Donjon Mystère - Dream Team

Chapitre 10 : L'équipe ADT

4626 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 31/01/2021 21:00

— Boudiou, s’exclama le père de la maison, on a du courrier !

Recouvert d’épais tissus, d’une paire de gants et de flocons de neige, il referma la porte d’entrée d’un coup de popotin en laissant une bouffée d’air frais se faufiler jusque dans la chambre de son petit. Ce dernier ouvrit les yeux en même temps que des frissons lui parcoururent le corps.

— Wow… il fait froid…

— J’hallucine, tu roupillais encore ?!

— J’ai eu du mal à me rendormir… ronchonna-t-il en se levant du lit.

— C’est dingue comme les vacances scolaires te rendent flasque ! rigolait-il en rangeant ses vêtements hivernaux sur le portemanteau. Mais ouais, la secousse de cette nuit était particulièrement rude. J’espère que personne n’a été blessé.

— Bon… bailla-t-il après s’être étiré, on a du courrier donc ? De la part de qui ?

— Oh, commença le bonhomme vert en déposant une pile entière sur la table, tu veux que je te les cite par ordre alphabétique ou chronologique ?

Le jeune secouriste avança, le regard perdu dans toutes ces demandes destinées à la Dream Team.


Chapitre 10 : L’équipe ADT


Il n’était plus question d’un village verdoyant, maintenant que la neige recouvrait le sol de plusieurs centimètres, et ce alors que les flocons continuaient de tomber. Les habitants s’accoutraient d’épais vêtements en laine, de chemises plus épaisses ainsi que de chaperons colorés. Chenipan et Rattata construisaient un bonhomme de neige, tandis qu’Arcko s’amusait à patiner sur les bains publics gelés. Même Riolu sortait de la bibliothèque pour lire ses romans. Tous étaient impatients de célébrer le Joyeux Cadoizo de cette année, alors que Pifeuil terminait d’installer les décorations sur le grand sapin installé au cœur de la place centrale. Du coin de l’œil, il zieutait une étrange conversation.

Sur la colline au grand arbre, les membres de la Dream Team déballèrent leurs nombreuses lettres.

— J’trouvais ça bizarre que le tableau d’affichage soit vide, disait Pikachu en lisant une demande. Tiens, m’sieur Lombre veut notre aide pour déboucher les canalisations du bar. Ça concerne plein de gens, j’pense que c’est une priorité.

Il la rangea sur la pile des missions urgentes.

— Je pensais que beaucoup m’en voulaient pour ce que j’avais fait au Mont Acier, confia Salamèche en déposant une lettre sur l’autre pile. Peut-être que les gens qu’on a déjà aidé nous font de la bonne pub ?

— Super, ils savent garder un secret à ce que je vois ! Et dire que ma mère m’a déjà confronté sur le sujet…

— Elle se doute de quelque-chose ?

— Non, elle sait juste que tu es secouriste et me demande d’arrêter de te côtoyer. Elle espère encore m’inscrire dans je sais quelle fac à Loliloville…

Un coup de vent soudain fit s’envoler quelques lettres et les Pikachu se pressa de les rattraper. Il chopa la dernière tout juste avant qu’elle ne soit plus à sa portée. Debout au bord de la colline, il fixait la grande rue qu’il apercevait au loin.

— Attention ! s’inquiéta le lézard. Je t’avais dit de les bloquer sous un caillou !

— Mon pote, balbutia le rongeur, je crois qu’il faut qu’on bouge là.

La place centrale était bondée de monde, comme lors d’une secousse. Ils descendirent s’informer.

— Les gars ! les appela Chenipan en s’extirpant de la foule. Vous avez vu ça ? C’est dingue !

— C’est quoi ce délire ? Quelqu’un a un problème ?

— J’ai pas trop compris mais je crois que ça concerne une autre équipe de secours.

— Ah… répondit Pikachu en haussant les épaules.

De son côté et sans la moindre hésitation, Salamèche força le passage pour en savoir plus. Il se faufila entre les adultes jusqu’à apercevoir une figure brune à longue chevelure. Sa peau semblait constituée de bois, sa crinière blanche était ébouriffée et descendait jusqu’à frotter la neige. En guise de pattes se dessinaient trois longues feuilles solides. Il avait de grandes oreilles et un long nez pointu. Son regard froncé et ses minuscules pupilles laissaient transparaître de l’indifférence.

— Je pense avoir été assez clair, affirma-t-il d’un ton hautain.

Il s’adressait à une jeune femme au corps rond, bleu et aux petits yeux rouges. Elle était entourée de trois épais cotons qui lui permettaient de flotter à quelques centimètres du sol.

— Je vous en supplie, Tengalice ! Le Mont Cristal est dangereux, il a besoin d’aide de toute urgence !

— J’ai fait l’effort de vous écouter, à vous de faire l’effort d’augmenter la récompense !

— Mais je n’ai que ça…

— Alors ce n’est pas mon problème.

— Ordure ! cracha Hippodocus. À quoi tu sers ?!

— On ne peut pas vous faire confiance ! s’offusqua Altaria.

— Vous vous prenez pour qui ?! l’attaqua Lombre.

La foule avait beau le huer, le secouriste leur esquissa un sourire narquois.

— Vous êtes tous si pauvres, que voulez-vous ? En attendant, moi, je n’ai pas besoin de protection !

Le jeune amnésique serra les poings. Il hésitait à intervenir, craignant les réactions opposées de la foule.

— Qu’est-ce que je viens d’entendre ? le devança une étrange voix suave.

Tous les regards se posèrent sur la grande figure qui avançait jusqu’au centre de la place. Jaune d’une peau squelettique, il mesurait près d’un mètre cinquante. De son grand crâne s’extirpaient deux cornes, un fin museau et deux yeux froncés d’une assurance certaine. Il accoutrait sur son torse et ses genoux une épaisse armure marron, tandis qu’une cape et un pantalon en tissu le recouvraient plus chaudement. Il tenait des cuillères abîmées.

Tengalice recula de quelques pas.

— L’équipe ADT… ? bégaya-il en tremblant comme une feuille.

Une équipe, oui, car le grand voyageur n’était pas venu seul.

— Voilà donc l’un des futurs protecteurs de Bourg-Tranquille ? méprisa une voix encore plus grave que la première.

Salamèche écarquilla les yeux. L’homme d’au moins un mètre soixante-dix qui, d’une voix rongée par la colère, s’était introduit les griffes agitées et le regard dédaigneux, lui procurait une étrange impression. Il s’agissait d’un grand dragon rouge au long museau fumant, avec deux cornes à l’arrière du crâne, deux ailes gigantesques dans le dos et par-dessus tout, une queue dont l’embout brûlait d’une étincelante flamme.

— N’as-tu donc aucun honneur ? s’imposa le dernier d’entre eux.

Atteignant bien deux mètres, sa peau semblait être constituée d’une pierre cornue, tranchante et infranchissable. Couvert des vêtements les plus légers, il portait les sacs les plus lourds.

— Qu’est-ce que… bafouillait le secouriste à la longue crinière, qu’est-ce que vous faites-là ?!

— Nous sommes de passage, clama le géant fait de pierre, mais il faut croire que nous arrivons au bon moment.

L’homme aux cuillères s’agenouilla face à la jeune femme.

— Est-ce que tout va bien, madame Cotovol ?

— Oui, euh… vous connaissez mon nom ?

— Une élégante figure bleu qui danse dans l’air à l’aide de ses doux cotons ne peut qu’être une Cotovol.

— Oh, rougissait-elle, c’est gentil à vous d’intervenir. Je ne crois pas vous connaître ?

— Mon nom est Alakazam. Mon ami le grand dragon se nomme Dracaufeu.

— Dracaufeu l’arrache mâchoires ! clarifia-t-il en sortant les crocs.

— Il essaie de cacher sa grande gentillesse, ne faites pas attention…

La jeune femme rigola et le sourire aux lèvres, l’homme à la peau squelettique visa son ami constitué de roche.

— Et mon compère imperturbable s’appelle Tyranocif.

— Je suis heureux de faire votre connaissance. Nous avons failli arriver en retard.

— Ensemble, reprit Alakazam, nous formons l’équipe d’exploration ADT.

Il dégaina son badge, scintillant d’une dorure qui fit frissonner la foule entière.

— C’est ça… grogna Tengalice. Puisque vous tenez tant que ça à m’humilier, faites la mission à ma place !

— Cela t’arrangerait, n’est-ce pas ? Peux-tu me rappeler la raison de ton abstinence ?

— Ça ne vous regarde pas !

— Je n’ai apparemment pas assez d’argent… marmonna Cotovol.

— De l’argent ? C’est de l’argent qu’il vous a demandé ?

— Tengalice, plaça Tyranocif, c’est ça ? Dis-moi, où est ton code moral ? Combien vaut une vie à tes yeux ?

— Hé, je risque beaucoup en acceptant cette mission ! Il me faut bien une récompense digne de ce nom !

— Es-tu au courant que les secouristes ont pour interdiction de réclamer une quelconque récompense, le questionna Alakazam, lorsqu’ils réalisent une mission ?

— Évidemment qu’il est au courant ! se pâma le dragon. Regardez-le, il est seul ! Tu sais très bien que la Guilde n’accepte pas les solitaires, tu fais juste ça pour t’enrichir sur le malheur des autres ! Tu m’as l’air d’être un bien beau profiteur !

— Mais… il n’y a pas d’explorateurs à Bourg-Tranquille ! Il faut bien que quelqu’un se mouille à leur place !

— Ce que tu n’aurais pas fait sans notre intervention, l’accusa Tyranocif.

— Vous parlez comme si j’allais dire oui… !

— Tu vas dire oui, assura Alakazam.

Il en imposa le silence. Le secouriste cligna deux fois des yeux.

— Je… je vous demande pardon ?

— Tu vas dire oui, et gratuitement, car cette femme a besoin de ton aide.

— Mais… pour qui vous prenez-vous… ? Bande de…

Il s’interrompit lorsque son regard s’échangea avec celui du chef de l’équipe ADT. Il déglutit tout d’abord, puis baissa la tête et reprit un souffle tremblotant.

— Je t’en prie, qu’as-tu à nous dire ?

Il ne répondit pas, alors Alakazam se tourna vers Cotovol.

— L’un de vos proches est coincé au Mont Cristal, c’est bien cela ?

Elle hocha la tête.

— Il est un Cotovol également et il s’agit d’un ami très proche, oui. La nuit dernière, nous laissions le vent nous porter jusqu’en territoire sauvage lorsqu’est survenue une terrible secousse. Un rocher s’est effondré sur l’un de ses cotons. À moi seule, je n’ai pas la force de le déplacer, mais je pensais que Tengalice…

— D’un coup de feuilles, pourrait créer le courant nécessaire pour le sauver. Penses-tu qu’elle se trompe ?

— Non… grommela-t-il en détournant le regard. C’est bon, je vais y aller…

— Vraiment ?! s’extasia la jeune femme.

— Ouais ouais, c’est bon, j’y vais tout de suite…

Il s’enfuit de la place centrale sans se retourner. Le calme s’imposa et peu à peu, la foule vaqua à ses occupations.

— Encore et toujours des problèmes avec les secouristes… grogna Bekipan.

— À quoi servent ces ingrats, au juste ? se plaint Kecleon.

— On serait tous bien mieux sans eux… rouspéta Raichu.

Le jeune amnésique restait immobile, bouche bée. Pikachu le rejoignit en observant sa mère s’éloigner.

— C’était bizarre. Je sais pas si je dois être content ou répugné d’avoir vu ça.

— Incroyable… marmonna le lézard en observant les trois explorateurs quitter la place centrale.

Alakazam s’arrêta brusquement. Il se retourna et le dévisagea d’un air préoccupé.

— Euh… il nous regarde là ?

— Alakazam ? approcha le dragon en lui tapotant le dos.

Puis, son regard se posa également sur le garçon à la tunique usée.

— J’hallucine… !

Il se précipita vers lui en manquant de faire trembler la place à chacun de ses pas. Puis, à quelques centimètres de sa bouille, il se pencha, le dévisagea quelques instants et ferma les yeux en reniflant. Salamèche recula, embarrassé face à ce brûlant museau aux dents pointues.

— Je peux vous aider ? demanda-t-il pour briser le silence.

— Ton odeur… est différente. Tu dois être adopté, bien que je me demande qui est le guignol à avoir eu l’idée d’élever un type Feu dans le village le plus vert du monde. Si je m’attendais à trouver l’un des miens dans un coin pareil…

— L’un des vôtres ?

— Rêve pas, on n’a aucun lien de parenté.

— Les gars ? intervint Tyranocif. Je croyais que nous étions pressés ?

— J’arrive, répéta le dragon en dévisageant une dernière fois l’autre type Feu. Quel gâchis…

Il s’éloigna en tapotant l’épaule de son chef au passage, qui sursauta et reprit pleinement conscience. Les membres de l’équipe ADT quittèrent finalement la place centrale de Bourg-Tranquille. De leur côté, les deux jeunes amis s’échangèrent un regard quelque peu embarrassé.

Le ciel se recouvrait de nuages lorsque la Dream Team rejoignit Lombre au bar, comme il l’avait indiqué dans sa lettre. Le parquet scintillait, les escaliers grinçaient, les tapis d’un bleu étincelant apaisaient et les grandes fenêtres entourées de plantes rassuraient. Déjà à l’heure du déjeuner, presque toutes les tables étaient remplies.

— Vous voilà les minots ! les accueillit l’homme au chapeau nénuphar.

À bout de bras, il déplaçait le linge de cuisine rangé dans le placard.

— Yo ! le salua le rongeur. Alors, il se passe quoi ?

— Une fuite, bon sang, une fuite de tuyauterie !

— Laissez-moi vous aider à porter ça ! fonça le jeune reptile.

Pikachu, lui, fouilla du regard les différents tuyaux, accrochés au plafond et qui dégoulinaient plus ou moins fréquemment sur les tables, les tapis ou les tonneaux de bières.

— Dites, le temps qu’on reçoive le courrier, vous avez bien dû gérer cette crise pendant plusieurs jours à vous seuls, non ? Alors pourquoi tout prend la flotte ?!

— Tu voulais qu’on ferme le bar pendant plusieurs jours ? Ça va pas ou quoi ?!

— Les choses se sont surtout empirées dernièrement, s’introduisit une vieille tortue à la carapace rocheuse.

— Yo m’sieur Mégapagos ! J’oublie tout le temps que vous travaillez ici !

En sortant du placard, Salamèche déposa un grand tas de torchons. Il tiqua en apercevant Mégapagos, se rappelant de comment Pifeuil le couvrait de louanges. Il l’approcha en lui tendant une patte.

— Bonjour monsieur, je suis Salamèche.

— Mais enfin, rigolait-il en lui choyant la patte, je sais très bien qui tu es ! À vrai dire, je n’étais pas vraiment surpris d’apprendre que tu étais le membre d’une équipe de secours.

— Ah, euh… c’est à cause de l’incident au Mont Acier ?

— Non, c’est Lombre qui me l’a dit.

Les regards se tournèrent vers le bonhomme au chapeau nénuphar.

— Quoi ?

— À ce propos, reprit le sage, est-ce que mon fils fait partie de vos excursions ?

— Qui ça ? Carapuce ?

— Bien que je n’adhère pas aux risques que vous entreprenez, je sais qu’il est tout aussi passionné que vous par l’exploration et qu’il n’attendrait pas mon approbation pour quitter le village à vos côtés. Bien sûr que suis inquiet, mais si cela peut lui permettre de s’épanouir, qu’aurais-je à le punir pour non-respect du règlement ?

Les deux secouristes s’échangèrent un regard perplexe.

— Il s’entraîne probablement au dojo, répondit Salamèche.

— En fait, on traîne pas vraiment ensemble…

— Oh, soupira-t-il, je vois. Mon cher Pikachu, je savais que tu n’étais pas réceptif à son caractère, disons-le, plutôt acrimonieux ; mais j’aurais tant aimé que l’arrivée d’un nouvel enfant à Bourg-Tranquille change la donne…

— Bon, s’interposa Lombre, on s’y met où j’apporte les bières ?

— Pardon, se reconcentra le jeune lézard. D’où vient le problème ?

— Par ici, les minots !

Le groupe approcha l’arrière-comptoir, dont le bois était remplacé par une grille menant à un regroupement de tout un tas de gros tuyaux. Lombre la souleva et fouilla d’un bref regard les sombres environs.

— À mon avis, quelque-chose bloque là-dedans !

— Il va falloir tout démonter jusqu’à prendre connaissance du problème, déclara Mégapagos.

— Vous voulez qu’on vous aide à dévisser les tuyaux ?

— Malheureusement, confirma-t-il.

— Le problème est que si on dévisse tout, reprit Lombre, on doit couper l’eau. Et si on coupe l’eau, on n’aura plus de quoi alimenter le bar pendant au moins le reste de la semaine !

— Ah bon ? s’intrigua le garçon au foulard doré. Comment est-ce que ça marche ?

Soudain, le bruit lointain d’un déversement se fit entendre. L’homme au chapeau nénuphar se dépêcha de refermer la grille avant qu’un torrent aquatique ne traverse le tuyau. Les deux garçons étaient bouche bée face à l’intensité du courant. Ils sentaient le parquet trembler. Le sage croisa les nageoires.

— Pour faire simple, l’eau potable de Bourg-Tranquille vient directement de l’usine de dessalement Crapustule, la seule du continent. Le problème est qu’à cette distance et avec tous ses clients, elle ne peut nous envoyer de l’eau en continu. Nous avons bien une réserve en cas d’urgence, mais si nous coupons la réception, il nous faudra patienter bien quatre jours pour en recevoir de nouveau.

— Euh… bégaya Pikachu, dans notre langue ça veut dire quoi ?

— Comprenez que ce problème implique un grand sacrifice pour notre bar, mais cela est nécessaire.

De manière si peu naturelle, Lombre se força à tousser.

— Vous aimez le risque, non ? Si vous jetez un coup d’œil vite fait, on n’a pas besoin de couper l’eau, si ?

— Lombre, enfin ! Il en va de leur sécurité !

— Ça va, c’est de l’eau ! Ça tue personne… enfin, sauf toi.

Il visait Salamèche, qui haussa les épaules.

— Je prends des douches, vous savez ?

— Ah ! Donc ça te dérange pas d’en prendre une maintenant, si ? Nous, on est trop grand pour passer !

— Oui, et eux sont trop jeunes !

— C’est bon, clarifia le reptile, je vais y aller.

— T’es sûr ? lui demanda son ami. Ça me dérange pas de prendre le risque.

— J’y verrai plus clair que toi avec ma flamme, disait-il en lui confiant son rappelle-tout. Allez, on se dépêche !

— Mais bon sang, râla Mégapagos, ce n’est pas à toi de prendre ce risque !

— Qu’est-ce que Pharamp ferait à ma place ? lui rétorqua-t-il en sautant dans la tuyauterie.

N’y voyant plus grand-chose, il attrapa sa queue et la pointa face à lui, telle une torche éclairant son passage. En se faufilant dans le long couloir humide qui noyait ses bottes, il distinguait de plus en plus un tas de mouvements vifs qui se répétaient.

— Qui est là ? demanda-t-il en restant sur ses gardes.

Il craignait de se retrouver face à un hors-la-loi, lorsque sa flamme éclaira les responsables de tout ce bazar : un mur entier de petits poissons rouges aux longues moustaches lui faisait face. Tous gesticulaient mollement.

— Euh… je crois que j’ai trouvé le problème !

— Alors dépêche-toi de le régler ! La prochaine vague va pas tarder, minot !

— Pikachu, prépare-toi à les réceptionner !

— Quoi ? Qui ça ?!

Il agrippa un poisson par la nageoire et le tira vers lui. Le mur s’effondra, en révélant encore plus derrière. Affolé, Salamèche se précipita vers la trappe et jeta celui qu’il portait. De l’autre côté, son ami le réceptionna d’un vif mouvement.

— J’ai ! Qu’est-ce que… ? Un sauvage ?!

— Un Magicarpe ? s’étonna le sage. C’est un Magicarpe qui bloquait la circulation de l’eau ?

— Ce sont tout un tas de Magicarpe ! Combien de temps il me reste ?!

— Aïe aïe aïe… pas plus d’une minute, pour sûr !

Et ainsi débuta le marathon des Magicarpe. Ayant fait s’effondrer le mur de Pokémon, les autres seraient emportés par le courant de la prochaine vague. Alors Salamèche accourait, il accourait de toutes ses forces et enchaînait les allers-retours en agrippant deux à trois prises en une seule fois. Pikachu se coordonnait aux lancés de son coéquipier, tandis que Mégapagos et Lombre s’occupaient de les éloigner du bord de la tuyauterie. Le parquet recommençait à trembler.

— Minot, va falloir remonter là !

— Non, il en reste encore un !

— Peu importe, s’inquiéta Mégapagos. À lui seul, il ne bloquera pas la circulation de l’eau ! Remonte vite !

— Peut-être, mais il n’a rien à faire là !

Essoufflé, il porta le dernier Magicarpe avec ses deux bras et avança vers la sortie. Face à lui, le torrent aquatique se déversait d’une sévère intensité. Pikachu lui tendit la patte.

— Saute !

Le secouriste s’exécuta et comprenant qu’il ne l’atteindrait pas, son ami se jeta sur lui. Lombre lui rattrapa les jambes de justesse, tout comme Salamèche lui agrippa la patte au dernier moment.

— Remontez-nous ! criait le garçon au pelage jaune.

— Vous êtes… trop lourds !

Trop tard, le torrent se déversa sur eux. Salamèche retenait autant sa respiration que le sauvage qu’il enlaçait. Mégapagos tenta de tirer Lombre en arrière, mais la force du vieil homme ne suffisait pas. Soudain, tout un tas de coton se colla à sa peau. Des douces, légères et agréables boules de coton. À peine eut-il le temps de s’en rendre compte, qu’une bourrasque le fit s’envoler jusqu’au fond de la pièce. Aucun objet ne se renversa. En revanche, Mégapagos, qui tirait Lombre, qui tirait Pikachu, qui tirait Salamèche s’envolèrent jusqu’à l’autre bout du bar. Le coton amortit la chute du vieil homme pendant que sous les regards de tous les clients, les trois autres s’écrasèrent lamentablement contre le parquet. L’homme au chapeau nénuphar se précipita sur la grille, qu’il referma pour de bon.

— C’est bon, s’essoufflait Lombre, tout va bien !

Sur ces mots, les clients revinrent à leur discussion. Pendant que les deux enfants crachaient de l’eau, la vieille tortue titilla le coton qui le recouvrait. Une jeune femme approcha d’un air inquiet.

— J’espère que vous n’en êtes pas allergique ? approcha-t-elle en flottant à quelques centimètres du sol.

— M’dame Cotovol ?! s’exclama Pikachu. Qu’est-ce que vous faites ici ?

— J’étais venue me détendre après le fiasco de ce matin. Et puis vous êtes arrivés.

— Désolé, se releva Salamèche, c’était mon idée. Vous avez sans doute besoin de repos après ce qui est arrivé…

— Non, rigola-t-elle de bon cœur, je suis contente d’avoir pu aider un peu.

— Un peu ? lui répondit Lombre. Vous nous avez carrément sortis d’affaire, ma bonne dame !

— Merci, mais en réalité, mes capacités sont très limitées. Mes bourrasques n’impressionnent personne, mais au contact de mes cotons, elles me permettent d’annuler l’inertie des êtres organiques. Cela n’implique cependant pas les objets inertes, comme les rochers…

Elle détourna le regard en soupirant.

— Tout ira bien ! la rassura le garçon au foulard doré. Je suis sûr que Tengalice ramènera votre ami sain et sauf !

Elle lui sourit en retour.

— Bon ! se motiva Lombre. C’est l’heure du rangement ! Faut éponger toute cette flotte et renvoyer les Magicarpe dans le lac ! La Dream Team, vous êtes de la partie ?

— Évidemment ! assura le rongeur. Je comprends même pas comment des sauvages ont pu atterrir dans nos canalisations…

Après beaucoup d’allers-retours et une bonne douche bien méritée, la journée s’acheva. Salamèche avait récupéré son rappelle-tout et sur la table du salon, il continuait d’annoter tout ce qu’il avait découvert sur les capacités Pokémon. Face à la cheminée, Pifeuil préparait un gratin.

— J’avais jamais vu ce carnet, lui dit-il. Tu t’en sers pour l’école ?

— Non, c’est le maître du dojo qui me l’a donné. Il veut que je note tout ce que je remarque de surprenant. J’ai déjà écrit cinq pages et après réflexion, je pense avoir trouvé une stratégie face à des types comme Tartard, Abo ou Airmure. J’ai même noté plein de trucs sur Pikachu ou Férosinge. Aujourd’hui, c’est madame Cotovol qui m’a impressionné !

— T’analyses même tes potes ?

— Ça me vient comme ça, c’est tout.

Pensif, il fixa le bonhomme vert quelques instants.

— Hm… je me demande ce que vaut Tengalice ?

Pifeuil sursauta, manquant de renverser les ingrédients qu’il disposait dans son plat.

— Tengalice… ?

— Oui, le membre de l’équipe Rafale Verte.

— Ne travaille jamais avec lui, protesta-t-il sur un ton stricte. Il te la mettra à l’envers, ce type est un escroc !

— Euh… d’accord. Je ne savais pas que vous le connaissiez…

— C’est la seule chose que je sais de lui, grommela-t-il en reprenant la cuisine.

La lune se leva et après le dîner, tout le monde gagna son lit.

Le lendemain matin, le ciel était nuageux et la neige ne s’était pas encore évaporée. Le bonhomme vert barra la date du vingt-quatre décembre sur le calendrier du salon. Il était enfin l’heure de célébrer le Joyeux Cadoizo de l’âge deux-cent trente.

— Je pars pour la place centrale ! Te lève pas trop tard, p’tit gars !

— Je vous rejoins dans une heure max… baillait le vacancier dans son lit.

En ouvrant la porte, Pifeuil sursauta.

— Wow ! Eh beh, que me vaut cette élégante visite ?

— Monsieur Pifeuil, commençait la douce mais tremblante voix d’une femme, est-ce que votre secouriste est là ?

Le jeune lézard bondit du lit et les rejoignit avant même qu’il ne réponde.

— Madame Cotovol ! la reconnut-il immédiatement. Que se passe-t-il ?

— Je suis vraiment désolée de vous déranger aujourd’hui, mais…

Tremblotante, elle essuya une larme.

— C’est Tengalice. Il n’est toujours pas revenu…

Pifeuil et Salamèche s’échangèrent un regard terrifié. Et ainsi débuta le Joyeux Cadoizo…

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