Donjon Mystère - Dream Team

Chapitre 11 : Le Mont Cristal

8707 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 14/02/2021 22:11

À l’aide de sa flammèche crépitante, Salamèche guidait Pikachu jusqu’au bout d’une longue voie rocheuse.

— Il y a de l’électricité dans l’air, signala le rongeur en sentant ses poils s’hérisser.

— Prudence, lui répondit le reptile, on arrive…

Ils débarquèrent dans une grande pièce éclairée par des débris de cristaux gisants au sol. Eux qui s’étaient préparés à un donjon plus que dangereux, ils se retrouvèrent face à des sauvages étalés au sol, blessés et inconscients.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?! s’alarma le garçon au pelage jaune.

Il accourut en défaisant son sac, duquel il déballa un rouleau de bandage et du désinfectant. Il observa une entaille similaire sur chacun d’entre eux et commença à soigner le plus proche. De son côté, le lézard à la queue enflammée fouillait du regard les alentours.

— Monsieur Cotovol ?

Demanda-t-il en apercevant, proche de quelques rochers, une sacoche ouverte et des résidus de fruits. Lorsqu’une petite figure bleue entourée de cotons sortit de sa cachette en les dévisageant d’un air horrifié, Salamèche dégaina son badge de secouriste pour la rassurer.

— Vous… vous êtes de Bourg-Tranquille ? Non, c’est trop dangereux ! Vous n’auriez jamais dû venir !

— Du calme, tout va bien. Expliquez-nous ce qu’il s’est-il passé.

— Un autre secouriste est venu ! Il a déblayé le passage et m’a libéré du rocher qui me retenait prisonnier !

— Déblayé… ? grommela le rongeur en désinfectant une énième entaille.

— Sauf qu’une autre créature l’a attaqué ! En un instant, j’étais devenu sourd et aveugle. Quand je suis revenu à moi, ils avaient tous les deux disparu ! Je craignais de subir le même sort si je tentais de m’échapper, alors je suis resté ici en me nourrissant des provisions qu’il avait apportées.

— Qui l’a attaqué ? insista le garçon au foulard doré.

Soudain gronda un monstrueux rugissement. Cotovol se jeta au sol en hurlant de peur. De leur côté, les deux membres de la Dream Team se mirent en garde en zieutant les alentours. Ils n’arrivaient pas à identifier la source du bruit, comme si la voix venait du donjon lui-même.

— Qui ose encore troubler la sacralité de mon domaine ?!

— Il parle… ? marmonna le type Feu en échangeant un bref regard à son ami. Vous êtes un hors-la-loi ?! Qu’avez-vous fait de Tengalice ?!

— Un hors-la-loi ? Oserais-tu te permettre de profaner ma grandeur avec une telle insolence ?! Si Tengalice est le nom que tu accordes à celui qui s’est empressé de détruire mon sanctuaire, alors sois assuré qu’il connaîtra ma fureur divine jusqu’à son dernier souffle ! Retirez-vous immédiatement et proclamez les louanges de ma puissance parmi des vôtres ! Je ne tolèrerai plus jamais la présence d’un impur en ces lieux sacrés !

— Quoi… ? bafouilla le jeune lézard avant de s’énerver. Bon, ça suffit ! Je me fiche de savoir qui vous êtes !

Les débris de cristaux s’illuminèrent.

— Vous allez relâcher Tengalice immédiatement !

Le pelage de Pikachu s’hérissa en direction de son ami.

— Salamèche… ?

— Je ne vous laisserai pas faire de mal à qui que ce soit !

— Salamèche ! s’inquiéta-t-il beaucoup trop tard.

La foudre s’abattit violemment sur le jeune amnésique.


Chapitre 11 : Le Mont Cristal


Germignon grimpait la colline au grand arbre. Elle était couverte d’un chaperon, d’épaisses bottines et portait un grand étui sur le dos. Ce chemin, elle le traversait souvent pour atteindre le coin le plus apaisant du village, notamment lorsqu’elle savait la Dream Team en mission. Ainsi, quelle fut sa surprise lorsqu’elle y rencontra, adossé contre l’arbre, son camarade à la fourrure bleu.

— Riolu… ? balbutia-t-elle.

Il s’échappa de son roman pour la dévisager.

— Oh, euh… bonjour Germignon et Joyeux Cadoizo.

— Joyeux Cadoizo à toi aussi, répliqua-elle en détachant discrètement l’étui de son dos. Qu’est-ce que tu fais là ?

— La bibliothèque est fermée, alors je viens lire ici. La dernière fois, Arcko nous avait emmené là et j’avais trouvé l’endroit vraiment apaisant. Mais… je ne savais pas que tu venais ici souvent.

— Depuis Halloween également, répondit-elle sèchement.

Un profond silence s’installa entre les deux enfants entourés de neige.

— Tu… veux t’installer ? Je peux te faire de la place si tu veux ?

— Euh… non merci.

— Attends, se releva-t-il en scrutant son étui, t’es venu avec un super grand sac…

— Non, arrête !

Elle bondit sur sa housse pour la lui cacher, en vain.

— Tu… tu joues encore de la guitare ?

— De quoi je me mêle ?!

Il recula d’un pas.

— Désolé, je ne voulais pas…

Soudain, les buissons et arbustes menant aux Petits Bois remuèrent à vive allure. Pikachu s’en extirpa, aussi transpirant qu’essoufflé. Il portait sur son dos Cotovol et tituba en direction de la place centrale. Alors que Riolu le défigurait d’un air acéré, la jeune fille fonça l’épauler avant qu’il ne chute.

— Je te tiens ! le rassura-t-elle.

— Germignon… ? marmottait-il.

Bien qu’il était chaudement couvert, il tremblait comme une feuille. Son regard était vide et la morve qui dégoulinait de son museau ne semblait pas le déranger. Elle comprit immédiatement qu’il était en état de choc.

— Ça va aller, t’es en sécurité ! Que s’est-il passé ? Où est Salamèche ?

— Il s’est fait avoir, il s’est fait capturer par… par Électhor !

— Quoi… ? Ok, suis-moi tranquillement, je t’emmène à l’hôpital…

Riolu les fixa s’éloigner, bouche bée.

Son ouïe était marquée par de légers grésillements. Quand Salamèche ouvrit les yeux, tout était noir. Sa peau débordait d’une lueur jaune scintillante, alors qu’il flottait dans un espace sombre et étroit. Dès qu’il se débattait, de légères étincelles le percutaient.

— C’est inutile… grommela la voix morose d’un autre secouriste.

— Tengalice… ? mâchouilla-t-il en tentant de se retourner.

Le bonhomme à la longue crinière était dans le même état que lui. Il se laissait porter par cette lueur étincelante.

— Où sommes-nous ? questionna le jeune garçon.

— Dans le Mont Cristal, je suppose.

— Qui nous a attaqué ? Vous l’avez vu ?

Il détourna le regard en soupirant.

— C’était stupide de venir me chercher…

— Quoi… ? Vous auriez préféré qu’on vous laisse pourrir ici ?

— J’aurais préféré pourrir ici seul.

— Ce n’est pas terminé, Tengalice ! On peut encore…

— Ça suffit, s’irrita-t-il, ferme-la. Ne m’appelle pas par mon nom, on ne se connaît pas. Et par pitié, cesse de prononcer des phrases bateaux, tu m’insupportes au plus haut point !

Un grondement soudain les fit sursauter.

— Silence, impurs ! Subissez votre châtiment avec honneur !

— Qui êtes-vous ?! insista le reptile. Et c’est une vraie question, pas du sarcasme ou je ne sais quoi ! Qui serait assez puissant et éloquent pour rester planqué loin de toute civilité ?!

— Oses-tu vraiment ignorer mon identité ? Les impurs auraient-ils usurpé tous les mérites de la Guerre ?!

La foudre frappa face à lui. Deux gigantesques ailes au pelage épineux noir et doré se déployèrent. D’un long et fin bec s’échappait une voix capable de repousser ses opposants. Son regard était froncé et ses pupilles scintillaient d’une rage électrifiée. Ses imposantes pattes griffues visaient le jeune amnésique, alors qu’il battait des ailes pour le dévisager d’un regard dédaigneux.

— Mon nom est Électhor et je suis le maître de la foudre !

— L’Oiseau Foudroyant… marmonna son prisonnier en repensant à ses cours sur la Grande Guerre. Comment c’est possible… ? Les dieux sont censés dormir depuis plus de deux siècles !

— Ainsi tu connais notre histoire, constata-t-il en se posant sur le sol. Rien de ce qui vous est arrivé n’aurait eu lieu, si mon sommeil divin n’avait pas été troublé par cette maudite terre tremblante. Les impurs se trahissent eux-mêmes, quelle regrettable tragédie.

— J’ai du mal à comprendre ce qu’on a fait de mal. Nous respectons les territoires naturels, nous protégeons les sauvages !

— En cherchant à délivrer celui qui a détruit ma demeure ? Un impur ne peut prétendre protéger ce que les siens ont dévasté pendant tant d’années. Je savais que la connaissance n’était pas un don que vous méritiez de recevoir. Tu en es la preuve parfaite.

Il approcha son long bec pointu de son petit museau orange.

— Toi… tu n’as pas l’aura d’un impur. Tu as l’aura d’une anomalie.

— Qu’est-ce que ça veut dire… ? demanda-t-il en tentant de reculer.

Une sévère décharge électrique le percuta. Lorsqu’il rouvrit les yeux, la divinité avait disparu.

Pikachu quitta l’hôpital de Bourg-Tranquille. S’étant reposé tout juste le temps nécessaire pour reprendre pleinement conscience, jusqu’au début de l’après-midi, il avait nié en boucle toutes les interrogations de l’infirmière avant de s’enfuir en direction de la colline au grand arbre.

— Pikachu ! le rejoignit Germignon en sortant également de l’hôpital. Hé, tu ne peux pas partir comme ça ! Madame Nanméouïe avait encore besoin de vérifier ton état de santé !

— Je vais bien, grommela-t-il sans la regarder.

— Pourquoi tu ne lui as pas dit ? Il faut alerter le village entier !

— Quel intérêt ? Tu veux faire paniquer m’sieur Pifeuil et tous les bons gars du village le jour du Joyeux Cadoizo ? Tu veux donner une énième raison à Rapasdepic de le détester ?!

— Peut-être qu’elle pourrait réunir tous les secouristes pour…

— Je suis le dernier secouriste ! cria-t-il en la dévisageant. Salamèche et Tengalice se sont fait capturer, y a plus aucun explorateur de passage et on va certainement pas compter sur l’équipe Chaotique, que personne n’a jamais vu à l’action ! J’y retourne, peu importe ce que ça implique !

Il continua son chemin, sous le regard inquiet de la jeune fille. Elle soupira, avant de changer drastiquement d’expression.

— Pikachu, attends.

Il s’arrêta, les poings serrés.

— N’essaie pas de m’en empêcher.

— Non, tu as totalement raison. En fait, tu m’as convaincue.

Il lui jeta un regard dubitatif, tandis qu’elle lui répondit d’un air déterminé.

— Je viens avec toi !

— C’est trop dangereux…

— Ça le devient soudainement ? se moqua-t-elle. Écoute, si tu rates ton coup, Salamèche et monsieur Pifeuil seront certainement exclus du village. Plus nous serons nombreux dans ce fiasco, moins les regards se tourneront vers eux. Au pire, je révélerai que je vous faisais chanter, curieuse de savoir ce qui se tramait au Mont Cristal, ou quelque-chose dans le genre. Dans tous les cas, je refuse de te laisser prendre un risque aussi grand.

— Depuis quand t’es intéressée par l’exploration, toi ?

— Salamèche n’est pas que ton ami, à ce que je sache.

Il lui esquissa un sourire.

— Ok, rigola-t-il. Rendez-vous sur la colline au grand arbre dans un quart d’heure ! Pense à prendre un peu d’eau et du désinfectant, s’il t’en reste.

Elle lui sourit en retour avant de foncer chez elle, prête à récupérer quelques affaires utiles à sa première mission.

— Ma chérie, lui demanda sa mère, tu ressors ?

Elle était une grande femme quadrupède. Sur le bout de son museau remuaient deux grandes antennes et autour de son long cou resplendissaient de grandes pétales de fleurs roses. À l’aide d’une liane, elle arrosait des plantes qui régnaient dans toute la maison.

— Oui, je vais traîner un peu avec Salamèche et Pikachu avant le début des festivités.

— Avec ces deux-là, vraiment… ? Bon, fais attention s’il te plaît.

— Oui maman, marmotta-t-elle en piquant des objets dans la cuisine et la salle d’eau, ne t’en fais pas…

— Ah d’ailleurs, ton ami Riolu est passé tout à l’heure ! Il est venu nous rendre ta guitare. Fais attention où tu laisses traîner tes affaires, ma belle ! Ce garçon est si gentil et généreux…

— Ouais, cool. C’est gentil de sa part, mais on n’est pas potes. Allez, à ce soir !

Elle referma son sac et fonça en direction de son point de rendez-vous.

Le ciel était recouvert d’épais nuages et les rayons du soleil peinaient à les outrepasser. Germignon et Pikachu resserraient leurs vêtements et leurs sacs, tandis que l’un expliquait à l’autre le chemin qu’ils allaient suivre.

— On a une bonne heure de trajet devant nous. Tu te sens prête ?

— Carrément !

— Super ! Alors on y v…

— Attendez ! le coupa une voix qui fit sursauter la jeune fille.

À peine venait-elle d’en entendre parler, que Riolu pointait déjà le bout de son museau. Pire encore, Arcko l’accompagnait et tous les deux étaient aussi chaudement couverts que leurs camarades de classe.

— Alors c’était vrai ! s’enjoua le garçon à la queue crochue. Vous formez bel et bien une équipe de secours ! Il est où, p’tit zizi ? Ne me dites pas que vous l’avez vraiment perdu dans la montagne ?

— Je comprends mieux pourquoi vous arrivez souvent en retard, dégoisa Riolu. Vous comptiez vous rendre au Mont Cristal, c’est ça ? Nous aimerions venir avec vous.

— Quoi… ? bégaya Pikachu. Alors là, pour une surprise…

— Bien sûr, cela est exceptionnel et nous espérons que vous garderez autant le silence que nous sur cette affaire.

— Attends, c’est une vraie demande sérieuse ? T’as une idée de qui on va confronter, là ?

— Électhor, comme tu l’as si bien dit.

— Et tu m’as cru sur parole ? se gaussa-t-il. Ça me surprend, venant de toi !

— En fait, ce n’est pas si improbable. Depuis la première secousse, beaucoup de phénomènes climatiques surnaturels ont eu lieu. Plusieurs journaux ont révélé des taux de tensions électriques élevés au Mont Cristal, et tous les grands historiens savent qu’il s’agit de l’un des donjons les plus probables pour…

— Tu parles trop, le coupa sèchement Germignon. Dégagez sur le champ, nous n’avons pas de temps à perdre.

— Oh mais j’en suis sûr ! se moqua Arcko. Et si je caftais l’existence de leur équipe à madame la maire, est-ce que tu regretterais ce que tu viens de nous dire ?

— Je crois qu’elle est déjà au courant, annonça Pikachu.

— Ah bon ? Et est-ce que ta mère est au courant que tu sèches les cours pour quitter le village ?

— De quoi tu parles ? rétorqua le rongeur. On n’a jamais exploré pendant les cours.

— T’as une preuve ?

— Comment ça ? C’est toi qui en as besoin d’une !

— Oh je ne pense pas ! ricana-t-il d’un air narquois. Quand elle verra ton nombre de retards, elle aura sa preuve !

Le secouriste recula d’un pas, tandis que la jeune fille s’en approcha de deux.

— Espèce d’ordure ! cracha-t-elle. Tu sais très bien que ça peut entraîner l’exclusion de Salamèche !

— Et alors ? Riolu veut juste vous accompagner au Mont Cristal.

Elle crispa les dents de rage.

— Allez vous faire voir !

— Tu fais pas partie de l’équipe, il me semble. Laissons le concerné choisir !

Les regards se tournèrent vers Pikachu, qui hésita un instant. Finalement, il haussa les épaules.

— Non, elle a raison. Allez vous faire voir.

Riolu était bouche bée. Pendant qu’Arcko se gaussait, Pikachu et Germignon entraient dans les Petits Bois.

Voilà plusieurs heures que Salamèche était coincé dans cette énergie électrifiée. Il se réveilla d’une désagréable sieste, en gesticulant un peu trop jusqu’à se prendre une sévère décharge.

— Aïe ! Bon sang, je n’en peux plus… ! J’ai vraiment trop mal au dos…

— Cesse de te plaindre… grommela Tengalice.

Il flottait en étant allongé et immobile, le regard vitreux. Le garçon à la tunique usée le scrutait d’un air dépité.

— Comment est-ce possible… ?

— Que tu aies été assez stupide pour venir ? Bonne question.

— Comment est-ce possible d’être une ordure pareille ?

Le secouriste à la longue crinière lui jeta un regard noir.

— C’est à moi que tu parles, sale mioche ?

— En dehors de mon équipe, vous êtes le premier secouriste que je rencontre, l’un des seuls protecteurs de Bourg-Tranquille. Et pourtant, vous vous permettez d’être une ordure sans nom ! On était venu vous sauver, alors un peu de respect !

— Et qui t’a récupéré au Mont Acier, quand tu t’es pété les bras ?! La différence, c’est que moi j’ai réussi ma mission !

— Une mission que vous n’auriez jamais entreprise, si Rapasdepic n’avait pas profité d’une réunion urgence sur la place centrale pour vous ordonner d’aller chercher un adulte et deux enfants mourants ! Vous n’êtes qu’un opportuniste apathique ! Ce qui est arrivé hier le prouve plus que tout !

— Ferme-la ! Ces abrutis m’ont sauté dessus à trois, c’était complètement injuste !

— Parce que réclamer de l’argent à Cotovol, c’était censé être juste ?!

— Non, j’aurais dû lui demander bien plus ! Regarde où j’en suis aujourd’hui ! Emprisonné par un dieu jusqu’à ma mort, parce que j’ai essayé d’aider des impertinents qui se laissaient porter par le vent ! Électhor a raison, j’aurais dû laisser la nature faire son boulot tranquillement !

— Et laisser l’un des nôtres mourir ?!

— L’un des nôtres ? Mais de quoi tu parles ?! Bourg-Tranquille n’est pas une communauté ! Je ne vous connais pas et je me fiche de vos existences ! Tout ce qui compte, c’est mon espèce et ma descendance ! Traite-moi opportuniste si ça te chante, mais risquer sa vie pour des créatures difformes qui ne réchaufferont que les œufs embaumés par leur odeur, j’appelle ça de la connerie !

Il se prit une décharge, à force de gesticuler. Salamèche détourna le regard.

— Vous aviez l’air fort. J’espérais pouvoir apprendre à vos côtés…

Dos à lui, l’autre secouriste crispait les dents en se retenant de l’injurier. Mais plus les secondes passaient et plus il les desserrait. Il soupira en se forçant à dire ce qui lui passait par la tête.

— Tout ce qui t’arrives est regrettable. T’as l’air naïf, stupide, faible d’esprit et borné à la fois. Mais t’as l’air sincère, dans tes conneries d’idéaliste à deux balles. C’est pas cool de crever comme ça…

— Je… je suis désolé de vous avoir parlé sur ce ton. J’avais juste l’impression que les gens se trompaient, en pensant que monde de l’exploration était rempli de gens comme vous. Des gens qui n’agissent pas parce que c’est la bonne chose à faire, mais simplement parce que… c’est rentable pour eux.

— Bienvenue dans le monde des adultes. Honnêtement, je ne sais pas pourquoi ils vous ont laissé créer une équipe. Jamais je ne laisserais mon gosse se bercer d’illusions comme vous.

— Vous avez un enfant ?

— J’aimerais bien.

— Mon père est votre opposé, il m’encourage quotidiennement dans mon rêve. Et pourtant, le sien était explorateur.

— C’était un salaud ?

— Il paraît.

— Sans grande surprise. Si par miracle tu sors d’ici et que par un second miracle, ton équipe est acceptée à la Guilde d’Exploration, alors tu comprendras, tu t’habitueras et tu deviendras. Le courage n’influence pas la facilité, c’est tout le contraire…

— Salamèche ! exclama une lointaine voix étouffée.

Le soleil se couchait, lorsque Pikachu et Germignon faisaient face au Mont Cristal. Entourés de neige, ils s’étaient entraidés pour grimper la voie rocheuse sans glisser. Le rongeur hurlait de vive voix.

— T’inquiète mon pote, on arrive !

Germignon, de son côté, zieuta un peu plus bas. Riolu et Arcko commençaient tout juste à grimper le chemin.

— Tu es au courant qu’ils nous ont suivi ? lui demanda-t-elle.

— C’est pas mon problème. Allez, il faut qu’on y aille !

Contrairement à la dernière fois, personne n’avait de flamme au bout de sa queue pour les éclairer. Mais Pikachu se souvenait du chemin et les guidait avec sa voix.

— Faites attention aux morceaux de cristaux éparpillés par terre, ils sont électrifiés !

— Des cristaux électrifiés… ? marmonna Riolu.

Il sortit un mouchoir de poche et en récupéra un en passant. Par la suite, le groupe entra dans la grande pièce bondée de sauvages. Germignon, Arcko et Riolu reculèrent immédiatement à leur vue. Mais Pikachu s’agenouilla à bras ouverts.

— J’hallucine… rumina la jeune fille en l’observant câliner les créatures.

— Ils sont couverts de bandages… ? remarqua Arcko. C’est donc à ça que servent les ressources volées ?

— Il prend des risques inconsidérés, rouspéta Riolu. Les sauvages ne sont pas des créatures intelligentes. Non seulement elles ne le comprennent pas, mais en plus, elles n’agissent que par instinct et peuvent le mordre à tout instant.

— Je pense qu’il sait parfaitement ce qu’il fait, lui rétorqua Germignon.

Le secouriste pointa du doigt le long couloir par lequel ils étaient entrés.

— Continuez par-là et suivez le chemin jusqu’à la lumière ! C’est trop dangereux de rester ici.

Et les sauvages s’exécutèrent, approchant les trois écoliers qui se déplacèrent pour les laisser passer. Le garçon à la fourrure bleue était bouche bée. De son côté, Pikachu se redressait en faisant face au plafond.

— Électhor ! Je sais que tu m’entends !

De son côté, Salamèche grognait de douleur. Il se débattait et encaissait une à une les décharges électriques.

— Arrête ! lui criait Tengalice. Tu vas te tuer !

— Peu importe ! Je refuse de laisser Pikachu l’affronter seul !

Il tendit les bras pour agripper la roche du donjon, hurlant de toutes ses forces face à l’intensité de l’aura électrifiée qui s’agitait autour de lui. Soudain, le sol se mit à trembler. Les écoliers trébuchèrent, tandis que la férocité de la secousse fit s’effondrer les parois environnantes.

— Non… ! paniqua Riolu. Non non non, pas un tremblement de terre maintenant !

— Pikachu, s’affola Germignon, qu’est-ce qu’on fait ?!

— Restez grouppés près de la sortie !

— Et toi ?!

Le sol se crevassa sous les pieds de Riolu, qui trébucha et manqua de s’y enfoncer. Arcko le rattrapa de justesse, sans se rendre compte de l’éboulement qui allait se déverser sur lui.

— Attention ! écria la jeune fille en les emportant dans sa chute.

Ils l’esquivèrent de peu, s’écrasant dans le couloir menant à la sortie.

— Pikachu ! hurla-t-elle face au mur de débris rocheux qui lui faisait face.

Au même moment, la foudre frappa le centre de la pièce. Deux gigantesques ailes se déployèrent, un long et fin bec rugit et un regard scintillant d’une rage électrifiée fit face à l’enfant au pelage jaune.

— Ne retiendrez-vous donc jamais la leçon ? Votre impureté ne connaît-elle donc aucune limite ?!

— Mais Électhor… on est dans le même camp !

— Nous ne partageons rien ! Oser te comparer à moi est un blasphème inexpiable !

Sentant ses poils s’hérisser, Pikachu esquiva de justesse le déferlement de la foudre. Pendant que Germignon déblayait le passage, Riolu et Arcko restaient immobiles, les yeux fixés sur les minuscules espacements entre les pierres qui bloquaient leur chemin.

— C’est vraiment lui, marmonna le garçon à la fourrure bleue. C’est vraiment l’Oiseau Foudroyant que je suis en train de regarder ! Les théories étaient donc vraies : les dieux se sont bel et bien réveillés de leur repos éternel !

— Mec, toussa Arcko, ça devient dangereux là ! On doit sortir d’ici avant de se faire massacrer !

— Mais j’ai tellement de questions à lui poser ! Imagine un instant qu’on arrive à lui emprunter de l’énergie ! Toutes les plus grandes écoles d’ingénierie de Loliloville voudront de nous !

— Riolu, concentre-toi ! Tu ne construiras jamais rien si t’es paralysé à vie, ou aveugle et sourd, ou mort électrocuté ! On sait qu’il est de retour, mais on sait surtout qu’il est dangereux ! Risquer nos vies pour l’approcher davantage, c’est stupide ! Il faut partir maintenant !

— Oui, mais… hésita-t-il un court instant. Bon, d’accord. Partons d’ici.

— Les gars ! intervint la jeune fille en jetant un énième débris. J’ai besoin de votre aide pour dégager celui-là !

Arcko l’ignora en commençant à traverser le couloir sombre. Riolu, quant à lui, la zieuta d’un air embarrassé.

— Qu’est-ce que vous faites… ? le questionna-t-elle.

— Riolu, dépêche-toi !

— Vous comptiez partir ? Dis-moi que c’est une blague…

— Je… euh…

— Tu comptais fuir lâchement ?

— Riolu !

— Comme la dernière fois ?

— Mec, s’énerva Arcko en lui agrippant l’épaule, qu’est-ce que t’attends ?!

Le garçon à la fourrure bleue était figé, le regard perdu.

— L’écoute pas ! C’est son problème si elle veut rester !

— Je… je suis désolé, Germignon.

Elle se retourna en soupirant, pensant qu’il s’excusait d’agir comme un lâche.

— Je suis désolé de ne pas t’avoir défendu, reprit-il.

Dos à lui, elle écarquilla les yeux.

— T’as eu raison de ne plus jamais revenir vers moi, déclara-t-il en approchant. T’as eu raison de m’effacer de ta vie.

Il la rejoignit face au grand débris qui lui bloquait la route, faisant signe à Arcko d’approcher. Ce dernier se pressa à contre cœur. Tous les trois posèrent leurs pattes sur le rocher.

— On y va à trois ! ordonna la jeune fille. À la une… ! À la deux… ! Et à la trois !

Ensemble, ils firent s’effondrer l’obstacle. Un passage se fraya entre eux et leur camarade de classe, mais Riolu recula d’un pas. Il sortit son mouchoir de poche et le tendit à son interlocutrice. Elle hésita, avant de l’agripper avec sa feuille. Puis, les deux garçons s’éloignèrent dans la pénombre du couloir.

Pikachu agrippa un caillou et le jeta sur sa cible. Ce dernier l’esquiva, mais l’impact au plafond provoqua l’effondrement d’une roche bien plus épaisse. Celle-ci percuta de plein fouet le crâne de la divinité. Au même moment, l’aura électrifiée qui retenait Salamèche et Tengalice prisonniers se dispersa. Ayant déjà agrippé le sol, le jeune garçon se rattrapa sans une égratignure. Le secouriste à la longue crinière, en revanche, déboula brutalement sur le sol rocheux du donjon.

— Tengalice ! accourut le lézard. Tout va bien ? Vous pouvez vous lever ?

— T’occupes pas de moi, imbécile ! Barre-toi !

Il l’agrippa par le bras et le redressa en se glissant sous son épaule.

— Je vous sors au moins d’ici…

La secousse avait fait s’effondrer plusieurs parois, ouvrant de nouveaux chemins que les secouristes empruntèrent.

— Cesse de profaner ma demeure ! s’enragea Électhor.

— Mais c’est toi qui causes toutes ces secousses ! lui répondit Pikachu. Tes attaques sont destructrices !

— Non, je suis intervenu parce que vous provoquiez un tremblement de terre !

— Nous ?! Et comment tu veux qu’on fasse ?!

En guise de réponse, les poils du jeune garçon s’hérissèrent en direction des cieux. Essoufflé, il se préparait à encaisser une attaque qu’il n’avait plus la force d’esquiver.

— Pikachu ! l’attira Germignon. Attrape !

Elle lui jeta le mouchoir de poche que lui avait confié Riolu. Un morceau de cristal électrifié en tomba et le garçon au pelage jaune le récupéra de justesse. La foudre s’abattit alors sur lui. Lorsque la jeune fille retrouva la vue et l’ouïe, son camarade de classe se tenait toujours debout, le corps débordant d’étincelles. Le cristal qu’il empoignait scintillait d’une lueur sans égale. Électhor écarquilla les yeux.

— Comment est-ce possible ?! Jamais personne n’a survécu à ma foudre divine, pas même un impur prétendant maîtriser l’électricité !

— Il paraît que les cristaux de la montagne n’ont pas toujours été électrifiés ! lui expliqua Germignon. En vous reposant plus de deux siècles à leur côté, vous les avez habitués à emmagasiner de grandes tensions électriques ! Combiné à la résistance naturelle de Pikachu à l’électricité, il était probable que ce « bouclier » l’aide à encaisser votre puissante attaque !

La divinité défigura la jeune fille.

— Comment as-tu pu concevoir une telle ruse ?!

— C’est Riolu qui m’a mis sur la voie, lui accorda-t-elle en esquissant un sourire.

— Blasphématrice ! l’insulta-t-il en s’apprêtant à la foudroyer.

— Non ! paniqua le rongeur en bondissant pour la protéger.

La seconde d’après, les deux enfants se retrouvèrent à l’autre bout de la pièce, écrasés l’un contre l’autre. La foudre s’était abattue juste à côté d’eux. Lorsque leurs sens revinrent, ils dévisagèrent la longue traînée enflammée que Pikachu avait laissé derrière lui.

— Tu t’es déplacé à la vitesse de la lumière ?! supposa Germignon.

Il zieuta ses deux pattes tremblantes, desquelles s’étaient dispersées l’aura électrifiée qu’il avait acquise en encaissant la puissance divine d’Électhor. L’ombre de ce dernier les submergea soudainement.

— Cessez vos vaines luttes !

— Euh… je crois que c’était à usage unique !

— Électhor ! Arrêtez !

Les regards se tournèrent vers celui qui, à bout de force, soulevait Tengalice en descendant les débris rocheux depuis le sommet du donjon. En l’apercevant, Pikachu fondit en larmes, Germignon poussa un profond soupir de soulagement, tandis que les plumes Électhor s’hérissèrent jusqu’à déborder d’étincelles.

— Par pitié, s’irrita Salamèche, arrêtez de nous attaquer à vue et parlons simplement !

— Parler ? Avec des impurs ?! Vous êtes responsables du champ de ruines dans lequel nous nous trouvons ! Vous corrodez les territoires naturels, vous exterminez ceux que vous osez appeler « sauvages » ! Vous détruisez le monde que nous vous avons légué !

— Nous n’avons rien à voir avec ces gens-là ! Le monde naturel, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour le protéger ! À chacune de nos explorations, nous faisons attention à ne rien dégrader ! À chaque sauvage que nous rencontrons, nous faisons l’effort de le rassurer, de le nourrir, de le protéger ! Et toutes ces secousses, nous en souffrons également ! S’il y avait un moyen d’y mettre un terme, je peux vous donner ma parole que j’y risquerais ma vie !

— Alors pourquoi perdre votre temps avec lui ?

Il battit des ailes et s’approcha de celui qu’il portait.

— Il a raison… grommela Tengalice en lâchant le jeune reptile. C’est moi qu’il faut condamner, pas eux !

— Soit !

— Non ! cria Salamèche.

— Attendez ! le défendit Pikachu. Tous les sauvages qu’il a blessés ont été sauvés !

— Cela m’est égal !

— Alors nous ne retiendrons pas nos coups ! exclama une rassurante voix suave.

Une tornade enflammée encercla soudainement la divinité, alors qu’un nuage de poussière l’aveugla et que l’atmosphère s’intensifia. Face au jeune secouriste apparut comme par magie un grand homme à la peau squelettique. Il tendit ses deux cuillères en direction de son adversaire, qui s’écrasa brusquement au sol. Le nuage de poussière le recouvrit et la tornade enflammée s’abattit férocement sur lui. L’épais dragon rouge aux griffes acérées défonça le plafond et la grande créature à la peau constituée d’une roche tranchante brisa le sol pour rejoindre le champ de bataille. Face à l’équipe ADT, Électhor était vaincu.

— C’est terminé, clama Alakazam.

— Qu’est-ce que vous faites ?! s’affola le rongeur. Le donjon n’était pas déjà assez ravagé comme ça ?!

— De rien, rétorqua Dracaufeu. Vous avez failli vous faire massacrer, bande de pauvres inconscients !

— Mais la situation est sous contrôle désormais, assura Tyranocif. On prend ce type en charge !

— Ce type… ? grogna la divinité. Vous n’avez pas idée du blasphème que vous venez de commettre !

Il peinait à se débattre, étalé au sol par une pression invisible.

— Dis-moi que c’est un imposteur, murmura l’homme de deux mètres à son chef.

— Je crains que non, lui répondit-il. Son aura est incommensurable, digne de l’Oiseau Foudroyant.

— Et je n’ai recouvré qu’une fraction de ma puissance… ! les menaça-t-il d’un regard perçant. Ce pitoyable tour de passe-passe n’aurait eu aucun effet sur ma forme d’antan, misérable illusionniste !

— On dit Pokémon Psy, à notre époque. Bienvenue à l’âge deux-cent-trente.

— Que suis-je supposé en déduire ? Votre calendrier ne fait aucun sens !

— On se concentre ! le pressa Tyranocif. Que vous est-il arrivé ?

— Je vous retourne la question ! Mon sommeil devait être éternel, alors pourquoi mes yeux se sont-ils rouverts ? Qu’avez-vous infligé à notre terre, pour qu’elle hurle ainsi de douleur ?

— Nous recherchons plus que tout la cause de ces incidents, déclara Alakazam. La terre ne tremble pas dans le monde entier, mais il est évident que la magnitude atteint des niveaux démesurés dans ce territoire. Voilà d’ailleurs la raison de notre présence en ces lieux.

— Alors je vous ordonne de trouver au plus vite la source de ces fracas.

— Pour cela, il faudrait arrêter de nous foudroyer à vue.

— J’ai été saisi d’une colère noire, admit-il avec amertume. Il semblerait que les jeunes impurs ne mentaient pas.

En parallèle, Pikachu et Germignon vinrent épauler leur ami.

— Dis-moi que tout va bien ! se tracassa le garçon au pelage jaune en lui choyant les épaules.

— Une bonne nuit de sommeil ne me fera pas de mal, lui répondit-il d’une faible voix. Merci d’être venus me chercher…

— Tu t’attendais à ce qu’on fête le Joyeux Cadoizo sans toi ? répliqua Germignon.

— Si je m’attendais à te voir ici. Alors ? Le monde extérieur, ça donne quoi ?

— Tes mots étaient justes, lui sourit-elle. C’était incroyable !

Assis contre un rocher, Tengalice les guigna mornement.

— En parlant du Joyeux Cadoizo, reprit le rongeur, on devrait se dépêcher de rentrer ! Avec une heure de route, on va déjà arriver en retard à la cérémonie d’ouverture !

— Quoi ?! s’alarma la jeune fille. Ma mère va tomber dans les pommes si elle ne me trouve pas là-bas ! Et encore plus si elle me voit recouverte de poussière ! Il faut qu’on se dépêche !

— Se dépêcher… ? marmonna le lézard à la queue enflammée. Euh… partez sans moi alors, je n’ai plus la force de courir…

Alakazam échangea un bref regard avec son coéquipier aux deux grandes ailes.

— J’ai vraiment le temps de faire ça ? maugréa le dragon.

— Si tu te presses, tu seras de retour dans un quart d’heure. Ils l’ont mérité.

— J’hallucine… râla-t-il en approchant le groupe d’écoliers. C’est bon, les sales mômes, grimpez sur mon dos !

— C’est vrai ?! s’exclama Pikachu. Merci beaucoup !

— Tengalice peut venir avec nous ? tenta Salamèche.

— Hé, je m’trouve déjà assez sympa comme ça !

— Dracaufeu… insista Alakazam.

— Argh… ! Qu’il se grouille, alors !

Et ainsi, les habitants de Bourg-Tranquille gagnèrent un chauffeur. Alors que le grand dragon déployait ses ailes, Salamèche se tourna une dernière fois en direction de la divinité.

— Nous reviendrons nettoyer ce champ de bataille, je vous le promets.

Et Dracaufeu s’envola à vive allure. Dans un pesant silence, Électhor et Alakazam s’échangèrent un regard inquiet.

— L’avez-vous également ressenti ? le questionna l’Oiseau Foudroyant.

— Son cœur est pur et ses intentions sont bonnes, j’en ai aucun doute.

— Ce n’est pas ce que laisse transparaître son aura.

— Je sais.

Il ne fallut que quelques minutes au grand dragon pour débarquer à Bourg-Tranquille. Il atterrit sur la colline au grand arbre et laissa tout le monde descendre de son dos.

— Merci beaucoup pour le trajet, le gratifia Germignon. Je dois repasser chez moi en urgence, on se retrouve à la fête !

Elle s’en alla la première. De leur côté, les deux secouristes aidèrent leur collègue à se déplacer.

— C’est bon, rouspéta-il, je peux me déplacer…

— Ça va aller, le rassura Salamèche, on peut faire un détour à l’hôpital.

— Hé, les interrompit Dracaufeu en fixant l’autre lézard à la queue enflammée. Je peux te parler, le Salamèche ?

— Vas-y, insista Pikachu, tu me rejoindras là-bas.

Il épaula Tengalice pendant que le jeune amnésique se retrouvait seul à seul avec le membre de l’équipe ADT.

— Tu n’as peut-être pas mon odeur, mais ce que tu as fait était très courageux. À ton âge, je m’enflammais face au moindre obstacle. Je suis surpris de rencontrer un Salamèche aussi raisonné.

— Je n’ai pas le choix. Si je m’emporte, tout explose.

Le dragon pouffa du museau et lui ouvrit ses bras.

— Est-ce que tu veux venir avec nous ?

— Quoi… ? Comment ça ?

— Tu souhaites devenir explorateur, non ? Alors rejoins-nous, apprends à devenir aussi ingénieux qu’Alakazam, aussi résistant que Tyranocif et aussi… Dracaufeu que moi.

— Vous… vous êtes sérieux ? Vous voulez que je parte maintenant, comme si je n’avais pas déjà une vie ?

— Quelle vie ? Celle d’un Pokémon Feu élevé dans un village vert ? Je n’arrive toujours pas à croire que ton odeur soit infestée par ces maudits aromes que dégagent les types Plante !

— Mais de quoi vous parlez… ?

— Ouvre les yeux, ce village gâche ton potentiel ! Tu es destiné à devenir un grand Dracaufeu surpuissant ! En t’entraînant à mes côtés et en développant tes capacités dans les bons environnements, tu serais capable de soulever une maison par la force de tes bras, capable de faire fondre l’acier par l’art de ta voie, capable de quitter la troposphère d’un battement de tes ailes ! Je peux t’apprendre à devenir toi-même !

— Je sais déjà qui je suis, rétorqua-t-il sèchement. Quelle importance que mon père ne soit pas du type Feu ?

— Il n’est pas ton père ! Je suis ton vrai peuple ! Ta vraie famille !

Salamèche recula d’un pas. Ses poings étaient serrés, son regard froid.

— Je pense que vous devriez partir.

— Imbécile ! As-tu la moindre idée du monde dans lequel tu te trouves ?! Ils ont peur de toi ! Ils ont peur de ce que tu peux devenir ! Je le sais, je l’ai vécu ! Certains types Feu ne l’ont pas supporté et sont devenus complètement fous !

— Je vois ça, conclut-il en se retournant.

Il rejoignit Pikachu sous le regard enragé du grand dragon. Il battit des ailes et quitta Bourg-Tranquille.

Dans la salle d’attente de l’hôpital, les membres de la Dream Team se pansèrent eux-mêmes en attendant des nouvelles de Tengalice. La porte de l’une des deux chambre s’ouvrit, laissant s’échapper deux petites créatures bleue qui voltigeaient à l’aide de leurs cotons.

— Oh, les garçons !

— Yo, m’dame et m’sieur Cotovol ! Vous vous sentez mieux ?

— Bien mieux, oui ! J’avais oublié la sensation d’être porté par le vent ! L’infirmière insiste pour que je revienne après les festivités, mais je ne pense pas que cela soit nécessaire !

— Ne commence pas à faire le malin ! le taquina son amie. De mon côté, je suis grandement rassurée de vous voir tous avec un grand sourire. Même Tengalice s’est excusé. J’espère qu’il ne restera pas cloué au lit trop longtemps. Dans tous les cas, je vous remercie de tout mon être pour votre implication !

— Oui, moi de même. Merci pour tout !

— Pas de soucis, leur sourit Salamèche. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous savez où nous trouver !

— Bien sûr. Sur ce, nous nous rendons à la célébration. Profitez de la fête, quand même !

— On y compte bien ! rigolait le rongeur.

Peu après leur départ, c’est l’infirmière Nanméouïe qui ouvrit l’autre porte.

— Ah, tiens, quand on parle des retardataires suicidaires et inconscients. Dois-je vous examiner ?

— Non, ça ira pour moi.

— La même. Je pète la forme !

— Tant mieux, parce que Tengalice n’a pas eu la même chance.

— Il s’en sortira ?

— Évidemment, bien qu’il souffre encore des effets de la déshydratation. Il ne célèbrera malheureusement pas le Joyeux Cadoizo de cette année, même si rester cloué dans un lit vaut probablement mieux qu’être coincé au cœur du Mont Cristal.

— Ah, il vous a tout raconté…

— Je ne suis même plus surprise, à force. À quoi bon vous avertir des dangers du monde extérieur, alors que vous confrontez déjà des divinités ? Blague à part, leur retour est très inquiétant. Quoi que cela implique, vous devez me promettre de toujours faire attention, Dream Team. Beaucoup de gens tiennent à vous, dans ce village.

Salamèche hocha la tête, pensif.

La lune se levait dans un ciel étoilé, alors que toutes les torches de la place centrale brûlaient chaleureusement.

— Mesdames et messieurs, commença Rapasdepic en s’envolant jusque dans les cieux, je suis heureuse de conclure une énième aventure au sein d’un village qui, d’année en année, ne cesse de voir sa qualité de vie croître sans limite ! Je vous souhaite à tous une excellente fête, et que l’avenir nous soit favorable !

— Joyeux Cadoizo ! exclama Lombre en débouchant une bouteille de vin.

Tout le monde festoyait autour des buffets et autres gourmandises. Le grand sapin éblouissait de ses vives couleurs et les bambins s’amusaient à le grimper. Se perdant dans la foule, Salamèche salua tous ceux qu’il avait aidés en tant que secouriste. Que ce soit la mère Papilusion, la marchande Kecleon, la bibliothécaire Altaria, la famille Triopikeur et Minotaupe, le barman Lombre, le sage Mégapagos, son maître Makuhita ainsi que sa partenaire d’entraînement Férosinge, tous lui souriaient et l’honoraient. Il continua son chemin jusqu’au coin du bar, où Pifeuil s’y adossait en ayant le hoquet. Son long nez n’avait jamais été aussi rouge.

— Hé, mon p’tit gars ! Alors, mes décorations claquent ou pas ?!

— Elles sont super cool ! Dites, vous êtes à votre combientième verre ?

— Oh, c’est seulement le cinquième ! L’apéro a un peu trop duré je trouve…

Il glissa son bras autour du cou de son petit, qui l’épaula jusqu’à une chaise.

— Bon alors, cette mission au Mont j’sais plus quoi ? Vous l’avez fracassé ce piaf ou pas ?

— Pas vraiment, mais tout s’est bien terminé alors… euh…

À peine eut-il le temps de comprendre ce que Pifeuil venait de dire, que le grand sapin s’effondra sous les regards effarés. Chenipan et Rattata en ressortirent indemne.

— Désolé ! rigolait nerveusement la chenille.

— Maudits mioches ! râla celui qui avait pris la peine de tout décorer.

Salamèche rigolait de bon cœur.

— Bref, Pifeuil, je crois qu’il est temps !

— Oh non, qu’est-ce que j’ai encore fait ?!

Sans attendre, son petit lui tendit un cadeau enroulé dans un emballage froissé.

— C’est pour moi ?!

Il l’ouvrit tout de suite, découvrant un oreiller et une couverture de haute qualité.

— Boudiou, j’hallucine ! Ce truc a dû te coûter une fortune !

— Non, la marchande a accepté de me l’offrir en échange d’une mission. Vous dormez sur un vieux matelas depuis que je suis arrivé chez vous. Alors puisque vous refusez d’échanger de temps en temps, je vous offre une meilleure literie que la mienne !

— Espèce de petit filou… !

Il l’enlaça chaleureusement.

— Ne dis plus jamais « chez vous », c’est bien compris ? Cette maison est aussi la tienne, mon p’tit gars…

Salamèche posa sa tête sur son épaule, les larmes aux yeux.

— Joyeux Cadoizo, Pifeuil…

— Joyeux Cadoizo, mon grand.

Les festivités continuaient, mais c’est sur la colline au grand arbre que les amis se réunirent. Les trois amis.

— Germignon ! s’enjoua Salamèche en la voyant arriver.

— Yo ! Alors, tu t’es fait cramer ?

— Non, assura-t-elle en s’installant à côté d’eux. J’ai pu me débarbouiller discrètement.

Elle déposa son étui à même le sol.

— Tu l’as encore ?! s’extasia le rongeur.

— Je n’ai jamais arrêté d’en jouer, confessa-t-elle en sortant la vieille guitare de sa protection. Quand vous partez en mission, je sais que la colline au grand arbre est vide. Alors je viens souvent m’entraîner ici.

— Tu n’avais pas envie d’en jouer en notre présence ? se questionna le garçon au foulard doré.

— Non, pas vraiment. Petite, j’en étais passionnée à un point où le professeur Canarticho m’avait autorisé à y jouer pendant les récréations. Un jour, sans doute par colère de m’entendre tout le temps, Carapuce insulta sèchement ma façon de jouer. Il en fit des caisses et m’humilia publiquement. Je ne m’étais jamais sentie aussi agressée. Mais bon, vous devez savoir de quoi je parle.

— Je suis désolé, soupira Salamèche.

— Non, c’est moi qui suis désolée de ne jamais être intervenue. Riolu et moi étions amis, autrefois. Sauf que ce jour-là, il a préféré fuir lâchement plutôt que de me soutenir. Si Carapuce ou Arcko s’en prend à l’un d’entre vous, je vous promets d’intervenir.

— Tu l’as déjà fait ! se bidonna Pikachu en se tournant vers son ami. Tout à l’heure, elle l’a envoyé bouler comme pas permis ! T’aurais vu la tête de Riolu, il était choqué !

— C’est vrai ?!

— Oui, bon, il vous menaçait…

Les deux secouristes s’en esclaffèrent.

— Ça y est, c’est le pire jour de ma vie ! Comment j’ai pu rater ça ?!

— Bref ! rougissait-elle. Il s’est passé plein d’autres trucs, aujourd’hui ! Comment va Tengalice ?

— Il s’en sortira sans trop d’égratignures, rassura le reptile.

— Tant mieux. Et vous ? Vous tenez le coup ?

— Je sais pas… marmonna Pikachu. Est-ce que j’irai en enfer pour avoir jeté un caillou sur un dieu ?

— Certainement ! se badina son amie. En tout cas, je ne suis pas près d’oublier cette journée. Sérieusement, on a rencontré le légendaire Oiseau Foudroyant ! Par contre, il était beaucoup moins impressionnant que veulent le faire croire les livres d’histoire…

— Ouais, sans doute ?

— Arrête de dormir en cours, toi !

— Comment tu peux dire ça ? J’ai eu une meilleure note qu’Arcko au dernier contrôle !

— C’est vrai ! Tu l’as éclaté !

Germignon et Pikachu en plaisantèrent de longues minutes, comme cela ne leur était jamais arrivé. Salamèche participa de moins en moins, jusqu’à se perdre dans ses pensées en zieutant la lointaine place centrale. Son regard se posa autour de son habitation. Il plissa les yeux, persuadé d’entrevoir quelque-chose bouger. Entre deux arbres qui masquaient toutes les sources de lumière, se faufilait un être gris de peau avec pour crâne un immense cylindre peint d’étranges marques noires. Le regard était plus bas, d’un globe oculaire rouge sang.

— Hé, mon pote ?

Il sursauta lorsque le rongeur lui tapota l’épaule.

— T’es fatigué ?

— Euh… bégayait-il en fixant à nouveau les alentours de son habitation.

Il n’y avait plus personne.

— Ouais, reprit-il, ça doit être ça.

— Il a été retenu captif pendant des heures par Électhor, déplora Germignon, c’est normal qu’il se sente déphasé.

— Ça va aller, ne vous en faites pas ! J’ai hâte d’être à demain !

— Ouais, compléta le garçon au pelage jaune, pour te reposer ?

— Tu rigoles ?

Il lui tendit son poing.

— On a encore du chemin à faire, avant de postuler à la Guilde ! Tu te sens prêt à charbonner ?

Pikachu le lui cogna sans hésiter.

— Bien sûr que oui !

Et d’un soupir apaisant, Germignon commença à jouer.

Ainsi s’acheva une extraordinaire journée pour la Dream Team. La deuxième semaine des vacances suivit son cours et, à la veille du Nouvel An, elle cumulait trente points de secourisme. Puis, le monde Pokémon entra dans son deux-cent-trente-et-unième âge. Il ne leur restait plus que sept mois, avant la fin de l’année scolaire et la période des examens.

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