Donjon Mystère - Dream Team

Chapitre 17 : Bourg-Palissade

6421 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/02/2021 18:47

Au cœur de l’Erg Sans Fin, entre quelques dunes éparpillées dans un horizon parfaitement plat, avait été construit un curieux village du nom de Bourg-Palissade. La journée, le soleil frappait si fort que les habitants couverts d’un pelage devaient s’être habitués à ce que le dessous de leurs pieds soit cramé par le sable. La nuit, sans nuage pour contenir la chaleur accumulée à peine quelques heures plus tôt, tout le monde se couvrait d’épaisses tuniques en laine, vraisemblablement récupérée sur un troupeau de Moumouton sauvages, élevés dans une ferme faite d’un bois usé par le temps. Les maisons, aux architectures arrondies, étaient faites en adobe claire, astucieusement sculptées pour les ouvertures et renforcées par de la roche sédimentaire.

Comme pour tous les autres lieux dits « civilisés », tous types de Pokémon résidaient à Bourg-Palissade. Par exemple, certains types Feu devaient être attirés par les fortes chaleurs environnantes, car ils peinaient à supporter d’autres climats plus variés. Quelques types Plante s’y sentaient plus à l’aise, sans doute pour se ressourcer à l’énergie solaire. Les types Eau, de leur côté, étaient probablement demandés pour leurs capacités aquatiques très précieuses dans un environnement aussi asséché ; bref, tout le monde y trouvait son compte.

Voilà tout ce qu’annota Salamèche dans son rappelle-tout, sans n’avoir jamais mis une patte à Bourg-Palissade. Il observait et supposait, peinant à se divertir depuis un bon quart d’heure déjà, assis à l’ombre, entre deux ruines rocheuses enfoncées dans une dune. Sa tunique était éraflée, sa peau encrassée par de la terre séchée et du sable était agglutiné à sa transpiration, tandis que sous ses yeux à moitié fermés, d’épais cernes s’étaient imposés. Il posa le stylo lorsqu’il entendit quelqu’un approcher en gloussant à répétition.

— Ça y est, tu as pu t’hydrater ?

Pikachu arriva face à lui après avoir contourné la dune, une bouteille d’eau à moitié vide entre ses pattes trempées. Certes aussi crade que son partenaire, il sautillait d’excitation.

— Bon sang que ça fait du bien ! s’exclama-t-il. J’en pouvais plus de boire l’eau plein de sable des oasis ! T’en veux ?

— Ça ira. Combien nous reste-t-il ?

— Que dalle, on est fauchés. Jamais je ne m'étais dit que j'aurais besoin de sous, en fuguant du village…

— Tant pis. Il va falloir quitter le désert au plus vite.

Il se leva et essuya sa tunique plein de sable, lorsqu’un coup de vent leur envoya une vague de grains en pleine figure.

— Ouais, baragouina le rongeur en se frottant le visage, enfin on est encore loin de la sortie, là. T’es sûr que tu veux pas y faire un tour ? J’ai parlé vite fait à des gens au marché, je suis sûr qu’ils seraient prêts à aider des enfants en sale état.

— Des enfants fugitifs, Pikachu. Je suis sûr que l’information est passée.

— J’ai vu aucune affiche et personne ne semblait me reconnaître.

— Je ne veux prendre aucun risque, affirma-t-il sèchement.

Il avança et son ami se pressa de récupérer ses affaires pour le suivre. Le vent soufflait de plus en plus fort.

Le ciel s’était rapidement assombri, caché par une tempête qui s’éleva en un abrupt quart d’heure. Sans lunettes pour se protéger, leurs yeux grattaient et larmoyaient sans s’arrêter. Sans gants pour se couvrir, leurs pattes s’égratignaient en tentant d’encaisser les vagues de grains qui se jetaient sur eux. Sans repos pour endurer la rude exploration, Salamèche ne pouvait résister à la force du vent. Il s’écroula dans la tempête.

— Salamèche ?! s’inquiéta son ami en accourant jusqu’à lui.

Il tenta de le réveiller tout en le protégeant du sable qu’il manquait d’avaler. Soudain, une pierre lui percuta le dos. Pikachu s’écroula en crispant les dents, sentant le vent souffler si fort qu’une tornade se formait au-dessus d’eux. Il ferma les yeux en enlaçant son ami, espérant que la tempête s’apaise rapidement. Puis, tout devint noir. Non pas qu’il tomba dans les vapes, pas de suite en tout cas. Mais quelque-chose les couvrit tendrement.


Chapitre 17 : Boug-Palissade


Lorsqu’il ouvrit les yeux, ses oreilles sifflaient encore. Pourtant, un calme apaisant régnait entre ces quatre murs peints d'un bleu azur. À travers la grande fenêtre, un rayon chatoyant pénétrait, depuis un ciel vaste et dégagé, sans le moindre grain de sable en vue. Pikachu se redressa d'un frêle matelas posé à même le sol, sous une légère couverture, vêtu seulement de sa braie. Il discerna à sa droite un lit simple, propre et vide. À sa gauche, entre une armoire et un tas de bouquins éparpillés au sol, se trouvait un autre matelas. Salamèche y ronflait paisiblement, enroulé dans une couette qui ne laissait s'échapper que sa queue dont l'embout était animé d'une discrète flammèche.

— Mon pote… marmonna-t-il discrètement en lui remuant l’épaule.

— Tu devrais le laisser dormir.

Il sursauta à l’entente de cette soudaine voix, pourtant calme et sereine. Dans l’ombre de la pièce se dessina deux yeux rouges aux irises en fentes. Pikachu bondit du lit en pointant ses doigts électrifiés dans leur direction.

— C’est toi qui nous as amené ici ?!

— Aurais-je dû laisser la tempête vous ensevelir ? Un peu de calme, par pitié. J’ai l’impression que notre ami n’a pas eu l’occasion de se reposer depuis des lustres.

— « Notre » ami ? Qui es-tu ?

Le silence pesa. Puis, cette figure accoutrée d’une cape noire se laissa dominer par la lumière. Son corps ressemblait à une poupée à la tête cornée et dont un bout de tissu déchiré lui servait de chevelure.

— Mon nom est Branette. J’ai pour mission de protéger Bourg-Palissade.

— Branette… ? Non, attends, Bourg-Palissade ?! On a fait marche arrière ?!

Les étincelles s’intensifièrent.

— Alors c’est toi qui nous as capturés et ramenés ici ! Laisse-tomber ! Nous ne reviendrons pas à Bourg-Tranquille !

— Euh… soit ? Je crois qu’il y a quiproquo.

Il leva les pattes en l’air en guise de bonne foi.

— À ma connaissance, reprit-il, tu ne faisais pas partie des écoliers à infiltrer l’école du village, le soir d’Halloween. J’ai rencontré Salamèche à cette occasion, voilà tout.

— Quoi ? C’était toi, le saccageur ? Alors c’est Branette, ton nom ? C’est vrai qu’on m’a parlé de toi…

Les étincelles se dissipèrent, alors qu’il s’affaissa sur son matelas en soupirant.

— Désolé. Les visages familiers, c’est un peu compliqué en ce moment.

— La route a dû être longue, si vous partez de Bourg-Tranquille.

— Sans doute. Quel jour on est ?

— Le quinze avril.

— Le quinze ? Alors ça fait un mois qu’on fuit… ?

Pendant que Branette ouvrait son armoire, Pikachu se frotta le visage d’un air dépité.

— Est-ce que vous avez des nouvelles de Bourg-Tranquille ? lui demanda-t-il.

— Jusqu’à très récemment, le village subissait de redoutables tremblements de terre. Mais si l’on en croit les derniers journaux, il semblerait que les choses se soient un peu calmées.

— Tant mieux, j’imagine. Et ici, comment ça se passe ?

— Nous en avons recensé un le neuf septembre, comme le reste du monde. Mais depuis ce jour, nous sommes plutôt victimes de dangereuses tempêtes de sable, et j’ai l’impression que les choses empirent. Honnêtement, j’ai eu beaucoup de chance de vous trouver. Tiens, enfile ça le temps que tes vêtements sèchent.

Il lui tendit une cape comme la sienne et en déposa une autre à côté du jeune amnésique.

— Merci, lui sourit-il. C’est sympa d’avoir nettoyé nos fringues pour nous.

— Je l’ai fait pour moi. Quand on vit dans un désert, on devient rapidement maniaque. Allons dans le salon, veux-tu ?

Ils sortirent de la chambre et Branette ferma délicatement la porte derrière lui. Pikachu renifla une odeur herbacée, alors que son regard se posait sur les meubles de la maison, fabriqués en argile, en bambou et en cuir. Trois types de balais étaient accrochés comme sur un porte-manteau à côté de l’entrée, tous égratignés par le sable. Le Pokémon à la peau faite de tissus récupéra la théière bouillonnante de la cuisinière et versa son contenu dans deux tasses en céramiques.

— Tu aimes le thé à la menthe ? J’ai du sucre, s’il le faut.

— Mais t’as quel âge ?

— Treize ans.

— T’en fais cinquante, mon pote.

— Les jeunes ne boivent pas de thé, à Bourg-Tranquille ?

— C’est toute une attitude, en fait. Et je crève de soif, alors je m’en contenterai !

Il s’installa à table et se frotta les pattes à la vue de toutes ces nouvelles pâtisseries, faites de sucres, de pistaches, d’amandes ou de noix de coco. Branette l’observa tout dévorer de manière très impudique, glissant un dessous de plat en sisal pour ne pas salir l’argile.

— C’est trop bon ! dégoisa-t-il la bouche pleine. J’en avais marre de bouffer des baies et des pommes !

— Bon appétit, je suppose.

— En tout cas, elle est super cosy ta piaule ! Tu vis seul ?

— Non, ma mère est commerçante au marché du village. Elle a accepté de vous héberger quand je lui ai raconté l’état dans lequel je vous ai trouvés.

— C’est étonnant que t’aies réussi à nous trouver, vu la tempête dans laquelle on s’était embourbé.

— La flamme de Salamèche se distinguait malgré la tempête. J'explore toujours les environs lorsqu'elles surviennent, au cas où quelqu'un n'aurait pas eu le temps de rentrer au village. Mais j'aurais dû réagir plus tôt en entendant parler d'un enfant étranger et miséreux, avec des vêtements en lambeaux.

— Yep ! C’était moi ce midi, en train de dépenser nos dernières thunes dans de l’eau propre et fraiche ! M’enfin, tu nous as sauvé, c’est le plus important. Je savais qu’on aurait dû faire une pause, mais Salamèche était si borné…

— Que vous est-il arrivé ? Pourquoi s’être autant éloigné de vos proches ?

— C’est une longue histoire.

— J’ai tout mon temps, et je crois que vous deux aussi.

Pikachu soupira. Il s’abattit sur le dossier de sa chaise, détendit les épaules et raconta leur périple. Pendant un long quart d’heure, Branette l’écouta attentivement sans l’interrompre. Le jeune fugitif conta, supposa, s’énerva. Il manqua de larmoyer, mais reprit ses esprits en expliquant ce qu’ils comptaient faire.

— Voyager le plus au nord possible ? répéta le Pokémon Spectre.

— Et quitter le continent s’il le faut, confirma le rongeur. Salamèche ne se sent plus à l’aise nulle part.

— Tu m'étonnes. Je savais qu'il était amnésique, mais cette légende m'était totalement inconnue. Ses proches, ses modèles d'inspiration, presque tous ceux en qui il avait confiance l'ont trahi. S'est-il déjà attaché à un autre type Feu ?

— À part à un Hélionceau sauvage dont on s’est occupé, non. C’était le seul type Feu du village. Pourquoi ?

— Parfois, se rapprocher des siens sérénise.

— À quoi bon, s’il est humain ?

— En a-t-il la parfaite certitude ?

Le bruit d’un bois fracassé retentit soudainement, suivi de plusieurs cris d’angoisse. Pikachu sursauta sur sa chaise, tandis que Branette bondit jusqu’à la porte d’entrée, qu’il transperça telle une ombre.

— Quoi… ? Hé, attends !

Il accourut ouvrir la porte et marcha pieds nus sur le sable chaud de l’Erg Sans Fin. Au loin s’éparpillait une fumée qu’il s’empressa de rejoindre. La place de Bourg-Palissade, plus vaste encore que celle de Bourg-Tranquille, était entourée d’étals et autres stands de marché. L’un d’entre eux était détruit et commençait à prendre feu à cause des grills et planchas qui semblaient avoir été déréglés en même temps que la destruction du stand.

Les habitants tremblaient, effrayés face au responsable de ce désastre. Une figure bleue, ronde et très imposante, accoutrée d’épais gants blancs et d’une tunique légère égratignée par le temps. Il continuait de frapper le bois. Le sol tremblait à chacun de ses coups.

— Je vous en supplie, s’affolait un commerçant, arrêtez ! Je vous donnerai tout ce que vous voudrez !

— Voilà ce qui arrive quand on me la met à l’envers ! se gaussa-t-il en jetant les résidus de bois dans le feu.

Bouche bée, Pikachu fouilla du regard les alentours. Personne ne portait de badge à sa ceinture. Soudain, une gigantesque masse violette, ressemblant à une patte griffue, agrippa puissamment l’imposante créature. Les regards suivirent la traînée violette jusqu’à un stand, qui dans son ombre laissait percevoir deux yeux froncés, rouges aux irises en fentes.

— T’es qui toi ?! s’irrita le hors-la-loi.

— Je te retourne la question, prononça-t-il d’une voix grave dont un écho se propageait. Pour qui te prends-tu ?

— Moi ? ricana-t-il. Mon nom est Tartard et vous devriez apprendre à me respecter ! Ici, les types Eau se font rares !

— Penses-tu que cela te donne tous les droits ?

— Je sais pas, vous voulez éteindre cet incendie ou non ?

Pikachu baissa les yeux, intrigué par le sable qui lui grattait les pieds. Il ne rêvait pas, les grains se mouvementaient de plus en plus violemment, jusqu’à ce que le sol entier se mette à trembler. Les habitants s’affolèrent d’une terreur bien plus palpable qu’à Bourg-Tranquille. Certains fuirent en se bousculant, d’autres se mirent à prier tandis que d’autres encore s’évanouissaient à cause de l’angoisse.

— Du calme ! tenta d’apaiser Branette.

— Tiens ! le surprit Tartard. Bouffe ça !

Déconcentré, il encaissa un redoutable jet d’eau qui l’envoya valser dans l’étal qui le protégeait du soleil. Désormais en pleine lumière, son pouvoir spectral se dissipa et le hors-la-loi se libéra. Il avança vers sa cible en se craquant les doigts.

— T’es juste un gamin, en fait !

— Laissez-le tranquille ! s’interposa une vielle femme.

Elle ressemblait comme deux gouttes d’eau à l’enfant constitué de tissus.

— Oh, comme c’est mignon ! Maman vient régler les embrouilles, hein ?

— Non ! se releva son fils. Pars, c’est dangereux !

— Qu’est-ce que vous voulez ?! Je vous donnerai tout si vous l’épargnez !

— Là maintenant, j’ai une petite faim ! Et puisque personne ne daigne me donner la moindre bouffe, j’ai décidé que j’irai la chercher moi-même ! Vous ferez office d’entrée !

Il s’apprêtait à bondir sur la famille, lorsqu’une étincelle le percuta de plein fouet. Il s’écrasa au sol, sous le regard angoissé de Pikachu, essoufflé, qui le pointait avec ses doigts tremblants.

— Est-ce que vous allez bien ?!

— Et toi, reprit le hors-la-loi d’une voix rongée par la colère, tu seras le plat !

Malgré sa faiblesse naturelle à l’électricité, la montagne de muscles se releva avec un regard assassin.

— Tu croyais qu’une pauvre étincelle comme celle-ci allait m’abattre ? Mon grand, laisse-moi te dire quelque-chose…

Il changea de cible et lui bondit dessus.

— Je n’ai jamais été vaincu !

Le rongeur se recroquevilla en fermant les yeux, alors que son adversaire allait l’écraser férocement. Mais une flammèche se faufila juste à temps, pour emporter le jeune garçon avant l’impact. La cape noire l’accoutrait à ravir.

— Salamèche ! s’exclama son ami.

— Toi… ? bégaya le hors-la-loi en le dévisageant.

D’étranges frissons lui parcoururent le corps.

— Tu n’as jamais été vaincu ? répliqua le jeune amnésique. Je suis pourtant sûr et certain d’avoir vu Pharamp te mettre hors-piste en un seul coup !

Il sursauta à l’entente de ce nom.

— C’est toi ! brama-il. C’est en partie à cause de toi si j’ai quitté les marécages ! Espèce d’ordure ! Tu m’as fait fuir pendant des mois, à errer en terres sauvages à la recherche d’une nouvelle maison ! Je peux t’assurer que je n’abandonnerai pas celle-ci !

— Et moi, je peux t’assurer qu’il aura hâte de t’en flanquer une encore plus douloureuse, quand je l’avertirai de ta présence à Bourg-Palissade ! Fais encore parler de toi et t’es terminé, Tartard !

Il sursauta de nouveau, sous le regard paniqué des pauvres habitants.

— Tant pis ! jacassa-t-il en fuyant dans la précipitation. Démerdez-vous avec cet incendie !

Le silence s’imposa, laissant le crépitement des flammes animer les environs. Pikachu reprit son souffle et la mère de Branette releva son fils. Les quelques habitants qui s’étaient cachés aux alentours approchèrent le champ de bataille. De la foule s’extirpèrent quelques voix.

— Que vient-il de se passer ? Qui était ce type ?!

— Peu importe ! Il faut vite éteindre ces flammes !

— Il nous faut un type Eau ! Quelqu’un, n’importe qui !

— Nous n’avons pas le choix, il va falloir utiliser l’eau du puits !

— Puiser dans nos maigres réserves ?!

— Si on ne se dépêche pas, c’est le marché tout entier qui va brûler !

Les deux fugitifs observaient le village entier s’affoler. L’un était navré, l’autre pensait déjà à autre chose.

À plus d’une centaine de kilomètres d’ici, alors que le soleil se couchait, six épaisses bottes s’enfoncèrent dans la terre ferme de Bourg-Tranquille, entre plusieurs forêts et hautes herbes. Le grand dragon rouge observa silencieusement les alentours, laissant la fraîche brise lui caresser ses grandes ailes pointues.

— Je déteste cet endroit, déclara Dracaufeu l’arrache mâchoires.

— Restons professionnels, avança son coéquipier constitué d’une pierre cornue.

Ils rejoignirent leur chef d’équipe, observant silencieusement les affiches et banderoles électorales représentant la candidate Rapasdepic aux prochaines élections.

— Vous voilà enfin ! les accueillit justement cette dernière.

— Madame la maire, la salua Alakazam en lui serrant l’aile. Navré pour notre léger retard, nous étions débordés à l’autre bout du continent. Je vois que vous vous préparez à une éventuelle réélection.

— Ce ne sont que des formalités, je suis déjà réélue.

— Vous êtes confiante.

— Cela compense le stress engendré par l’incompétence des explorateurs, lorsque je les engage pour une simple mission ! Vous avez lu le dossier, je n’ai pas besoin de vous réexpliquer la situation…

— Je vais être concis, l’interrompit-il. Depuis que les secousses frappent notre monde, je dédie ma vie à la recherche d’une solution. Et que cette solution implique l’élimination un être vivant, enfant ou adulte, Pokémon ou humain, cela ne nous enchante aucunement.

— Nous vous ramènerons le jeune Pikachu, continua Tyranocif, parce que nous le jugeons en grand danger.

— Mais pour ce qui est de Salamèche, conclut Dracaufeu, nous refusons de vous le confier. Nous l'isolerons de toute civilité jusqu'au neuf juin pour éviter que quiconque ne soit victime des tremblements de terre. Cependant, nous ne l'éliminerons pas.

— Et après ? se questionna la maire. Que ferez-vous de lui ?

Le grand dragon échangea un bref regard avec ses deux coéquipiers.

— Je le garderai, assura-t-il fermement.

Ni Alakazam, ni Tyranocif ne le contredit. Rapasdepic poussa un soupir de soulagement.

— Il était temps ! s’extasia-t-elle. Tant qu’il ne remet jamais plus une écaille dans mon village, je suis satisfaite.

— Bien, acquiesça Alakazam. Si nous pouvions fouiller son ancienne demeure à la recherche d'un objet suffisamment imprégné de son odeur pour que je puisse identifier son aura et me téléporter jusqu'à lui, je vous en serais très reconnaissant.

— Faites donc, je vous y emmène !

Ainsi, l’équipe ADT fut chargée d’une nouvelle mission. Sous le regard agacé des habitants, ils traversèrent la place du village, grimpèrent le pont au-dessus de la rivière et passèrent la clôture menant au jardin sans vie d’une maison abandonnée. Rapasdepic ouvrit la porte et les laissa opérer, le sourire au bec.

Sombres et vides, voilà comment Dracaufeu et Tyranocif ressentaient ces deux pièces froides et poussiéreuses, alors qu’Alakazam marchait lentement en posant son regard sur chaque objet à sa disposition. La grande table ne portait qu’un tas de poussière et les placards ne semblaient pas avoir été ouverts depuis des lustres. Le matelas du salon débordait d’une odeur aromatisée, semblable à un type Plante. Dans l’autre pièce, tout était plus morne, comme si personne n’avait jamais vécu dedans. Il y avait une armoire et un bureau vides, un tapis nettoyé de toute odeur et un autre matelas, ôté de tous ses draps. De même dans la salle de bain. Aucune serviette, tandis que la douche sentait l’arôme fruité.

— Il a été malin, s’exprima le type Psy. Rien ne me permet de l’identifier.

— Cette maison ne vous suffit pas ?! s’irrita la maire. Quel pitoyable pouvoir !

— Il est limité, voilà tout. Bien que cela épuise rapidement mes ressources, je suis capable de me téléporter là où je regarde. Je peux également déplacer instantanément n’importe qui à ma portée à n’importe quoi appartenant à une cible, tant que son odeur y est forte. Par exemple, si je laisse mon badge d’explorateur à Loliloville, je peux m’y retrouver en un claquement de doigt car après toutes ces années à le porter autour de ma ceinture, le métal qui le compose s’est imprégné de mon identité. Le jeune Salamèche devait forcément s’en douter, puisque même ses draps et sa serviette ont disparu.

— Tant pis, grogna le dragon, faisons-le à l’ancienne !

— Allons tout de même fouiller la maison du jeune Pikachu, même si je m’attends à un résultat similaire.

Quelques maisons plus loin, Germignon terminait de ranger les dernières affaires de Salamèche — récupérées grâce au double des clés sous le paillasson — ainsi que celles de Pikachu, après avoir demandé à sa mère de déposer des devoirs dans sa chambre pour ouvrir la fenêtre et y faire passer ce qui aurait permis à Alakazam de le détecter. Elle s’affala contre la porte de sa chambre, essoufflée, après avoir fait preuve d’une discrétion sans faille.

— Les garçons, par pitié, donnez signe de vie…

Depuis la fenêtre de sa chambre, elle observait la lune se lever.

Salamèche l’observait également, assis sur la toiture de la maison qui l’avait accueilli. Sa nouvelle cape noire flottait au vent, tandis qu'il avait récupéré sa tunique usée. Bien qu'elle ait été nettoyée de toute crasse, le dernier mois l'avait furieusement amochée. Froissée, décousue et déchirée çà et là, elle ne retenait plus autant de chaleur qu'autrefois. Une gigantesque patte griffue s'accrocha aux tuiles en terre cuite à côté de lui. Branette grimpa, l'air intrigué.

— Salut, commença-t-il en le zieutant d’un air perplexe. Tu es resté ici toute la journée. Je peux venir ?

Son ami acquiesça d’un mouvement de tête, alors il s’installa silencieusement.

— Tu es donc devenu le héros de ton village ? marmonna le lézard à la queue enflammée.

— J’essaie seulement d’utiliser mon pouvoir pour aider les autres. Tu avais raison, il n’y a rien de plus satisfaisant que de parvenir à rassurer autrui. Lorsqu’on a des capacités hors du commun, il faut apprendre à les utiliser pour ce même bien commun.

Le fugitif détourna le regard.

— Salamèche ?

— Est-ce que c’est vraiment la bonne chose à faire ? N’as-tu pas plus à perdre en essayant d’aider tout le monde ?

— Euh… si, bien sûr. Moi qui fuyais Bourg-Palissade pour éviter que mes bêtises ne retombent sur le dos de ma mère, au final, je me demande si ça ne la met pas encore plus en danger d’essayer d’être une bonne personne. Ce Tartard a failli lui faire du mal.

— Et tous ces gens qui t’ont remercié après avoir éteint l’incendie, crois-tu vraiment en leur sincérité ?

— Je vois où tu veux en venir. Je pense que ce qui t’est arrivé est une exception.

— Et donc quoi, s’énerva-t-il brusquement, je le méritais ?!

— Ce serait insensé. Mais penses-tu que leur rejet était réfléchi, ou ont-ils réagi par effet de masse, motivés par des croyances obscures et des faits inexplicables ? D’après ce que Pikachu m’a raconté, seuls quelques Pokémon ont agi avec malhonnêteté.

— Quelle importance ? Des gens que j’admirais m’ont menti, rejeté, pourchassé, combattu et certains ont même tenté de m’assassiner ! À quoi ont servi tous mes efforts ? À quoi bon servir le bien commun…

— J’imagine qu’il est tout aussi important de penser à soi, il faut juste savoir faire la part des choses. Tiens, je suis passé à la bibliothèque tout à l’heure.

Il sortit de sa sacoche un bouquin sur les territoires sauvages entourant Bourg-Palissade et l’ouvrit à son marque-page. Salamèche le dévisagea vaguement. Puis, son regard se posa sur ce gigantesque volcan débordant de lave.

— Le Mont Ardent…

— Tu connais ? Vous l’avez peut-être déjà étudié à l’école ?

— Non, ce donjon me tape dans l’œil depuis un moment. Il a l’air intéressant.

— C’est bon signe, regarde.

Il tourna la page et afficha une liste des espèces sauvages vivant au cœur de la montagne. Des Magby, des Limagma, des Chartor, des Galopa, des Caninos, des Reptincel. Que des Pokémon au teint de peau semblable à ce garçon, dont la flamme au bout de la queue crépitait, que dis-je, étincelait à la vue de cette dernière espèce.

— Des Reptincel… ?

— Et donc probablement des Salamèche, voire des Dracaufeu. Ce sont des sauvages, mais qui sait ? À leurs côtés, peut-être trouverais-tu enfin un peu de répit ou de sécurité ?

Bouche bée, il bondit hors du toit avant que Branette ne referme le bouquin.

— Pikachu ! cria-t-il en déboulant dans la maison. Il faut qu’on y aille !

La mère de Branette, alors en train de préparer le dîner, sursauta en le voyant bousculer la porte de la chambre de son fils. Ce dernier le suivait d’un air las.

— Salamèche, je ne te demande pas de partir maintenant !

— Quoi ? s’intrigua le rongeur. Partir où ?

Alors en peignoir, il sortait d’une rafraichissante douche.

— Le Mont Ardent, commença le reptile d’un sourire nerveux, c’est là que vit mon peuple !

— Quoi, les humains ?

— Non, les autres Salamèche !

Il en imposa le silence.

— Je savais que cet endroit était spécial ! Il faut s’y rendre tout de suite !

— Attends, s’il te plaît ! T’es au courant que c’est l’un des donjons les plus dangereux du continent ? Il y a de la lave partout, je ne pourrais jamais y survivre !

— Tant pis, on posera notre tente à côté et je m’y aventurerai seul !

— Et tu comptes y faire quoi ? T’incruster dans le groupe et devenir un sauvage ?

— C’est juste pour vérifier ! S’ils me reconnaissent comme l’un des leurs, alors cela voudra dire que je suis un vrai Salamèche !

Pikachu recula d’un pas.

— Je croyais que t’étais passé à autre-chose…

— Pourquoi fuirait-on, si j’étais passé à autre-chose ?

— Pour leur prouver qu’on s’en tape de qui tu es ! clama-t-il. C’était la raison de notre départ, à la base ! Fuir jusqu’au neuf juin, rien de plus !

— Oui, parce que je ne savais pas quoi faire d’autre ! Pikachu, j’ai enfin l’occasion d’en apprendre plus sur mes origines ! Et puis regarde Bourg-Palissade ! Tant que je serai là, le village souffrira des tremblements de terre ! Il vaut mieux pour tout le monde que je m’en aille au plus vite, avec ou sans toi !

Il en imposa le silence. Les deux types Spectre les observaient, aussi silencieux que préoccupés. Mais peu à peu, le visage de Pikachu se décomposa. Il serra les poings, alors qu’une veine gonflait sur son front.

— T’es sérieux, là… ?

Il laissa s’échapper un rire empli de nervosité.

— J’hallucine, j’arrive pas à croire que tu viennes de dire ça !

— Quoi ? Je fais ça pour notre bien à tous !

— Non, Salamèche, tu fais ça pour toi ! Si tu t’inquiétais vraiment pour Bourg-Palissade, tu voudrais qu’on reste aider Branette à combattre Tartard sans hésiter ! Nan mais sérieux, tu m’prends pour un gros lâche ou quoi ?!

— Tout ce que je veux, c’est découvrir la vérité ! Dans tous les cas, on a dit qu’on continuerait vers le nord ! Le donjon est sur le chemin, ça ne coûte rien d’aller y faire un tour !

— D’accord, on le fera après avoir arrêté le hors-la-loi !

— Non, certainement pas !

— C’est quoi ton problème ?! gronda-t-il. Depuis quand la vie d’autrui n’a plus d’importance pour toi ?!

— À ton avis ?! hurla-t-il encore plus fort. Peut-être depuis que tout le monde veut ma peau ! Je ne mets en danger personne ! Je fais ma vie, ils font la leur ! Je pensais que tu me comprenais !

— Bien sûr que je te comprends et bien sûr que j’irai jusqu’au Mont Ardent avec toi, si c’est vraiment ce que tu veux ! Salamèche, notre ultime barrière morale, c’est notre sens du secourisme ! Peu importe à quel point on se fait ensevelir jusqu’au fond du puits, on doit toujours garder la tête haute, en direction de la lumière !

Il tenta d’approcher, mais c’est le jeune amnésique qui recula.

— Je ne suis pas d’accord. J’ai trop donné pour des gens qui ne le méritaient pas. Je n’ai plus de temps à perdre, plus de risques à prendre. Attends sagement dans ce puits, que l’on vienne te chercher. Moi, je préfère creuser un autre chemin.

Il attrapa son sac et se dirigea vers la sortie.

— Salamèche, attends ! C’est trop dangereux de partir seul !

— Ça l’est encore plus d’attendre que l’on vienne me tuer.

Il quitta la maison.

— J’ai dit que je te protègerai, que je veillerai sur toi quoiqu’il en coûte !

— Ce n’est pas mon problème.

Il quitta Bourg-Palissade. Pikachu s’agenouilla, les larmes aux yeux. La flammèche scintillante de son meilleur ami disparaissait peu à peu dans l’horizon. Il cogna le sol en éclatant en sanglots.

— Pourquoi… ? gémit-t-il d’une voix détruite par le chagrin.

Branette avança jusqu’à lui. Dans un pesant silence, il lui choya l’épaule.

— Rentrons, tu vas attraper froid.

— Qu’est-ce que j’ai fait, Branette… ? Qu’est-ce que j’ai fait… ?

— La scission était inévitable. Encore heureux qu’il te lâche en lieu sûr.

La nuit lui parut longue, affreusement longue. Répugné, Pikachu ne parvenait ni à trouver le sommeil, ni à avaler quoique ce soit. Conscient de son état, la mère de Branette accepta de l’héberger autant de temps que nécessaire. De son côté, le type Spectre réfléchissait à un moyen de surprendre Tartard sans mettre les habitants en danger. À l’inverse de Salamèche, il avait la chance de ne plus être seul.

Un beau matin sur la place du marché, une figure imposante fit trembler les commerçants. Il avait beau accoutrer une légère capuche le couvrant du soleil, personne ne l’avait oublié. L’un d’eux, tremblant, s’avança et lui tendit ses réserves de nourriture. Les autres suivirent, prêts à vider leur marché pour assurer leur survie.

— Finalement, se gaussa le hors-la-loi, vous avez fini par comprendre.

— Hé, l’interpella la seule marchande de la place, venez goutter ça !

La mère de Branette présenta une tarte rudement préparée sur son stand entouré de tapis, à l’écart des autres. Tartard avança d’un air hautain mais curieux. Son ventre gargouillait ne serait-ce qu’en sentant cette alléchante odeur fruitée.

— Qu’avons-nous là ?

— Je vous laisse le choix. Vous pouvez en pâtir pour nous et utiliser vos capacités pour le bien de Bourg-Palissade, ou vous emparer de cette nourriture et ne rien regretter.

— Tu l’as drogué ? se méfia-t-il en la lui balançant en pleine figure. Pauvre idiote, pensais-tu vraiment que je m’y risquerais ?

— Tant pis, rétorqua-t-elle froidement en s’essuyant le visage, nous aurions même pu vous offrir un toit.

Elle tira une corde et les tapis cédèrent soudainement, faisant trébucher la montagne de muscles dans un large et profond trou entouré de grès. Elle déplia ensuite un simple drap, le privant du dernier rayon de soleil. Le hors-la-loi s’en esclaffa. Il se pâma à gorge déployée.

— Pas mal, ma bonne dame ! Je te laisse cinq secondes pour déguerpir, ou tu risques de te briser quelques os lorsque j’exploserai le sol tout entier ! Je les préfère en bon état, lorsque je croque dedans !

Soudain, une gigantesque présence s’éleva derrière lui. À peine eut-il le temps de le comprendre, qu’une patte griffue épaisse de plusieurs mètres le frappa à pleine puissance. Il l’encaissa de plein fouet.

— Encore toi ?! T’es plutôt mauvais joueur, dis-moi !

— Je ne joue pas avec les criminels, assura une voix grave dont l’écho lui provoqua de sévères frissons.

La force exercée augmentait de plus en plus, jusqu'à le projeter contre les parois de la prison dans laquelle il avait été enfermé. Au moment où son dos effleura la grille métallique fixée à ces parois, une violente décharge électrique le traversa.

— Quoi ?! cria-t-il d’une voix soudainement angoissée.

À l’extérieur du trou, Pikachu maintenait l’embout métallique de la grille. Il s’y déchargeait en entendant Tartard hurler.

— Qu’y a-t-il ? le nargua Branette. Je croyais que tu résistais aux charges électriques ?

— Arrête, je t’en supplie !

Il perdait en endurance, alors que ses mouvements ralentissaient et que la douleur s’aggravait.

— Tu viens de menacer ma mère… conclut-t-il d’une voix rongée par la colère.

Son pouvoir explosa, envahissant le trou tout entier d’une lueur spectacle qui encastra le corps de sa cible dans la grille. Le hors-la-loi s’écroula, inconscient.

Lorsqu’il rouvrit les yeux, il était attaché à une dizaine de cordes autour d’une poutre en bois plantée dans le sable, éloigné de Bourg-Palissade, au sommet d’une dune que l’on pouvait apercevoir depuis la place du marché. Toujours couvert de tous ses tissus, il transpirait à n’en plus finir face à ce soleil frappant.

— Pitié, j’ai besoin d’eau…

— N’es-tu pas capable d’en produire ? ironisa Branette. Tu ne sers définitivement à rien. Mais ne t’en fais pas, les explorateurs viendront bientôt t’en apporter. Je te laisse, j’ai tout un village à rassurer.

— Non ! Pitié, aide-moi ! Aide-moi !

Mais le type Spectre était déjà loin. Le soir-même, les habitants célébrèrent la victoire de leur jeune héros et la place du marché devint festive. De nombreuses mélodies entraînantes étaient jouées aux tambours et aux flûtes. Même Pikachu était affecté par tous ces sourires qui rendaient cette atmosphère agréable et apaisante. Pendant un court instant, il arrivait à penser à autre-chose.

Épuisé, il rentra se coucher un peu avant la fin. Cela faisait deux jours que Salamèche avait quitté Bourg-Palissade et il n’avait aucune nouvelle. Il était en revanche certain d’une chose : sans son intervention, Tartard serait toujours en captivité. Voilà quelque-chose qu’il ne se serait jamais pardonné.

Au même moment, à plus d’une vingtaine de kilomètres au nord de l’Erg Sans Fin, Salamèche descendit d’un arbre. Il s’était reposé une petite heure avant de se réveiller d’un énième cauchemar. Peu importe, pensa-t-il, il resserra sa ceinture, rattacha sa cape et fit face à l’horizon, duquel il pouvait distinguer la figure d’un volcan en éruption.

La vérité n’était plus si loin.

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