Donjon Mystère - Dream Team

Chapitre 13 : Le sage Barbicha

5263 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 16/02/2021 14:20

Il transpirait d’une sueur que son corps n’avait pas l’habitude de produire. Alors que les lueurs scintillantes de la lune se faufilaient à travers la fenêtre de sa chambre, Salamèche cauchemardait à en trembler dans son lit.

— Ne parlez pas d’malheur ! semblait geindre Pifeuil. Déjà qu’on doit placer tous nos espoirs sur un humain !

Il se réveilla en sursaut, comme à chaque fois qu’il entendait ce dernier mot. Haletant d’un air inquiet, il se frotta le front en crispant les dents. Une sévère migraine l’envahissait.


Chapitre 13 : Le sage Barbicha


En cette chaleureuse matinée de mars, les arbres se recouvraient de feuilles, la verdure s’étincelait et le soleil chatoyant revigorait les habitants de Bourg-Tranquille. Alors que les rayons transperçaient les fenêtres de l’école, le professeur Canarticho feuilletait différents manuels scolaires.

— Aujourd’hui, je pense qu’on va entamer le dernier chapitre du programme de mathématiques. J’aimerais que nous le parcourions au plus vite, histoire que vous puissiez l’intégrer à vos révisions avant les vacances…

— M’sieur ? intervint comme rarement Pikachu d’un air un peu perdu. Vous deviez pas nous rendre nos devoirs ?

Il en imposa le silence.

— Quoi ? Je suis impatient de savoir combien j’ai eu, moi !

— Tu parles du devoir que je vous ai rendu il y a deux jours ?

— Euh… non ? Il y a deux jours, on n’avait pas cours j’crois…

Les autres élèves le dévisagèrent.

— Je crois surtout que tu as une très mauvaise notion du temps, blagua le professeur.

— Tu as eu une super note, lui rappela Germignon. Comment as-tu pu oublier ?

— Il veut juste se refaire saucer, grommela Arcko.

Perplexe, le rongeur se tourna vers son ami.

— Tu t’en souviens, toi ?

— Non, marmonna-t-il en se maintenant la tête.

— Salamèche ? s’inquiéta Canarticho. Si tu ne te sens pas bien, reste chez toi comme Chenipan.

— Lui aussi est malade ? s’intrigua Riolu. J’espère que ce n’est pas un virus…

— Ça va aller… répondit le lézard.

— Bon, très bien. Ouvrez-vous livres à la page trente-huit !

La matinée lui parut interminable. Si Pikachu ressentait une légère douleur, Salamèche semblait souffrir le martyre dès qu’il essayait de réfléchir. Durant la pause, pendant que les autres sortaient prendre l’air ou discutaient, lui s’affala sur son bureau en plongeant la tête dans ses bras.

Et peu à peu, il perdit connaissance.

— Ne parlez pas d’malheur ! recommençait à geindre cette voix qu’il connaissait si bien. Déjà qu’on doit placer tous nos espoirs sur un humain ! Je n’en reviens toujours pas ! Après tout ce qu’on raconte sur eux…

— Votre union est notre dernier espoir, lui assura une douce voix féminine. Si tout se passe comme prévu, alors faites de lui notre sauveur ultime. Sinon, profitez du temps qu’il vous reste ensemble pour découvrir le monde avant l’apocalypse. C’est un humain, justement, tu serais le premier à avoir la chance de vivre aux côtés d’une telle espèce.

— Super, j’ai hâte de mimer l’père de famille avec un monstre !

— Un monstre… ? se réveilla-t-il lourdement.

Tout le monde le regardait, pendant que l’infirmière Nanméouïe lui choyait le front.

— Il revient à lui, annonça-t-elle.

— Salamèche ! cria Pikachu. Qu’est-ce qui t’arrive, mon pote ?!

— Cesse de crier ! râla le volatile. Il n’a pas besoin qu’on lui perce les tympans !

— Il est brûlant, constata l’infirmière. Salamèche, est-ce que tu m’entends ?

— C’est quoi… un humain ?

Il en imposa le silence. Les deux adultes se dévisagèrent d’un regard inquiet.

— Je l’emmène à l’infirmerie, insista-t-elle en le portant. Je repasse prendre ses affaires, il ne reviendra pas aujourd’hui.

— Bien sûr, chagrina Canarticho, qu’il se repose le temps nécessaire.

Sous l’attention alarmante de ses amis, le jeune amnésique fut transporté hors de la classe.

Le soleil se couchait lorsqu’il reprit connaissance. En se redressant, il fit tomber un torchon mouillé de son front.

— Te voilà de retour parmi nous, lui sourit Nanméouïe en terminant de remplir un dossier. Comment te sens-tu ?

— Quelle heure est-il ? J’ai l’impression d’avoir dormi pendant des jours…

— La dernière cloche a sonné il y a un quart d’heure et Pikachu vient tout juste de partir. Il voulait attendre que tu te réveilles, alors je lui ai dit que ça n’arriverait pas avant le lever de la lune. Vu l’état dans lequel tu t’es écroulé, j’espérais avoir raison. Qu’en est-il de ta migraine ?

— La douleur s’est un peu calmée, mais ma tête est lourde. Que m’est-il arrivé ?

— Je te retourne la question. Est-ce qu’une expédition s’est mal passée ?

— Non, je ne crois pas. Enfin je ne vois pas le rapport entre ça et les voix que j’entends dans mes rêves…

L’infirmière lui adressa une attention curieuse, alors il s’affaissa sur le lit et se concentra quelques instants.

— J’entends le même échange entre deux personnes. Ils parlent de choses que je ne comprends pas, comme s’ils ne savaient pas que j’étais là. L’un d’eux utilise le mot « humain » et l’autre insiste dessus…

Il se frotta le front en crispant les dents.

— Hé, doucement, ne fais pas trop travailler ta mémoire.

— Qu’est-ce qui m’arrive… ?

— Je ne sais pas. Le cerveau ne peut pas créer à partir de rien ; tu as forcément déjà entendu ces voix ou ce mot quelque part. Ce qui m’inquiète un peu plus, c’est que tes symptômes ressemblent à ceux d’une victime de manipulation cérébrale. Personne ne t’a vu traîner avec quelqu’un capable de maîtriser des pouvoirs psychiques ou spectraux, ces derniers temps ?

— Je n’en connais aucun vivant à Bourg-Tranquille. Écoutez, je ne veux pas accuser qui que ce soit de quoi que ce soit. Je veux juste que la douleur et les rêves cessent.

— Il n’y a pas trente-six solutions. Je vais te recommander un programme nutritif à base de plantes médicinales pour apaiser ton esprit. Pour combattre une pensée parasite, il est conseillé d’identifier la source du problème pour mettre le doigt sur ce qui te trouble vraiment. Pas de doute ici, tu es perturbé par l’utilisation insistante de cet étrange mot.

— Vous ne savez pas non plus ce qu’il signifie ?

— Non, je ne crois pas l’avoir déjà entendu. Mais peut-être pourrais-tu en apprendre davantage auprès de Barbicha ? S’il s’agit d’un savoir obscur, il saura probablement répondre à ta question.

— Entendu, je vais aller lui rendre visite tout de suite.

— Pense à te reposer, tout de même. Et s’il te plaît, fais une petite pause sur l’exploration, au moins le temps de calmer cette migraine.

— Je vais essayer, marmonna-t-il en se levant du lit.

Une fois la liste de son programme nutritif en poche, il quitta l’école en direction des bains publics.

Le sage Barbicha était connu et respecté pour être l’homme le plus âgé de Bourg-Tranquille. Il vivait au centre des bains publics, au sommet d’une allée rocheuse menant à un petit lac creusé au cœur de la colline au grand arbre. De couleur bleue à la peau écailleuse, il était reconnaissable à ses grands yeux ronds, sa large bouche souriante et ses deux fines moustaches jaunes. Il se reposait, seul dans ce petit étang qu’était sa maison.

Dos à lui, Salamèche cherchait ses mots. Mais après de longues secondes, il soupira en se retournant.

— Tu n’as rien à craindre, prononça cette douce voix cassée par le temps.

L’ichtyen se tourna vers lui avec un grand sourire communicatif.

— D’habitude, les gens viennent avec curiosité. Toi, tu as l’air de redouter le savoir.

— Bonsoir, monsieur Barbicha. J’hésitais à venir aussi tardivement.

— Il ne faut pas, voyons, cela me fait toujours plaisir d’avoir un peu de visite. Je t’en prie, viens prendre place.

Il tapota la roche au rebord de l’étang avec ses fines moustaches, alors le jeune garçon vint s’y affaisser.

— Je crois que c’est la première fois que nous nous rencontrons, confia le reptile. Vous ne sortez jamais d’ici ? Comment avez-vous fait, en hiver, lorsque les lacs étaient gelés ?

— Nos braves voisins m’offrent chaque année des pierres chauffantes, afin que je puisse supporter la période hivernale. Et oui, ce lac est ma propriété. Je suis trop vieux pour nager de longues distances ou résister aux courants aquatiques. Mais je me plais, à observer notre beau village d’ici. Sans parler des plus curieux, qui viennent apprendre à mes côtés en échange d’une de leurs anecdotes quotidiennes. C’est amusant, de découvrir quelqu’un sous le regard admiratif d’un autre.

— C’est vrai ? Qui vous vend les louanges de qui ?

— Oh, mais cela est un secret, jeune Salamèche.

Ce dernier écarquilla les yeux.

— Moi ? Qu’est-ce qu’on vous a dit sur moi ?

— Pourquoi paniques-tu soudainement ? plaisanta-t-il de bon cœur. J’étais surpris d’apprendre que tu formais une équipe de secours, mais à te voir de plus près, cela ne m’étonne plus vraiment. Soit, je suis heureux de pouvoir essayer d’apaiser le cœur d’un brave bonhomme comme toi. Raconte-moi donc ce qui te tracasse, mon cher ami.

— C’est compliqué, commença-t-il en soupirant. Tout un tas de choses me perturbent, mais…

Il hésita en se frottant le front.

— Est-ce que vous savez ce qu’est un humain ? demanda-t-il finalement.

Le vieux sage se renfrogna, avant de dévier le regard vers le ciel.

— Un humain… ? Bon sang, voilà un mot que je n’avais pas entendu depuis très longtemps.

Il se mit à tournoyer lentement dans son étang. De son côté, Salamèche baissa la tête et dévisagea ses petites pattes.

— Il semblerait que je connaissais ce mot, avant de devenir amnésique. Mais mon meilleur ami n’est au courant de rien et je n’ai pas trop envie de me confier là-dessus. Quant à mon père, j’hésite à lui dire parce que j’ai l’impression qu’il fait partie de mon rêve. Celui où je l’entends parler d’un humain, juste avant qu’il ne mentionne un monstre dont il doit s’occuper…

— C’est bon, affirma Barbicha, je me rappelle.

— C’est vrai ? Qu’est-ce que ce mot signifie ?

— Beaucoup de mauvaises choses. Honnêtement, je pense qu’il vaudrait mieux que tu extirpes ce lexème de ton vocabulaire. Le savoir n’est pas toujours enrichissant.

— Quoi… ? Vous voulez me faire paniquer, c’est ça ?

— Qui est le pitre à t’avoir enfoncé ce mot dans le crâne ?

— Je n’en sais rien ! Je fais le même rêve constamment, je n’arrive plus à dormir correctement et je souffre de sévères migraines en entendant toujours ce même fichu mot ! S’il vous plaît, j’ai besoin de savoir !

Il tremblait, les larmes aux yeux. Le vieux sage soupira.

— Du calme, cela m’intrigue simplement. La légende de l’humain n’était plus racontée déjà à ma naissance.

— La légende… ? De quoi s’agit-il ?

— Par où commencer ? Au début, il n’y avait rien. Puis, Arceus naquit.

— Je… je ne comprends pas.

— Soit, abrégeons la création de l’univers. Retiens le fait que notre monde ne représente qu’une infime particule de tout ce qu’Arceus a créé. Des lieux, des êtres, des événements, probablement une infinité d’entre eux existent sans que jamais nous n’en apercevions la couleur. Il se peut que l’humain fasse partie de ce phénomène extérieur.

— Vous êtes en train de dire que « humain », c’est quelqu’un ?

— Plausiblement un peuple.

Salamèche fut saisi par la stupeur. Un lourd frisson lui parcourut le corps.

— La légende de l’humain se concentre sur l’un d’entre eux, bien qu’au fil du temps, nous ayons pris son cas pour une généralité. Selon des écrits provenant d’un temps bien au-delà des limites de notre calendrier, il était décrit par les Pokémon comme le monstre originel. Il était un être capable des pires atrocités. Un être qui se jouait de nous, qui nous réduisait en esclavage en nous capturant, en nous enfermant. Un être qui dominait par son ingéniosité et sa capacité à manipuler l’empathie et la compassion d’autrui. Un être qui n’hésitait pas à commettre les crimes les plus humiliants et intimes sur ceux qu’il aurait amadoué, ne serait-ce que pour obtenir la meilleure version des espèces qui l’intéressaient, en forçant la procréation avec des créatures synthétiques, ou pire, avec des congénères liés par le sang ; en abandonnant à la mort ceux qui n’avaient pas les chiffres les plus élevés, en gavant de substances nocives ceux qui avaient l’honneur de rester à ses côtés pour augmenter encore et toujours des chiffres aux significations obscures, selon des machines barbares desquelles il était obsédé ; tout cela pour en faire des monstres vidés de consciences et aux morphologies tératologiques. La légende laisse supposer que quoiqu’il arrive, l’humain trouvera un moyen de conquérir.

Le jeune amnésique demeurait bouche bée. Tremblant comme une feuille, il peinait à reprendre son souffle.

— Je savais que j’aurais dû te préserver de ce savoir.

— Que… que lui est-il arrivé ?

— Qui sait ? Quand a-t-il vécu ? Combien de temps peut-il subsister ? Si la légende conte un récit proche de la réalité, il se peut que le monde dans lequel il a vécu n’obéisse pas aux mêmes règles et coutumes que le nôtre. Peut-être que là où il est, une journée équivaut à une décennie pour nous ? Peut-être trouvera-t-il un jour le moyen de voyager jusqu’à nous ? Peut-être que la légende n’est qu’un avertissement et qu’un jour où l’autre, tous les Pokémon seront destinés à être dominés par ce monstre à la soif de pouvoir illimitée ? Bien sûr, tout cela n’est qu’une obscure légende vouée à l’oubli. Cela fait deux-cent-trente-et-un ans que nous vivons en paix, alors ne t’encombre pas l’esprit avec de déprimantes histoires comme celles-ci.

— Et si un humain se trouvait parmi nous ? insista le jeune garçon.

— Je ne pense pas qu’il pourrait se cacher bien longtemps parmi les Pokémon.

— Mais si c’était le cas ?! s’acharna-t-il en haussant le ton.

— Mon grand, ne panique pas. Si une force extérieure, aussi importante soit-elle, s’incruste dans notre monde, tu peux être absolument sûr et certain que les plus grands esprits psychiques le remarqueront avant même qu’il ne frôle le moindre brin d’herbe. Tiens, as-tu déjà exploré le Grand Ravin ? À son sommet y vit l’ermite aux pouvoirs psychiques les plus grands. Son nom est Xatu, son rôle est de sentir. Les esprits, les sentiments, les volontés. Qui sait pourquoi il s’est exilé en terres sauvages et hostiles ? Il aurait fait fortune, avec ses prédictions…

— Vous pensez que Xatu saurait différencier un Pokémon, d’un humain changé en Pokémon ?

— Sans doute. Puisque tu sembles tracassé par ce que je t’ai dévoilé et que tu as les capacités d’aller lui rendre visite, pourquoi ne pas mettre un terme à tes craintes en le questionnant par toi-même ?

Salamèche se leva sur ces mots.

— Merci beaucoup d’avoir pris de votre temps ! exclama-t-il en déboulant l’allée rocheuse au plus vite.

— Et mon anecdote quotidienne… ?

De retour chez lui, le garçon à la flamme crépitante se précipita dans sa chambre, à la recherche de ses affaires de secouriste. Il vida son sac et y fourra son badge, une carte, sa gourde, des baies, un rouleau de bandages, du désinfectant et son rappelle-tout. Il l’enfila sans regarder devant lui, se heurtant à la jeune femme aux grandes ailes qui s’était approchée de l’entrée.

— Bon sang, pesta-t-il en lui tendant une patte. Je suis désolé madame Papilusion, je ne vous avais pas vu.

Voyant qu’elle peinait à se relever, il la porta jusqu’à ce que ses ailes se mirent à battre de nouveau.

— Merci, haletait-elle. Je jette des coups d’œil vers votre demeure depuis plusieurs heures, alors je me suis précipitée quand j’ai vu la porte entrouverte. Tu sembles pressé, donc je vais faire vite. Depuis ce matin, mon fils et moi nous sentons malades au point de ne plus me souvenir de ce que j’ai fait hier. Je vous avais envoyé une demande de récolte, et ce matin, tout ce dont j’avais besoin se trouvait dans mon salon. J’imagine que vous m’avez tout apporté hier, alors je suis venue te remercier, car je ne peux plus être certaine de l’avoir fait en temps voulu.

— Euh… à ma connaissance, nous n’avons reçu aucun courrier de votre part. Cette récolte ne vient pas de nous.

— C’est impossible, je suis persuadée d’avoir inscrit votre adresse.

— Hé minot ! criait au loin l’homme au chapeau nénuphar.

Le jeune secouriste tapota du pied en le voyant passer la clôture de son jardin.

— C’est quoi ce délire ?! Je m’suis fait extorquer !

— Par qui ?

— À moitié par vous, pardi ! Ça fait des jours que j’attends une réponse de votre part, et voilà que trois bougs débarquent chez moi pour me dire qu’ils ont fait le travail à votre place ! J’étais surpris parce que je pensais avoir écrit à la Dream Team mais bon, pas de soucis, ils ont taffé donc je voyais pas l’inconvénient d’aller valider la mission à la poste. Le truc, c’est qu’ils ne m’ont pas lâché la grappe ! Une fois isolé, je m’suis fait embrigader dans un charabiât et des menaces à n’en plus finir ! Ils voulaient mon argent, ces malandrins !

— Est-ce qu’ils étaient explorateurs ?

— J’en sais que dalle, moi ! Je crois avoir déjà vu la bouille du gars en violet, là, avec des épines, des yeux rouges et un sourire terrifiant ! Il est du village, c’est sûr !

— Donc non, ils étaient secouristes. Et puisque Tengalice a arrêté, ça ne peut qu’être l’équipe Chaotique.

— Je pense avoir compris le problème, reprit Papilusion. J’étais venue te dire deux choses. La seconde est que ma réserve d’or a été épuisée. J’y fais très attention et qu’importe l’état dans lequel j’étais hier, je sais que je ne dépenserais pas sur un coup de tête. Comme je pensais que vous étiez venus à la maison en me rapportant vos récoltes, je voulais au moins connaître ton point de vue ou celui de Pikachu sur la situation. Mais elle me semble désormais plutôt claire : des escrocs vous volent vos demandes et les réalisent à votre place.

— J’hallucine, grommela le garçon au foulard doré en se frottant le front. Non seulement ils nous empêchent de gagner des points, non seulement ils en raflent injustement, mais en plus, ils forcent ceux qui ont placé leur confiance en nous à leur donner de l’argent ! Pour qui se prennent-ils ?!

Soudain, Papilusion s’écroula. Lombre la rattrapa de justesse.

— Wow ! Doucement, ma bonne dame !

— Je suis désolée, l’infirmière m’avait demandé de ne pas me déplacer…

— Je vais vous raccompagner, tenta de la rassurer Salamèche.

— Non, ne t’occupe pas de moi. Tu as des escrocs à arrêter sur le champ !

— C’est bon minot, je me charge d’elle ! Je pense que tu les trouveras chez eux.

— On va voir ça tout de suite…

Il zieuta la maison de son ami, hésitant à lui demander de l’aide. Cependant, il n’avait pas l’intention de rentrer chez lui, une fois cette affaire d’escroquerie terminée. Le Grand Ravin l’attendait et il ne comptait pas impliquer Pikachu dans cette histoire.

Pendant ce temps, Ectoplasma dépoussiérait seul sa pitoyable habitation. Il aurait aimé festoyer au bar la prime récoltée avec son équipe et à vrai dire, Arbok et Charmina s’y trouvaient encore. Mais la boule violette à l’air penaud préférait ruminer seule chez elle. Les paroles du gérant à la carapace rocheuse le faisaient grincer des dents.

— Je suis désolé, mais nous ne pouvons pas vous servir. Le règlement du bar interdit toute forme d’interaction commerciale avec les types Spectre. Il paraît que vous possédez la capacité de manipuler la mémoire d’autrui. Si cela ne tenait qu’à moi, je ne m’en préoccuperais pas. Mais ce bar est une entreprise privée à but récréatif et non un besoin dont les habitants ne peuvent se dispenser. Ainsi, il est de notre droit de refuser ceux qui peuvent poser problème à notre marché.

— C’est complètement stupide ! Y a des témoins partout, je peux pas manipuler votre esprit en claquant des doigts !

— C’est bon calme-toi, lui sourit Charmina.

— Ouais, tant pis, on s’casse !

— Non, répliqua Arbok, toi tu te casssses. On ssse retrouve à la maison.

— Quoi… ?

— Profites-en pour faire un peu de ménage !

— Mais les gars, attendez !

Trop tard, ils s’étaient déjà installés à une table.

— Bande de lâches égoïstes… ! grogna-t-il en passant le balais dans les recoins de sa maison.

Quelqu’un toqua soudainement à sa porte. En ouvrant à Salamèche, il sursauta tout d’abord.

— Bonsoir, je suis bien chez l’équipe Chaotique ?

Puis, il desserra les épaules.

— Ah, ouf… ! Ouais, p’tit gars, t’es au bon endroit. Enfin je suis seul, là.

Le jeune garçon dégaina son badge.

— Mon nom est Salamèche, membre de la Dream Team. J’aimerais vous poser quelques questions.

— Vas-y, entre.

Il le laissa passer et referma la porte en lui cachant un grand sourire nerveux. Il se retourna d’un air bien aimable.

— Alors ? Comment puis-je t’aider, mon grand ?

Salamèche dévisagea les alentours, bouche bée face à un dépotoir pire encore que ce dans quoi vivait Férosinge. Entre les meubles troués, rongés et humides, les murs couverts de moisissures et les anfractuosités qui parsemaient le plafond, le jeune garçon manqua de recracher son repas du jour.

— Ouais, je sais, c’est pas beau à voir…

— Est-ce que vous avez besoin d’aide, pour le nettoyage ?

— Hein… ? Mais nan, t’inquiète ! C’est mon bazar, c’est à moi de m’en occuper !

— Les secouristes aussi peuvent très bien s’entraider, bien que je n’étais pas venu pour ça à la base.

— Ah ? Mince, qu’est-ce qu’on a encore fait ?

— Monsieur Lombre, qui dirige en partie le bar du village, est venu se plaindre qu’une des missions qu’il nous a envoyé a été réalisé par une équipe de trois personnes, dont un gars violet avec un sourire terrifiant.

— C’est comme ça que les gens me voient ? plaisanta-t-il en croisant les bras.

— Vous lui auriez demandé de l’argent, menacé selon ses dires.

Ectoplasma soupira, puis détourna le regard.

— C’est vrai. On n’a pas été cool avec lui. Ni avec vous, d’ailleurs.

— Vous reconnaissez tout ? s’étonna-t-il.

— Ouaip. Arbok, Charmina et moi avons volé toutes les missions qui vous avaient été envoyées il y a deux jours. Nous avons aidé une certaine Papilusion, puis ce fameux Lombre, à qui nous avons demandé un peu d’argent, en plus des points gagnés en validant les missions à la poste Bekipan. Dans les faits… ouais, c’est exactement ce qu’il s’est passé.

— Euh… bégaya-t-il déstabilisé. D’accord…

L’adulte s’affaissa sur son banc rongé, soupirant en fixant honteusement le sol.

— Je ne vais parler qu’en mon nom. Je suis arrivé à Bourg-Tranquille il y a deux ans, après avoir fui la grande ville en raison d’un manque de revenus. Je n’avais ni diplôme, ni compétence particulière. Ma maison se détériorait de jour en jour, je n’avais pas les moyens de la réparer. Lorsque des explorateurs étaient de passage, je les enviais. Je me disais que j’avais peut-être une chance de remonter à la surface. Sauf que j’étais seul. Puis, il y a un peu moins d’un an, alors que je me baladais en terre sauvage pour m’entraîner à la randonnée, enfin surtout pour me vider l’esprit, j’ai rencontré Arbok et Charmina, déterminés à devenir explorateurs. Ils venaient de loin alors je les ai hébergés. Au final, nous avons formé une équipe de secours. Sauf qu’on peine à gagner cent points, qu’importent tous nos efforts pour y parvenir. Mais la vie est coûteuse, il faut bien manger…

Il sécha une larme en détournant le regard.

— On a fait des choses inappropriées, je le sais. Qu’on soit bien d’accord, je déteste voler. C’est pour ça que j’insistais pour être récompensé avec un peu de sous, mais je comprends qu’ils se soient sentis menacés. Le truc, c’est qu’on n’a plus rien, tout est parti dans des achats de première nécessité !

Au même moment, Arbok et Charmina buvaient leur cinquième pinte. Salamèche le dévisagea d’un air dépité.

— Je ne vous ai même pas demandé votre nom.

— Je m’appelle Ectoplasma…

— Ectoplasma, je ne peux pas faire comme si rien ne s’était passé. Il va falloir rembourser tout le monde.

— Bien sûr, marmonna-t-il en serrant les poings. Cela va de soi…

— Mais je vais vous aider.

Surpris, il releva la tête et fixa la patte tendue de Salamèche.

— Personne ne mérite de vivre comme ça. Laissez-moi vous aider à rembourser vos dettes, à nettoyer cette maison et à faire grimper les points de l’équipe Chaotique jusqu’à cent !

— Quoi… ? Où est l’embrouille ?

— Il n’y en a pas. Si je veux devenir un aussi bon explorateur que Pharamp, je dois apprendre à travailler en équipe, que ce soit avec la mienne ou avec les autres. Postulons à la Guilde ensemble !

La boule violette resta immobile, le regard complètement perdu. Il lui serra la patte, lorsque le jeune lézard se crispa subitement. Il s’agrippa le crâne en reculant contre un mur et s’agenouilla en larmoyant.

— Est-ce que ça va ?! s’inquiéta Ectoplasma en accourant jusqu’à lui.

— Depuis cette nuit… ça n’arrête pas ! Je dois me rendre au Grand Ravin.

— Le Grand Ravin ? Ça sonne balèze. Est-ce que c’est trop indiscret de demander pourquoi ?

— J’aimerais poser des questions à un certain Xatu qui vivrait là-bas. Je suis venu vous voir parce qu’on me l’a demandé, mais si ça ne tenait qu’à moi, je serais déjà en route.

— Dans cet état ? Avec cette migraine ? Je suis pas médecin, mais je pense pas que ce soit une très bonne idée.

— Peu importe, j’ai besoin de savoir au plus vite !

Il se releva, avança vers la sortie et ouvrit la porte en reprenant son souffle.

— Merci pour votre honnêteté. Je reviendrai.

— Attends une minute, intervint l’adulte en se dirigeant vers l’un de ses meubles troués.

Il le fouilla et y sortit les dernières lettres volées à la Dream Team.

— Pour commencer, arrête de m’vouvoyer ! Ensuite, pars pas sans tes affaires ! Et enfin, je suis secouriste aussi, je te signale ! Si tu m’aides, alors la plus grosse de mes dettes te serait destinée ! Laisse-moi t’accompagner au Grand Ravin, histoire de te remercier par avance !

— Je n’ai pas envie de vous infliger ça, marmonna-t-il en récupérant ses lettres.

— Voyons, lui sourit-il d’une étrange sincérité, les secouristes aussi peuvent très bien s’entraider !

La lune se levait lorsque Pifeuil rentra à la maison. Les lumières étaient éteintes, alors il ferma délicatement la porte, au cas où son petit se serait endormi plus tôt que prévu. En jetant un coup d’œil dans sa chambre, il ne trouva qu’un lit rempli de lettres éparpillées, comme si elles avaient été déposées en vitesse. Il ouvrit la fenêtre du salon et regarda la maison voisine, éclairée dans toutes les pièces. Il supposa que ce soir-là, son petit dormait chez son ami. Mais de l’autre côté du mur, Pikachu était seul dans sa chambre. Allongé sur son lit, il se frottait le front en espérant que Salamèche se réveillerait bientôt de son coma.

Au même moment, à plusieurs kilomètres au sud de Bourg-Tranquille, une tente avait été installée en plein territoire sauvage. Après des heures de marche en pente, où la verdure avait cédé la place à des roches rouges formant des collines de plus en plus hautes et laissant entrevoir au loin des montagnes désertiques, Ectoplasma avait convaincu Salamèche de faire une pause, le temps que le soleil revienne éclairer leur chemin.

— Comment fait-il pour ne pas se les geler ? grommela-t-il en tremblotant.

Enroulé dans plusieurs couches de tissu, il dévisageait celui qui dormait paisiblement dans sa légère tunique.

— Sérieux, c’est qui ce gamin ? Postuler à la Guilde ensemble…

Il se coucha, bien qu’il n’avait pas la nécessité de dormir.

— C’est triste d’être aussi naïf…

Il ferma les yeux, n’esquissant pas le moindre sourire.

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