Donjon Mystère - Dream Team

Chapitre 18 : Le Mont Ardent

5574 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 25/02/2021 13:30

Le granit brûlé par les coulées de lave grondait depuis l'entrée du donjon. Au sommet, une fumée épaisse et rougeâtre s'échappait sans fin dans un ciel orangé, expliquant le brouillard poussiéreux qui enveloppait le territoire, encore plus chaud que l'Erg Sans Fin en pleine journée. Pourtant, tout était plus sombre. Pas un grain de sable, seulement des roches volcaniques, parfois fissurées, parfois noircies par des filons de charbon. La lumière émanait du magma, coulant à flot depuis les hauteurs du volcan et se frayant un chemin à travers des centaines de voies différentes.

Mais tout cela importait peu à Salamèche. Il fixait l'entrée d'un air inquiet, peinant à garder les yeux ouverts. Sa cape flottait au vent, crasseuse et déchirée comme le reste de sa tunique, mais ses poings étaient fermement serrés. Il inspira profondément avant de s'aventurer dans ce donjon, espérant y trouver ce qu'il désirait le plus : du réconfort.


Chapitre 18 : Le Mont Ardent


Le soleil brillait, au cœur de l’Erg Sans Fin. À l’entrée de Bourg-Palissade, proche de la place du marché, six bottes encrassées par le sable terrirent sur la voie menant aux différentes habitations. Couverts de légers tissus mais d’épais sacs, trois grandes figures assurées pénétrèrent le village sous le regard anxieux de ses habitants. Le plus droit d’entre eux s’inclina en guise de salutation.

— Nulle crainte, rassura Alakazam en montrant son badge bordé de dorure, nous sommes une équipe d’exploration.

Il transpirait mais restait couvert, se forçant à rester présentable.

— On aurait besoin de quelques renseignements, poursuivit Dracaufeu en se craquant le cou.

— Les touristes doivent se faire rares, conclut Tyranocif en desserrant les bretelles de ses nombreux sacs. Nous sommes à la recherche de deux jeunes Pokémon qui ne viennent pas d’ici, peut-être pouvez-vous nous aider ?

— Pas la peine de leur demander. Je suis là.

Les regards se tournèrent vers le garçon au pelage jaune, qui croisait les bras en les fixant d’un air morose. Sans un mot, il les invita à le suivre jusqu'à la maison de la famille Branette. Autour de la table du salon, alors que les explorateurs s’hydrataient, il conta le récit de ce qu'il avait vécu avec Salamèche depuis la dernière visite de l’équipe ADT à Bourg-Tranquille.

— Votre vie a été menacée par des explorateurs ? s’étonna Tyranocif.

— C’était prévisible, expliqua Alakazam. Xatu ne voyait qu’une solution pour mettre fin aux tremblements de terre. En plus de sauver le jeune Pikachu, Rapasdepic a probablement demandé à ses clients d’éliminer l’humain, même si je n’imagine pas Magnézone accepter. Peut-être a-t-il été dupé ?

— Cette maire est folle et abusive, s’impatienta Dracaufeu, tout le monde le sait. Abrégeons, je veux retrouver Salamèche !

— Pour en faire quoi ? le questionna Pikachu d’un air inquiet.

— Rassure-toi, reprit le chef, nous n’avons aucunement l’intention de lui ôter la vie. Bien qu’il soit effectivement victime d’une malédiction, puisque chaque territoire qu’il a traversé a subi de violentes secousses, nous avons des valeurs que nous refusons de trahir, peu importe ce que dame Rapasdepic en pense.

— Vraiment ? Et si Xatu avait raison ? Et si le neuf juin, le monde se fracturait ?

— Alors nous disparaîtrons tous. Il est hors de question de sacrifier la vie d’un enfant innocent, et je suis persuadé que les membres de la Mangé-Team auraient été du même avis, s’ils avaient été en possession des mêmes informations que nous.

Pikachu essuya ses larmes en esquissant un léger sourire.

— Merci, soupira-t-il. À force d’être le seul à penser comme vous, j’avais l’impression de devenir fou…

— Ne t’en fais pas, tu n’as plus à affronter cette infâme épreuve tout seul. Nous sommes là, désormais.

Aussitôt, le grand dragon rouge frappa du poing sur la table.

— Alors ?! Il est où, ce sale mioche ?!

— Il est parti… au Mont Ardent.

Les trois explorateurs écarquillèrent les yeux.

— Tout seul ?! s’écria Tyranocif.

— Oui, depuis bientôt trois jours.

Les dents crispées, l’épais dragon se leva en bousculant la table. Branette recula la chaise sur laquelle s’était affaissé son ami, tandis que ses deux collègues empêchèrent le déjeuner de se renverser. Le sac sur le dos, il ouvrit sèchement la porte de la maison.

— Ton badge ! lui ordonna Alakazam.

Dracaufeu le lui envoya, avant de déplier les ailes et de s’envoler à toute vitesse.

— Il a l’air de vouloir lui faire du mal…

— Ne t’en fais pas, se gaussa l’explorateur composé d’une pierre tranchante, il est grognon parce qu’il tient à lui !

— À cette vitesse, analysa le type Psy en fermant les yeux, cela devrait lui prendre moins d’une journée. Une fois qu’il fera face au Mont Ardent, je nous téléporterai à lui et nous retrouverons le jeune Salamèche. Nous l’isolerons de la civilité jusqu’au neuf juin, mais une fois que tout cela sera terminé, je te promets que tu le reverras en pleine forme !

Branette esquissa un air dubitatif, mais Pikachu acquiesça simplement.

— Merci pour le déjeuner, conclut-il. Allons-nous préparer, mon cher Tyranocif.

Ils récupérèrent leurs affaires et quittèrent la maison. Le garçon au pelage jaune soupira en détournant le regard.

— J’espère avoir fait le bon choix…

— Tu ne m’avais pas dit que vous connaissiez un Dracaufeu.

— Je pensais pas le revoir un jour. Qu’est-ce que ça change, au juste ?

— Ils nous cachent quelque-chose. Cet Alakazam n’était pas sincère.

— Tu penses… ?

Moins d’une journée : voilà la période estimée par Alakazam pour atteindre le Mont Ardent. De son côté, cela faisait plusieurs heures que Salamèche faisait face à ce territoire. Il avait gravi les collines, sauté par-dessus les lacs de lave et contourné maintes crevasses et fissures à peine perceptibles. Arrivé devant l’entrée du donjon, il poussa un soupir de soulagement. Mais il trébucha sur un galet et tomba tête la première dans un tas de cendres.

À son réveil, sans savoir combien de temps il avait été inconscient, il toussa, peinant à se relever. Sa vue se troublait, et respirer demandait de plus en plus d’efforts. Certes, il n’avait jamais été confronté à une atmosphère aussi lourde, mais il était de type Feu — se disait-il — alors il devait tenir bon. Il se redressa et continua d’avancer. Un groupe de Pokémon sauvages le dévisagea, semblables à des flaques de magma gluantes avec des yeux. Il reconnaissait l’une des illustrations du livre, mais son crâne chauffait trop pour qu’il puisse y réfléchir plus longtemps. Il marcha ensuite sur un sol plus brûlant encore que la roche volcanique qui le composait. Une épaisse fumée se dégagea soudain de sous son pied, le faisant perdre l’équilibre face à un Pokémon qui émergea de cette roche. Tout autour de lui, un groupe de Chartor sauvages se réveilla. Un genou à terre, Salamèche se mit en garde. Mais ses prétendus adversaires ne lui prêtaient pas la moindre attention. Alors il recula en titubant, n’arrivant plus à clarifier la moindre idée dans son esprit. Il trébucha et tomba en arrière, probablement dans une crevasse, trop épuisé pour vérifier jusqu’où il chutait. Puis, tout devint noir.

— T’as intérêt à faire de ton mieux, lui ordonnait Pifeuil d’une voix résonnante. Je sais pas ce que t’as de différent par rapport aux autres, mais si elle me demande de croire en toi, alors tu peux être sûr que je ferai tout pour te garder en vie, compris ? Cependant, ta nouvelle apparence ne me trompera pas. Du début à la fin, notre relation restera purement professionnelle. Pour moi, tu resteras à jamais un humain !

— La légende de l’humain se concentre sur l’un d’entre eux, poursuivit le sage Barbicha, bien qu’au fil du temps, nous ayons pris son cas pour une généralité. Selon des écrits provenant d’un temps bien au-delà des limites de notre calendrier, il était décrit par les Pokémon comme le monstre originel.

— Il n’est pourtant pas psychique de lier ton apparition à la première secousse qui frappa le territoire, ajouta Xatu, le neuf septembre deux-cent-trente, au cœur des Petits Bois. Rien n’est injustifié. Tu as brisé l’équilibre d’un monde que tu n’étais jamais censé rejoindre, la planète réagit en conséquence.

— Salamèche est l’humain qui détruira le monde, affirma Ectoplasma.

Comme coincé dans un cauchemar, il s’en débattait en vain. La panique montait, alors que les regards effrayés et déçus des habitants de Bourg-Tranquille le fixaient sans relâche.

— Salamèche, attends ! C’est trop dangereux de partir seul !

La voix de son ami disparaissait peu à peu.

— J’ai dit que je te protègerai, que je veillerai sur toi quoiqu’il en coûte !

Elle se tut finalement, alors qu’il fondait en larmes. Le silence en devenait palpable. Puis, une petite voix s’éleva. Celle d’une femme au ton assuré, tendre et protecteur. Il lui était difficile d’identifier ce qu’elle disait, comme si ses paroles se superposaient. Mais il ne l’entendit prononcer ni le mot humain, ni le mot monstre. Au contraire, elle l’appelait « mon héros ».

Salamèche ouvrit les yeux. Allongé sur la chaleureuse roche volcanique du donjon, il éternua et fit sursauter le petit Pokémon sauvage qui lui léchait le visage. D’une fourrure brune et crème, ses grands yeux noisette s’écarquillèrent et ses six petites queues bouclées s’hérissèrent. Elle recula en fixant le jeune garçon se relever, puis déguerpit à vive allure lorsqu’il la dévisagea d’un air curieux. Peu importe, il soupira en observant les environs.

Partout autour de lui, des minerais brillaient d’une lueur rouge étincelante, comme s’ils peinaient à contenir toute l’ardeur du donjon. Il s’était engouffré dans une crevasse, pourtant, il s’y sentait bien. En s’approchant de la paroi pour l’escalader, son regard se posa sur le ruissellement de la lave, qu’il n’avait jamais pris la peine d’admirer. La chaleur qui s’en dégageait était si agréable qu’il manqua d’y plonger un doigt. Son regard continua de suivre le mouvement, qui s’écoulait étroitement jusque dans un gigantesque lac rempli d’une texture liquide d’un rouge aveuglant, à l’entrée d’une caverne devant laquelle il s’arrêta, halluciné.

Tous les Pokémon sauvages répertoriés dans le livre qui l’avait motivé à venir vivaient dans cet espace à l’atmosphère apaisante. Des Magby dégustaient les rares champignons qui poussaient dans les recoins, tandis qu’un Galopa et plusieurs petits Caninos se nourrissaient de baies et d’autres nourritures provenant de l’extérieur. Dans le lac se baignait une famille de Pokémon. D’une peau écailleuse, orange avec des teintes beiges sur le ventre, le creux de leurs pieds et la partie arrière de leur queue, cette espèce avait la particularité de faire crépiter, au bout de cette dernière, une flammèche scintillante. Les enfants sautaient partout, tandis que les plus âgés, à la peau plutôt rouge et aux griffes acérées, semblaient se reposer sans se soucier des leurs. Seule une grande dragonne aux gigantesques ailes s’occupait de nettoyer les plus petits, tout en jetant quelques regards aux plus grands.

Les larmes aux yeux, le jeune garçon approcha ce groupe de Salamèche, de Reptincel et de Dracaufeu. Il titubait d’un air soulagé, le regard fixé sur ces êtres si heureux. Plus qu’à quelques mètres, il leur tendit une patte tremblante. Un Salamèche se tourna alors vers lui. Pendant de longues secondes, ils s’échangèrent un simple regard.

— Est-ce que tu me reconnais ? lui demanda-t-il d’un grand sourire nerveux.

En guise de réponse, la petite créature hurla en reculant, attirant toute l’attention des siens. La grande Dracaufeu rugit à en faire trembler les environs. Déstabilisé, le jeune fugitif s’écroula. Lorsqu’il releva la tête, les Reptincel lui faisaient barrage, les griffes en avant. Les Salamèche s’étaient éloignés, recroquevillés derrières leur mère en tremblant comme des feuilles. Cette dernière sortit du lac. Elle avança jusqu’à lui et pencha son museau au-dessus du sien. Puis, elle renifla. Le silence pesa, pendant que tous les Reptincel fixaient cette anomalie d’un air assassin, prêts à lui sauter dessus au moindre geste. L’ancien secouriste ne comprenait pas. Cette odeur, cette chaleur, cette atmosphère, absolument tout ici l’apaisait, comme s’il y avait vécu depuis toujours. Il était l’un des leurs, cela ne faisait plus aucun doute.

Pourtant, la dragonne rugit. Plus fort, plus violemment. Elle lui asséna un coup de queue, l’envoyant valser dans la paroi volcanique. Les Salamèche se mirent à geindre, larmoyant de terreur. Les Reptincel entourèrent leur mère, prêts à la protéger de ce monstre. Ce dernier se dégagea des roches dans lesquelles il avait été encastré, non sans grincer des dents. Il s’écroula, peinant à reprendre son souffle.

— Pourquoi… ? répétait-il d’un regard vitreux.

Il dévisagea ses pattes encrassées par les cendres, la terre, les égratignures et le temps. Il repensait au chemin parcouru, aux dangers bravés. Tout cela n’avait-il donc servi à rien ? Alors que les Reptincel avançaient, il se redressa les poings fermés. Et peu à peu, les cailloux l’entourant se mirent à trépider.

— J’ai tout fait pour qu’on m’accepte… ! Tout !

Ses dents se crispaient, ses veines gonflaient, sa flamme fulminait. Le sol entier frissonna.

— Je ne suis pas spécial ! hurla-t-il de toutes ses forces.

Ainsi frappa une nouvelle secousse. La plateforme sous ses pieds se fissura tandis que des pavés plongèrent dans le lac de magma depuis le plafond. La dragonne bondit vers ses petits pour les protéger des débris. Mais même elle n’aurait su résister à l’éboulement qui s’écroulait droit vers les siens. C’est alors qu’un torrent enflammé se dégagea du lac et propulsa les roches dans une autre direction.

De ce torrent émergèrent deux épaisses ailes bordées d’intenses flammes. Une voix rauque, provenant d’un long bec marron, grogna et résonna dans toute la caverne, transperçant l’ouïe des habitants du Mont Ardent. De sa crinière et de sa queue enflammée s’échappa une épaisse fumée, réchauffant la caverne de plusieurs degrés. Le garçon à la tunique usée était bouche bée.

— Toi ! déclara-t-il d'une voix tonnante en le fixant d'un regard perçant. Oserais-tu fouler mon territoire après avoir anéanti la demeure de mon frère ? Il m’avait parlé d’une anomalie, mais je ne pouvais concevoir l'ampleur du chaos que tu laisserais derrière toi !

— Laissez-moi tranquille, Oiseau Flamboyant ! J’ai nettoyé le Mont Cristal et j’en ferai de même avec le Mont Ardent !

— Il ne restera rien du Mont Ardent si je te permets de ravager mon sanctuaire aussi impunément ! Disparais sur-le-champ, ou je te réduirai en cendres par un feu infernal !

— Ça suffit ! s’enragea-t-il à en postillonner ses fins de phrase. Arrêtez de tous me menacer de mort ! Vous n’avez aucune idée de ce que ça fait ! Vous n’avez aucune idée de ce que je ressens !

Il hurlait à gorge déployée, se cassant la voix sans relâche.

— J’ai tout fait pour me faire accepter ! Tout ça pour encore et toujours faire face à ce fichu regard dédaigneux, hautain, méprisant, effrayé et menaçant ! Et si je vous massacrais tous jusqu’au dernier, est-ce que vous feriez encore les fiers ?!

— Tu es insensé. Il est vain de raisonner avec toi, anomalie !

La divinité déploya les ailes, alors qu’une aura enflammée l’enveloppa soudainement. Mais avant qu’il n’eut le temps de faire quoi que ce soit, un autre torrent enflammé se propulsa sur sa cible. Une grande patte rouge composée de trois épaisses griffes agrippa le crâne de Salamèche et s’envola avec lui. En quelques secondes, il traversa toute la caverne et le percuta contre un mur. Il lui maintenait fermement le cou et l’étouffait sauvagement. Le jeune reptile enragé rouvrit les yeux, dévisageant la grande carrure du dragon de l’équipe ADT.

À l’extérieur du donjon, au sommet d’une colline les éloignant le plus possible des coulées de lave, Alakazam et Tyranocif s’hydrataient autant qu’ils le pouvaient. Le type Psy était essoufflé et accroupi, son accoutrement à moitié détaché, ses équipements et son badge bordé de dorure éparpillés autour de lui.

— Tyranocif, haletait-il, tu dois boire toi aussi !

— Je résiste mieux au feu que toi, alors économise ta salive ! En réalité, je suis surtout inquiet à cause de la secousse ! Le Mont Ardent peut s’effondrer d’une minute à l’autre !

— Je suis navré d’avoir perdu connaissance…

— T’inquiète, on ne pouvait pas savoir que la chaleur du territoire avait autant augmentée. Par contre, Dracaufeu a intérêt à s’en sortir, on ne pourra pas aller le chercher !

— Au vu de comment il s’y est élancé, j’espère surtout qu’il ne va pas faire empirer les choses… argh !

— Hé, reste avec moi !

— J’ai l’impression que quelque-chose d’anormal est en train de se tramer…

Au loin, hors du champ de vision des deux explorateurs épuisés, une montagne de muscles cachée dans l’ombre craqua ses gigantesques poignes griffues. Il esquissait un grand sourire.

— Chef, Sulfura vient de se réveiller !

— C’est ce que j’avais cru comprendre. Allez, on s’en tient au nouveau plan !

De retour dans les profondeurs du Mont Ardent, toujours coincé contre un mur, Salamèche se débattait de toutes ses forces. Mais Dracaufeu le bloquait d’une seule patte. La musculature de ses bras était massive et malgré la secousse, il ne tremblait pas d’une écaille.

— Laissez-moi tranquille… !

— Tu as fait suffisamment de conneries comme ça. Il est temps de t’éduquer !

Il le souleva et le plaqua à pleine puissance contre le sol, qui explosa à son impact. En sentant son dos craquer, Salamèche voulait hurler, mais l’imposant dragon continuait de l’étranger.

— La colonne vertébrale de n’importe quelle autre espèce de ton âge aurait cédée pour de bon, mais la tienne se régénèrera en un rien de temps ! Tu n’es pas comme les autres, tu es plus fort, tu es un futur Dracaufeu !

— Qu’est-ce qui vous prend ?! paniquait le pauvre enfant.

— Pauvre petite ordure égoïste et pourrie gâtée ! En venant ici, avais-tu la moindre idée du danger dans lequel tu mettais notre peuple ?! Les tremblements de terre te poursuivent et toi, tu décides d’aller dans cette pitoyable caverne instable ?!

— Ce n’est pas mon peuple ! Ils m’ont rejeté !

— Et alors ?!

Il déploya ses ailes et s’envola plus profondément dans la caverne, le tout en raclant le corps de son adversaire contre le sol. Arrivant face à un tas de roches bloquant la voie, il l’envoya paître en premier puis s’y propulsa d’un puissant battement d’aile. Il explosa l’éboulement avec Salamèche comme bouclier, libérant la voie à de nombreux sauvages enfermés de l’autre côté de la grotte. Telle la destruction d’un barrage, le lac rouge s’écoula à flot dans la direction des deux civilisés.

L’intensité du tremblement de terre diminua, jusqu’à cesser pour de bon.

Dos au sol, le jeune garçon tremblait en se tenant la partie droite du visage. Il saignait abondamment. Sa cape s’était déchirée tandis que sa tunique se triturait à chaque frottement. Il tenta de se relever mais ne parvint qu’à se retourner sur le ventre, avant de brusquement régurgiter. Un mélange de larmes, de sueur et de sang coulait de son visage crispé. Sa respiration se coupait sans cesse, peu importe à quel point il tentait d’appliquer les méthodes de méditation de son maître. Son sac traînait face à lui, les bretelles déchirées. Il tenta de l’ouvrir pour y récupérer son rappelle-tout, lorsque la gigantesque botte de son assaillant le plaqua contre la solide roche du donjon.

— Tu es si susceptible ! Arrête de jouer la comédie, tu n’as aucune idée de ce qu’est la vraie douleur !

Il s’agenouilla et rapprocha son museau, souriant d’un air névrosé.

— Tu as bien fait de t’éloigner du rongeur. Tout ce qui n’est pas de type Feu nous ralentit, nous contraint, nous empêche de devenir qui nous sommes vraiment. Ce village vert aurait fait de toi une mauviette incapable de cracher la moindre flamme. Mais à mes côtés, tout va changer…

— Je ne veux pas, pleurait-il à chaudes larmes. Pitié, laissez-moi tranquille…

D’un coup de botte, l’explorateur le retourna sur le dos. Il l’agrippa par le cou et s’approcha du lac de lave.

— Je me fiche de cette histoire d’humain. Que tu le veuilles ou non, tu es désormais un Salamèche ! Tu portes notre nom ! Tu te régénères et cicatrises aussi aisément que nous ! Et surtout, comme tous les types Feu, tu résistes aux chaleurs extrêmes !

Sans aucune peine, il le plongea dans le lac. Ce dernier était terrorisé à l’idée de fondre sur-le-champ, comme sa malheureuse tunique. Celle qu’il accoutrait depuis son réveil, au cœur des Petits Bois alors qu’il ne connaissait pas même son propre nom, grilla à l’instant où elle effleura ce brûlant liquide. Sa cape éreintée, sa corde lui servant de ceinture, sa petite braie ainsi que ses deux bottines, tout se désagrégea en une pauvre seconde. En le ressortant du lac, Dracaufeu le dévisagea d’un sourire narquois.

— Et tu comptais impressionner qui, avec ce corps tout frêle ?

Salamèche serra les jambes en rougissant d’une honte palpable. Mais le grand dragon le fixait droit dans les yeux.

— Je vais te renforcer ! Ce soir, on part pour un rude entraînement au cœur des plus hautes montagnes enneigées du monde ! On y vivra des années s’il le faut, mais tu ne partiras pas d’ici tant que tu ne seras pas devenu un Reptincel bien charpenté ! Ensuite, pour atteindre mon niveau… oh mon grand, tu n’es pas près d’entendre le joli programme que je t’ai réservé !

— C’est de la torture… bégaya-t-il en crachant des résidus de lave.

— Non, c’est le parcours nécessaire pour les gens comme nous. Les êtres supérieurs.

— Fermez-la… ! postillonna-t-il en crispant les dents. Vous représentez tout ce que je déteste le plus ! Ce regard hautain, ce mépris envers les autres ; mais pour qui vous prenez-vous ?! Je préfère être un humain et crever ici comme un monstre, plutôt que de vous suivre dans votre quête de pouvoir absurde ! Finalement, j’aurais préféré que la lave me réduise en cendres !

Le dragon lâcha prise et Salamèche reprit son souffle en s’écroulant. Sa vue se troublait et son ouïe s’assourdissait.

— Tu finiras par comprendre que c’est nécessaire, lui assura le dragon. Le monde est rude et ta survie est un miracle. N’abandonne pas maintenant, pas alors que tu as eu la chance de te réincarner en un Pokémon aussi puissant que moi. Toi qui fuyais à la recherche d’une identité, tu devrais accepter celle que je t’offre sans hésiter. Tu as enfin la possibilité d’avoir une vraie famille.

Soudainement, le mur de pierres qui leur faisait face explosa. L’explorateur sursauta en protégeant le jeune garçon des débris qui s’étaient propulsés jusqu’à eux. Une figure se dressait, au sommet de ce trou causé par une puissance incommensurable. Ce n’était pas Sulfura, non, il était bipède.

Plus d’un mètre soixante. À côté de cette colossale montagne de muscles, Dracaufeu ressemblait à une brindille. Ce dernier se mit justement à trembloter, bouche bée, les yeux écarquillés.

— Non… ! Ce n’est pas vrai !

Sa peau était orangée, ses sourcils épais et noirs. Il était pourvu d’un grand groin rouge et de deux longues dents pointues. Il accoutrait une combinaison construite d’un nylon noir en-dessous d’une armure grise faite d’un métal rouillé. Autour de son cou et s’étendant jusqu’à sa poitrine embrasait de violentes flammes d’un rouge agressif. Ses bras mesuraient chacun la taille de Salamèche. Le membre de l’équipe ADT crispait les dents, reculant pas à pas alors que ses jambes tremblaient comme des feuilles.

— Ça ne peut pas être toi ! C’est impossible !

— Quel accueil ! s’exclama une voix suave et confiante. Moi aussi, je suis heureux de te rencontrer !

Il bondit de sa plateforme et atterrit face à lui. À son impact, le sol se fractura si violemment que Dracaufeu, qui s’était mis en garde, trébucha lamentablement. Il se redressa, les poings fermement serrés.

— Rends-toi sur le champ, chef de la DDR !

— Un peu de pudeur, mon cher ! Dracaufeu l’arrache mâchoire, membre de la célèbre équipe ADT ! J’ai tant entendu parler de vos exploits et de Ô combien vous vous engagiez dans la lutte contre le mal ! Malheureusement, je crains que tes deux collègues soient contraints de prendre une petite pause.

— Quoi ?! Qu’est-ce que tu leur as fait ?!

— Oh, mais tu vas rapidement les rejoindre ! Ne t’en fais pas, nous saurons vous trouver le foyer idéal !

— Écarte-toi !

— Oh que non, je vais plutôt faire une pierre deux coups ! Ne m’en veux pas, tu sais très bien à qui est la faute !

Soudain, il lui bondit dessus. La figure monstrueuse, imposante, pointue et au regard froncé d’excitation se déploya. N’arrivant pas même à avaler sa salive, Dracaufeu tenta de l’esquiver, mais son adversaire lui agrippa la queue. Sans effort, il le tira d’une force telle qu’il l’envoya paître contre un mur. L’explorateur s’y cogna si fort qu’il s’en brisa quelques côtes en le transperçant. Son ennemi inspira profondément, puis mollarda par le groin un vivace jet enflammé. À son impact surgit une redoutable explosion, faisant s’effondrer le mur entier sur sa cible. Il rigola en se tapotant le ventre.

— T’as pas de chance, mon estomac est en forme aujourd’hui !

Scrutant les alentours, son regard se posa un bref instant sur le jeune garçon. Il s’était écroulé de fatigue.

— Il est à toi ? Par pitié, accoutre au moins d’une simple braie les enfants que tu exploites, c’est terriblement embarrassant !

— Ne t’approche pas de lui ! s’énerva le dragon en se dégageant des débris qui l’ensevelissaient.

L’encolure de sa tunique pendait à sa ceinture, alors que sa peau était égratignée et poussiéreuse. Néanmoins, il se propulsa d’un robuste battement d’aile, les griffes en avant. D’un sourire narquois, son adversaire esquiva le premier crochet. Il laissa le second glisser sur son armure, puis lui attrapa les poignets et le bloqua avec fermeté. Ensuite, il contracta. Un répugnant craquement retentit, tandis que les pattes du dragon se tordirent dans des directions anormales. L’un hurlait, l’autre s’en gaussait.

— Finalement, je vais peut-être faire une pierre trois coups !

Il le relâcha, recula son poing, dégaina ses griffes et le frappa d’un simple coup, l’empalant violemment en plein abdominal. Il enfonça son bras le plus profondément possible, alors que des giclées de sang s’extirpaient de cette effroyable plaie qui fit hurler l’explorateur d’une douleur indescriptible. Il en vomit une flaque entière, avant de se faire rosser d’une droite en pleine mâchoire et de s’écrouler au sol. Sans attendre, la créature s’attabla sur sa taille et appuya avec ses bottes sur ses poignets cassés. Dracaufeu meugla, les larmes aux yeux. Dès qu’il essayait de se débattre, la douleur s’intensifiait. Son rythme cardiaque augmentait, alors qu’il esquivait le regard forcené de son truand. D’une sévère droite, ce dernier le martela.

— Lâche comme vous êtes, je préfère toujours demander avant de frapper !

Il enchaîna un deuxième coup. Une dent vola et du sang gicla sur ses poings.

— Mais de ce qu’on m’a dit de toi, la dignité semble être l’une de tes grandes valeurs !

Un troisième coup. Cette fois, la giclée atteignit son armure.

— Alors tant pis ! Et pourtant, les dieux savent à quel point tu aurais fait un bon chef, avec le bon entraînement !

Un quatrième coup. Le sang jaillit jusqu’à son visage.

— Avec la bonne philosophie !

Un cinquième et dernier coup. À ce stade, il ne frappait plus qu’un tas de chair ensanglanté. Dracaufeu ne bougeait plus.

— Reste en vie quand même ! T’as beau être endoctriné, tu restes le membre d’une espèce aussi précieuse que puissante ! On a besoin d’une armée, au cas où tu ne suivrais pas l’actualité !

Il se redressa et s’étira en rigolant.

— Quelle journée, ma parole !

— Chef ! déboula un autre Pokémon accoutré de cette étrange armure.

Il s’agissait d’un primate à la fourrure orange, avec de longues oreilles dégagées. Ses yeux bruns étaient entourés de marques bleues et rouges. Il possédait également une queue — bien plus longue et fine — dont l’extrémité était ornée d’une modeste flammèche.

— Je t’écoute, Chimpenfeu.

— Nous nous sommes occupés de Sulfura ! À l’extérieur, l’autre escouade s’est chargée des explorateurs !

— Oui, enfin vous avez surtout fini le travail ! Va payer les mercenaires, qu’ils nous lâchent la grappe au plus vite. Avec tout le poids qu’on va transporter, je nous donne cinq jours pour rentrer à la base…

— Tout le poids ?

— On va repartir avec plus de colis que prévu ! Embarquez Sulfura, l’équipe ADT et aussi ce p’tit gars, là-bas !

— Quoi, ce sauvage ?

— Il a juste fait trempette dans la lave, imbécile. Prends aussi son sac.

— C’est… pour l’armée ? Chef, n’est-il pas un peu jeune ?

— T’inquiète. Lui, on va en prendre soin ! À vrai dire, je crois que c'est le Pokémon dont Arbok et Charmina m'ont parlé. Si ce qu'ils m'ont dit est vrai, alors c'est le jackpot !

Cet étrange groupe quitta les lieux et le territoire redevint calme. Non, il devint morne. Les jours qui suivirent, la température diminua d’une cinquantaine de degrés. La fumée s’échappant du sommet se fit de plus en plus discrète et peu à peu, le magma se solidifia. La lumière s’estompa, la pénombre gagna du terrain.

Le voilà avantagé, lui qui avait le pouvoir de se déplacer à vive allure en se cachant dans les ombres. Il reprit forme en arrivant sur cette colline. Son regard avait été attiré par quelque-chose de brillant. Quelle fut sa surprise, lorsqu’en fouillant le territoire à la recherche d’informations, Branette ne trouva qu’un badge bordé de dorure.

Salamèche fut donc éloigné du Mont Ardent. Que cela lui plaise ou non, il avait obtenu une réponse à ce qu’il cherchait.

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