessus.

À nouveau, une fine braise se dégageait de chacun des membres du primate, le rendant plus rapide et moins identifiable. Mais dans le noir total, il dévoilait sa position tout en masquant celle de son adversaire. Le jeune garçon l’esquiva en roulant sous son coup de poing, s’éloignant dans son dos.

— Reviens-là !

Le soldat se retourna, la bouche fumante. Il cracha une boule de feu qui percuta sa cible dans le dos. L’explosion envahit la pièce d’un épais brouillard, tandis que le choc propulsa Salamèche contre un mur. Il s’étala au sol, étourdi. Mais sa patte continuait de tâtonner les alentours.

— C’est donc comme ça que tu te bats ? En fuyant la queue entre les jambes ?! Montre-toi !

Le sourire aux lèvres, Chimpenfeu avançait à l’aveugle. Ses flammes rugissaient autour de lui, formant une aura lumineuse. Il aperçut une lueur dans un coin de la pièce et s’élança en riant.

— C’est terminé, j’ai gagné !

Soudain, un puissant jet d’eau le heurta de plein fouet. Il tomba sur le dos, ses flammes diminuant d’intensité. Salamèche sortit du brouillard, le canon entre les pattes, et lui tira un autre jet au visage.

— C’est un pouvoir super impressionnant, constata-t-il, mais sa dépendance te rend encore plus vulnérable à l’eau !

— À qui crois-tu apprendre à marcher ?!

D’un rapide coup de queue, Chimpenfeu le renversa. Il lui bondit dessus, éjectant le canon aquatique avant de lui infliger un coup de poing en pleine mâchoire. Salamèche tenta de riposter, mais le primate lui agrippa le bras, le plaqua au sol et lui asséna une autre droite.

— Enfonce-toi ça dans le crâne, je suis le plus fort !

— Ça suffit ! exclama le chef en entrant dans la pièce.

Les lumières s’allumèrent et la fumée se dispersa, révélant une vitre teintée recouvrant un mur entier. Alors que les deux garçons se relevaient, Roitiflam avança, les pattes dans les poches. Il posa son regard sur le plus jeune d’entre eux.

— Du peu que j’en ai vu, tu as fait de beaux progrès. Bravo.

— Merci chef ! répondit-il avec un grand sourire.

— Hé, c’est moi qui ai gagné !

— Sans blague. J’ai appris à voir dans le noir, pas à travers le brouillard. La prochaine fois, évite les explosions.

— Euh… pardon, je me suis emporté.

— Bon, filez à la douche ! Le dîner sera prêt dans un quart d’heure.

Ils s’exécutèrent sans la moindre hésitation.

L’eau qui coulait du pommeau accroché au mur était froide, mais peut-être en avait-il besoin, après avoir encaissé autant de flammes. Dans sa petite cabine, Salamèche se frottait le visage en laissant l’eau couler le long de son crâne, puis sur le reste de son corps égratigné, recouvert de bleus et de cicatrices. Lui qui avait passé des mois à se nettoyer au chiffon à l’aide d’un seau dans une baignoire en bois, il restait bluffé par cette étonnante technologie. Soudain, le primate frappa à la porte.

— Tu vas faire couler l’eau encore longtemps ?!

Il la coupa immédiatement.

— Quoi, l’autre cabine ne marche plus ?

— J’ai terminé depuis cinq minutes ! J’ai juste pas envie de me faire engueuler par ta faute, alors sors de là !

— J’arrive !

Il agrippa sa serviette et se frotta rapidement le visage, essuyant pour de bon sa mâchoire blessée. L’enroulant autour de la poitrine, il rejoignit les vestiaires et trouva Chimpenfeu, assis sur un banc, à s’essorer le pelage au-dessus d’un seau.

— Ce doit être ennuyeux, plaisanta-t-il en récupérant son armure.

— C’est ça, moque-toi ! T’auras jamais le plaisir de sentir ton pelage flotter au gré des flammes !

— C’est sûr que non ! J’aime bien mes écailles, moi. Sinon, j’ai été comment aujourd’hui ?

— Minable, comme d’habitude.

— Je t’ai mis à terre, quand même.

— Seulement parce que le chef m’a demandé d’être sympa avec toi.

— C’est vrai ?

— Non, idiot, il m’a demandé d’y aller à fond ! Évidemment que t’as progressé, tu t’entraînes avec les meilleurs !

Le jeune garçon rigola et même le primate esquissa un sourire.

— J’ai hâte de servir le chef ! s’enjoua le reptile. J’ai l’impression qu’il place tellement d’attentes en moi…

— Oh, ne t’en fais pas ! Tant que je suis là, tu seras toujours le remplaçant de service ! Pas de pression, donc !

— Tu espères prendre sa place ?

— Comment ça, j’espère ? Je sais que ce jour viendra, il me l’a promis ! Il était tellement heureux de me recruter, si rassuré d’avoir enfin un puissant Pokémon Feu à qui confier tous ses savoirs !

— Tu vivais à Loliloville, toi aussi ?

— Jeté dans les quartiers pauvres à mes dix-huit ans, considéré comme un bon à rien. Pour le chef, en revanche, j’étais une mine d’or ! Je savais que je valais mieux qu’un pouilleux ! J’ai si hâte d’avoir les pleins pouvoirs…

— Si c’est ce qui te rend heureux, alors j’ai hâte pour toi aussi.

— C’est ça, brosse-moi dans le sens du poil et peut-être que je ferai de toi mon bras droit…

— Si ça te chante, supposa-t-il en terminant d’enfiler son accoutrement. En attendant, premier arrivé, premier servi !

— Quoi ?! Non !

Trop tard, il avait déjà quitté la pièce en direction de la cuisine.

— Profite bien de tes écailles ! râla-t-il en continuant de s’essorer le pelage. Sale lézard crasseux…


Chapitre 20 : Famille


Le mois de mai venait tout juste de commencer et Salamèche repoussait quotidiennement les limites de son corps. Ses horaires ne dérogeaient jamais. Après s’être réveillé à six heure et avoir déjeuner en un quart d’heure, il sortait de la base et courait plusieurs kilomètres dans la forêt proche de la colline. Puis, il s’entraînait à escalader les arbres en bondissant de branche en branche. De retour dans la base, il s’enfermait dans les salles d’entraînements et commençait un lourd programme musculaire jusqu’à midi. Il déjeunait pendant une demi-heure, puis débutait son après-midi selon le programme du jour. Soit il s’entraînait aux côtés de Chimpenfeu, soit il le remplaçait dans la surveillance des deux prisonniers.

— Dépêche-toi ! criait-il au garçon à la fourrure brune et jaune, tardant à reprendre la pioche.

— C’est comme ça que tu nous aides, hein… ?

— Fallait pas abuser de ma gentillesse !

— Certains ont un peu plus de privilèges que d’autres…

— Plus de privilèges… ? s’irrita-t-il.

Il repensait à ce que Roitiflam lui avait révélé dans son bureau, quelques jours auparavant.

— Quinze ans, provenant de deux familles moyennes qu’ils ont perdues de vue après avoir abandonné leurs études, ils se nomment Manglouton et Rocabot ; mais je préfère les appeler respectivement : « Sujet A12 » et « Sujet A13 ».

— Chef, ce ne sont pas des objets. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait, mais je refuse de me servir d’un fouet.

— C’est la procédure, ils savaient parfaitement dans quoi ils s’embarquaient.

— Comment ça ? Ils sont ici par choix ?

— Pour devenir de futurs soldat dans l’armée de la DDR, oui. Mais je n’accepte pas les lâches. Ils sont venus chialer à mes bottes, lorsque leurs têtes furent officieusement mises à prix par les explorateurs pour vol et dégradation. Sauf qu’avant d’agir, ils militaient activement pour la « Rénovation » des quartiers pauvres. J’aimerais leur inculquer quelques valeurs, avant de les faire rejoindre nos rangs.

— Je comprends, mais de là à les humilier à coup de fouet…

— N’oublie pas ce qu’ils t’ont fait. S’ils en avaient eu l’occasion, ils t’auraient abattu sans la moindre pitié. Mais tu es plus fort qu’eux, alors tu ne leur dois strictement rien.

— Oui, chef…

Il manqua d’agripper le fouet maintenu à sa ceinture. Mais il se résigna, préférant détourner le regard.

— Dépêchez-vous, répétait-il, et peut-être que je vanterai vos efforts au chef.

À dix-neuf heure, il les renvoya dans leurs cachots et leur servit le dîner, avant de remonter passer le sien dans la cuisine de l’infrastructure. Autour de la table, les quatre membres de la DDR mangeaient en se racontant leur journée, en blaguant et en rigolant.

— Je me demandais, s’intriguait le jeune amnésique, pourquoi est-ce qu’il n’y a que des garçons ici ?

Non, celle-là n’était pas une blague. Pourtant, le primate éclata d’un rire aux éclats.

— Mais oui bien sûr, se moquait Chimpenfeu, des femmes soldates ! Et tu veux qu’on leur apprenne quoi, la cuisine ?

— Euh… bégaya le jeune garçon en baissant les yeux. D’accord…

— Laisse tomber, le rassura Hypnomade, il est puceau.

— Hein ?! Ta gueule !

— De toute évidence, répondit sérieusement Roitiflam, elles ne se sentiraient pas à l’aise ici. D’ailleurs, en parlant de cuisine, tu t’es surpassé Hypnomade !

— Oh, merci bien.

— Mouais, grommela le soldat, enfin heureusement qu’on n’est pas allergique au sel !

— Ton palais est déplorable, primate.

— Moi j’ai bien aimé ! déclara Salamèche. Si un jour tu as le temps de m’apprendre à faire ça…

Tout le monde le dévisagea.

— Quoi ? Personne ici n’aime cuisiner ?

Le lendemain, donc, il quitta l’entraînement un peu plus tôt pour aider à la préparation du dîner.

— Lave toi les pattes et sors deux plateaux dans le tiroir là-bas, lui confia le scientifique en regroupant les aliments.

— Qu’est-ce qu’on fait, ce soir ?

— Puisque j’ai un peu de compagnie, on va tenter la spécialité du chef ! Pendant que le riz chauffe, on va découper les oignons et les légumes. Tu sais te servir d’un couteau ?

En guise de réponse, il découpa à la perfection les différents légumes.

— Impressionnant. D’où te vient cette passion ?

— Mon… père adoptif était boulanger. Je l’observais souvent cuisiner, pendant que je faisais mes devoirs. Parfois, on préparait à manger ensemble. C’est très satisfaisant de découvrir un domaine avec quelqu’un de passionné.

— Oui, ça nous fait progresser à une vitesse folle.

— Toi aussi, tu aimes cuisiner ?

— Absolument pas. Mais au moins, je pense à autre-chose. C’est agréable de voir de la couleur, de sentir l’odeur des légumes chauffés, de pleurer en découpant un oignon. Ça me change du laboratoire gris, où je tripote des flacons en verre et des instruments rouillés.

— À vrai dire, je ne sais même pas ce que tu fais.

— Des trucs de scientifique, dans un milieu de scientifiques.

— Et c’est comment ?

Un simple échange de regard lui suffit.

— Oh. Je suis désolé…

— Les amoureux des grands moyens, comme le chef, peinent à comprendre le dégoût qu’ont les types Psy comme moi, vis-à-vis de toutes ces technologies. Ça n’a rien de naturel, rien de psychique. Les machines n’ont aucune âme, et cette froideur me répugne. Mais bon, il faut croire que c’est nécessaire, pour un avenir meilleur.

— Pour faire un tel sacrifice, travailler avec la DDR doit vraiment en valoir le coup.

— Il m’a sauvé la vie. Si le chef a besoin de mes connaissances, alors je m’exécute, tout simplement.

— Je comprends.

Il déposa ses morceaux de légumes dans une coupelle, pendant qu’Hypnomade surveillait le chaudron.

— Est-ce que tu peux faire bouillir l’eau tout de suite ? lui demanda-t-il. Ça m’arrangerait pour le riz.

— Non, je ne maîtrise pas encore mes pouvoirs.

— Hein… ? Et la flamme au bout de ta queue ?

— Elle réchauffe, mais elle ne brûle pas vraiment.

— Sérieux ? Mais qu’est-ce qu’ils t’apprennent, les deux autres ? T’es vraiment le type Feu le plus inutile que j’ai jamais vu !

— Le chef m’a dit qu’on commencerait bientôt à bosser sur mes capacités. Mais… n’espère pas trop !

Et effectivement, le lendemain, Roitiflam lui-même s’occupa de son entraînement. Seuls dans une pièce ressemblant à un dojo, alors que l’apprenti gardait son armure pour supporter son poids et que le maître ne portait que sa combinaison en nylon, tous deux s’affrontaient pour améliorer l’endurance et la résistance du jeune garçon.

— Tes pouvoirs explosent ? se moqua le chef en l’assiégeant de violentes charges.

Quand il encaissait, Salamèche était tant bousculé qu’il avait l’impression de perdre connaissance une demi-seconde. Quand il esquivait, ou tentait d’esquiver, son adversaire trouvait toujours la solution parfaite pour le rattraper.

— Oui, haletait-il, mais on m’a appris à méditer pour enfermer ce pouvoir ! La seule fois où je les ai laissé jaillir, j’ai manqué de détruire tout un donjon, en plus de me briser les bras !

— Et alors ? rétorqua-t-il. Tu es un lézard !

Il lui cogna si fort le bras gauche, qu’il en fit brutalement craquer ses os. Salamèche s’écroula en hurlant.

— Ta garde, bon sang ! En tant que gaucher, tu ne dois jamais encaisser avec ton bras pivot !

— Désolé… ! meuglait-il en larmoyant.

— C’est bon, ça va aller ! Dans trois jours, ton bras sera comme neuf ! Cette capacité régénératrice est fantastique, tu progresses tellement plus vite avec !

Il l’agrippa par les épaules et le remit sur pied.

— Enfermer ce pouvoir, et puis quoi encore ? Pourquoi te contenir ? Pourquoi ne pas chercher à le maîtriser ?

— Pour… ne pas blesser les autres.

— Mais ce sont aux autres de s’adapter à toi ! Ne laisse pas un type Plante, Eau, Insecte ou je ne sais quel autre faiblard t’ordonner quoi que ce soit ! S’ils te craignent, c’est que tu as le potentiel d’asseoir ta domination !

Puis, il recula en ouvrant les bras.

— Allez, frappe-moi !

— Quoi… ? Chef, vous n’avez pas idée du danger que je représente !

— Ça va, ma bedaine va encaisser !

— Chef…

— Je te promets que tout ira bien ! lui assura-t-il d’un grand sourire sincère.

Le jeune garçon soupira, avant de contracter tous les muscles de son bras droit. Il ferma les yeux et crispa les dents. Il revoyait ce gigantesque rocher, la nuit où Airmure tenta de l’éliminer. Pas seulement lui, mais également de pauvres innocents qui n’avaient rien demandés. Il palpait cette détresse, rien que d’y repenser. Immédiatement, son bras fut empli de sévères picotements. Il rouvrit les yeux, le visage crispé d’angoisses. Alors qu’il s’élança, Roitiflam stabilisa ses jambes et se recroquevilla, les bras écartés. À l’instant où le poing de l’attaquant atteignit le ventre du défenseur, l’atmosphère s’intensifia d’une trentaine de degrés.

Puis, les murs fondirent, la porte explosa et le tatami brûla dans un tas de cendres, rapidement emporté dans la tornade enflammée qui s’était dégagée de ce petit poing à la chaire se noircissant à vue d’œil. Le temps que Salamèche ressente la douleur, il était déjà encastré dans les coulis de béton, à l’autre bout de la pièce, repoussé par la force de sa propre attaque. Son bras droit s’était instantanément brisé. L’explosion arracha la manche de sa combinaison, tandis qu’une partie de son armure fondit sous la pression caniculaire. Un épais brouillard envahit rapidement la pièce, ainsi que le reste du couloir.

— Chef ?! s’inquiéta Hypnomade en déboulant. Chef, est-ce que tout va bien ?!

Dans tout ce boucan, un rire se dégageait. Un rire à gorge déployée, alors que la figure d’une montagne de muscles tremblait d’excitation.

— N’arrêteras-tu donc jamais de me surprendre ?!

Sa combinaison en nylon s’était désintégrée et seuls quelques morceaux couvraient le nécessaire. Son corps était recouvert de cendres, d’égratignures et de sang. Pourtant, il rigolait comme si ce torrent enflammé l’avait chatouillé. Son ventre avait beau être rond, il paraissait aussi impénétrable que l’acier. Et encore, l’acier aurait fondu. Il approcha le corps gigotant de son élève, affalé contre les résidus fondus de mur. Il tremblait, crachait du sang et peinait à reprendre son souffle. Roitiflam s’affaissa et appuya doucement sa poitrine. Son cœur battait d’une allure affreusement rapide.

— Du calme, ce n’est rien. Tu régénèreras en un rien de temps.

Le scientifique approcha en esquivant les décombres.

— Je crois qu’il fait une crise d’angoisse, s’affola-t-il en le dévisageant.

Voyant qu’il n’arrivait pas à le calmer, le chef soupira.

— Bon, fais ton truc.

Il s’éloigna et laissa le type Psy l’hypnotiser. Ce dernier s’endormit à sa demande. Il cessa de trembler.

— Je vais m’occuper de lui, avant qu’il ne perde trop de sang…

— Je comprends pourquoi il avait peur. Si j’arrive à lui faire surmonter la crainte de ressentir une douleur atroce, il deviendra redoutable, bien plus que je ne me l’étais imaginé !

— Attendez, ne me dites pas que cette explosion venait de lui ?

— Et d’une seule patte ! Si je ne l’avais pas encaissée, c’est toute l’infrastructure qui aurait été réduite en cendres. Je ne suis même pas sûr de pouvoir produire une telle quantité d’énergie, tu parles d’une bonne pioche !

— Déjà faudrait-il qu’il survive à son propre pouvoir ! grogna Hypnomade en l’emportant jusqu’à l’infirmerie.

Il croisa Chimpenfeu dans le couloir.

— Tiens, profites-en pour nettoyer ce bazar !

Le primate ne lui échangea pas même un regard. Ayant tout entendu, il restait immobile, le regard vitreux.

Voilà le nouveau quotidien de Salamèche, au cœur de sa nouvelle maison. À l’exception de graves blessures comme celle-là, Roitiflam et Chimpenfeu n’hésitaient pas à l’entraîner comme s’il se retrouvait dans des conditions réelles. Régulièrement, ils lui brisaient quelques os et le couvraient de bleus et de cicatrices. En contrepartie, il apprenait à supporter la douleur et se battait comme si sa vie en dépendait, renforçant sa force, sa vitesse, son endurance et bien sûr, son mental. Le lendemain, il en redemandait toujours plus, malgré les plaintes répétées du scientifique.

— Espèce d’imbécile, ils vont finir par te casser quelque-chose d’irréparable !

Mais le jeune type Feu lui répétait sans cesse que tout allait bien.

Tous les soirs, après le dîner et une bonne douche froide, il s’enfermait dans son compartiment. Il s’installait à son bureau, dégainait un stylo et ouvrait son rappelle-tout en partant de la fin. Pendant bien une heure, il écrivait sans s’arrêter, recrachant toutes les informations emmagasinées au cours de ses entraînements. Puis, il se coucha et s’endormit comme une pierre. Il ne cauchemardait plus, tandis que depuis peu, plus aucune secousse ne frappait l’infrastructure.

Parfois, au cours de la matinée, Roitiflam lui donnait rendez-vous dans son bureau. Tous les deux avaient pris l’habitude, une à deux fois par semaine, d’échanger sur autre-chose que leur quotidien répétitif. Ce jour-là, ils marchaient dans les couloirs.

— Où en es-tu ? questionna le chef en zieutant l’épais bouquin que son élève tenait entre les pattes.

La couverture montrait un ciel étoilé, alors que titre indiquait : « Des légendes, une réalité ».

— J’ai lu les trois premiers chapitres. Beaucoup de choses ne nous ont pas été dites à l’école.

— C’était il y a un peu plus de deux siècles et pourtant, nous ne savons presque rien sur la Grande Guerre. Aujourd’hui, beaucoup réfutent l’existence des dieux. Moi-même, je les pensais disparus depuis bien longtemps.

— D’ailleurs, à propos de ce qui est dit sur eux…

— Tu n’en es qu’au troisième chapitre, mon grand.

Ils s’arrêtèrent devant l’une des portes du couloir de l’infirmerie. Au feutre noir y était marqué : « C-ESA », suivit de deux récentes dates. Roitiflam la décadenassa, laissant une atmosphère glaciale envahir le jeune garçon. Il lâcha son livre, bouche bée. Il s’agissait d’une grande réserve, remplie de caisses et instruments de construction poussiéreux. Mais dans le fond rayonnaient deux grandes cuves. Plus il approchait, plus son cœur battait. Dans chacune des cuves était maintenu un grand Pokémon au plumage brûlant, l’un d’une électricité aveuglante, l’autre de sévères flammes trépidantes. Un collier métallique les étranglait. Tous deux semblaient épuisés, mais conscients. Ils remarquèrent rapidement la présence des deux mortels.

— Toi… bégaya l’Oiseau Foudroyant. Que fais-tu ici… ?

— Je te l’avais dit… répondit l’Oiseau Flamboyant. Aucun impur n’est digne de notre confiance…

Roitiflam approcha, les pattes dans les poches.

— Économisez votre voix, c’est bien tout ce qui est encore sous votre contrôle !

Il se tourna vers son élève, qui fixait les deux créatures d’un air horrifié.

— Je te présente Électhor et Sulfura, deux des trois oiseaux légendaires qui ont jadis combattu sur nos terres.

— Comment sont-ils arrivés ici… ?

— Pour Électhor, j’ai été prévenu par des agents infiltrés. Pour Sulfura, il est la raison de notre venue au Mont Ardent.

— Pourquoi les avoir capturés ? Eux aussi consentaient ?!

— Nous traitons correctement les Pokémon, pas les monstres.

— Ce ne sont pas des monstres ! paniqua le jeune reptile. Ils protégeaient les sauvages !

— Non, ils protégeaient leur lieu de repos, après plus de deux siècles de sommeil. Tous ces sauvages bouffés par d’autres, toutes ces morts par éboulement, tous ces explorateurs incapables de ne pas tuer tout ce qui bouge ; que faisaient-ils, avant la secousse du neuf septembre ?

— Je n’arrive pas à croire que tu te sois laissé endoctriné par un tel impur, murmura Électhor.

— Attendez, je n’étais pas au courant !

— Alors libère-nous ! s’enragea Sulfura en fulminant son grand pouvoir.

Le collier attaché autour de son cou scintilla et les flammes se dissipèrent rapidement. Il s’écroula dans sa cuve, épuisé. Roitiflam s’en gaussa.

— Du calme, du calme ! Vous n’êtes pas bien habitué aux coutumes de notre monde, hein ? Généralement, pour convaincre quelqu’un que l’on veut poignarder dans le dos, on essaie au moins de le prendre par les sentiments ou de lui mentir subtilement. Là, ça se voit que vous voulez nous massacrer.

— Vous voulez encore me tuer… ? s’exaspéra le garçon en armure.

— Tu n’es qu’une misérable anomalie ! cracha la créature enflammée.

Il lui portait ce regard, celui qu’il détestait tant. Il palpait son dédain, son mépris, sa crainte et ses menaces. Sous le choc, Salamèche recula en haletant. Son cœur battait à vive allure. Bien qu’il ne le voyait pas, Électhor le dévisageait d’un air navré.

— J’imagine que tout ce qui est écrit dans le livre est vrai, marmonna le lézard. Par pur égoïsme et sans se soucier de la vie qui se développait rudement sur la planète, les dieux se sont affrontés sans relâche. Les quelques survivants, traumatisés par le carnage, ont créé notre calendrier actuel avec, comme point de départ, ce que tout le monde appelle aujourd’hui la Grande Guerre. Mais pour les mortels, ce n’était pas une guerre. C’était un massacre, et vous êtes responsables de la perte de millions de vies !

— Je vais te gâcher le plaisir de lecture, mais sache qu’on apprend par la suite que les dieux auraient envisagés de tous nous exterminer. Ils craignaient notre curiosité, notre ambition. S’ils s’étaient vus dans cet état lamentable, c’est clair qu’ils n’auraient pas hésité !

— Considérez-vous chanceux de ne pas affronter la pleine mesure de notre courroux divin !

— Mouais, enfin ça m’aurait arrangé que vous soyez en pleine forme. Les batteries se remplieront moins vite…

— Peut-être était-ce une bonne idée, d’enfermer des êtres qui se fichent aussi impunément de la vie d’autrui. Mais je reste contre la torture. Que comptez-vous faire d’eux ?

— Tu vois ces colliers ? C’est le moyen le plus efficace pour lutter contre la loi du plus fort. Cette technologie permet d’absorber le pouvoir destructeur des Pokémon, et cette même puissance nous servira de source d'alimentation. La planète en souffrira moins et les pauvres ne dépendront plus des riches. Ce n'est pas douloureux, juste handicapant. Quand ils auront purgé une peine équivalente à la mort de millions d'êtres vivants, nous les libérerons.

— Je vois.

Il se retourna, récupéra son livre et quitta la pièce.

— Non, marmotta l’Oiseau Foudroyant, ne nous abandonne pas…

Mais il était bien trop tard. Le chef sortit à son tour et referma la porte. Le silence s’imposa, l’atmosphère s’allégea.

— Merci d’être venu, lui confia Roitiflam. Tu peux disposer.

— Attendez, le coupa-t-il. J’aurais aimé que vous m’en parliez tout de suite.

— Pourquoi ? Aurais-tu réagi différemment ?

— Je pensais que cette infrastructure était saine. J’aurais aimé savoir tout de suite que ce n’était pas le cas.

— On ne gagne pas une guerre sans se salir les pattes, bonhomme.

— Je sais, mais attendre que je sois bien intégré pour me révéler quelque-chose d’aussi important, je trouve ça malhonnête. Chef, s’il vous plaît, ne me cachez plus la vérité.

Roitiflam soupira en détournant le regard.

— Je comprends. Je pensais que tu n’étais pas encore prêt, voilà tout. Je suis sincèrement désolé.

— Est-ce qu’il y a encore quelque-chose que je devrais savoir ?

Il hésita. Zieutant les différentes portes du couloir, il se dirigea finalement vers celle sur laquelle y était indiqué : « Sujet B1 ». Son élève le suivit d’un air perplexe.

— Il s’agit d’un projet tout autre. Personne n’a été capturé, cette fois. C’est… un peu plus compliqué.

Il décadenassa la porte et l’ouvrit avec plus de délicatesse que les autres. À nouveau, le jeune garçon fit face à une simple réserve. Des cartons, des caisses de rangement et des constructions probablement cassées ou inachevées. Au centre, en revanche, se trouvait une autre cuve. Moins épaisse, moins poussiéreuse. De gros tubes la reliaient à différentes machines. À l’intérieur, un liquide vert remuait. Elle contenait un Pokémon.

Brun d’une peau mélangeant écailles et roches, il ressemblait à un dinosaure bipède. Sa tête, surtout sa mâchoire, était gigantesque. Sans le moindre accoutrement sur lui, Salamèche l’identifia rapidement comme un garçon.

— Ne t’en fais pas, il n’est pas vraiment ce que tu crois.

— Et d’où vient-il ?

— Du passé, affirma-t-il en avançant face à la cuve. Le nom de son espère est « Ptyranidur », mais par professionnalisme, je te prierai de le nommer « Sujet B1 ». Il est le tout premier résultat du projet le plus coûteux de l’histoire de la DDR. Vois-tu, cette machine a été inventée par le docteur Capidextre après des décennies d’essais foireux et d’argent volatilisé pour des résultats écœurants. Mais ça y est, après tout ce temps, on la tient enfin ! Son espèce est éteinte depuis des siècles, que dis-je, des millénaires ! Pourtant, cette machine est la seule et unique méthode pour ressusciter un fossile !

— Un fossile ? Il ressemble à un Pokémon en parfaite santé.

— La reconstitution est parfaite, contempla-t-il en caressant la vitre de la cuve.

Puis, son regard se posa sur l’être qu’elle contenait. Il se retourna en soupirant.

— Enfin presque. Il manque encore quelques implémentations. Cependant, parmi toutes les organisations anti-gouvernementales du monde, la DDR a pris une ampleur titanesque grâce à cette merveille, plus encore depuis qu’Électhor et Sulfura nous assurent une batterie infinie. Je cherche à augmenter les effectifs, tu te souviens ? Lorsque le combat ne sera plus une option, nous n’aurons pas à sacrifier les nôtres. Notre armée sera composée d’êtres nés en cuve, dirigés par des soldats surentraînés ! Tous les pauvres seront enfin protégés !

— Et pourquoi sa vie aurait-elle moins de valeur que la nôtre ?

— Parce que sa conscience n’est pas réelle. Nous avons déjà fait un test, en l’extrayant de sa cuve. Son cerveau a été reconstitué, sa mémoire avec. Capidextre lui a implémenté notre système de communication actuel, mais à vrai dire, on s’attendait à ce qu’il nous saute dessus, tel un sauvage enragé. Cependant, il s’est recroquevillé, se plaignant d’avoir froid et peur, en chialant comme un gosse.

— Vous ne l’avez pas rassuré ?

— Moi ?

— Vous l’avez bien fait pour moi.

— Toi, t’es un type Feu. J’ai du mal avec les autres. Bref, dans tous les cas, on doit attendre que Capidextre mette à jour ses implémentations cérébrales. En attendant, on le laisse grandir en cuve.

— D’accord. Et quel âge a-t-il ?

— Il semblerait que celui-là soit mort jeune. Quatorze-ans je crois ? Il a ressuscité au même âge.

— Ok, soupira-t-il. J’aimerais être là, lors de son prochain réveil.

— Je m’en assurerai.

Ils quittèrent la pièce et Roitiflam la cadenassa avec rigueur.

— Merci d’avoir été honnête avec moi, chef.

— C’est normal.

Il s’agenouilla à son niveau et lui choya les épaules.

— Tu fais partie de la famille, maintenant.

Le jeune garçon hocha la tête, esquissant un sourire timide et réconforté.

Ainsi, la routine continua. Ayant pris compte du traumatisme de Salamèche vis-à-vis de la violence sanglante de ses pouvoirs, les jours suivants, Roitiflam l’entraîna plus sereinement. Il l’emmena dehors et posa quatre cibles en paille, au milieu de la plaine vide qui entourait l’infrastructure souterraine.

— À force de te faire bizuter par Chimpenfeu, tu as dû te rendre compte de quelque-chose, non ?

— Oui, il fait en sorte d’utiliser une parcelle de ses flammes pour accélérer ses mouvements.

— Hé, bon esprit d’analyse ! Tu viens d’expliquer la méthode de renforcement numéro une de la DDR : ne pas laisser les autres contenir qui nous sommes ! Dans notre société, les pouvoirs sont tabous. Au lieu d’apprendre aux enfants à les maîtriser, ils leur apprennent à les contenir, comme toi lorsque tu t’entraînais à Bourg-Tranquille. Tu remarqueras que les explorateurs ne sont pas spécialement de bons combattants, la Guilde leur a juste appris ce savoir essentiel.

— Vous parlez des types Feu spécifiquement, là ?

— Non, justement.

Serrant les poings, Roitiflam laissa d’épaisses flammes l’envahir, telle une aura flamboyante. Il se recroquevilla.

— Pour se renforcer, les types Feu utilisent leurs flammes…

Puis, il relâcha la pression et se propulsa dans les airs. Salamèche tomba en arrière, bousculé par le choc du mouvement. Son regard était figé dans le ciel, jusqu’où s’était élancé son maître. À l’atterrissage, il explosa le sol si puissamment qu’il provoqua un léger tremblement de terre dans le territoire.

— Pour une fois que tu n’es pas responsable d’une secousse ! plaisanta-t-il alors que ses flammes se dissipèrent.

Pendant qu’il reprenait son souffle, Salamèche se dépêcha de remettre les cibles en place.

— Qu’est-ce que je disais ? Ah oui, les types Feu surentraînés font comme ça, donc ! Le feu n’est pas censé permettre d’augmenter sa force ou ses réflexes, mais nos corps sont enclins à se renforcer, au contact des flammes. Absolument tous les types fonctionnent comme ça. Les types Eau augmentent leurs capacités physiques lorsqu’ils se baignent. Les types Plante peuvent littéralement créer la vie en touchant la terre ferme. En absorbant l’énergie de la flore, ils améliorent temporairement leurs capacités. Les types Glace peuvent se refroidir sur le tas, ralentissant leurs mouvements mais augmentant considérablement leur force et leur résistance. Les types Électrique n’ont qu’à absorber quoique ce soit d’énergique pour recharger leurs propres batteries…

— Et les types Combat sont capables de contracter si forts leurs muscles, qu’ils en dégagent l’air pour gagner une force et une vitesse monstrueuse. D’accord, je comprends enfin pourquoi je n’avais aucune chance, face à Charmina.

— Bref, tu comprends l’idée. Le truc, c’est que la crainte que tu portes vis-à-vis de ton pouvoir t’empêche d’apprendre à le maîtriser sereinement. Qui sait pourquoi tu n’as pas de limite ?

— Au village, on supposait que c’était à cause de mon humanité.

— Foutaises. Ils veulent juste te rappeler ta différence. Ne te laisse pas intimider.

— Oui, chef.

— Bon. Du coup, on va attendre que tu évolues, au moins en Reptincel, pour commencer à faire jaillir tes flammes. Mais en attendant, il y a un autre moyen d’utiliser tes pouvoirs ! J’appelle ça l’ancienne méthode !

Il se tourna vers une cible, leva la tête et fit gonfler sa gorge. Puis, il recracha une épaisse boule de feu, explosant le pauvre petit tas de paille. La suivante, il l’incinéra après avoir inspiré un grand coup, puis soufflé par le groin de vivaces braises. Enfin, pour la troisième, il plongea une griffe dans son écharpe enflammée, en ressortit un résidus scintillant et le jeta, telle une poussière, sur le tas qui s’enflamma peu à peu.

— Utiliser les parties de son corps qui brûlent déjà !

— Wow ! Ça a l’air si facile !

— Ça l’est, mais c’est une technique dépassée. Là, ça dépend plutôt de l’espèce, mais tous les types Feu ont des entrailles bouillantes. Tu devrais donc être capable de cracher des boules de feu, voire d’apprendre à jeter des flammèches par la queue. On va s’entraîner là-dessus, durant les prochains jours !

— Oui, chef !

Jusqu’au coucher du soleil, le jeune garçon s’entraîna à ressentir la chaleur monter à l’intérieur de son corps. Le reste du temps, il fixait l’embout enflammé de sa queue, assis dans l’herbe, à essayer d’embraser les tiges. Sans grand succès, bien qu’il parvienne à les chauffer un peu plus fort que d’habitude.

Le lendemain, à trop contracter le ventre pour intensifier sa potentielle boule de feu, il ne cracha que son repas du jour. Le surlendemain, la pluie s’abattit à l’instant où sa flamme se répandit sur une tige d’herbe. Trois jours plus tard, obsédé par le succès de son entraînement, il s’irrita l’embout de la queue, tandis qu’aucune herbe ne brûla. Le quatrième tas de paille, lui, n’avait toujours rien à craindre.

— Bon sang ! s’énerva-t-il en cognant le sol de frustration.

— Sois patient, mon ami. La patience t'apportera toujours de meilleurs résultats.

Le jour d’après, le chef l’envoya plutôt surveiller les prisonniers. Pendant qu’ils minaient, le jeune garçon écrivait des pages entières dans son rappelle-tout. Soudain, Rocabot s’écroula d’épuisement.

— Est-ce que tout va bien ? lui demanda le soldat en approchant.

Le canin grogna en sortant les crocs. Salamèche s’agenouilla, les bras en l’air.

— J’ai retenu la leçon, tu sais ? Tu ne m’aimes pas, certes, mais j’ai l’impression que tu es blessé.

L’une de ses pattes arrière était noircie, tandis que sa fourrure était recouverte de sang séché.

— Hypnomade ne t’a pas soigné ?

— C’est une vraie question ? intervint l’autre prisonnier.

À l’autre bout de la caverne, il jeta sa pioche.

— Tu croyais qu’on souffrait juste des coups de fouets ? On est livré à nous même, ici !

— Je vais chercher du désinfectant et un rouleau de bandages.

Il leur accorda un peu de répit, le temps de couvrir leurs blessures. À nouveau, Rocabot grogna lorsqu’il approcha avec le matériel nécessaire. Mais Manglouton le rassura, même lorsqu’il hurla à la mort en sentant le désinfectant couler le long de son membre.

— Il ne sait pas parler ? lui demanda le reptile.

— Il a perdu la parole quand on s’est fait attaquer par les explorateurs.

— Que s’est-il passé ?

— Le chef ne t’a pas raconté ? À Loliloville, on vivait en coloc mais on était fauchés. On a tenté de voler de la bouffe dans la supérette du coin, mais ça a dégénéré et une équipe d’exploration a débarqué. Roca s’est pris un méchant coup sur la tête, alors j’ai dû le porter et fuir dans les quartiers pauvres pour être tranquille, mais on s’est rapidement fait chopper par les gangs. La DDR est la seule organisation qui a bien voulu de nous, mais bon…

— Est-ce que tu regrettes d’être venu ici ?

— Je pensais qu’on allait se faire réprimander quelques jours, ou que l’entraînement pour devenir soldat aurait été amplifié pour nous punir de nos conneries. Mais là… c’est de la torture !

Il détournait le regard, les larmes aux yeux.

— On voulait juste survivre ! Mais ce monde est horrible. Tu déçois ta famille, elle t’abandonne ! Tu commets une pauvre infraction après une vie entière à te tenir à carreaux, on te tabasse sans avertissement ! Tu reconnais tes erreurs et accepte de servir l’autre camp, tu deviens un esclave pendant des mois et on te fait croire que le cauchemar est bientôt terminé. Je n’en peux plus…

Salamèche termina d’accrocher le bandage. Puis, il tapota le dos de Manglouton.

— C’est terminé, ne t’en fais pas. Tu ne seras plus jamais battu par la DDR.

— C’est… encore une fausse promesse ?

— On va très vite le savoir.

Il frappa contre le bureau de Roitiflam. Ce dernier leva un sourcil.

— Ça te touche à ce point ? Ils l’ont pourtant mérité.

— Personne ne mérite de vivre ça, encore moins nos alliés ! Faites d’eux des soldats ou je quitte l’infrastructure !

— Et où comptes-tu aller ?

— Loin d’ici ! Je reprendrai ma fugue, s’il le faut !

La montagne de muscles soupira. Elle plaqua ses poignes contre le bureau, s’appuya dessus pour se relever et le dévisagea d’un air froid et impassible. Mais Salamèche ne tremblait pas. Tous deux s’échangèrent un regard sec, dans un pesant silence.

— Tu veux t’imposer, hein ? Mérite-le.

— Qu’est-ce que je dois faire ?

De retour à l’extérieur, au cœur de la plaine et alors que la pluie battait rudement, ils faisaient face au quatrième et dernier tas de paille, le seul à ne toujours pas avoir pris feu. Les bras croisés, Roitiflam le fixait d’un sourire narquois. Mais Salamèche n’en avait que faire.

Il ferma les yeux et inspira doucement. La chaleur ruminait, dans son estomac. Il serra les poings et la laissa grimper jusqu’à sa poitrine. Il leva la tête et sentit sa gorge brûler de vives flammes. Enfin, il rouvrit les yeux, visa sa cible, puis relâcha toute la pression en crachant une véritable traînée enflammée. Malgré la pluie, elle se recroquevilla jusqu’à former une boule de feu, qui à l’impact de sa cible, explosa à s’en refléter dans les yeux du maître. Son sourire se transforma.

— Soit ! Allons dans les cachots.

Une fois les trois étages descendus, le chef ouvrit la cellule des deux prisonniers. Ces derniers le fixaient, bouche bée.

— Vous êtes libres. Je vais trouver de quoi vous occuper, les quartiers pauvres ont besoin de main-d’œuvre. Reposez-vous quelques jours, parce que bientôt, vous retournerez à Loliloville.

Sans dire un mot de plus, il s’en alla. Salamèche bondit jusqu’à eux.

— C’est bon, vous êtes enfin libres ! Bon, il n’y a pas assez de chambre donc vous allez devoir vous contenter de la mienne, mais vous quitterez bientôt cet endroit !

— Euh… merci. Enfin… je ne sais pas quoi dire…

— Et toi, Rocabot, comment va ta jambe ?

Le canin lui répondit en remuant le membre en question, toujours recouvert d’épais bandages.

— Super ! Ça risque peut-être de piquer un peu dans la soirée, mais s’il te plaît, évite de mordiller.

— Dis… euh… pourquoi est-ce que tu fais ça ? J’imagine que t’as risqué ta place ici, en tentant de nous libérer ? Qu’est-ce que ça t’apporte, de prendre autant de risques ?

— La DDR s’engage à combattre les injustices. Peu importe à quel point le monde est complexe, j’aime cette philosophie.

— Je vois. Nous non plus, nous ne connaissions pas grand-chose à la DDR, mais je suis rassuré de savoir que j’ai rejoint le bon camp. Merci pour tout, Salamèche.

Au sommet de la caverne, Roitiflam les observait discuter. Hypnomade descendit le rejoindre en arborant un air inquiet.

— Euh… chef ? Avez-vous parlé à Chimpenfeu, récemment ?

— Je me fiche de Chimpenfeu, il est suffisamment grand pour se gérer tout seul. Admire plutôt ça !

— Les prisonniers ? Pourquoi sont-ils en dehors de leur cellule ?

— Ils sont nos soldats, désormais.

— Oh bon sang, qu’avez-vous encore mijoté ?

— Sa bonté d’âme est inébranlable. Tant pis, je m’adapte. D’une pierre deux coups, Manglouton et Rocabot se tiendront à carreaux grâce à lui, tandis qu’il a trouvé la force d’enfin utiliser correctement ses pouvoirs.

— Impressionnant. Ce garçon est une ressource précieuse.

— C’est clair. Avec lui sous nos ordres, d’ici quelques années, on aura de quoi s’imposer. Ce petit gars est vraiment la meilleure chose qui pouvait m’arriver ! Moi qui me moquais de son idéalisme, je commence à me demander si diriger aussi strictement que je l’ai toujours fait est vraiment la meilleure solution…

— Ne redevenez pas un enfant pour autant, chef.

— Pas moyen ! s’esclaffa-t-il. À ce propos, gardons le silence encore un peu, quant à ton véritable travail.

— Vous pensez qu’il n’est pas encore prêt ?

— Loin, très loin de là.

Vint l’heure du dîner, qui accueillit deux nouvelles têtes à nourrir. Cependant, comme Hypnomade l’avait fait remarquer, Chimpenfeu ne répondait pas présent. Salamèche dirigea ensuite ses deux nouveaux amis vers les douches, puis leur prépara à chacun un matelas dans sa chambre. Cette nuit, ils la passèrent à trois.

— Ça va aller, vous n’avez pas froid ?

— Je crois que Rocabot s’est déjà endormi, donc on va supposer que ça va aller. Moi, je me sens bien…

— Tant mieux. Dis-moi, qu’est-ce que tu feras une fois à Loliloville ?

— Ce que le chef attend de moi.

— C’est tout ?

— Il est hors de question que je retourne dans l’autre partie de la ville, si c’est la question. Je ne veux plus jamais revoir un explorateur, je ne veux plus jamais revoir ma famille…

— Je comprends…

— Et toi ? On te parle tout le temps de Loliloville, mais il me semble que tu n’y as jamais mis une patte.

— Non, jamais. Quand j’en ai entendu parler pour la première fois, j’étais si admiratif. On me vendait la vie en pleine ville comme le summum du bonheur que pouvait atteindre un Pokémon…

— Les campagnards doivent être désespérés, pour penser ça…

— Avec nos revenus, si nous décidions d’emménager à Loliloville, nous survivrions à peine dans les quartiers pauvres. Alors je comprends le combat entrepris par le chef. J’ai hâte de pouvoir lutter contre les injustices…

— Tu m’étonnes. Bon, je suis crevé…

— Oui, pardon, je parle beaucoup. Bonne nuit…

— Bonne nuit…

Et ainsi s’acheva cette épuisante journée du seize mai.

Deux mois s’étaient écoulés, depuis que Salamèche était devenu un fugitif. Dans vingt-cinq jours, la fin du monde – telle que prédite par Xatu – frapperait le peuple Pokémon dans une ultime secousse. Pikachu y pensait tous les soirs, en allumant le feu de camp. Lui et Branette voyageaient depuis presque deux semaines. Plus endurant et expérimenté que lors de sa première expédition, il parcourait chaque journée de plus grandes distances et gagnait un temps de trajet considérable. La nuit du vingt-trois mai, alors que la pleine lune illuminait leur route, les deux garçons esquivaient les arbres en direction du village le plus proche.

— Ça y est, larmoyait-il le sourire aux lèvres, on y est enfin !

Après plus de deux mois, le fugitif traversait de nouveau ce territoire à l’atmosphère agréable et aux petits sauvages inoffensifs. Ils quittèrent les Petits Bois et marchèrent, essoufflés, jusqu’au rebord de la colline au grand arbre. L’horizon apaisant de Bourg-Tranquille leur faisait face.

— La dernière fois que j'étais ici, j'étais tellement impatient de découvrir le monde extérieur ! Maintenant, j'aimerais que tout redevienne comme avant. Que la Dream Team se reforme, que l'on explore les alentours sans prétention et que Salamèche soit à mes côtés...

— Ne t’en fais pas, le consola Branette, on va le retrouver.

Un mouvement soudain les interrompit. Le temps de se retourner, deux imposantes figures les agrippèrent. Un long corps écailleux s’enroula autour de Pikachu, tandis que deux poignes plaquèrent Branette à terre.

— Alors comme ssça on revient au bercail comme sssi de rien n’était ? le nargua Arbok.

— Non ! Lâchez-nous, bande de psychopathes !

— Qu’est-ce que t’es au juste ? se moqua Charmina en dévisageant sa proie.

— Ton pire cauchemar, le menaça l’enfant constitué de tissu.

Aussitôt, il se volatilisa dans le sol, ne faisant plus qu’un avec l’obscurité.

— Hein ?! Arbok, fais gaffe !

Trop tard, son coéquipier encaissa une gigantesque droite spectrale en pleine figure. Le serpent dégringola le long de la colline, pendant que Branette relevait Pikachu avec son pouvoir.

— Est-ce que tout va bien ?

— Oui… merci !

— Je vois, rigola le membre de l’équipe Chaotique. J’adorerais te flanquer une raclée, mais te laisser sans aucune séquelle physique aggraverait ton cas !

Il dégaina son badge de secouriste.

— Vous êtes en état d’arrestation !

— Quoi… ? bafouilla le rongeur.

— Fallait pas jouer avec les règles, sale mioche ! Maintenant, il faut assumer les conséquences de tes actes !

Les deux amis s’échangèrent un regard perplexe, avant que Pikachu ne lève les pattes en guise de reddition. Branette le suivit et les deux garçons furent escortés jusqu’aux cellules provisoires du village.

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