Donjon Mystère - Dream Team

Chapitre 19 : Roitiflam

5203 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 26/02/2021 13:03

Aucune douce ou fraîche brise ne parcourait son corps, car aucun vent n'animait cette pièce cloisonnée d’un béton gris fissuré. Seuls des frissons, provoqués par le métal froid sur lequel reposait son corps fébrile, parcouraient sa douloureuse échine. Il ouvrit les yeux et toussa en essayant de se redresser.

Qui donc ? Bonne question. Un petit bonhomme couvert d'une légère couverture comme seul vêtement, à l'exception des nombreux bandages et de l'attelle qui maintenait son bras droit. Il sentait son cœur battre de plus en plus vite dans ce silence morbide. Aux coins de la pièce se trouvaient plusieurs tiroirs rongés par le temps, ainsi qu’un chariot rempli d’instruments médicaux. Son rappelle-tout reposait à côté, intact.

Après plusieurs minutes à tenter de se lever sans perdre l’équilibre, il attacha la couverture telle une cape couvrant tout son corps, puis marcha pieds nus jusqu’à la porte métallique qui lui faisait face. Le poids de celle-ci le força à utiliser ses deux pattes, alors qu’un lourd grincement résonnait dans toute l’infrastructure. Il arriva dans un long couloir sombre, dont la vitre des autres pièces était recouverte par un rideau de fer. Sur la porte la plus proche, une série de noms de code avait été marquée au feutre noir, tous barrés à l’exception du dernier : « C-DRA-06/231 ». Il jeta un coup d'œil à la porte de la pièce où il s’était réveillé, l’inscription indiquait simplement : « Infirmerie ».

— Toi… ? marmonna une voix qui le fit sursauter.

Provenant de l’obscurité du corridor, une figure jaune de peau se distinguait. Accoutré d’une blouse tâchée au-dessus d’une tunique noire, cet homme au regard lubrique laissait pousser une épaisse fourrure blanche autour de son cou. Son long nez cachait une bouche discrète. Sur son vêtement, au niveau de la poitrine, était accrochée la ficelle d’une pendule.

— Tu n’es pas censé te réveiller maintenant. Retourne à l’infirmerie !

Alors qu’il approchait, le jeune garçon recula.

— Reviens tout de suite !

Il déguerpit à vive allure. Il ne réfléchissait plus, il n’y arrivait plus. L’adrénaline s’était emparée de lui et ne cessait d’intensifier ses craintes, à l’entente des cris paniqués de celui qui le poursuivait. Il ne souhaitait qu’une chose : que quelqu’un lui vienne en aide. Ce n’était pas un cauchemar, la douleur lui en assurait. Son endurance le perdait et bientôt, il serait rattrapé. Il ferma les yeux en espérant plus que tout obtenir de l’aide, n’importe laquelle. C’est alors qu’à l’intersection du couloir, quelqu’un se cogna à lui. Pensant s’être fait prendre en embuscade, le jeune reptile ferma les yeux, baissa la tête, crispa les dents et s’avoua vaincu. Mais tout ce qu’il eut…

— Du calme, mon grand.

… ne fut qu’une franche dose de réconfort.

— Nous ne te voulons aucun mal, je t’en fais la promesse.

En ouvrant les yeux, il fit face à une gigantesque montagne de muscles. Plus d’un mètre soixante, une peau orange et des sourcils noirs, un groin et des dents pointues aux coins des lèvres ainsi qu’autour de son cou, d’imposantes flammes d’un rouge vif et chaleureux. Il était vêtu d’un léger pourpoint et d’une simple braie. Il lui tendait l’une de ses pattes griffues.

— Mon nom est Roitiflam. Et toi, tu dois être Salamèche, n’est-ce pas ?


Chapitre 19 : Roitiflam

 

Salamèche marchait tête baissée. Il n’avait pas dit un mot, même après avoir saisi cette patte d’où émanait une chaleur pourtant si agréable. Encerclé par ce dénommé Roitiflam et l’autre lubrique à la blouse répugnante, il avait détourné le regard en s’avouant vaincu. La montagne de muscles avait répondu d’un soupir, s’était retournée et lui avait fait signe de le suivre. Le jeune garçon s’était exécuté en tremblotant.

— Chef, qu’est-ce que vous êtes en train de faire ?

— Il faut le rassurer, Hypnomade.

Ils s’arrêtèrent tous les trois face à un grand mur cabossé. Le chef poussa d’une poigne ferme le levier situé à sa droite, et le mur céda sous le bruit grinçant des engrenages, laissant une lumière agressive envahir la pièce : celle du monde extérieur. Pourtant, le ciel était gris, brumeux, et il pleuvait à n’en plus finir. Au cœur d’une plaine vide, proche d’une petite forêt, avec en arrière-plan un mont enneigé, le jeune homme semblait avoir été emmené dans un profond sous-sol creusé à l’intérieur d’une colline.

— Je t’en prie, assura Roitiflam, personne ne te retient.

Salamèche avança lentement, peinant à dépasser le béton pour atteindre l’herbe. Il fixait l’horizon, le regard absent. Peu à peu, ses poings se resserrèrent. Roitiflam esquissa un sourire, plus encore lorsqu’il rebroussa chemin jusqu’à lui.

— Bon. Peut-être changeras-tu d’avis, lorsque le soleil sera revenu ?

Il tira le levier et le mur brandit. La lumière s’éclipsa. La pluie se musela.

— Puisque tu ne sembles pas déterminé à partir tout de suite, peut-être peux-tu enfin nous laisser entendre ta voix ? Je suis sûr que tu as des centaines de questions.

Il en rigolait, les pattes dans les poches.

— Que va-t-il m’arriver… ? marmonna l’enfant.

— Tout dépend de toi.

— Comment ai-je atterri ici ?

— On t’a récupéré au Mont Ardent, il y a cinq jours. T’étais pas beau à voir.

— Et pourtant, ajouta le scientifique en croisant les bras, il est déjà sur pied. Les lézards ont des capacités régénératrices hors du commun, je n’avais jamais eu la chance d’analyser ça d’aussi près.

— Allez, viens, je vais te faire visiter un peu !

Le temps de tourner la tête, les deux adultes étaient déjà loin. Alors sans même s’en rendre compte, Salamèche accéléra le pas pour les suivre. Avant d’atteindre le couloir de l’infirmerie, le groupe emprunta une cage d’escaliers descendante.

— Au premier sous-sol, tu as nos quartiers. Des chambres, des douches et même une cuisine qui nous sert de salle commune. On s’habitue rapidement à l’absence de fenêtres.

— Vous vivez tous ici ?

— Nous ne sommes pas nombreux, question de sécurité.

— Pourquoi ? Qui vous veut du mal ?

— Oh… pas mal de monde, je suppose.

Ils arrivèrent au deuxième sous-sol.

— Là, c’est la partie boulot. Il y a des bureaux et des salles d’entraînements.

— Des salles d’entraînements ? Sur quoi est-ce que vous travaillez ?

— En ce moment, on cherche à remplir les effectifs. Savoir se battre est un critère essentiel.

— Est-ce que vous êtes une sorte d’équipe d’exploration ?

La montagne de muscles pouffa du groin.

— T’es un marrant, toi ! Attention aux marches, celles-là sont moins larges.

Ils pénétrèrent une grande pièce, au tréfond du troisième et dernier sous-sol. Le béton céda sa place à de la roche naturelle, tandis que de simples barrières métalliques protégeaient les passants d’un vide glaçant. Salamèche s’approcha du rebord et observa l’immensité d’une caverne apprivoisée par la civilisation. De nombreuses torches, fixées aux parois, éclairaient le chemin menant aux filons de minerais. Deux autres Pokémon s’y trouvaient, tous deux couverts de poussière de charbon. Vêtus d’une simple braie, ils frappaient sans relâche avec une pioche tenue dans la bouche. Les deux étaient quadrupèdes.

Le corps de l’un était fin mais long, couvert d’une fourrure brune et jaune, avec de petites oreilles rondes, un museau rose, et de gigantesques dents pointues. L’autre était un canin légèrement plus grand, doté d’une épaisse fourrure de couleur marron clair, presque terne. Le bout de ses pattes, son museau et ses oreilles étaient plus foncés, tandis que son regard, marqué par de grands yeux aux pupilles bleues, semblait plus naïf. La fourrure grisâtre autour de son cou était parsemée de petites roches. Sa queue recourbée restait immobile.

— Vous retenez des prisonniers… ?

— Nous les formons pour notre armée.

L’un d’entre eux s’écroula de fatigue. Surgit alors, depuis un creux que Salamèche n’avait pas dans son champ de vision, un dernier Pokémon. Son corps était recouvert d’une combinaison noire et d’une armure grise rouillée, mais son visage en disait déjà suffisamment. Il s’agissait d’un primate, orange de fourrure aux oreilles dégagées. Il dégaina de sa ceinture un fouet et attaqua sans avertissement. Le claquement sec sur la peau dénudée de ses cibles retentit dans toute la caverne. Le jeune amnésique bondit sans réfléchir, dévalant l’allée rocheuse sous le regard surpris du scientifique.

— Arrête ! cria Salamèche en le bousculant par surprise.

Il le désarma sous le regard tourmenté des deux prisonniers. Le soldat se releva immédiatement.

— Dégage, sale lézard crasseux !

D’une rapidité hors du commun, il lui infligea une droite en plein ventre. De légères flammes semblaient s’être dégagées de son bras lors du mouvement, mais le jeune garçon n’eut qu’à peine le temps de le remarquer, qu’il se lamentait déjà à genoux.

— Comment tu peux déjà être debout, toi ?!

— Chimpenfeu ! se fit remarquer la montagne de muscles depuis les hauteurs de la caverne. Il découvre, rien de plus !

Salamèche se releva, le regard fixé sur les deux prisonniers. Le canin tremblait, alors qu’une sévère marque rouge traversait son dos. Il approcha en tendant une patte, le sourire aux lèvres.

— Tout va bien ! Ne vous en faites pas, je vais m’occuper de vous…

Mais le regard que lui échangea le blessé était tout autre. Soudain, l’autre garçon lui bondit dessus.

— Attends ! bégaya le reptile en se débattant. Je veux t’aider !

En guise de réponse, il lui mordit férocement le bras gauche. D’une brusque adrénaline, le canin se redressa et en fit de même en lui mordant une jambe. Leurs crocs arrachaient sauvagement le drap qui lui servait d’accoutrement.

— Arrêtez, larmoyait-il, je vous en supplie !

À l’aide de ses pattes griffues, le prisonnier au corps le plus fin lui découpait ses tissus et son attelle, atteignant sa peau qu’il tranchait de plus en plus sévèrement. Au sommet de la caverne, les deux hommes observaient.

— Chef, vous vous fourvoyez. Sa naïveté le mènera à sa perte.

— Laissons-le découvrir. Apprendre sur le tas est le meilleur moyen de retenir.

Mordillé de toute part, presque mis à nu, alors que des bouts de tissus imbibés l’entouraient ; son bras, son ventre et ses jambes tremblaient et dégoulinaient d’un mélange de sueur, de bave et de sang. Alors que son attelle céda sous les griffes adverses, le dernier de ses membres encore intact sursauta à l’approche des crocs ensanglantés. Soudainement, Salamèche ferma le poing et lui infligea une droite en pleine mâchoire. Sa première cible trébucha, tandis que sa seconde fut balayée d’un mouvement de queue. Il se redressa en les fixant d’un air tout autre. Il n'avait plus ces grands yeux accompagnés d’un large sourire. Seulement des veines et de fines pupilles.

— J’hallucine ! s’exclama Hypnomade. Hier encore, son bras souffrait d’une contusion !

Roitiflam était bouche bée. Le jeune garçon s’était relevé, approchant en titubant des deux prisonniers. Son corps tremblait, alors que du sang continuait à s’échapper de ses nombreuses blessures.

— Alors quoi, dégoisa-t-il d’une voix rongée par la haine, je ne suis pas assez bien pour vous non plus ? Vous ne méritez pas mon aide ! Jamais personne ne l’a mérité !

Son ouïe s’assourdit, ses pas s’alourdirent, sa vue se troubla. Il s’écroula, les larmes aux yeux. À peine revint-il à lui, qu’il bondit les dents crispées. Une forte brûlure lui parcourait le ventre.

— Wow ! sursauta le primate en armure. Calme-toi !

Il lâcha le morceau de bandage qu’il n’avait pas terminé d’envelopper autour de son corps. Salamèche en était recouvert, de nouveau allongé sur cette table d’opération de l’infirmerie. Il accoutrait le dernier morceau de drap qui lui servait de braie.

— Est-ce que j’ai rêvé… ?

— Sacré rêve, si tu t’en réveilles avec des blessures ! Sérieux, je comprends pas comment tu fonctionnes, mais ça m’arrange ! Termine de te soigner tout seul, lézard malpropre !

Il lui jeta une serviette au visage. À ses côtés se trouvait un chariot portant un rouleau de bandages et du désinfectant. Au lieu de cela, le primate plongea les pattes dans un seau d’eau, se décrassant chaque poils avec précision.

— C’est toi qui m’as secouru ? Merci…

— Ne me remercie pas. Ne remercie jamais personne.

— Euh… d’accord. Tu t’appelles Chimpenfeu, c’est ça ?

— En quoi ça t’intéresse ?

— Cette flamme, marmonna-t-il en fixant l’embout enflammé de sa queue, j’ai l’impression qu’on se connaît.

— Hein ? T’as jamais vu un type Feu ou quoi ?

— Si, mais plusieurs d’entre eux ont failli me tuer.

— Les gens ne t’aiment vraiment pas, c’est dingue. Il serait temps d’en décrocher un instinct de survie, au lieu de continuer à aider n’importe qui sans discernement.

— Oui, peut-être. Je suis désolé, je pensais qu’ils étaient vos prisonniers.

— Et qu’est-ce que ça change ? Dominant ou dominé, à la moindre occasion, on te sautera à la gorge. Qu’on soit bien d’accord : si t’avais pas tapé dans l’œil du chef, tu serais déjà six pieds sous terre !

— Le chef ? Tu parles de Roitiflam ?

— Ne souille pas son nom ! T’as intérêt à te montrer digne de sa protection ! D’ailleurs, il m’a demandé de t’amener à lui quand tu seras prêt, alors bouge-toi, on y va tout de suite !

— Il veut me protéger ? À quoi bon…

Ils sortirent de l’infirmerie et traversèrent le couloir, en direction de la cage d’escaliers. À nouveau, ils passèrent à côté des autres pièces, aux portes marquées d’étranges inscriptions.

— Qu’est-ce qu’il y a, là-dedans ?

— Des ressources. Avance.

Une fois au deuxième sous-sol, Chimpenfeu le guida jusqu’à la porte du fond. Ce dernier inspira, releva les épaules et étendit les bras le long du corps. Puis, il toqua à la porte.

— Entrez ! exclama le chef en feuilletant un journal.

Ses pieds reposaient sur la table. Le jeune garçon se tenait le ventre, mais le regard qu'il échangea avec lui, accompagné d'un sourire jusqu'aux sourcils, l'incita à franchir la porte. Au moins quinze degrés séparaient le couloir de ce bureau aux murs toujours aussi blancs. Pourtant, l'atmosphère y était plus légère.

— Merci, Chimpenfeu. Tu peux disposer.

— Bien, chef.

Le soldat s’inclina, avant de fermer délicatement la porte. Salamèche restait immobile, fouillant du regard les différentes étagères remplies à ras-bord de dossiers, de bouquins et de bouteilles de vin.

— Pas de panique, je ne vais pas te faire pas passer un entretient.

— Je suis désolé, c’est juste que je n’ai pas beaucoup de réponse…

— Je t’en prie, viens t’asseoir. Nous allons rectifier le problème.

De cette douce voix était accompagnée un léger mouvement de patte, visant la chaise en face de son bureau. Alors que le jeune lézard s’exécuta, le chef se réinstalla correctement et plia son journal à la tête d’affiche. Il le fit glisser jusqu’à son interlocuteur, lisant le nom de Quoti’Ville.

— Tu le savais ? lui demanda Roitiflam en titillant le gros titre.

Il indiquait : « Bourg-Tranquille : la Secousse n’est plus ! ». Le concerné détourna le regard.

— C’est là d’où tu viens, n’est-ce pas ? C’est amusant, ils personnifient la catastrophe.

— Mon exil n’aura pas servi à rien.

— Est-ce que ça te rassure, de les savoir en sécurité ? À ma connaissance, aucun d’entre-deux n’a cherché à te retrouver. Enfin, à part ceux qui ont été engagé pour t’abattre, bien sûr ! C’est peut-être pour ça qu’il n’est fait jamais fait mention d’un Salamèche ?

— Ils prétendaient faire ça au nom du bien, comme si je méritais de mourir pour les autres…

— Qu’est-ce que tu ressens en toi, là maintenant ?

— De la frustration. Si seulement je pouvais… remonter le temps, ne serait-ce que pour prendre la parole sur la place centrale, lorsque tous les regards étaient sur moi ! Au lieu de ça, je me suis lamentablement laissé abattre. Je n’ai rien dit, je l’ai laissé détruire ma vie.

— Qui ça ?

— Rapasdepic ! cria-t-il sans hésiter.

— Alors elle est l’unique coupable de tous tes malheurs ?

— Non, bien sûr que non. C’est aussi la faute d’Arbok et Charmina, pour avoir retourné l’opinion publique contre moi. Ectoplasma aussi, je lui en veux de m’avoir trahi. Et puis tous les autres ; pourquoi en ont-ils rajouté ? J’avais l’impression de me revoir à la rentrée, quand tout le monde se moquait de moi pour un rien, comme Carapuce qui insultait mon écriture…

— Carapuce ? Un garçon de ton âge ?

— Un abruti fini ! J’ai toujours essayé de faire de mon mieux et lui a toujours été jaloux. Il ne mérite pas d’être explorateur ! Il ne méritait pas ce foulard…

— Quel foulard ?

— Celui de Pharamp.

Roitiflam soupira.

— D’accord, je comprends mieux.

Il s’affaissa contre sa chaise en croisant les bras.

— Le grand Pharamp a un jour fait escale à Bourg-Tranquille, probablement pour une mission sans grande importance. Ce jour-là, en l’admirant dans sa combinaison de super-héros, tu pensais avoir trouvé ta voie. C’est fou, il est si puissant qu’il peut se permettre d’explorer et combattre sans armure, avec un pyjama en guise d’accoutrement. Une bien belle propagande à lui seul, cet homme.

— Que voulez-vous dire ?

Le chef retourna le journal, affichant une autre information indiquant : « Explorateurs extrémistes : deux corps retrouvés dans les égouts de Loliloville ». Cette fois, Salamèche agrippa le papier pour mieux le lire.

— Bon, à défaut d’être pro-écolo, ce journal a l’honnêteté de consacrer une partie de ses informations aux explorateurs. Pendant longtemps, les gens se sont tus par peur d’être réprimandés. Depuis que le parti de Pingoléon monte dans les sondages, la parole se libère.

— Je n’étais pas au courant.

— Normal, personne n’y a accès hors de Loliloville.

— Les explorateurs assassinent, là-bas… ?

— Oh, il y a des dérives un peu partout. Après tout, l’exploration est un métier facile d’accès. Donnons du pouvoir à une victime et étonnons-nous qu’il devienne persécuteur, en prétextant l’exception qui confirme la règle. N’as-tu jamais rencontré un secouriste qui abusait de ses fonctions ?

— Je n'ai rencontré que ça, affirma-t-il. Des lâches qui refusaient de prendre des risques ou qui demandaient de l'argent en récompense. Une fois, l'équipe ADT a même dû intervenir.

— Ah, l’équipe ADT ! Un grand cerveau et deux tas de muscles ! Ces trois-là aussi ont dû t’inspirer, je me trompe ? Comment est passée la pilule de la trahison ?

— Elle n’est pas passée du tout, grommela-t-il en se tenant le cou. J’ai cru que Dracaufeu allait me tuer…

— Il n'aurait jamais osé. Ce type a un ego surdimensionné ; il n'aurait jamais laissé passer une occasion de faire d'un Salamèche son digne successeur. Enfin, je ne suis pas si différent...

— Qu’attendez-vous de moi ?

— Je n’en suis pas bien sûr. Dis-moi, comment te vois-tu dans dix ans ? Qu’est-ce qui animera ta vie ?

— Je ne sais pas, marmonna-t-il. Au départ, je voulais aider les autres parce que le jour où j'ai reçu l'aide dont j'avais besoin, je me suis senti bien, vraiment très bien. Aujourd'hui, c'est plus compliqué. Même si je reste convaincu que certaines personnes méritent d'être aidées, je…

Il fixa le journal en repensant à tous ceux qui lui avaient fait du mal.

— Non, soupira-t-il finalement. Je ne veux plus devenir explorateur. Mais… je ne sais pas quoi faire d'autre de ma vie.

Le silence s’imposa, alors que Roitiflam l’observait en tapotant sur son bureau. Il inspira un grand coup.

— Ici, tu es en sécurité. Mais ici, tu es un criminel.

Salamèche écarquilla les yeux.

— On nous appelle « DDR », pour « Droit De Réponse ». La grande majorité de nos membres ou de nos partisans vivent dans les quartiers pauvres de Loliloville, là où les explorateurs ne posent jamais la moindre griffe. Nous avons un seul objectif : empêcher le gouvernement – et donc les explorateurs – de nous faire disparaître. Notre culture, notre liberté, notre sécurité, tout finira entre leurs pattes couvertes de sang, si nous les laissons s’étendre dans toute la ville et dans le reste du monde.

— Vous… êtes des criminels ?

— Nous réagissons, rien de plus. Les deux victimes retrouvées dans les égouts étaient de bonnes connaissances. Ils avaient pour mission de dérober les biens d’un multimillionnaire sans recourir à la violence. Cette action aurait financé l’officieux hôpital que l’on peine à entretenir, au cœur de nos quartiers. Ils ont sauvagement été massacré dans les égouts par des amis de l’équipe ADT. Personne ne les poursuivra jamais en justice.

— Et donc quoi, vous voulez tuer tous les explorateurs ?

— Un jour, le gouvernement lancera le projet « Rénovation ». Nos quartiers seront détruits et reconstruits pour y loger les nouvelles familles riches. À ton avis, qu’arrivera-t-il aux habitants actuels ?

— Ils… seront expulsés de la ville ?

— Expulsés, emprisonnés ou assassinés. Ouvre les yeux, bon sang, tu ne vis pas dans un monde de super-héros ! Certains hommes seront assignés à du travail forcé, il faut bien de la main d’œuvre. Certains enfants, les espèces et les types les plus utiles, serviront d’esclaves à ceux qui auront les moyens de s’en procurer. Certaines femmes seront… probablement traumatisées à jamais, avant de souffrir d’une mort aussi atroce que le reste des pauvres. Et devine quoi ? Pharamp fermera les yeux !

— Non, attendez, tout ça me dépasse ! Même si je voulais vous aider, je ne suis bon à rien !

— Tu sais te battre, rétorqua-t-il en se penchant sur son bureau. Te rends-tu compte de tout le chemin que tu as parcouru ? Serais-tu face à mon bureau, si tu t’étais réellement laissé abattre, le jour où cette vieille charognarde de Rapasdepic a détruit ta vie ? Tu ne t’es pas laissé faire, non, tu t’es battu ! Et j’admire ta détermination !

Il se leva de sa chaise, les poignes plaquées contre son bureau.

— À cinquante-trois ans, le temps commence à me rattraper ! Mais la DDR a besoin de moi et je refuse d’abandonner tous ceux qui se sont engagés à mes côtés ! J’ai besoin d’un allié ! Quelqu’un de confiance, prêt à apprendre, combattre et saigner à mes côtés ! Tu n’es qu’un Salamèche perdu, laisse-moi t’apprendre à devenir un grand Dracaufeu surpuissant, que dis-je, invincible ! Tu aiderais tellement de gens, tu sauverais tellement de vies ! Cette sensation que tu as ressentie, le jour où quelqu’un t’est venu en aide…

Il baissa la tête, s’inclinant face au jeune garçon bouche bée.

— Je te promets que tu arriveras à la transmettre !

Le visage crispé, Salamèche larmoyait sans s’en rendre compte. Son cœur battait la chamade. L’objectif de Roitiflam était le même que celui de Dracaufeu : faire de lui un soldat surentraîné. Pourtant, cette fois-ci, le jeune garçon trébucha de sa chaise et s’agenouilla face à cette proposition.

— Non… ! paniquait-il. Non !

Les livres commençaient à tomber des étagères, tandis que les portes claquaient à répétitions dans toute l’infrastructure. En effet, à la suite d’un rude battement de cœur s’était élevé un tremblement de terre. Au dernier sous-sol, sous les réactions terrifiées des deux prisonniers et du primate qui les surveillait, plusieurs roches s’effondraient autour d’eux. Dans son laboratoire, Hypnomade empêcha une importante cuve en verre de se renverser. Roitiflam observait l’auteur de la catastrophe, bouche bée.

— Je suis désolé, pleurait le jouvenceau à chaudes larmes, tellement désolé ! Je suis maudit ! Je ne peux pas aider qui que ce soit, pas tant que cette fichue malédiction me poursuivra !

C’est alors que les deux chaleureuses pattes griffues de la montagne de muscles lui choyèrent les épaules.

— Regarde-moi ! insista-t-il en levant d’un doux geste le menton du jeune garçon. Je me fiche de ton humanité ! J’ai eu accès à ton dossier, je sais ce que Xatu a dit de toi ! S’il faut attendre le neuf juin que les choses se calment, alors nous supporterons tous ensemble ces catastrophes ! Je t’en fais le serment !

Salamèche plongea dans ses bras et Roitiflam l’enlaça. Peu à peu, la secousse perdit en intensité. Le silence s’imposa lorsqu’elle cessa pour de bon, alors que les gémissements de l’alarmé se noyaient dans les tissus de son nouveau chef.

— Ça va aller, le rassura-t-il, tout va bien. Je suis là, désormais, je suis là…

La montée d’adrénaline fut si forte, qu’il manqua de s’évanouir aux côtés de celui qui lui assura protection. Ce dernier attrapa un feutre noir qui traînait sur son bureau, puis prit Salamèche par la patte, sortit de la pièce et le mena à l’étage supérieur. Alors que Chimpenfeu et Hypnomade couraient partout en s’assurant que rien de grave n’était arrivé à la fondation, Roitiflam préféra prendre son temps, en le guidant jusqu’à la seule porte des dortoirs qui n’était pas encore marquée. En l’ouvrant, il lui présenta une petite chambre avec un bureau et une chaise, une armoire et bien sûr un grand lit douillet.

— Repose-toi un peu, le temps que l’on te prépare un grand festin de bienvenue !

— Merci. Merci beaucoup…

Il quitta la pièce, ferma la porte, dégaina son feutre et y indiqua : « Salamèche ». Puis, il rejoignit ses deux collègues à l’étage supérieur.

À son réveil, le jeune garçon s’étira, tant son corps s’était assoupit. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas aussi bien dormi. Son regard se posa sur cette combinaison noire, que quelqu’un avait déposé sur sa chaise pendant qu’il roupillait. En se levant, il remarqua un autre objet sur son bureau : un épais plastron, gris et scintillant. Le mot accroché dessus indiquait : « J’espère qu’elle sera à ta taille ! De toute façon, t’es destiné à grandir ! Ah et je crois que ce truc est à toi… ». La dernière phrase semblait faire référence à son rappelle-tout, mais Salamèche l’ignora pour le moment.

Ni une ni deux, il jeta le bout de tissu qui lui servait de culotte, arracha les morceaux de bandages qui couvraient son corps et enfila sa nouvelle tenue : une combinaison noire faite en nylon, une paire de bottes et de gants ainsi qu’un plastron en acier, pesant à lui seul une dizaine de kilos. Bien que son torse ait du mal à se gonfler en inspirant, il se sentait à l’aise dans cet ensemble. Il sauta et s’étira, comme lors des entraînements avec son ancien maître. Puis, il ouvrit la porte de sa chambre et rejoignit le reste des membres de la DDR, le sourire aux lèvres.

Le calendrier dans la cuisine indiquait la date du trois mai. Voilà déjà plus de deux semaines, que Salamèche s’était éloigné de Pikachu. Depuis qu’Alakazam lui avait promis de retrouver et de prendre soin de son ami, le garçon au pelage jaune vivait à Bourg-Palissade. Il avait impatiemment attendu le retour Branette pour enfin mettre un mot sur cette histoire. Dans leur chambre, sur le lit du type Spectre, un badge bordé de dorure comme il n’en connaissait qu’un lui faisait face dans un pesant silence.

— C’est tout ce que tu as trouvé ? s’inquiéta le rongeur.

Branette hocha la tête.

— Le donjon était bien trop torride pour moi, je n’ai pas pu fouiller à l’intérieur. Cependant, l’équipe ADT ne semble pas même avoir eu le temps d’y poser une patte.

— Oh bon sang, maugréa-t-il en se couvrant la bouche.

— Si même l’équipe d’Alakazam a été maîtrisée, alors nous faisons face à une menace que nous ne pouvons pas prendre à la légère. Qui sait ce qui pourrait arriver à Salamèche, si des individus malintentionnés découvrent le danger qu’il représente ?

— Il nous faut de l’aide, assura-t-il en récupérant le badge, toute l’aide nécessaire. Je crois que je n’ai plus trop le choix, désormais. Je dois rentrer à Bourg-Tranquille.

— Soit, lui sourit son ami. Je t’accompagne.

Ils se motivèrent pour une dernière mission.

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